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Avant comme après la loi Pacte, pas de nullité pour seule violation de l’intérêt social ?

Lettre CREDA-sociétés 2021-02 du 27 janvier 2021

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La Cour de cassation affirme que la violation de l'intérêt social n'est pas, à elle seule, constitutive d'une cause de nullité des décisions sociales.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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Pour la première fois, aussi clairement à notre connaissance (ce qui explique la publication de l’arrêt), la Cour de cassation indique, dans un arrêt du 13 janvier 2021 que la violation de l’intérêt social n’est pas à elle seule constitutive d’une cause de nullité des décisions sociales

Les faits sont assez simples, bien que partiellement restitués. Voici ce que l’on peut dire en simplifiant.

Deux associés (en couple) avaient consenti en juillet 2014 une promesse de cession portant sur l’intégralité des actions d’une SAS (et non des « parts » comme l’indique l’arrêt) au bénéfice d’un repreneur. Entre la signature de la promesse et sa réalisation, les deux associés avaient octroyé au président (et non au « gérant ») des primes exceptionnelles. Une fois la cession réalisée, le nouvel associé et président de la SAS refusait de payer les primes, motif pris de ce que les décisions les octroyant constituaient un acte anormal de gestion, mettant en péril les intérêts de la société. De son côté, l’ancien président assignait la société en paiement et le nouveau président lui opposait la nullité des décisions sur le fondement de l’abus de majorité.

Dans son pourvoi, l’ancien président reprochait à la cour d’appel d’avoir prononcé la nullité des décisions, alors qu’elle avait insuffisamment caractérisé les éléments constitutifs de l’abus de majorité. Selon le demandeur, l’arrêt n’établissait pas en quoi les décisions litigieuses avaient été prises contrairement à l’intérêt social dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité. En effet, toute critique sur ce terrain serait purgée dès lors que l’unanimité des associés (le couple), avait voté les primes.

La Cour de cassation écarte le moyen.

Elle le considère non fondé dans la mesure où la cour d’appel n’a pas prononcé la nullité des décisions pour abus de majorité. La nullité a été prononcée parce que les primes versées représentaient plus de 13 fois le montant du résultat net de l’exercice écoulé et constituaient, selon la cour d’appel, « des rémunérations abusives comme étant manifestement excessives et contraires à l’intérêt social ».

La haute juridiction censure néanmoins l’arrêt d’appel par un moyen relevé d’office.

Elle énonce, au double visa des articles 1382 du Code civil (devenu 1240) et L. 235-1 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 dite PACTE, et c’est tout l’intérêt de la solution, qu’ « il résulte du second qu’une délibération de l’assemblée générale des associés d’une société octroyant une rémunération exceptionnelle à son dirigeant ne peut être annulée qu’en cas de violation des dispositions impératives du livre II dudit code ou de violation des lois qui régissent les contrats, et non au seul motif de sa contrariété à l’intérêt social, sauf fraude ou abus de droit commis par un ou plusieurs associés pour favoriser ses ou leurs intérêts au détriment de ceux d’un ou plusieurs autres associés ».

Sans être nouvelle s’agissant de l’exigence de violation d’une disposition impérative du livre II du Code de commerce, la solution retient toutefois l’attention par la volonté affichée de la Cour d’insister sur l’absence de nullité des décisions sociales tirée de la « seule » contrariété à l’intérêt social.

Certes, quelques arrêts avaient admis une solution contraire en matière de cautionnement donné par une société à risque illimité (par. ex. Com., 8 nov. 2011, n°10-24438 ; Civ. 3ème, 12 sept. 2012, n°11-17948). Pour autant, cette même solution avait été expressément écartée pour les SARL (Com., 12 mai 2015, n°13-28504) et les SAS (Com., 19 sept. 2018, n°17-17600).

Concrètement, il en résulte que la nullité pour seule contrariété à l’intérêt social était donc, non seulement limitée à certains actes externes de la société, mais plus encore, limitée aux seuls actes conclus par une société à risque illimité.

Aussi, l’arrêt commenté ne rompt pas avec cette lecture, mais la complète.

Sa portée n’en est pas moins difficile à saisir.

Ce que l’on peut dire, c’est que l’absence de nullité devrait valoir quelle que soit la décision sociale en cause : décision collective des associés ou décisions des autres organes sociaux, entendues dans les deux cas comme des actes unilatéraux de la société.

De même, rendue au visa de l’article L. 235-1 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi Pacte du 22 mai 2019, la solution ne devrait pas être différente à l’avenir.

Cela vaut pour l’absence de nullité : en effet, si la notion d’intérêt social a été consacrée par la loi Pacte, qui plus est au rang de disposition impérative (not. C. civ., art. 1833, al. 2), les articles 1844-10 du Code civil et L. 235-1 du Code de commerce retiennent expressément que les décisions sociales prises en contrariété avec cet intérêt, ne peuvent, sur ce seul fondement, être annulées.

Cela vaut également s’agissant de la sanction de l’abus de majorité. Peu important la lettre de l’article L. 235-1, l’abus de majorité sera encore sanctionné par la nullité. Simplement, la sanction ne sera prononcée, comme hier, que sous la réserve d’établir, outre la violation de l’intérêt social, un abus du droit de vote.

Au résultat, la violation de l’intérêt social relève plus de la responsabilité des organes, que de la validité des actes qu’ils adoptent.

Certains trouveront la solution sévère pour le cessionnaire, dans la mesure où la preuve de l’abus de majorité est difficile à rapporter.

D’abord, on sait que le caractère excessif de la rémunération d’un dirigeant, en admettant que cela soit contraire à l’intérêt social, n’est pas forcément l’aveu d’un abus de majorité (Com., 4 oct. 2011, n°10-23398). Récemment, il a même été jugé que la décision des associés majoritaires d’une SARL d’augmenter la rémunération du gérant dont la charge de travail ne s’était pas accrue ne constituait pas un abus de majorité dès lors qu’elle était justifiée par une hausse du chiffre d’affaires (Com., 14 oct. 2020, n°18-24732). Tout au plus, l’excès est un indice, mais alors la décision octroyant la prime doit être contrôlée à l’aune de la rupture d’égalité qu’elle emporterait pour les minoritaires (par ex. Com., 20 févr. 2019, n°17-12050).

Ensuite, les faits donnent une coloration toute particulière à la difficulté probatoire en la matière. Le cédant et ancien président avançait qu’il ne pouvait y avoir abus de majorité en raison du vote des primes à l’unanimité des associés. Certes, on pourrait rétorquer que le seul fait de voter en faveur d’une résolution ne neutralise pas forcément l’action en annulation de l’associé concerné (Com. 13 nov. 2003, n°00-10382). Mais il est vrai que, dès l’instant où le cessionnaire n’était pas associé au moment où la décision était prise, comment pourrait-il réellement prouver la rupture d’égalité ? Même si « aucune disposition n’impose que le demandeur à l'action soit actionnaire de la société à la date de l'acte ou de la délibération dont il poursuit l'annulation » (Com. 4 juill. 1995, n°93-17969), pour que la nullité soit prononcée, le cessionnaire ne peut se contenter d’invoquer la violation de l’intérêt social.

Reste alors deux pistes, si l’on laisse de côté le volet pénal (par. ex. Crim., 16 mai 2012, n°11-85150) et l’existence de dispositifs légaux spéciaux (conventions réglementées et « say on pay », inapplicables ici).

La première est celle de la responsabilité civile du dirigeant pour faute de gestion. Il convient dans ce cas de regarder, ce qu’avait fait la cour d’appel, s’il existe une disproportion entre le montant versé et, notamment, le résultat net (v. égal., Com. 4 nov. 2014, n°13-24889), ou encore la marge réalisée par la société (en matière d’insuffisance d’actif : Com., 3 déc. 2013, n°12-19881 ; v. insistant sur la situation déficitaire de la société : Com., 19 mai 2015, n°14-10348).

La seconde est celle de la fraude, ce que souligne la Cour. Elle a d’ailleurs récemment jugé que la fraude n’était pas suspendue à la démonstration d’une violation de l’intérêt général de la société (Com., 30 sept. 2020, n°18-22076).

Au vu de l’arrêt commenté, la fraude ne devrait pas, non plus, l’être à la preuve d’une rupture d’égalité entre associés, puisqu’elle corrompt tout.

Julien DELVALLEE
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay

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