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Quand un faux dirigeant peut engager la société...

Soumis par sfournier le mer 29/11/2023 - 10:14

Lettre CREDA-sociétés 2023-15 du 29 novembre 2023

Le faux régulièrement publié nommant dirigeant une personne ne l’étant pas n’empêche pas que les actes du faux gérant soient opposables aux tiers, sauf collusion frauduleuse entre le tiers et le gérant concernant cette publication (Cass. 3e civ., 26 oct. 2023, n° 21-17.937).

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Le droit des sociétés est normalement le royaume du formalisme. Ce n’est pas sans raison, la création de la structure nécessite une certaine stabilité, au détriment parfois d’un principe de réalité. Ce formalisme a vocation à protéger les associés comme les tiers, mais surtout ces derniers. C’est ainsi qu’ils ne pourront pas se voir opposer un dépassement de l’objet social dans les sociétés à risque limité (pour les SARL, L. 223-18 C. com.), ni souvent une nullité sociétaire (art. L. 235-12 C. com. ; art. 1844-16 C. civ.), ni même le siège statutaire de la société si le siège réel est ailleurs (art. L. 210-3 C. com. ; art. 1837 C. civ.). Autant de règles où l’accent est mis sur la protection des tiers, au détriment de celle des associés. Cette tension entre les intérêts des uns et des autres est mise en exergue quand se posent des problématiques de représentation et est poussée à son paroxysme quand un faux dirigeant, qui paraît pourtant vrai, peut engager la société.

Telle était l’hypothèse posée par l’arrêt du 26 octobre 2023. Il concerne une société civile d’exploitation agricole, mais est applicable, par sa généralité, à toute société civile ou commerciale. Cette société avait passé des actes juridiques (concernant des baux à complants, mais là encore leur nature est sans importance) en 2008. En 2015, le propriétaire des parcelles conteste la qualité de gérant du signataire de ces actes, qualité résultant pourtant d’un procès-verbal d’assemblée datant de 2005, cette décision ayant été publiée.

La Cour d’appel reconnaît que le procès-verbal est un faux, donc que le dirigeant n’en était pas un depuis plus dix ans quand le litige a été entamé, mais refuse de remettre en question les actes.

Toute la question est de savoir si ces actes sont susceptibles d’être contestés. La réflexion porte sur l’application l’art. 1846-2 al. 2 C. civ., mais la Cour précise bien que l’art. L. 210-9 al. 1 C. com., dont la formulation est similaire, impose la même solution pour les sociétés commerciales. Ses termes sont explicites : « Ni la société, ni les tiers ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d’une irrégularité dans la nomination des gérants ou dans la cessation de leur fonction, dès lors que ces décisions ont été régulièrement publiées ».

La publication de la nomination empêche-t-elle cependant de remettre en cause l’engagement, passé par un faux gérant ? En l'espèce, par un gérant qui s'était ainsi auto-désigné au moyen d'un faux ?

Et la Cour de cassation répond positivement, en détaillant méthodiquement son raisonnement. Elle considère que le faux est une simple irrégularité, couverte par l’application de l’art. 1846-2 al. 2 C. civ. (1), tout en réservant le cas de la collusion frauduleuse (2). L’arrêt est l’occasion de revenir sur l’apparence dans la représentation sociétaire (3).

1. Le faux est une simple irrégularité

publications

 

Premier enseignement de l’arrêt, le faux est une simple irrégularité, inopposable aux tiers dès lors que la décision a été publiée. La question est inédite.

Il n’existe pas de définition nette d’une irrégularité, mais la question est très pertinente. On pourrait en effet considérer qu’il existe de simples irrégularités et des irrégularités lourdes, insusceptibles d’être opposées aux tiers. Les premières pourraient tenir à des défauts d’information des associés ou des erreurs de calcul de majorité, tandis que les secondes pourraient couvrir la décision obtenue grâce à un vice du consentement, par exemple une décision obtenue par l’abus de dépendance de l’art. 1143 C. civ. Telle est la logique des art. L. 235-12 C. com. et art. 1844-16 C. civ. qui prévoient que la nullité est opposable aux tiers si elle résulte d’un vice du consentement. Il reste que les art. 1846-2 al. 2 C. civ. et L. 210-9 al. 1 C. com. ne prévoient pas une telle exception et la Cour le rappelle bien, n’est opérée « aucune différence selon la nature des irrégularités entachant la décision de nomination du gérant ».

C’est pour cela que le moyen était astucieux, car il postulait que la nomination était inexistante, étant sous-entendu que ce qui n’existe pas ne peut être publié. Cela ravive de vieux débats sur l’inexistence en droit des sociétés, car certains considéraient qu’une société fictive n’était pas nulle, mais inexistante, de sorte que les limitations apportées aux nullités sociétaires ne pouvaient s’y appliquer. La Cour de cassation a écarté lapidairement cette conception en 1992 (Com., 16 juin 1992, n° 90-17.237) : « une société fictive est une société nulle et non inexistante ». En l’espèce, la Cour ne rejette pas aussi explicitement le concept d’inexistence, mais énonce simplement que « regarder comme inexistante la désignation d’un gérant intervenue sur la base d’un procès-verbal d’assemblée générale contrefait […] priverait d’effet utile la finalité de ce texte [l’art. 1846-2, al. 2 C. civ.] ». Elle ajoute que les associés ont toujours la possibilité de contester la décision, ce qui paraît un argument superflu. Les arguments tenant à l’empêchement de l’effet d’un texte blessent souvent le juriste français, car ils ne reposent pas sur l’application mécanique d’un concept. Il faut néanmoins reconnaître ici leur pertinence, car toute irrégularité pourrait potentiellement être considérée comme rendant inexistante la désignation. La solution doit être approuvée sur ce point.

2. La collusion frauduleuse écarte l’apparence

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n° 2023-15 du 29 novembre 2023

Lettre creda 15-2023

 

L’autre argument du pourvoi invoquait tout simplement l’adage fraus omnia corrumpit. Le faux serait aussi une fraude, or celle-ci corrompt tout.

La Cour fait ici une appréciation extrêmement restrictive de la notion de fraude. D’une part, elle considère que la notion de fraude s’entend de la fraude du tiers. Cela est très critiquable pour deux raisons. D’abord la fraude peut-être purement interne, mais il est vrai que, dans ce cas-là, il s’agit uniquement d’une autre manière de nommer le faux et l’on revient au même argument de privation d’effet utile de l’art. 1846-2. Ensuite, il s’agirait alors moins de fraude que d’absence de bonne foi.

C’est sans doute pour cela que la Cour écarte l’application de l’adage, sauf à prouver la collusion frauduleuse entre gérant et tiers : « afin de préserver la portée attachée à la publicité légale et de n’en neutraliser les effets que pour sanctionner les actes les plus graves commis au préjudice d’une personne morale, lorsqu’ils procèdent de manœuvres concertées, il y a lieu de retenir que seule l’existence d’une collusion frauduleuse entre le gérant désigné et le tiers est de nature à priver d’effet l’opposabilité qui découle, en principe, de la publicité légale ». L’hypothèse serait par exemple celle où le tiers et le faux gérant conspireraient pour publier fictivement sa nomination afin de profiter des biens de la société.

Différentes qualifications pénales pourraient alors être attachées à ces comportements, dont le faux et l’escroquerie.
Cette exception se comprend, mais reste extrêmement limitée, d’autant que la collusion devra être prouvée, ce qui n’est jamais aisé.

Ce d’autant plus que la Cour précise bien que « le caractère frauduleux de la publication d’une nomination de gérant ne peut se déduire du seul caractère frauduleux de la désignation d’un gérant, notamment lorsqu’il résulte de la contrefaçon d’un procès-verbal d’assemblée générale ». La collusion frauduleuse ne pourrait toucher que la publication et non la seule nomination. Le tiers qui contribue à établir uniquement le faux, sans aider à sa publication, pourra-t-il se voir reprocher sa collusion ? En adoptant une lecture restrictive de l’arrêt, il semblerait que non.

3. L’apparence et la représentation sociétaire

Pour finir, on ne peut que remarquer l’approche extrêmement protectrice des tiers de la Cour de cassation concernant l’apparence et la publicité légale.

Car, à l’inverse, la publicité légale accompagnant la nomination et la cessation des fonctions du gérant d’une SARL n’empêche pas le jeu du mandat apparent. C’est-à-dire que la société pourra être engagée par les actes d’une personne qui n’est pas gérant alors même que le nom du gérant est publié (Com. 9 mars 2022 n° 19-25.704 ; v. notre étude à la même lettre : « Mandat apparent : oblige qui ne peut pas »), tant que le tiers est de bonne foi. Une ancienne jurisprudence avait décidé que la publication de la cessation des fonctions du gérant empêchait qu’il engageât la société (Com., 4 mai 1993, n° 91-14.616), mais il est difficile de savoir si elle est toujours d’actualité.

Le tiers est donc toujours gagnant : la publicité légale lui profite, sauf collusion frauduleuse, mais ne saurait lui nuire, sauf mauvaise foi. On voit le parallèle pouvant être fait avec les limitations statutaires du pouvoir du dirigeant, toujours inopposables aux tiers, même s’ils en ont eu connaissance (Com., 2 juin 1992, n° 90-18.313)… sauf lorsqu’ils les invoquent (Cass. 3e civ., 14 juin 2018 n° 16-28.672).

Jean-Baptiste BARBIÈRI
Maître de conférences, Université Paris-Panthéon-Assas

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Facilitation de la prorogation d’une société après survenue de son terme

Soumis par sfournier le mar 17/10/2023 - 13:53

Lettre CREDA-sociétés 2023-14 du 18 octobre 2023

La prorogation d’une société après son terme statutaire peut être demandée quelle que soit la raison de l’absence de consultation des associés avant le terme. Le juge doit alors constater que des associés représentant la majorité prévue par les statuts pour la prorogation ont l’intention de proroger la société (Cass. com., 30 août 2023, n° 22-12.084).

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Un groupement foncier agricole avait été constitué pour une durée de quarante ans en 1979. En 2018, le gérant du groupement a convoqué les associés mais aucune preuve de la tenue de l’assemblée n’a été apportée, de surcroît, un des associés a, un peu avant le terme, notifié son intention de ne pas proroger la société « de plein droit » à la fin du bail en cours.

Avant toute chose, remarquons que les GFA peuvent être prorogés automatiquement tant qu’un bail qu’ils ont consenti est en cours, sauf opposition d’un de leurs associés (art. L. 322-9 C.rur.). En l'espèce, l'opposition ayant été formée, la prorogation n’est plus automatique et le droit commun redevient applicable, la solution est donc applicable à toutes les sociétés.

Un des associés a ainsi, postérieurement au terme, saisi le président du tribunal judiciaire afin de procéder à la prorogation de la société, comme l’art. 1844-6, al. 4 C.civ. le permet désormais. Constatant l'intention des associés de proroger la société, le président a accédé à sa demande, et autorisé la consultation des associés à titre de régularisation dans un délai de trois mois. Un des associés – celui-là même qui avait notifié son intention de ne pas proroger la société – a demandé la rétractation de cette décision.

L’arrêt d’appel la confirme pourtant et s’ensuit un pourvoi en cassation de l’associé trouble-fête, celui-ci estimant : premièrement qu’il faudrait que l’omission de proroger la société ait été faite de bonne foi avant le terme, ce qui ne serait pas le cas ; deuxièmement que le juge a constaté que la majorité des associés, telle que prévue par les statuts, avaient l’intention de proroger, alors qu’il aurait fallu une intention unanime.

publications

 

Les deux arguments ne manquaient pas de pertinence mais la Cour de cassation avalise le raisonnement d’appel : « quelle que soit la raison pour laquelle la consultation des associés à l'effet de décider si la société doit être prorogée n'a pas eu lieu, le président du tribunal, statuant sur requête à la demande de tout associé dans l'année suivant la date d'expiration de la société, peut constater l'intention des associés de proroger la société et autoriser la consultation à titre de régularisation dans un délai de trois mois. Lorsque les statuts de la société prévoient que la prorogation peut être décidée à la majorité qu'ils fixent, il suffit au président de constater que des associés représentant au moins cette majorité ont l'intention de proroger la société ». Ainsi, « la cour d'appel, qui a exactement énoncé que l'article 1844-6 n'impose pas de rechercher si les associés ont omis de bonne foi de proroger la société dont le terme est arrivée [sic] à échéance et n'exige pas l'intention unanime des associés, a confirmé à bon droit l'ordonnance du président du tribunal judiciaire ». On remarquera les expressions « exactement énoncé » et « à bon droit », symptômes d’un contrôle lourd.

Les deux assertions sont discutables mais compréhensibles, tant s’agissant de l’absence de contrôle de l’attitude des associés (I) que de l’applicabilité de la majorité statutaire à la constatation de l’intention des associés de proroger (II).

I.- L’indifférence de l’attitude des associés

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n° 2023-14 du 18 octobre 2023

Lettre Creda-sociétés 14-2023

On le sait, la loi n° 2019-744 de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés, du 19 juillet 2019, dite loi « Soilihi », a modifié les modalités de prorogation des sociétés en autorisant une prorogation postérieure au terme.

Auparavant, la jurisprudence niait fermement la possibilité pour les associés de proroger une société une fois son terme échu : « en l'absence de toute prorogation expresse, décidée dans les formes légales ou statutaires, un groupement agricole d'exploitation en commun est dissous de plein droit par la survenance du terme » (Com., 13 sept. 2017, n° 16-12.479). La décision, rendue au visa des art. 1844-6 anc. et 1844-7 C. civ., avait une portée très générale. Elle fermait expressément deux portes : celle d’une prorogation tacite, parfois évoquée par la jurisprudence (Com., 23 oct. 2007, n° 05-19.092 ; Com., 31 janv. 2012, n° 10-24.715) ; et celle d’une prorogation postérieure au terme, celle-ci étant de tout temps écartée.

Cette situation était, de l’avis d’une majorité des auteurs, assez dommageable, nombreuses étant les sociétés oubliant de proroger leur terme malgré leur bonne santé.

C’est ainsi que la loi Soilihi a admis la possibilité de proroger au-delà du terme. Elle se matérialise par une demande adressée au président du tribunal dans un délai d’un an, lequel peut « constater l'intention des associés de proroger la société et autoriser la consultation à titre de régularisation dans un délai de trois mois, le cas échéant en désignant un mandataire de justice chargé de la provoquer » (art. 1844-6, al. 4 C. civ.).
On pourrait penser que cette disposition vise à corriger un oubli « de bonne foi » – une simple inadvertance –, d’où le pourvoi de l’associé récalcitrant. Il est vrai que le sénateur M. Soilihi avait, dans sa proposition de loi, fait référence à la bonne foi des associés mais cette condition n’a pas été reprise expressis verbis dans le texte.

Cette condition est-elle pour autant implicitement requise ? La Cour de cassation rejette catégoriquement cette hypothèse : « quelle que soit la raison » de l’absence de consultation, le président peut faire son office. À première vue, cela dérange. On tolérerait que des associés n’ayant pas prorogé de mauvaise foi puissent ensuite le faire ?

En réalité c’est justement dans le cas d’une mauvaise foi ou d’un abus ayant entraîné l’absence de vote sur la prorogation qu’il faut admettre la possibilité pour un associé lésé – car cette possibilité est ouverte à tout associé – de pouvoir la provoquer.

En d’autres termes, soit l’oubli est de bonne foi et il faut bien entendu autoriser la prorogation post terme de société, soit il est malicieux et il faut a fortiori la permettre. La solution correspond donc bien à la ratio legis de l’art. 1844-6 C. civ. qui est de favoriser la poursuite de l’activité.

II.- L’applicabilité des modalités statutaires

Concernant l’applicabilité des prévisions statutaires, la solution est ici un peu plus contestable car il faut que le président, une fois saisi, constate, avant d’autoriser la consultation, la volonté des associés de proroger. La Cour juge que cette « constatation » doit être celle que des associés représentant la majorité prévue par les statuts pour la prorogation veuillent y procéder.

Attention à ne pas confondre : il ne s’agit pas là de la majorité prévue pour la consultation des associés, mais bien de celle que le juge doit préalablement constater pour autoriser la consultation. La Cour le précise bien : « lorsque les statuts de la société prévoient que la prorogation peut être décidée à la majorité qu'ils fixent, il suffit au président de constater que des associés représentant au moins cette majorité ont l'intention de proroger la société ».

La référence à la majorité prévue par les statuts paraît étrange car il s’agit de la majorité prévue pour la prorogation avant l’arrivée du terme. Il n’est donc pas acquis que cette majorité statutaire soit applicable après le terme, car la société est en liquidation et les statuts ne visent pas cette hypothèse. À supposer qu’elle soit applicable après le terme, elle le serait à la consultation, non pas au constat par le juge de l’intention des associés de proroger.

En dehors des difficultés théoriques que cela entraîne, il est acquis que les statuts survivent à la dissolution de la société par arrivée du terme. La Cour de cassation énonce sans équivoque que « les statuts de la société dissoute par survenance de son terme statutaire continu[ent] de régir les rapports entre ses associés » (Com., 13 déc. 2005, n° 02-16.605). Cela ne lève pourtant pas la difficulté in casu selon laquelle la majorité prévue par les statuts ne couvre vraisemblablement pas la prorogation après le terme mais uniquement la prorogation de manière générale. Cela n’a néanmoins pas découragé le juge.
Surtout, ces modalités s’appliquent-elles au « constat » par le juge de l’intention des associés ? Cela n’était pas évident s’agissant d’une décision du président statuant sur requête et les auteurs penchaient davantage pour l’exigence d’unanimité ; il est difficile de considérer que le président puisse constater que les associés entendaient proroger la société devant l’opposition d’un d’entre eux. On pouvait également envisager une solution médiane où tous les associés n’avaient pas l’intention particulière de proroger, mais aucun ne s’y opposait farouchement : le constat aurait été celui, non pas d’une unanimité positive, mais d’une absence d’opposition.

Ce n’est pourtant pas ce qui a été décidé et cela va soulever une autre difficulté, de nature probatoire : l’associé demandeur va devoir rapporter la preuve que la majorité prévue par les statuts est bien remplie. Il faudra donc prouver une intention positive de la part de la majorité prévue, ce qui est plus difficile que de rapporter la preuve de l’absence d’une minorité de blocage, certains pouvant être indécis.

La Cour a vraisemblablement voulu réduire ce potentiel goulot d’étranglement qu’aurait été une exigence d’unanimité à ce stade ; d’autant que si l’absence de prorogation a été faite de mauvaise foi avant le terme, l’associé potentiellement à la manœuvre aurait tôt fait de la bloquer après le terme. La solution est donc de bon sens, même si son orthodoxie juridique n’est pas parfaite.

Jean-Baptiste BARBIÈRI
Maître de conférences, Université Paris-Panthéon-Assas

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Le domaine étendu de la solidarité présumée en matière commerciale

Soumis par sfournier le mar 03/10/2023 - 07:51

Lettre CREDA-sociétés 2023-13 du 4 octobre 2023

Par un arrêt du 30 août 2023 (n° 22-10.466, F-B), la Cour de cassation réaffirme avec force la règle coutumière selon laquelle, par dérogation à l’article 1310 du Code civil, les codébiteurs d’une dette commerciale sont de plein droit solidairement tenus de son exécution.

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La solution mérite une attention particulière en ce qu’elle rappelle l’étendue de cette solidarité présumée, qui embrasse, sauf stipulation contraire, toutes les obligations souscrites par les parties à une même cession de contrôle d’une société commerciale. Peu importe alors le nombre de parts cédées, leur absence de qualité de commerçant ou encore leur intérêt à l'opération.

Les faits, classiques, sont les suivants : en janvier 2017, les 3 000 parts composant l’intégralité du capital social d’une SARL sont cédées à une société SN. Dans le cadre de cette cession de contrôle, un prix de 380 000 euros est convenu, sur lequel un acompte de 300 000 euros est versé. L’acte prévoit en outre que le prix (arrêté sur la base du bilan de la SARL clos au 29 février 2016), pourra faire l'objet d'une révision à la baisse en fonction de la situation comptable intermédiaire de cette SARL (arrêtée au 31 décembre 2016). Postérieurement à la réalisation de la vente, la situation intermédiaire de la SARL fait apparaitre des capitaux propres négatifs à hauteur de 963 999 euros, ramenant le prix de cession à… l’euro symbolique !

En application de la clause de révision de prix, le cessionnaire assigne l’ensemble des cédants ayant garanti le montant des capitaux propres. En première instance et en appel, les cédants sont solidairement condamnés à restituer l’acompte, soit 299 999 euros. Deux associés ultra minoritaires, n’ayant chacun cédé qu’une seule part sur les 3 000 composant le capital social de la SARL, forment un pourvoi.

Les trois moyens qu’ils avancent pour tenir en échec la solidarité passive et échapper à une condamnation au tout, malgré la modicité du prix de cession reçu par eux, sont rejetés par la Cour de cassation.

1. Le domaine de la présomption de solidarité passive

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Pour contrer la rigueur du mécanisme de la solidarité passive, les cédants minoritaires invoquent en premier lieu l’article 1310 du Code civil : « La solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas ». Sans surprise, l’argument est rejeté par la Cour de cassation : « les conventions qui emportent cession de contrôle d'une société commerciale présentant un caractère commercial, encore qu'elles ne soient pas conclues entres commerçants, les obligations contractées par les vendeurs s'exécutent solidairement ». Cela fait bien longtemps que la solidarité passive est considérée comme présumée en matière commerciale (Cass. req., 20 oct. 1920). Le présent arrêt rappelle ainsi la permanence de cette règle coutumière (on parle aussi d’usage du droit commercial), même après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, la cession de contrôle ayant été conclue, en l’occurrence, après le 1er octobre 2016.

On dit que la solidarité passive est présumée dans la mesure où elle s’applique de plein droit aux codébiteurs d’une même dette commerciale, c’est-à-dire, dans le silence de la convention des parties et par dérogation au droit commun des obligations. La solidarité déploie des effets principaux (obligation au tout de chacun des codébiteurs, le créancier n’ayant pas à diviser ses recours) et secondaires (Cass. com., 28 nov. 2006, n° 05-14.827, jugeant que l’interruption de la prescription contre un cédant est opposable aux autres), auxquels il n’est possible d’échapper qu’à la condition de le stipuler expressément.

Outre ce rappel, la Cour de cassation insiste sur le domaine de cette solidarité. Certes, il n’est pas absolu : même en matière commerciale, la solidarité active (entre créanciers) ne se présume pas (Cass. com., 26 sept. 2018, n° 16-28133), motif pris (en simplifiant) des risques auxquels s’exposent les créanciers en confiant le pouvoir à chacun de gérer la relation avec le débiteur. Il reste que passée cette limite, la présomption de solidarité passive est étendue. Elle concerne les actes de commerce entre toutes personnes, peu important donc, comme cela est souligné ici, que les codébiteurs interviennent ou non à l’acte en qualité de commerçants. Partant, sont aussi touchées par la présomption de solidarité passive : les cessions de fonds de commerce, sauf le cas particulier des cédants n’ayant jamais été commerçants (par ex. pour avoir recueilli le fonds par legs ou succession), à l’égard desquels le contrat n’est pas un acte de commerce ; certaines sûretés accessoires aux dettes commerciales, avec, pour le cautionnement, la réserve de l’article 2297 du Code civil ; les cessions de contrôle de sociétés commerciales, comme en l’espèce.

A cet égard, la Haute juridiction marque à deux reprises la portée de cette solidarité.

Une première fois par l’emploi d’un pluriel, jugeant que ce sont « les obligations contractées par les vendeurs […] qui s’exécutent solidairement ».

Une seconde fois, lorsqu’à l’argument des cédants minoritaires d’après lequel la solidarité passive ne devrait porter que sur les garanties de passif consenties par eux, la Cour répond « que l'obligation de restitution d'une partie de l'acompte versé par le cessionnaire, qui pèse sur l'ensemble des cédants en application de la clause de prix figurant dans cet acte, est une obligation solidaire ». Concrètement, ce sont toutes les obligations souscrites par les parties à la cession de contrôle qui sont visées : cela vaut côté cédants, en ce qui concerne les garanties octroyées au cessionnaire dans l’acte ; cela vaut également côté cessionnaires pour les obligations qu’ils souscrivent dans le cadre de la cession de contrôle (paiement du prix en particulier). Notons que la situation devrait toutefois être différente dans le cas d’une obligation de restitution née consécutivement au prononcé de la nullité d’une cession de contrôle. Il a effectivement pu être jugé que cette obligation conservait sa nature civile (Cass. com., 1er mars 2017, n° 15-10327) ; probablement parce que son fait générateur résulte d’une décision de justice, non de la cession elle-même.

2. L’appréciation du transfert du contrôle

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n° 2023-13 du 4 octobre 2023

Lettre Creda-sociétés 2023-13

 

Le second intérêt de l’arrêt est relatif au critère permettant d’apprécier l’existence ou non d’un transfert du contrôle. Cet aspect est capital puisque c’est ce transfert qui justifie, par exception, que la cession de droits sociaux, par nature civile, revête une nature commerciale. En l’espèce, les minoritaires soutenaient encore que la solidarité devait être écartée faute d’incidence de la cession de leurs deux parts (pour un total de 3 000 cédées) sur le transfert du contrôle de la SARL.

L’argument ne convainc pas la Cour de cassation, qui approuve les conseillers d’avoir « exactement énoncé que le transfert du contrôle s'appréciait au regard du seul cessionnaire ». L’analyse est conforme à sa jurisprudence antérieure (not. Cass. com., 28 nov. 1978, n° 77-12609), même si c’est la première fois, à notre connaissance, qu’elle est formulée aussi clairement. Ce qui importe, c’est l’objet et donc l’effet de la cession (de l’acte) du point de vue du cessionnaire : lui transférer le contrôle (Cass. com., 28 avr. 1987, n° 85-17093) ; lui en assurer le maintien (Cass. 1ère civ., 3 juill. 2013, n° 12-17714 ; Cass. com., 26 mars 1996, n° 94-14051). En toute logique, est jugé inopérant l’argument des cédants consistant à soutenir qu’avec ou sans la cession de leur unique part, le contrôle aurait pareillement été transféré. De même, est considéré comme surabondant le moyen tiré de ce que, faute d’être commerçants, les deux cédants auraient dû avoir un intérêt personnel à la cession pour que la cession soit qualifiée de commerciale. Ce critère autrefois utilisé en matière de cautionnement commercial n’a ici aucune incidence, puisque le contrôle s’apprécie du point de vue du cessionnaire.

On terminera par deux remarques.

D’abord, la pluralité de cessionnaires ne devrait pas affecter la pertinence du critère retenu. Il faudra rechercher si, ensemble, les cessionnaires acquièrent le contrôle au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce (Cass. com., 24 nov. 1992, n° 91-10699, pour la cession d’une minorité de blocage n’emportant pas transfert direct ou indirect du contrôle au profit du cessionnaire ; Cass. com., 22 mars 2005, n° 01-16331, retenant l’existence d’une solidarité entre cessionnaires).

Ensuite, il s’infère de l’arrêt que les deux minoritaires auraient peut-être pu se soustraire à la solidarité (autrement que par une clause expresse en ce sens) s’ils avaient, séparément, par un autre acte donc, cédé leur participation. Dans ce cas, seule la cession par les majoritaires de leurs participations aurait transféré le contrôle au cessionnaire et seule cette cession aurait été qualifiée de commerciale. Quoi qu’il en soit, une précaution sera de stipuler expressément sur la solidarité passive.

Julien DELVALLEE
Maître de conférences à l’Université Paris-Saclay

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Capitaux propres devenus inférieurs à la moitié du capital social : réforme du dispositif légal

Soumis par sfournier le mar 05/09/2023 - 08:29

Lettre CREDA-sociétés 2023-12 du 6 septembre 2023

La loi du 9 mars 2023 a réformé les règles applicables aux SARL et aux sociétés par actions lorsque leurs capitaux propres sont tombés à un niveau inférieur à la moitié de leur capital social. Les articles L. 223-42 et L. 225-248 du code de commerce ont donc été partiellement réécrits, dans le dessein d’éloigner le risque de dissolution.

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Ce dispositif vise à éviter qu’une déconnexion trop importante ne se produise entre le capital social et les capitaux propres. Dans les sociétés à risque limité, le capital social constitue, dit-on, le principal gage des créanciers sociaux. L’on sait cependant que, intangible en principe, sa signification est relative car il ne représente que la somme des apports réalisés au moment de la constitution de la société, et ceux consécutifs à d’éventuelles augmentations de capital ultérieures. Il reste qu’il s’agit d’un élément d’information utile pour les tiers. Les capitaux propres, par nature évolutifs, sont en revanche une mesure qui renseigne bien davantage sur la situation réelle de la société, puisqu’ils prennent en considération les pertes (C. com., art. R. 123-191). Lorsque les capitaux propres sont tombés à un niveau bien inférieur à celui du capital social, la situation est présumée anormale, et appelle une intervention des associés.

Précisons que la réforme ne bouleverse pas en profondeur ce dispositif. Compte tenu des dernières crises (sanitaire et énergétique), il s’est agi d’éloigner encore davantage le risque (déjà hypothétique) d’une dissolution automatique à la demande de tout intéressé (Etude d’impact, p. 111). Une telle sanction apparaît par ailleurs en décalage avec l’article 58 de la directive du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés qui, tout en offrant aux législateurs nationaux une certaine souplesse, se contente d’exiger que l'assemblée générale soit convoquée « afin d'examiner s'il y a lieu de dissoudre la société ou d'adopter toute autre mesure ».

La nouvelle version est applicable depuis le 11 mars 2023, à l’exception des règles faisant référence à certains seuils, lesquelles le sont depuis le 27 juillet, date d’entrée en vigueur du décret. Dans les lignes qui suivent, il sera fait référence uniquement à l’article L. 225-248 (sociétés par actions), son libellé étant quasiment identique à celui de l’article L. 223-42 (SARL).

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Le point de départ reste le même. Ainsi, « si, du fait de pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, le conseil d'administration ou le directoire, selon le cas, est tenu dans les quatre mois qui suivent l'approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte, de convoquer l'assemblée générale extraordinaire à l'effet de décider s'il y a lieu à dissolution anticipée de la société ». Si les associés ne souhaitent pas une telle issue – et ceci est, de loin, le cas de figure le plus fréquent –, ils vont devoir régulariser la situation, sous peine d’exposer la société à une dissolution prononcée à l’initiative de tout intéressé. L’on relève à ce sujet plusieurs évolutions.

1. Clarifications au sujet des modalités de régularisation

Antérieurement, la société devait réduire son capital d'un montant au moins égal à celui des pertes qui n'avaient pas pu être imputées sur les réserves (les SA et les SCA devant toutefois respecter le capital minimum de 37 000 euros). Cette régularisation devait intervenir au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes était intervenue. Fort logiquement, il était inutile d’y procéder lorsque les capitaux propres avaient, dans l’intervalle, été reconstitués à concurrence d’au moins la moitié du capital social.

Aujourd’hui, le texte (al. 2) prévoit que :

« Si la dissolution n'est pas prononcée, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue, de reconstituer ses capitaux propres à concurrence d'une valeur au moins égale à la moitié du capital social ou, sous réserve de l'article L. 224-2, de réduire son capital social du montant nécessaire pour que la valeur des capitaux propres soit au moins égale à la moitié de son montant. »

 

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n° 2023-12 du 6 septembre 2023

lettre creda du 6 septembre 2023

 

Il en ressort qu’il existe donc clairement deux procédés alternatifs de régularisation volontaire, sans rapport de subsidiarité, et dont l’effet est équivalent. Relevons que le texte ne semble envisager que la reconstitution volontaire des capitaux propres, à l’initiative, donc, des associés. En revanche, l’ancienne version visait l’hypothèse d’une reconstitution « involontaire », ne résultant pas d’une décision des associés mais tout simplement d’un ou de plusieurs exercices bénéficiaires. A la vérité, une telle reconstitution « involontaire » devrait toujours, en toute logique, permettre d’échapper à la dissolution ; l’alinéa 4 l’envisage d’ailleurs.

Est aussi réglé un point sujet à débats : en cas de réduction du capital, convenait-il ou non d’imputer la totalité des pertes n’ayant pas pu l’être sur les réserves ? Désormais, il est certain qu’il suffit de n’imputer que la fraction des pertes à même de porter les capitaux propres au niveau de la moitié du capital social (R. Mortier, Rev. soc. 2023, p. 343).

Le 3ème alinéa demeure, quant à lui, inchangé :

« Dans les deux cas, la résolution adoptée par l'assemblée générale est publiée selon les modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. »

2. Consécration d’une voie originale de régularisation

Deux nouveaux alinéas, qui prennent place aux 4ème et 5ème rangs ont été introduits. Le premier prévoit que :

« Si, avant l'échéance mentionnée au deuxième alinéa du présent article, les capitaux propres n'ont pas été reconstitués à concurrence d'une valeur au moins égale à la moitié du capital social alors que le capital social de la société est supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat en fonction de la taille de son bilan, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant cette échéance, de réduire son capital social, sous réserve de l'article L. 224-2, pour le ramener à une valeur inférieure ou égale à ce seuil ».

En plus d’accorder un délai supplémentaire de deux exercices pour procéder à la régularisation (par réduction du capital ou reconstitution des capitaux propres), il offre surtout une nouvelle porte de sortie. La société pourra en effet décider, dans ce délai, de réduire son capital à un niveau inférieur ou égal à un seuil très bas. S’agissant des SARL et des sociétés par actions autres que celles soumises une exigence de capital minimum, ce seuil a été fixé à 1 % du total du bilan de la société, constaté lors de la dernière clôture d'exercice (C. com., R. 223-37 et R. 225-166-1, a)). Pour les autres sociétés par actions, ce seuil est égal à la valeur la plus élevée entre, d’une part, 1 % du total du bilan, et d’autre part, le montant de capital social minimal associé à sa forme sociale (C. com., art. R. 225-166-1, b)).

Cette solution est justifiée en ces termes par l’étude d’impact : « L’objectif est de permettre que le capital social soit réduit à une valeur permettant de ne pas donner aux tiers l’idée d’une surface financière qui soit trop décorrélée de la réalité » (p. 115). L’on comprend que le capital social serait alors porté à un niveau si faible qu’il n’aura plus vocation à renseigner les tiers sur l’état de la société. Ce mode de régularisation devrait profiter aux sociétés qui, tout en ayant des capitaux propres peu élevés, demeurent bénéficiaires.
Ce dispositif favorable est neutralisé dès lors que la société procède à une augmentation de capital. En effet, aux termes du 5ème alinéa :

« Lorsque, en application du quatrième alinéa du présent article, la société a réduit son capital social sans pour autant que ses fonds propres aient été reconstitués et procède par la suite à une augmentation de capital, elle se remet en conformité avec les dispositions du même quatrième alinéa avant la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel a eu lieu cette augmentation. »

Dans ce cas, la société dispose à nouveau de deux exercices pour régulariser sa situation, et à défaut, elle devra, pour échapper à la dissolution, réduire, une fois de plus, son capital au seuil réglementaire.

3. Dispositions finales

Les deux derniers alinéas sont pour l’essentiel maintenus à l’identique. La sanction de la dissolution, bien que (très) subsidiaire, est conservée, puisqu’ « à défaut de réunion de l'assemblée générale, comme dans le cas où cette assemblée n'a pas pu délibérer valablement sur dernière convocation, tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société ».

La même sanction est encourue en cas de non-respect du nouvel alinéa 4. Cependant, le tribunal peut toujours accorder un délai de 6 mois à la société, et en toute hypothèse, il doit écarter la dissolution dès lors que la situation a été régularisée le jour où il statue sur le fond.

Enfin, l’ensemble du dispositif est, comme avant, inapplicable aux sociétés placées en sauvegarde ou redressement judiciaire, ou bénéficiant d’un plan.

Akram EL MEJRI
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

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Imprévision et instruments financiers : conformité à la Constitution de l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier

Soumis par sfournier le mar 20/06/2023 - 13:27

Lettre CREDA-sociétés 2023-11 du 21 juin 2023

L’article L. 211-40-1 du code monétaire et financier, qui exclut du domaine de la révision pour imprévision les obligations résultant d’opérations sur titres et contrats financiers, ne porte pas atteinte au principe d’égalité devant la loi.

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Par sa décision n° 2023-1049 QPC du 26 mai 2023, le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier selon lequel « l'article 1195 du code civil n'est pas applicable aux obligations qui résultent d'opérations sur les titres et les contrats financiers mentionnés aux I à III de l'article L. 211-1 du présent code ». Sont donc exclues de la révision pour imprévision légale, sauf aux parties d’en décider autrement (sans forcément « embrasser » le régime de l’article 1195), toutes les obligations résultant d’opérations sur instruments financiers. Corrélativement, demeurent assujetties à l’article 1195 les opérations portant sur les droits sociaux non négociables, en particulier sur les parts sociales, sauf aux parties d’écarter son application en tout ou partie. Si le résultat auquel conduit cette décision peut être approuvé, les parties étant incitées à se saisir de la question du changement imprévisible des circonstances concernant leur relation contractuelle, sa motivation est en revanche plus discutable.

A l’origine de cette décision, un contentieux engagé par une société bénéficiaire d’une promesse de cession d’actions qui, pour en obtenir la résolution, invoquait l’article 1195 et qui, confrontée au refus des cédants lui opposant l’article L. 211-40-1, soutenait que cet article générait une rupture d’égalité devant la loi.

La QPC, jugée suffisamment sérieuse pour être renvoyée devant le Conseil constitutionnel (Cass. com., 15 mars 2023, n° 22-40.023, v. Lettre Creda 2023-09), reposait sur deux arguments. D’abord, rien, au vu de l’objet de l’article L. 211-40-1, à savoir assurer la sécurité juridique d’opérations portant sur des biens et droits dont la valeur est susceptible d’évolutions rapides et importantes, en fonction d’événements imprévisibles, ne justifierait que l’on traite différemment les cessions de parts sociales ou les contrats aléatoires d’un côté et les cessions d’actions « non cotées » de l’autre. Ensuite et au contraire, il aurait plutôt fallu, en accord avec cet objet, que le texte opère une distinction entre cessions de gré à gré d’actions et cessions réalisées sur les « marchés financiers » ; façon pour la société requérante de souligner l’incohérence du texte.

 

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Aucun de ces griefs n’emporte la conviction du Conseil constitutionnel qui, opérant son contrôle sur le fondement de l’article 6 de la DDHC, énonce classiquement que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Si, en règle générale, ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ». S’agissant de la distinction entre cessions d’actions de gré à gré et cessions sur les « marchés financiers », notons que pour écarter le grief le Conseil se contente d’insister sur l’absence d’obligation de discriminer entre des personnes se trouvant des situations distinctes. En un sens, l’incohérence partielle des effets du dispositif n’est pas ici contrôlée.

L’absence de méconnaissance du principe d’égalité devant la loi

 

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n° 2023-11 du 21 juin 2023

lettre creda du 21 juin 2023

 

En premier lieu, après avoir rappelé que « le législateur a entendu assurer la sécurité juridique d’opérations qui, eu égard à la nature des instruments financiers, intègrent nécessairement un risque d’évolutions imprévisibles de leur valorisation », les juges constitutionnels considèrent qu’ « au regard de cet objet, la cession des titres de capital émis par les sociétés par actions, qui se caractérisent par leur négociabilité, se distingue de la cession des parts sociales des sociétés de personnes, qui ne peuvent être représentées par des titres négociables ».

Si l’on se borne à comparer la nature des droits sociaux en cause, il est vrai que l’on peut difficilement dire que la négociabilité des actions ne leur imprime pas une différence de nature par rapport aux parts sociales. C’est même le critère habituellement avancé pour les distinguer : les actions se transmettent selon des modalités simplifiées propres au droit commercial (not. C. mon. fin., art. L. 211-14 et L. 211-15), tandis que les cessions de parts sociales de sociétés de personnes (mais pas que) nécessitent un écrit, doivent être rendues opposables à la société et aux tiers selon certaines formalités, et font l’objet d’une publicité au RCS via un guichet unique (et désormais au registre national des entreprises - RNE).

Passée cette différence, importante, on ne voit pas bien, au vu de l’objet du texte, le rapport direct qui est établi entre la négociabilité des actions et le risque d’évolutions imprévisibles de leur valeur. A tout le moins, il n’apparait pas que la négociabilité des actions suffise à justifier une différence de traitement, ces dernières n’étant pas en tant que telles et plus que d’autres biens, singulièrement des parts sociales, exposées à un risque de volatilité ou de spéculation. En réalité, et plusieurs auteurs l’ont souligné, le risque associé à la valorisation des actions (hors opérations en bourse) procède plus de pratiques (par exemple, le temps étiré entre conclusion et exécution de la cession), que de leur négociabilité. La situation est toutefois différente pour les contrats financiers, qui intègrent effectivement un risque, l’exclusion opérée par l’article L. 211-35 du code monétaire et financier s’agissant de l’exception de jeu ayant d’ailleurs été avancée pour chasser l’article 1195 (HCJP, Rapp. 10 mai 2017, p. 26).

Cession d’actions (ou de parts) et contrat aléatoire

En second lieu, répondant à une autre critique de la société requérante, le Conseil constitutionnel ajoute que la cession d’actions « ne se confond pas non plus avec les contrats aléatoires », ce qui appelle deux observations.

D’abord, il est clair que la vente n’est pas en tant que telle un contrat aléatoire, même lorsqu’elle porte sur des parts ou actions. La nature aléatoire d’un contrat repose sur l’acceptation par les parties d’une incertitude sur ses effets attendus, chaque partie devant réciproquement courir un risque de gain et de perte. Or, si la dimension spéculative des obligations résultant d’opérations sur contrats financiers est une réalité, il n’en va pas de même d’une cession de droits sociaux. Certes, elle peut dans certains cas revêtir une dimension aléatoire : la cession isolée de l’usufruit par exemple. Mais les fluctuations ou aléas affectant la valeur de la chose vendue ne suffisent pas à conférer au contrat une nature aléatoire au sens de l’article 1108. En outre, le fait que l’acquisition de droits sociaux confère au cessionnaire la qualité de partie à un contrat de société, qui est aléatoire, nous semble indifférente. Bien que liées, les deux opérations demeurent distinctes. Ainsi, « l'affectio societatis n'est pas une condition requise pour la formation d'un acte emportant cession de droits sociaux » (Com. 11 juin 2013, n° 12-22.296). De même, si une cession de droits sociaux peut être annulée pour indétermination du prix en particulier lorsque le cédant cherche à se prémunir contre l’aléa social par le jeu de clauses de prix jugées léonines, c’est en raison de la qualité d’associé du cédant, non de celle de vendeur.

Ensuite, il faut se garder de déduire de la formule utilisée par le Conseil que les contrats aléatoires seraient assujettis à la révision pour imprévision. Au contraire, il est souvent avancé que « l’aléa chasse l’imprévision ». A cet égard, la question de l’utilité de l’article L. 211-40-1 a été posée durant les débats parlementaires, motif pris de ce que les contrats financiers auraient par définition échappé à la révision pour imprévision en raison de leur nature aléatoire (Rapp. Sénat, 11 oct. 2017, n° 22, p. 67). La prudence s’est toutefois imposée, à juste titre. Non seulement, il n’est pas toujours évident de déterminer dans quelle mesure l’aléa économique qui marque la plupart des contrats financiers rejoint l’aléa au sens de l’article 1108 du Code civil ; mais plus encore, il n’est pas certain que les contrats aléatoires échappent à la révision pour imprévision en dehors des risques qui intègrent l’objet du contrat (par essence acceptés par les parties).

Julien DELVALLÉE
Maître de conférences en droit privé à l'Université Paris-Saclay


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L'associé et l'abus de biens sociaux

Soumis par sfournier le mer 07/06/2023 - 09:06

Lettre CREDA-sociétés 2023-10 du 7 juin 2023

La Cour de cassation (Crim., 17 mai 2023, n° 22-83.762) semble faire preuve de souplesse quant à l’admission de la constitution de partie civile de l’associé en matière d’abus de biens sociaux. Cette constitution est normalement difficile, mais il peut être possible d’arguer d’une perte de chance « d’investir ses millions mieux donc ailleurs ».

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En l’espèce, différents dirigeants d’une société avaient été poursuivis notamment pour abus de biens sociaux. Deux d’entre eux avaient également été poursuivis pour présentation de comptes annuels infidèles. Une société actionnaire majoritaire ayant récemment pris le contrôle avait alors voulu se constituer partie civile. Le tribunal, comme la Cour d’appel, jugent irrecevable l’actionnaire majoritaire à se constituer partie civile, car il ne présenterait pas de préjudice personnel et distinct de celui de la société.

Pourvoi est alors formé, dont la formulation peut intriguer (outre un moyen sur lequel nous ne nous attarderons pas). Car il argue que les abus ont causé « à la fois, un préjudice social (l’effondrement financier de la société) et un préjudice distinct personnel à l’actionnaire (une perte de chance de mieux utiliser les sommes dépensées et détournées) ». Ainsi, l’abus aurait fait perdre « une chance d’investir ses millions mieux donc ailleurs » et les dirigeants avaient « malgré elle associé son nom [de l’actionnaire] à la mise en lumière médiatique de pratiques illicites ayant conduit le fleuron français du jouet à la ruine ».

Et la Cour de cassation se laisse toucher par ces arguments ; au visa des art. 2 et 593 CPP elle rappelle que « les associés d’une société victime d’un abus de biens sociaux, exerçant non l’action sociale, mais agissant à titre personnel, sont recevables à se constituer partie civile lorsqu’ils démontrent l’existence d’un préjudice propre, distinct du préjudice social, découlant directement de l’infraction », mais qu’en l’espèce les juges du fond ont insuffisamment motivé leur arrêt. Ils avaient en effet argué que « les associés ne peuvent être indemnisés individuellement pour le préjudice indirect subi du fait de l’appauvrissement de la société dans laquelle ils sont intéressés » et qu’ils pouvaient, comme les autres créanciers, récupérer leur investissement par le biais de l’action du liquidateur. Or l’actionnaire alléguait d’un préjudice distinct, l’arrêt est ainsi cassé.

S’il se situe dans une lignée classique, l’arrêt laisse néanmoins entrevoir une évolution à ce sujet.

Une lignée classique

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La question de la constitution de partie civile de l’actionnaire est lancinante et rappelle, bien entendu, celle de l’action personnelle de l’associé au civil.

Rappelons que la constitution de partie civile, quand elle est exercée par l’associé au nom de la société, est tout à fait recevable, l’abus de biens sociaux causant bien un dommage social (Crim., 19 oct. 1978, n° 77-92.742 ; Crim., 2 avr. 2003, no 02-82.674).

Mais, s’agissant de l’action visant à réparer un préjudice subi individuellement, la solution est tout autre. Anciennement, il était admis que « la recevabilité d’une constitution de partie civile devant une juridiction d’instruction ne saurait être subordonnée à la double preuve, préalablement rapportée par la personne qui se prétend lésée par une infraction, d’abord de l’existence même de ladite infraction, ensuite de l’existence du préjudice dont elle aurait souffert » (Crim., 4 nov. 1969, n° 68-93.573). Par conséquent, était même autorisée la constitution de partie civile par un associé pour un abus de biens sociaux commis dans une filiale, car « pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent d’admettre comme possibles l’existence du préjudice allégué et sa relation directe avec les infractions poursuivies » (Crim., 6 févr. 1996, n° 95-84.041).

Cependant, un revirement, toujours confirmé depuis, avait considéré que « la dépréciation des titres d’une société découlant des agissements délictueux de ses dirigeants constitue, non pas un dommage propre à chaque associé, mais un préjudice subi par la société elle-même » (Crim., 13 déc. 2000,n° 99-80.387 ; Crim. 13 déc. 2000, no 99-84.855).

On reconnaît alors la même logique que celle prévalant en matière d’action individuelle, laquelle ne peut tendre qu’à la réparation de préjudice n’étant pas le « corollaire » (Com., 26 janv. 1970, n° 67-14.787) de celui subi par la société ou encore, quand la société cesse d’être in bonis « la fraction du préjudice subi par la collectivité des créanciers ou par la société débitrice » (Com., 21 juin 2016, n° 15-10.028).

Logiquement, la jurisprudence estime donc que la constitution de partie civile est recevable dès lors que l’associé démontre l’existence d’un « préjudice propre, distinct du préjudice social, découlant directement de l’infraction » (Crim., 9 juin 2022, n° 21-82.545 ; Crim., 3 déc. 2014, n° 13-87.224). La règle est la même en matière de banqueroute (Crim., 22 juin 2022, n° 21-83.036).

Néanmoins, et cela a été souligné (v. sur ce point la thèse de notre collègue Julie Gallois, L’exercice de l’action civile de l’associé, PUAM 2022, spéc. n° 96 s.), la solution n’est pas unifiée pour toutes les infractions.

C’est ainsi que, en matière d’abus de confiance, la Cour considère que « les détournements commis par un associé d’une société en nom collectif, occasionnent aux autres associés, qui répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales, un préjudice personnel et direct » (Crim., 10 avr. 2002, n° 01-81.282). Plus récemment, tout en confirmant la possibilité de cette constitution, elle a néanmoins semblé préciser qu’il fallait établir un « préjudice propre consécutif aux détournements » (Crim., 3 mars 2020, n° 18-86.939).

De même, la Cour de cassation a pu juger que la présentation de comptes annuels infidèles était une infraction « de nature » à causer un préjudice personnel et distinct aux associés, justifiant leur constitution de partie civile (Crim., 16 avr. 2008, n° 07-84.713 ; égal. Crim., 30 janv. 2002, n° 01-84.256).

 

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n° 2023-10 du 7 juin 2023

Lettre creda-sociétés n° 2023-10

 

Une évolution

Une telle disparité peut être critiquée ou bien alors approuvée. C’est ainsi que dans d’autres colonnes nous avions plaidé pour une dissociation de la règle selon les cas de banqueroute. Certains se rapprochent en effet de l’infraction de présentation de comptes annuels infidèles quand d’autres davantage de l’abus de biens sociaux.

Néanmoins, on peut peut-être voir dans l’arrêt sous commentaire une volonté de la Cour de faire évoluer sa jurisprudence pas à pas.

Certes, l’arrêt est inédit. Certes encore, la Cour casse pour insuffisance de motifs, ce qui ne veut pas dire que la constitution de partie civile sera admise, mais qu’il faudra que le juge précise en quoi le préjudice allégué n’est pas distinct du préjudice social.

Mais cela est déjà une avancée, on a vu des arrêts énonçant lapidairement que « le délit d’abus de biens sociaux n’occasionne un dommage personnel et direct qu’à la société elle-même et non à chaque associé » (Crim., 5 déc. 2001, n° 01-80.065). Tel n’est pas le cas ici.

En matière de banqueroute, il est admis que ce préjudice peut être moral (Crim., 30 mai 1994, n° 93-83.933) ou bien consister en la perte de chance par un créancier de récupérer sa créance (Crim., 4 déc. 1997, n° 96-85.729). La perte de chance est également invocable en matière d’action individuelle (Com., 9 mars 2010, 08-21.547 et 08-21.793). En matière d’abus de biens sociaux, la question n’a jamais été tranchée à notre connaissance, mais il a été jugé qu’on ne pouvait admettre la constitution de partie civile de l’associé pour une « perte de chance de percevoir des dividendes » (Crim., 5 déc. 2001, n° 01-80.065). Ce qui n’est pas anormal, car cette « perte de chance » provient alors de l’appauvrissement social.

L’arrêt sous commentaire paraît admettre qu’elle soit possible en matière d’abus de biens sociaux pour un investissement qui se révèle désastreux du fait de l’abus. Pour le préjudice moral, cela paraît moins étonnant.

Les faits de l’espèce étaient relativement particuliers cela dit, car il existait également une présentation de comptes infidèles et l’associé partie civile avait acquis une participation majoritaire peu de temps auparavant. Il n’est donc pas certain que dans un contexte plus classique d’un associé en place depuis longtemps, on puisse admettre la perte de chance comme fondement de sa constitution de partie civile. Néanmoins, on sent frémir la Cour de cassation, laquelle serait davantage encline à reconnaître le préjudice individuel. Ainsi, en matière d’action d’un créancier contre le dirigeant d’une société en société, elle a pu faire preuve de souplesse (Com., 8 sept. 2021, n° 19-13.526).

Cette souplesse sera-t-elle également de mise en matière d’abus de biens sociaux ?

Jean-Baptiste BARBIERI
Maître de conférences en droit privé à l'Université Paris-Panthéon-Assas

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Imprévision : transmission d’une QPC au sujet de l’exemption bénéficiant aux cessions de titres financiers

Soumis par sfournier le mar 23/05/2023 - 13:11

Lettre CREDA-sociétés 2023-09 du 24 mai 2023

L’article L. 211-40-1 du code monétaire et financier exempte l’ensemble des opérations sur titres et contrats financiers du mécanisme de révision pour imprévision (C. civ., art. 1195). Concernant les opérations sur actions, le texte ne distingue pas celles qui sont cotées de celles qui ne le sont pas. Par une importante décision en date du 15 mars 2023 (n° 22-40.023), la chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité de ce texte au principe d’égalité devant la loi.

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La révision pour imprévision permet à un cocontractant de solliciter une renégociation de son partenaire lorsque l’exécution du contrat est rendue excessivement onéreuse par un changement de circonstances imprévisible lors de sa conclusion. Le mécanisme peut se traduire par l’intervention du juge puisque faute d’accord entre les parties dans un délai raisonnable sur l’adaptation ou la résolution du contrat, le juge peut, à la demande de l’une d’entre elles, le « réviser […] ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ».

En amont des discussions portant sur la loi de ratification de l’ordonnance réformant le droit des contrats, le Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris avait préconisé l’adoption d’« une disposition législative écartant le régime de l'imprévision pour l'ensemble des opérations sur instruments financiers ». Cette proposition finira par être consacrée. Lors des discussions au Parlement, il était apparu que « le Gouvernement [avait] d’ailleurs reconnu, en séance publique, que les risques induits par l’application de la théorie de l’imprévision aux contrats sur instruments financiers étaient plus forts que les gains espérés, les opérations sur titres financiers ayant par nature pour objectif d’intégrer le risque dans leur valorisation et dans les caractéristiques retenues pour l’opération ».

Un nouvel article L. 211-40-1 a donc été intégré au sein du code monétaire et financier. Il dispose que « l'article 1195 du code civil n'est pas applicable aux obligations qui résultent d'opérations sur les titres et les contrats financiers mentionnés aux I à III de l'article L. 211-1 du présent code ». Ce renvoi permet d’exempter toutes les opérations portant sur des titres de capital émis par les sociétés par actions, des titres de créance, des parts ou actions d’OPC, ou encore l’ensemble des instruments financiers à terme (contrats financiers). L’absence de distinction faite, dans la première catégorie, entre actions cotées et non cotées, se trouve être au cœur de la décision commentée.

La décision

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Une société et une personne physique avaient consenti, au profit d’une autre société, une promesse synallagmatique de cession des actions qu’elles détenaient au sein d’une SAS. La société cessionnaire chercha cependant à en être libérée, en invoquant, sur le fondement de l’article 1195 du code civil, un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion de la promesse rendant son exécution excessivement onéreuse.

En défense, les vendeurs répliquèrent qu’en application de l’article L. 211-40-1 du code monétaire et financier, le mécanisme de révision pour imprévision ne pouvait pas être activé. Par mémoire spécial, l’acquéreur posa alors une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Estimant les critères réunis (article 23-2 de la loi organique sur le Conseil constitutionnel), le tribunal de commerce transmit la question suivante à la chambre commerciale : « L'article L. 211-40-1 du code monétaire et financier est-il conforme au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 1er de la Constitution et l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? ».

La Cour de cassation devait donc, à son tour, procéder à l’examen des conditions requises pour une transmission au Conseil constitutionnel. Elle constata, d’abord, que la disposition contestée était bien applicable au litige, et qu’elle n’avait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

Surtout, la question présentait bien un caractère sérieux au regard du principe d’égalité devant la loi. La Cour régulatrice rappela la ratio legis de l’article contesté, pour ensuite cibler la difficulté. Ce texte a pour « objet d'assurer la sécurité juridique d'opérations portant sur des biens et droits dont la valeur est susceptible d'évolutions rapides et importantes, en fonction d'événements imprévisibles ». Le point de questionnement tient au fait que le législateur n’a pas distingué les actions cotées de celles qui ne le sont pas. Une telle assimilation se justifie-t-elle au regard de l’objectif du législateur ?

Corrélativement, quelle est la pertinence de la distinction ainsi instaurée entre, d’une part, les actions non cotées, et de l’autre, les parts sociales, toutes deux étant « à l'abri, dans une large mesure, d'évolutions substantielles et inattendues portant sur leur valeur », contrairement aux actions cotées, « qui se trouvent soumises à un aléa important résultant de la spéculation des opérateurs intervenant sur les marchés financiers » ?

Il appartiendra donc au Conseil constitutionnel de se prononcer dans un délai de 3 mois suivant la transmission de la QPC. Il est cependant possible, dès à présent, d’éclairer les termes de la discussion.

 

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n° 2023-09 du 24 mai 2023

lettre n° 2023-09

 

Les termes du débat

Le débat se trouvera donc placé sur le terrain du principe d’égalité. La question qui devra être tranchée pourrait être ainsi résumée : le texte n’instaurerait-il pas un traitement « inégalitaire » du cessionnaire d’actions non cotées, qui serait placé dans une situation plus défavorable que celle d’un cessionnaire de parts sociales (lequel peut théoriquement invoquer l’imprévision, sauf clause contraire), alors pourtant que tous deux se trouveraient dans une situation similaire ?

Ainsi que le décide de façon constante la Conseil constitutionnel depuis une décision du 9 avril 1996, le principe d’égalité « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Face à une différence de traitement, le Conseil a pour coutume de raisonner en deux temps :

  • Cette différence est-elle suffisamment justifiée : soit parce que les situations sont clairement différentes ; soit, lorsque les deux situations sont similaires, parce qu’existe un motif d’intérêt général ?
  • Par ailleurs, la différence de traitement, à la supposer justifiée, entretient-elle un rapport suffisamment étroit avec le but poursuivi par le législateur ?

Il est vrai que les actions, qu’elles soient cotées ou non, font partie d’une même catégorie juridique, celle des titres financiers (C. mon. fin., art. L. 211-2, renvoyant à la notion de valeurs mobilières : C. com., art. L. 228-1). Qu’elles se négocient ou non sur les marchés, de nombreux traits les distinguent : négociabilité (C. mon. fin., art. L. 211-14), fongibilité, indivisibilité (C. com., art. L. 228-5).

Pour autant, c’est à l’aune de l’objet de la norme concernée qu’il convient de raisonner. En l’occurrence, l’exception ouverte par l’article L. 211-40-1 du code monétaire et financier vise à préserver la stabilité juridique de certains contrats portant sur un objet dont la valeur est très volatile. De ce point de vue, et en dépit de leur rattachement à la même catégorie, il existe des dissemblances assez substantielles entre actions cotées et non cotées.

Le prix des actions cotées est fixé au regard de leur « valeur boursière », autrement dit par la loi de l’offre et de la demande. Le cours, qui est publié et varie au jour le jour en fonction des transactions dont le titre est l'objet, est susceptible d’être affecté, à tout moment, par de nombreux paramètres qui peuvent être extérieurs à la société émettrice : perte de confiance des investisseurs, conjoncture économique, spéculation, évènement géopolitique…

En revanche, la valeur d’une action non cotée est davantage arrimée aux caractéristiques de l’émettrice, et moins dépendante de turbulences extérieures. Si de nombreuses méthodes de valorisation existent, leur point commun réside dans la recherche des « fondamentaux de l’entreprise ». Sont ainsi souvent prises pour référence la valeur comptable de l’action (division de l’actif net par le nombre d’actions) ou encore la valeur de rendement (bénéfice moyen réalisé ou projeté de l’entreprise). Et de ce point de vue, peu de choses séparent une cession d’actions non cotées d’une cession de parts sociales. La négociabilité des premières ne semble pas devoir remettre en cause un tel constat.

Au-delà de ces aspects, il semble difficile de déceler un motif d’intérêt général justifiant le modus operandi du législateur consistant, au regard de la théorie de l’imprévision, d’une part, à assimiler actions cotées et non cotées, et à distinguer les actions non cotées des parts sociales.

Pour toutes ces raisons, le risque de censure nous semble sérieux. Néanmoins, le Conseil pourrait préférer émettre des réserves d’interprétation, afin d’éviter de prononcer une abrogation qui pourrait s’avérer lourde de conséquences.

AKRAM EL MEJRI
Maître de conférences à l'Université Paris Nanterre

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Clause d’agrément dans une société anonyme : de la nécessité de mettre à jour les statuts…

Soumis par sfournier le mer 10/05/2023 - 13:25

Lettre CREDA-sociétés 2023-08 du 10 mai 2023

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Les clauses d’agrément au sein des sociétés anonymes non cotées ne sont pas imposées par la loi, mais peuvent être prévues par les statuts selon l’article L. 228-23 du Code de commerce. Cette disposition, qui a été modifiée par l’ordonnance du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières, introduit la possibilité de soumettre les cessions entre actionnaires à la procédure d’agrément.

C’est à propos de cette faculté que la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu une décision le 15 mars 2023 (Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-15.393).

Les faits de l’espèce sont classiques. Un actionnaire de deux sociétés anonymes cède le 12 juillet 2018 ses actions à un actionnaire, qui les cède lui-même à un autre cessionnaire le lendemain. Les sociétés refusent d’inscrire les cessions sur le registre des mouvements de titres, au motif qu’une clause statutaire d’agrément – introduite en 1985 et non modifiée depuis –stipule que « sauf dispense de la loi, toute cession ou transmission d’actions quelle qu’en soient la nature et la forme est soumise à l’agrément préalable du conseil d’administration ». En conséquence, les sociétés considèrent les ventes nulles. Les cessionnaires assignent alors les sociétés et leur directeur général afin de faire inscrire les cessions dans les livres de la société et donc de voir reconnaitre la cession valable.

La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 8 avril 2021, invalide les cessions. En effet, en raison de la nature institutionnelle de la société, la loi applicable à la cession des actions devrait être celle applicable au jour de réalisation de l’opération, soit en l’espèce la version actuelle de l’article L. 228-23, et non le texte applicable au moment de la rédaction de la clause statutaire. L’agrément de la cession entre actionnaires étant possible selon la modification législative opérée en 2004, la cession de 2018 est annulée, et ce d’autant plus que les juges du fond ont considéré que la cession était entachée de fraude. Un pourvoi est formé par les cessionnaires et la cédante, mais pas sur le dernier point.

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Il revenait à la chambre commerciale de déterminer le régime juridique applicable à une cession d’actions entre actionnaires lorsqu’une clause statutaire introduite avant une réforme législative prévoit que : « sauf dispense de la loi, toute cession ou transmission d'actions quelles qu'en soient la nature et la forme est soumise à l'agrément préalable du conseil d'administration ».

L’arrêt est censuré, pour défaut de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016. Il est en effet reproché aux juges du fond de ne pas avoir recherché quelle était la réelle volonté des rédacteurs de la clause statutaire d’agrément : se plier à toutes les évolutions législatives intervenant postérieurement à la clause ou, au contraire, cristalliser le droit applicable au moment de la rédaction de la clause ?

La décision de la chambre commerciale donne dans un premier temps l’occasion de rappeler la modification du champ d’application ratione personae des clauses d’agrément au sein des sociétés anonymes puis, dans un second temps, d’aborder l’application de cette modification textuelle à des statuts antérieurs.

La modification du champ d’application de la clause d’agrément dans les SA

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n° 2023-08 du 10 mai 2023

Lettre creda n°2023-08

 

 

L’ordonnance du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières a opéré un accroissement du champ d’application des clauses d’agrément contenues dans les statuts de sociétés anonymes.

L’article 274 de la loi du 24 juillet 1966 disposait « sauf en cas de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux, ou de cession, soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant, la cession d'actions à un tiers à quelque titre que ce soit, peut être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts ». Toute la question était de savoir ce que le législateur entendait par « cession à un tiers ». Selon la chambre commerciale (Cass. com., 10 mars 1976, n° 74-14.680), « l'actionnaire d'une société par actions est libre de céder ses titres à un autre actionnaire sans qu'une telle cession puisse être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts ». L’actionnaire cessionnaire n’était donc pas un tiers et n’était donc pas soumis à l’agrément.

L’ordonnance du 24 juin 2004 opère une profonde modification de l’article L. 228-23 du Code de commerce, en disposant que « la cession d'actions ou de valeurs mobilières donnant accès au capital, à quelque titre que ce soit, peut être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts ». Il n’est plus question d’une quelconque mention aux tiers, et donc d’une quelconque exception qui serait propre à la cession entre actionnaires. La clause d’agrément a depuis lors une double fonction de contrôle :

  • contrôle de l’identité des nouveaux entrants,
  • mais aussi contrôle des rapports capitalistiques entre actionnaires.

C’est sur cette seconde fonction que se cristallise le litige, alors que la clause d’agrément statutaire en cause posait un principe d’application de l’agrément, « sauf dispense de la loi » et qu’elle n’avait pas été modifiée depuis la réforme opérée en 2004.

Une clause statutaire non modifiée à la suite de la réforme

En se limitant aux « dispenses de la loi », la clause statutaire rédigée en 1985 semble indiquer que toutes « les cessions ou transmissions d’actions quelles qu'en soient la nature et la forme » sont soumises à la procédure d’agrément, sauf celles qui sont écartées par la lettre de la loi. Derrière l’emploi du terme « dispense », particulièrement inadapté, on peut considérer que la clause vise les interdictions légales, et donc les hypothèses de « succession, de liquidation du régime matrimonial ou de cession, soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant » (article L. 228-23 alinéa 3 du Code de commerce), déjà évoquées sous l’empire de la loi ancienne.

La question de la cession entre actionnaires, en revanche, n’est plus indirectement visée par une dispense de la loi. Dès lors, de deux choses l’une :

  • Soit les rédacteurs des statuts entendaient viser les dispenses de la loi au jour de la cession ou de la transmission d’actions. Dans ce cas, les dispenses sont mouvantes, soumises aux évolutions de la loi, et dans l’hypothèse de la clause d’agrément, peuvent être réduites par l’ordonnance du 24 juin 2004. La cession entre actionnaires n’étant plus une « dispense de la loi », elle devrait être soumise à la procédure d’agrément, ce qu’avait retenu la cour d’appel, en raison de la nature institutionnelle de la société, nécessitant donc l’application de la loi nouvelle ;
  • Soit les rédacteurs des statuts entendaient viser les dispenses de la loi au jour de la rédaction des statuts, conservant le droit tel qu’il était en 1985. Dans ce cas, la cession d’actions entre actionnaires ne serait pas soumise à agrément, ce d’autant plus que la réforme opérée depuis « n’impose pas » de soumettre la cession entre actionnaires à l’agrément, mais permet une telle éventualité.

C’est cette incertitude qui a conduit la chambre commerciale à censurer la décision de la Cour d’appel. Plus qu’une question d’application de la loi dans le temps, cette décision rappelle un principe de droit des contrats : lorsque l’interprétation d’une clause est incertaine, il est nécessaire de revenir à la commune intention des parties, ce que n’a pas fait la cour d’appel en l’espèce.

Il reviendra alors aux juges du fond la délicate tâche d’effectuer une telle recherche, nécessitant de se remettre dans le contexte de la rédaction de la clause d’agrément, il y a près de trente-huit ans !

On ne soulignera donc pas assez la nécessité de mettre à jour les clauses des statuts se contentant de renvoyer à la loi – ou de la recopier – lorsque celle-ci est modifiée, sauf à risquer de se lancer dans un travail d’exégète, d’historien, voire de devin selon l’ancienneté de la clause…

 

Matthieu ZOLOMIAN
Maître de conférences à l'Université d'Angers

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Aides et démarches (OCED)

Soumis par sfournier le mar 11/04/2023 - 12:14
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Prévention des difficultés avant cessation des paiements

Si votre entreprise est in bonis, vous pouvez :

  • solliciter un entretien avec le président du tribunal compétent (Tribunal judiciaire pour les professions libérales, agriculteurs, associations ; Tribunal de commerce pour tous les autres) ;
  • solliciter la désignation d’un mandataire ad hoc pour vous assister ;
  • solliciter, si vous n’êtes pas en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours, l’ouverture d’une conciliation pour vous assister dans la négociation avec vos principaux créanciers et/ou préparer en amont et de manière confidentielle la cession de votre entreprise ;
  • demander l'ouverture d'une procédure sauvegarde si vous éprouvez des difficultés que vous ne pouvez surmonter seul et que vous n’êtes pas en état de cessation des paiements.

Traitement des difficultés en cas de cessation des paiements

Dans cette hypothèse, vous pouvez vous placer sous la protection du tribunal pour étaler vos dettes dans le cadre d’un plan d’apurement (avec délais et remises de dettes), céder ou encore liquider votre entreprise en saisissant le greffe du tribunal compétent d’une demande d’ouverture d’une procédure.

Les procédures possibles sont :

  • le redressement judiciaire, si vous êtes en état de cessation des paiements.
  • la liquidation judiciaire, si vous êtes en état de cessation des paiements et qu’il vous est impossible de présenter un plan de redressement.

Effacement des dettes

Vous pouvez également demander à bénéficier de l’effacement de vos dettes dans le cadre d’un rétablissement professionnel si vous remplissez les conditions suivantes :

  • vous exercez dans le cadre d’une entreprise individuelle (activité indépendante, artisan, commerçant, auto et microentrepreneur),
  • vous êtes de bonne foi,
  • vous n’employez et/ou n’avez employé aucun salarié au cours des 6 mois précédant votre demande.

Saisir le tribunal de commerce en ligne

Depuis le 10 avril 2019, la juridiction commerciale est entièrement saisissable en ligne, 24h/24 et 7 jours sur 7 sur le site : www.tribunaldigital.fr

Les chefs d’entreprises sont ainsi invités à solliciter l’ouverture des procédures de sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires principalement par ce biais.

Pour sécuriser l’accès en ligne au Tribunal Digital, le chef d’entreprise dispose d’une clé de connexion unique et personnelle.

Concrètement, chaque entrepreneur immatriculé au registre du commerce et des sociétés peut créer son identité numérique, Monidenum, un service développé par le Conseil national des greffiers des Tribunaux de commerce et Infogreffe.

Cette identité numérique lui permet d’engager judiciairement sa société et de saisir en ligne le tribunal du commerce compétent, notamment pour l’ouverture d’une procédure de traitement de ses difficultés mais aussi pour consulter à tout moment l’état d’avancement de ses différents dossiers et procédures en cours.

Liste des greffes des tribunaux de commerce franciliens

 

Regardez en replay les assises des délais de paiement et des difficultés des entreprises du 5 mai 2021

  • Aruna Soogrim, responsable de l'OCED
  • Sonia Arrouas, présidente de la Conférence générale des juges consulaires de France et présidente du Tribunal de commerce d'Evry
  • Béatrice Veyssière, chargée de la mission sauvegarde des entreprises à la Région Île-de-France,
  • Amandine Pepers, responsable Inforeg CCI Paris Île-de-France
  • Valérie Marillat, responsable Financement CCI Paris Île-de-France
Durée : 22 min 19

 

 

Découvrez les dépliants de la Direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) pour les entreprises en difficulté par département

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La violation des statuts de SAS peut entraîner la nullité de la décision

Soumis par sfournier le mer 05/04/2023 - 12:48

Lettre CREDA-sociétés 2023-07 du 5 avril 2023

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Une violation des dispositions statutaires concernant les décisions collectives d’une SAS peut être sanctionnée par la nullité si elle est de nature à influer sur le résultat du processus de décision. Les autres sociétés ne sont pas concernées par la règle posée (Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324).

Les faits concernent la SAS Larzul, déjà sujet d’un retentissant arrêt en 2010 (Com., 18 mai 2010, n° 09-14.855, Larzul,) mais différaient. L’associé unique de la SAS Larzul, la société Vectora conclut un accord avec la société UGMA et son actionnaire (la société FDG) pour augmenter le capital de la SAS par voie d’apports en numéraire et en nature à leur bénéfice ; augmentation assortie de la cession d’actions de la société Larzul par Vectora au bénéfice de la société FDG. Un arrêt irrévocable a, en 2012, annulé la délibération approuvant l’augmentation de capital. La société FDG, soutenant avoir été privée de ses droits d’associé depuis cette date, a sollicité l’annulation de toutes les décisions collectives subséquentes.

L’arrêt d’appel prononce la nullité de certaines de ces délibérations, mais au visa des art. L. 223-28 et -29 C. com, et non des dispositions applicables aux SAS, ce qui suffit à entraîner la cassation. Cela ne nous retiendra pas davantage.

Le pourvoi indiquait surtout que l’art. L. 227-9 C. com. énonce que les statuts précisent lesquelles des décisions de la SAS font l’objet d’une décision collective. De la sorte, aucune disposition impérative n’aurait été violée et la nullité ne serait pas encourue, en vertu de l’art. L. 235-1 C. com. La Cour de cassation prend le temps de rejeter l’argument au terme d’une motivation particulièrement détaillée, ce qui est de loin le plus important en l’espèce.

 

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Pour commencer, « l’organisation et le fonctionnement de la société par actions simplifiée relèvent essentiellement de la liberté statutaire. Il en découle que le respect des dispositions statutaires qui, conformément à l’article L. 227-9, alinéa 1er, du code de commerce, déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés et les formes et conditions dans lesquelles elles doivent l’être, est essentiel au bon fonctionnement de la société et à la sécurité de ses actes. Or, les limitations apportées par cette jurisprudence à la possibilité de voir sanctionner par la nullité la méconnaissance de ces dispositions statutaires conduisent à ce que leur violation ne puisse être sanctionnée ».

Par suite, « ces considérations conduisent la Cour à juger désormais que l’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu’il résulte de l’article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d’en poursuivre l’annulation ».

Dont acte, dans les SAS, la méconnaissance des règles statutaires régissant les décisions collectives peut entraîner la nullité de la décision à la condition que cette méconnaissance soit de nature à influer sur le processus de décision.

La pertinence de la règle peut tout d’abord être débattue, ainsi que sa portée.

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n° 2023-07 du 5 avril 2023

lettre creda sociétés 2023 07

 

Le bien-fondé

On le sait, l’arrêt Larzul énonçait que « sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n’est pas sanctionné par la nullité ». Mais il faisait l’objet de critiques concernant le domaine de la règle posée et sa justification.

Concernant le domaine, la notion de règle impérative aménageable est extrêmement floue. Ainsi, les règles de majorité concernant l’agrément dans les SARL rentrent-elles dans cette catégorie (Com., 10 févr. 2015, n° 13-25.588), ainsi que, semble-t-il, l’anc. art. 1844 C. civ. concernant la répartition des droits de vote entre usufruitier et nu-propriétaire (Com., 13 janv. 2021, n° 19-13.399). Les règles posées par l’art. 1836 al. 1 C. civ. (Cass. 3e civ., 8 juill. 2015, n° 13-14.348) et l’art. 1852 du même Code (Cass. 3e civ., 5 janvier 2022, n° 20-17.428) ont également été reconnues comme étant des dispositions impératives aménageables au sens de l’arrêt Larzul. Il est difficile de ne pas voir pourtant, dans ces deux dernières règles, des dispositions supplétives…. mais n’est-ce pas le cas de bien des dispositions impératives aménageables ?

La règle posée fonde sa légitimité sur le fait que les dispositions statutaires, quand elles aménagent une disposition impérative, ont, selon les mots d’Alexis Constantin, une « impérativité d’emprunt ». Par contraste, la violation de « simples » dispositions statutaires ne saurait entraîner une quelconque nullité. La règle peut être justifiée, malgré les critiques, par les limitations apportées aux nullités sociétaires par les art. L. 235-1 C. com. et 1844-10 C. civ.

Cependant, il était possible de soutenir qu’il faudrait sanctionner la violation des statuts dans les SAS avec plus de force que dans les autres sociétés, car ils ont une place prépondérante pour l’organisation de ces premières. De plus, la formulation de l’art. L. 227-9 C. com. pourrait faire penser qu’il contient une disposition impérative aménageable. Néanmoins, la Chambre commerciale a affirmé que ce n’était pas le cas (Com. 26 avr. 2017, n° 14-13.554).

Ce dernier arrêt est cité dans celui sous commentaire, justement pour préciser que la Chambre commerciale ne voit toujours pas dans l’art. L. 227-9 C. com. une disposition impérative aménageable (pt 14). La raison du revirement vient du fait que le respect des statuts « est essentiel au bon fonctionnement de la société et à la sécurité de ses actes » et que leur violation doit être sanctionnée per se, sur le fondement du dernier alinéa de l’art. L. 227-9 C. com.

La Cour circonscrit la portée de sa solution aux SAS, dans lesquelles il faudra désormais caractériser seulement une violation des statuts de nature à influer sur le résultat du processus de décision. Adieu donc, dans ce cadre, l’arrêt Larzul, au profit d’une impérativité des statuts de SAS. À l’inverse, dans les autres sociétés, il s’applique toujours, et il faudra vérifier qu’une disposition impérative aménagée a été violée pour obtenir la nullité de la décision.

N’aurait-il pas été plus simple d’admettre que l’art. L. 227-9 C. com. était une disposition impérative aménageable ? Ou, inversement, ne fallait-il pas abandonner totalement l’arrêt Larzul au profit d’une nullité pour violation des statuts dans toutes les formes sociales ? Car le respect des statuts n’est pas plus important dans les SAS qu’ailleurs a priori. Même si elles se distinguent par leur souplesse, ce caractère ne devrait pas faire varier la force obligatoire des statuts. Le respect des statuts n’est-il pas essentiel au bon fonctionnement de la société dans toutes les sociétés ? On sait par exemple que les SNC, bien que moins usitées, régissent tout autant leur fonctionnement par les statuts que les SAS, voire davantage.

Si le bien-fondé de cette règle peut donc être contesté, sa portée aussi.

La portée

Une chose semble certaine : ce sont les modalités statutaires de prise de décisions (comment prendre la décision ?) qui sont concernées mais également le domaine statutaire des décisions (quelles décisions doivent être collectives ?). La violation de ces deux types de stipulations sera sanctionnée par la nullité.

Les juges restreignent néanmoins le champ de la nullité par le biais du critère de l’influence de la violation sur le processus de délibération, qui ne brille pourtant pas par sa clarté. Cette nullité est en outre facultative et sera ainsi doublement restreinte : elle ne sera pas prononcée si la violation n’est pas de nature à influer sur le résultat de la décision ou si le juge, constatant qu’elle a cet effet, choisit néanmoins de ne pas la prononcer.

Au-delà, la règle posée confirme la préférence des juges de cassation commerciaux pour les statuts de SAS… au risque de revenir sur certaines interprétations. Car, il y a peu, la même chambre avait énoncé, dans une affaire concernant une SAS, que « si les actes extra-statutaires peuvent compléter les statuts, ils ne peuvent y déroger » (Com., 12 oct. 2022, n° 21-15.382). Nous avions cru y voir une affirmation générale selon laquelle les statuts primeraient toujours sur les actes extra-statutaires, mais peut-être la règle était-elle dictée par la forme sociale ; ce qui serait révélé par la faveur faite aux statuts de SAS dans le présent arrêt. Affaire à suivre donc.

 

Jean-Baptiste BARBIÈRI
Maître de conférences, Université Paris-Panthéon-Assas

 


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