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Faire de Paris Île-de-France la capitale mondiale du sport

Soumis par sfournier le jeu 23/03/2023 - 14:04

Les Grands Événements Sportifs Internationaux (GESI) : un enjeu d’attractivité

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GESI

 

Faisons de Paris Ile-de-France la capitale mondiale des événements sportifs ! C’est là une formidable ambition d’attractivité et de rayonnement international, garante de nombreuses retombées économiques. Sans compter que le sport participe souvent à l’émulation collective, devenant ainsi un vecteur de cohésion sociétale.

Notre région démontre déjà de longue date son savoir-faire en matière d’accueil de grandes compétitions internationales. Certaines ont lieu chaque année, comme Roland Garros, le tour de France ou le Prix de l’Arc de Triomphe. D’autres s’y déroulent à titre occasionnel. Justement deux moments sportifs majeurs se tiendront prochainement en Ile-de-France : la Coupe du Monde de rugby cette année et les Jeux Olympiques et Paralympiques en 2024.

Alors, l’Ile-de-France synonyme demain de lieu de référence des Grands événements sportifs internationaux (GESI) ? La CCI Paris Ile-de-France répond oui !

L'enjeu

Les GESI et leurs impacts

Les Grands événements sportifs internationaux (GESI) peuvent être exceptionnels ou tournants, le territoire hôte change à chaque édition. Souvent leur accueil fait l’objet de processus longs de candidature dans lesquels les forces lobbyistes ont une part significative. C’est le cas des JOP, des Coupes du Monde de football ou de rugby, de la Ryder Cup, etc. D’autres GESI sont dits récurrents : ceux organisés chaque année à la même période et dans un même lieu (les quatre tournois du Grand Chelem au tennis par exemple).

Peu rassemblent plus d’un milliard de téléspectateurs : les JOP d’été et d’hiver, la Coupe du Monde et le Championnat d’Europe de football, le Tour de France, la Coupe du Monde de cricket, la Coupe du Monde de rugby, les grands prix du Championnat du monde de Formule 1, les tournois du Grand Chelem de tennis et encore la Ryder Cup.

Roland garros

 

 

Face à de telles audiences, il est clair que les impacts des GESI sont multiformes et extrêmement importants. Ils sont naturellement sportifs et de cohésion sociale (de la fierté des victoires de « son » équipe à la création de moments de convivialité partagée). Ils concernent aussi l’attractivité et le rayonnement international via les retombées en matière d’image, de notoriété et d’influence (surtout si l’événement est réussi !). Les impacts sont par ailleurs économiques : les GESI génèrent d’importantes retombées directes et indirectes grâce à la venue et la consommation des clientèles professionnelles et touristiques. Enfin, les impacts des GESI touchent l’aménagement du territoire.

La destination Paris Ile-de-France

Ses forces et ses faiblesses

Paris Ile-de-France est une destination touristique de premier plan. La marque « Paris » est reconnue dans le monde entier et porteuse d’un imaginaire fort et positif. Elle est associée à de nombreux lieux, monuments et musées qui lui donnent une force difficile à concurrencer. Un atout considérable couplé au premier hub aéroportuaire d’Europe et à des infrastructures de transport denses. Cependant Paris Ile-de-France souffre d’un déficit d’image sur la qualité de l’accueil (sans compter la prise en compte insuffisante de l’accès des Personnes à Mobilité Réduite).

Par ailleurs, si le tissu économique de la région est dynamique, rejoignant la liste des forces de la destination, cette dernière connait des pénuries de main-d’œuvre dans les métiers de l’accueil, de la sécurité, de la propreté et des CHR exacerbées. Les emplois non pourvus s’élèveraient à 20 000 dans le domaine de la sécurité et à 36 000 dans les CHR !

Du point de vue des GESI, la tradition d’accueil et d’organisation d’événements sportifs par la région-capitale française fait qu’elle possède d’ores et déjà des équipements de dimension nationale et internationale. La diversité des sports déjà accueillis lui permet d’organiser des compétitions de tous ordres.

Paris se positionne donc comme une destination majeure pour les GESI, tournants et récurrents. Cependant, le maintien des épreuves récurrentes et l’obtention de GESI tournants est de plus en plus difficile dans un contexte de concurrence internationale accrue. Les tentatives de captation de Roland Garros ou encore la compétition pour devenir ville hôte des différents Mondiaux, JOP ou Ryder Cup démontrent l’appétit de toutes les villes monde (« global cities ») pour ce créneau.

  • Retrouvez l'intégralité de nos 12 leviers et 53 propositions ici. 

Promouvoir et valoriser

Mobiliser les acteurs publics et préparer la région Paris Ile-de-France à l'accueil récurrent des GESI

Citation de la Panouse

 

Positionner Paris comme la capitale mondiale du sport et des GESI implique la mise en place d’outils partagés et d’une volonté fédératrice. Par exemple, la création -plus qu’utile- d’un comité de candidature en charge de la captation des grands événements à fort potentiel ne sera efficiente que si c’est une instance plurielle et un lieu de concertation et de coordination des professionnels, des collectivités et autres organismes publics et privés compétents en matière de sport et de développement économique.

Parallèlement, Paris Ile-de-France pourrait capter des GESI de circuits étrangers afin de promouvoir la destination auprès de nouveaux publics. En effet, des événements qui ne sont pas traditionnellement dans la culture française ou européenne disposent d’un potentiel à forte résonance médiatique et touristique auprès de clientèles lointaines. Paris a déjà réussi à capter une étape européenne pour la NBA en janvier 2023 et poursuit son partenariat avec le championnat WWE (catch) en avril 2023. Pourquoi ne pas candidater pour accueillir les X-games, des GESI de sports urbains comme le break dance, le skateboard ou même organiser un match de criquet du championnat indien en Île-de-France ?

Enfin, notre business diplomatie dans le domaine des grands événements sportifs est encore perfectible. Il faudrait un renforcement des liens de la filière d’organisation des grands événements avec les ambassades et les missions économiques à l’étranger pour valoriser le territoire et le savoir-faire de cette filière d’excellence française et francilienne.

Organiser et accueillir

Assurer une bonne organisation des événements

Le bon accueil des clientèles dans de bonnes conditions repose sur plusieurs présupposés.

La priorité est de développer une « culture de l’accueil des étrangers ». La barrière de la langue mais au-delà, la prise en compte des spécificités de ces publics reste un problème dans la formation des professionnels en contact avec eux tout comme peut l’être l’information disponible en langue étrangère dans les commerces (tailles en prêt-à-porter, menus…). Dans cette continuité, les informations pratiques comme la valorisation de l’offre commerciale sur les applications dédiées aux événements sportifs restent faibles.

On pourrait ici créer une plateforme d’information dédiée aux professionnels du tourisme et de l’événementiel. Elle comprendrait un planning des évènements à venir et des actions à mettre en œuvre concernant les plans de circulation et d’installation des infrastructures sportives, l’affichage des sponsors dans l’espace public, l’organisation logistique pour la livraison, les horaires d’ouverture sensibles, les forces de l’ordre présentes à proximité, les transports en commun fermés….

Autre préalable, un accès aux commerces et au centre-ville pendant le déroulé des épreuves sécurisé et facilité. En Ile-de-France, cela passe par l’amélioration du dispositif cestplusur (mis en place par la Préfecture de Police pour informer sur les forces de sécurité présentes à proximité des commerces, les transports en commun à l’arrêt, le barriérage, les plans de circulation...) et le renforcement de la lutte contre la contrefaçon. Vis-à-vis des visiteurs, cette exigence d’une meilleure sécurité peut être d’améliorer les formulaires de plaintes dans la langue d’origine en cas de vol ou d’agression (aéroports, trains, taxis, hôtels...) : la procédure utilisant le logiciel SAVE (Système d’Aide aux Victimes Etrangères) est insuffisamment connue alors qu’elle permet aux touristes victimes de voir leur plainte enregistrée en 30 langues avec remise d’un récépissé dans la leur.

Assurer une bonne organisation des événements, c’est aussi développer une approche écoresponsable et combler le déficit en termes d’hygiène et de propreté. La définition d’objectifs et d’indicateurs de suivi sur la gestion des déchets des événements éphémères récurrents est indispensable.

Au-delà, certaines mesures sont souhaitables comme la mise à disposition pour la clientèles de conciergeries dans les artères commerciales touristiques, le renforcement de l’attractivité de la détaxe et de son usage dans les commerces des artères commerçantes et touristiques, ainsi l’aménagement d’une dérogation spécifique au repos dominical pour certains établissements commerciaux dans le cadre des GESI.

Intégrer et exploiter

Renforcer et équiper le territoire au service de l'héritage de l'événement

Citation Restino

 

Si les Jeux Olympiques et Paralympiques ont axé leur candidature sur l’héritage, les GESI restent encore trop souvent des événements coupés des territoires sur lesquels ils se déroulent. Jusqu’ici, les GESI franciliens ne sont pas parvenus à mettre suffisamment en valeur l’économie locale.

Pour intégrer les GESI dans un projet de territoire, il faut les intégrer dans les documents d'aménagement et d'urbanisme et insister sur des notions comme la réversibilité des bâtiments, à savoir la possibilité d'en changer à plusieurs reprises l'usage tout au long de leur cycle de vie, grâce à des travaux mineurs et des procédures simplifiées. C’est le cas du futur village des JO qui deviendra un éco-quartier à l’issue des Jeux.

Parallèlement la région doit moderniser régulièrement le parc d'infrastructures sportives pour rester compétitif et aider à accueillir un éventail plus large de disciplines. Cette modernisation devra également répondre aux standards attendus : accessibilité des PMR, éco-responsabilité, digitalisation.

Parmi les leviers envisageable ici figure le renforcement des liens entre GESI et populations locales. Plusieurs pistes :

  • Inclure les clubs sportifs locaux dans l’organisation des GESI en soutenant financièrement les équipes qui participent à l'encadrement bénévole des compétitions
  • Encourager le mentorat et le mécénat des entreprises pour le financement et la préparation des athlètes
  • Mettre en lien les bénévoles et les emplois temporaires des GESI avec le secteur des CHR
  • Disposer d’un corps du service civique dédié aux grands événements
  • Promouvoir l’accès des infrastructures sportives par les Maisons Départementales pour les Personnes Handicapées (MDPH)
  • Intégrer aux applications des transports publics officielles l'information en temps réel sur les parcours spécifiques pour les participants, spectateurs et visiteurs handicapés

Enfin, la CCI Paris Ile-de-France insiste sur le besoin d’inclure l’action des entreprises lors des GESI dans une perspective de long terme via, notamment la structuration d’une filière du sport en Île-de-France autour d’entreprises leader, de start-up, d’athlètes, de clubs, de fédérations, de pôles de recherche, etc. Sans oublier la réalisation systématique d’études d’impact des GESI sur les entreprises.

 

 

  • Retrouvez l'intégralité de nos 12 leviers et 53 propositions ici.

Rapporteur : Edmond de La Panouse
Experts : Céline Delacroix, Aurélien Neff, Emmanuel Rodier

 

Pour en savoir plus :

Sur le même sujet :

 

mars 2023

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Un pacte conclu pour la durée de vie d’une société est licite

Soumis par sfournier le mer 15/03/2023 - 09:41

Lettre CREDA-sociétés 2023-05 du 15 mars 2023

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Il résulte des articles 1134, alinéa 1er ancien et 1838 du code civil que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement.

C’est la seconde fois en quelques mois que la Cour de cassation apporte des précisions essentielles sur la durée des pactes d’associés et, singulièrement, s’agissant de la prohibition des engagements perpétuels (Cass. 1ère civ., 25 janv. 2023, n° 19-25.478, FS-B). Elle a déjà jugé, pour un pacte conclu avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, que « les engagements perpétuels ne sont pas sanctionnés par la nullité du contrat mais chaque contractant peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable » (Com., 21 sept. 2022, n° 20-16994 ; désormais, C. civ., art. 1210). L’arrêt du 25 janvier 2023, publié au Bulletin, formule une solution tout aussi essentielle pour la force obligatoire des pactes d’associés. Il énonce que le pacte conclu pour la durée de vie d’une société n’est pas constitutif d’un engagement perpétuel. Affecté d’un terme licite, ce pacte est donc à durée déterminée et ses signataires ne peuvent le dénoncer unilatéralement avant son échéance.

En l’espèce, 7 associés d’une SAS (un père, ses cinq enfants et une société HC) avaient conclu en 2010 un pacte dont la durée était calquée sur celle restant à courir de la SAS (soit 58 ans). La clause de durée du pacte prévoyait qu’à l’issue de cette première période, ce dernier serait tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée et qu’à l’occasion de chaque renouvellement, toute partie disposerait d’une faculté de dénoncer le pacte moyennant le respect d’un préavis de 6 mois. La clause stipulait enfin que le pacte lierait et bénéficierait aux héritiers, aux légataires, ayants droit, ayants cause de chacune des parties, et notamment leurs holdings familiales.

publications

 

En 2017, le pacte d’associés est résilié par le père et la société HC, et le 10 janvier suivant, par l’un des cinq enfants. En appel, la demande formulée par un autre des cinq enfants de voir la résiliation jugée irrégulière, et partant inefficace, est rejetée. Pour les juges aixois, la clause de durée du pacte constitue un engagement perpétuel dès lors qu’elle ne permet à ses signataires d’en « sortir », selon les cas, qu’à un âge avancé, entre 79 et 96 ans. Elle en déduit qu’une telle « durée excessive, qui confisque toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés, ouvre aux parties la possibilité de résilier le pacte à tout moment ».

L’arrêt est censuré au double visa des articles 1134, alinéa 1 ancien et 1838 du code civil. Selon la Chambre commerciale, statuant sur le moyen tiré de la perpétuité de l’engagement, bien que l’arrêt soit rendu par la première Chambre civile, il résulte de ces textes « que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement ».


 Téléchargez la lettre Creda-Sociétés n° 2023-05 du 15 mars 2023

Lettre 2023-05

 

1. L’opportunité de la solution

Ce qui frappe tout d’abord, c’est la généralité de la solution, dont la formulation lui donne les atours d’un arrêt de principe. Mieux, les circonstances de l’espèce sont en ce sens, puisqu’étaient signataires du pacte des personnes physiques possiblement liées jusqu’à la fin de leur vie et auxquelles ledit pacte pouvait survivre. Or, en dépit d’un précédent qui ne semblait pas marquer une hostilité de principe à un engagement affecté d’une telle durée (Com. 20 déc. 2017, n° 16-22.099), l’hésitation sur la nature perpétuelle du pacte conclu par des personnes physiques pour la durée de vie de la société était permise. En particulier, une décision récente sous-entendait que l’appréciation du caractère perpétuel d’un pacte, fonction des circonstances et de la nature des engagements souscrits, dépend de ce que la partie concernée est une personne morale ou une personne physique (CA Paris, 15 déc. 2020, RG 20/00220).

Les doutes sont ici levés et l’arrêt sera accueilli favorablement en pratique. En effet, faute d’une position claire de la jurisprudence sur l’appréciation du caractère perpétuel des clauses indexant la durée du pacte sur celle de la société, une solution, peu satisfaisante, consistait pour les parties à retenir une durée pour le pacte de 5, 10, 15 ans, etc., avec clause de reconduction. Simplement, à chaque échéance, les parties se trouvaient confrontées au risque de sortie de l’une d’entre elles.

L’accueil réservé à l’arrêt sera d’autant plus favorable qu’il a été jugé que ne constitue pas un terme, même implicite (i.e. se référant à la durée de vie de la société), la clause selon laquelle les stipulations d’un pacte d’associés demeurent applicables aussi longtemps que ses signataires resteront ensemble associés. Sans qualifier expressément la clause (il n’est pas dit qu’il s’agit d’une condition), la cour d’appel, qui est approuvée par la Chambre commerciale, avait retenu que « la perte, par l’un ou l’autre des cocontractants, de la qualité d’actionnaire ne présente aucun caractère de certitude, quand bien même l’un ou l’autre peut-il à tout moment céder ses actions » (Com. 6 nov. 2007, n° 07-10.620,). Or, faute de terme stipulé au pacte, chaque partie dispose alors d’une faculté de résiliation unilatérale (rappr. Com. 20 déc. 2017, n° 16-22.099, précité, estimant « que la perte de la qualité d’actionnaire de ce dernier ne constitue pas un terme extinctif, mais une condition de validité de l’engagement dans le temps »).

2. La portée de la solution

La force obligatoire des pactes d’associés sort clairement renforcée de cet arrêt. En un sens, et c’est la raison du visa de l’article 1838 du Code civil, les hauts magistrats considèrent que si la société peut durer 99 ans et lier pour aussi longtemps les associés, pourquoi ne pas l’admettre pour un pacte d’associés ? De toute évidence, l’arrêt consacre une règle spéciale justifiée par la nature particulière du contrat qu’est le pacte d’associés. D’abord, le pacte crée des droits et obligations qui ont, en simplifiant, pour objet la société ou les titres de capital émis par elle. Ensuite, le pacte est un contrat périphérique et souvent complémentaire aux statuts ; il peut même être conçu comme un « accessoire » des statuts. Il convient donc d’éviter que sa force obligatoire, qui se trouve en partie dans la dépendance des statuts, soit désactivée par tout signataire au seul motif que sa durée est arrimée à celle de la société. En un sens, cet arrêt invite à considérer que si les stipulations d’un pacte ne doivent pas heurter l’ordre public sociétaire, il apparait opportun, à rebours, que certaines règles du droit des sociétés, par capillarité, lui profitent.

Un peu plus loin du sujet, rappelons qu’il a été admis que l’on prête à la sanction de certaines clauses d’un pacte d’associés conclus entre les associés d’une SAS la vigueur de celle des clauses statutaires (Com. 27 juin 2018, n° 16-14.097). Et on sait que l’articulation entre statuts et actes extrastatutaires n’est pas toujours aisée à opérer (par ex. Com. 12 oct. 2022, n° 21-15382). On saura donc gré à la Cour de cassation de livrer certaines clés de lecture, et au cas particulier, en matière de durée des pactes, une solution claire.

Pour autant, un blanc-seing n’est pas donné aux rédacteurs de pactes. D’une part, était en l’espèce réservée aux signataires une faculté de résiliation lors de chaque reconduction tacite du pacte, elle-même fonction de la prorogation de la durée de la société. Si une telle faculté n’écarte pas toujours la critique sur le terrain de la perpétuité (ex. Com., 11 mai 2022, n° 19-22.015), il ne semble pas douteux que le pacte qui serait renouvelé ou prorogé de façon illimitée ou indéfinie à la discrétion de l’une des parties seulement, encourrait le vice de perpétuité (ex. Civ. 3ème, 27 mai 1998, n° 96-15.774).

D’autre part, le libéralisme de la solution n’exclut pas, évidemment, l’assujettissement des engagements que contient le pacte à un test de licéité sur d’autres plans. On songe aux règles de l’ordre public du droit des contrats en général, et du droit des sociétés en particulier : clauses de non-concurrence, d’exclusivité, d’inaliénabilité, conventions de vote, clauses léonines, libre révocabilité des dirigeants, potestativité des engagements ou conditions, etc. Concrètement, les pactes restent exposés à la critique sur le terrain de la licéité de leur contenu. Simplement, il faudra fonder cette critique sur une autre cause que la seule conclusion du pacte pour une durée correspondant à celle de la société.

 

Julien Delvallée,
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay

 

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Redressement judiciaire : l'associé menacé de dilution peut former tierce opposition

Soumis par sfournier le mer 01/03/2023 - 13:16

Lettre CREDA-sociétés 2023-04 du 1er mars 2023

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Par un important arrêt publié rendu le 8 février 2023 (21-14.189), la chambre commerciale déclare recevable la tierce opposition de l’actionnaire qui cherche à contester le plan de redressement envisageant de lui imposer une dilution de sa participation. La solution mérite d’être remarquée, en ces temps de « désacralisation » des droits de l’associé au nom du sauvetage des entreprises.

Une société LPS, détenue notamment par une personne physique A à hauteur de 43,09 %, fut placée en redressement judiciaire. Quelques mois plus tard, le tribunal de commerce arrêta le plan de redressement. Par une ordonnance de référé, le président du tribunal désigna ensuite un mandataire avec la mission de mettre en œuvre la procédure prévue à l’article L. 631-9-1 du code de commerce. Les capitaux propres de la société étant tombés à un niveau inférieur à la moitié du capital social (C. com., art. L. 225-248), et en l’absence de reconstitution dans les conditions de l’article L. 626-3 du code de commerce, l'administrateur peut en effet solliciter la désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à la place des associés opposants, lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou de plusieurs personnes qui se sont engagées à exécuter le plan.

publications

 

L’assemblée générale devait ici être réunie pour se prononcer sur la réduction du capital social à zéro, suivie de son augmentation en numéraire en deux temps, réservée à B, qui s’était engagé à exécuter le plan, et à un autre actionnaire, une société M. Capital Partners.

L’actionnaire A, mis à l’écart et ne pouvant, de ce fait, faire jouer sa minorité de blocage, a décidé de former tierce opposition contre le jugement arrêtant le plan. Mais celle-ci fut déclarée irrecevable par la cour d’appel, qui retint que le demandeur, représenté à l’instance, n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société dans le cadre de ce plan.

L’arrêt sera finalement cassé par la chambre commerciale. L’intérêt de cette décision publiée est double. Il nous offre d’abord l’occasion de revenir sur la question épineuse de l’admission de la tierce opposition d’un associé à l’encontre d’une décision visant la société (1). Surtout, à rebours d’une tendance observable depuis quelques années en droit positif, la chambre commerciale se montre particulièrement soucieuse des droits de l’associé menacés de dilution par le plan de redressement (2).


 Téléchargez la lettre Creda-Sociétés n° 2023-04 du 1er mars 2023

Lettre 2023-04

 

L’admission de la tierce opposition de l’associé

La tierce opposition permet à un tiers d’attaquer un jugement en vue de le faire rétracter ou réformer (C. proc. civ., art. 582). Voie de recours exceptionnelle, ouverte uniquement dans les cas prévus par la loi (C. proc. civ., art. 580), plusieurs conditions de recevabilité sont imposées. Ne sont ainsi admis à l’exercer que les personnes qui n’ont pas été parties à l’instance, et qui font état d’un intérêt légitime à agir (C. proc. civ., art. 583). Parmi les tiers, sont néanmoins déclarés logiquement irrecevables ceux qui ont été représentés.

La question de savoir si l’associé est recevable à attaquer une décision concernant sa société a fait l’objet de nombreux débats, tant doctrinaux que devant les prétoires. Si l’associé est incontestablement un tiers, peut-on cependant le considérer comme étant « représenté » ? Dans la rigueur des principes techniques qui régissent la représentation, une réponse négative devrait s’imposer : le représentant légal de la personne morale n’agit, dans le cadre du procès, qu’au nom et pour le compte de cette dernière, et non des associés.

A la vérité, pour éviter une dilatation trop importante du domaine de la tierce opposition, la Cour de cassation a une conception plutôt extensive de la notion de représentation – certains arrêts se contentent même d’une « communauté d’intérêts » (Cass. civ. 1re, 5 mars 2008, no 07-11.667, publié). La jurisprudence, fixée depuis de nombreuses années, considère avec constance que les associés sont bel et bien représentés à l’instance par le représentant légal de la société (V. par exemple : Cass. com. 23 mai 2006, no 04-20.149, publié).

La seule possibilité pour l’associé est alors d’invoquer l’une des deux exceptions qui permettent l’ouverture de la tierce opposition aux représentés. Son droit d’agir sera d’abord reconnu s’il parvient à démontrer l’existence d’une fraude à ses droits ou s’il fait valoir des moyens qui lui sont propres, autrement dit, des moyens que le représentant n’aurait pas été en mesure d’invoquer. L’apport principal de l’arrêt est de reconnaître l’existence d’un moyen propre à l’associé qui cherche à contester une restructuration de capital prévue à son détriment par le plan de redressement.

La protection de l’associé menacé de dilution

La question du domaine de la tierce opposition est particulièrement sensible en droit des entreprises en difficulté. Les impératifs de la procédure peuvent inciter à restreindre les possibilités de contestation ouvertes aux tiers. Pourtant, depuis la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, la tierce opposition a été largement ouverte, tant à l’encontre du jugement d’ouverture, que de celui prononçant une extension de procédure (C. com., art. L. 661-2), ou encore de la décision arrêtant le plan de sauvegarde ou de redressement (C. com., art. L. 661-3).

Le problème prend une tournure particulière lorsque le plan prévoit une mesure qui peut se traduire par la dilution d’un associé contre son gré. C’était précisément l’effet du plan contesté, qui exploita la possibilité offerte par l’article L. 631-9-1 du code de commerce, lorsque les capitaux propres sont devenus inférieurs à la moitié du capital social. Si l’on peut y voir l’expression de la contribution aux pertes de l’associé, la mesure est néanmoins forte, et a d’ailleurs été contestée lors de son entrée en vigueur (Ord. du 12 mars 2014) : au nom du sauvetage de l’entreprise, le plan peut désormais porter atteinte aux droits de l’associé qui ne souhaite pas ou n’est pas en mesure de souscrire à l’augmentation de capital.

La solution adoptée par la chambre commerciale est à rebours de la tendance, observée depuis quelques années, d’autoriser une « mise à l’écart » de certains associés ou dirigeants lorsque le redressement de l’entreprise l’exige. Plus exactement, l’arrêt tempère la rigueur de ces nouveaux principes en cherchant à ménager les droits de l’associé, même récalcitrant, en lui ouvrant malgré tout la tierce opposition, dès lors (comme en l’espèce) qu’il critique précisément la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'exercer ses droits de vote aux fins d'approuver un coup d’accordéon réservé à d'autres associés que lui. Le raisonnement est difficilement contestable : la privation du droit de vote, ainsi que la dilution qu’il subit, sont des griefs qui sont évidemment propres à l’associé concerné.

La publication de cet arrêt de cassation – prononcée pour violation de la loi – s’explique sans doute par la résistance opposée par certaines juridictions du fond. En effet, la chambre commerciale avait déjà censuré une décision de cour d’appel ayant déclaré irrecevable la tierce opposition de l’associé, dans des circonstances très proches (Cass. com., 31 mars 2021, n° 19-14.839, publié). Le plan avait décidé d’une réduction du capital à zéro, suivie d’une augmentation réservée à un actionnaire devenu unique. La cour d’appel avait refusé de faire droit à la tierce opposition de l’associé évincé, qui invoquait la perte de sa qualité d’associé et l’atteinte portée à son droit préférentiel de souscription, motif pris de ce que ces moyens, qui concernent la collectivité des associés et ont été débattus à l’instance, n’étaient pas propres à l’associé opposant. La cassation fut sèchement prononcée, toujours pour violation de la loi, le moyen propre n’étant pas celui que peut exclusivement invoquer un associé considéré individuellement.

Ces arrêts sont vraisemblablement appelés à rayonner au-delà du strict domaine de l’article L. 631-9-1 du code de commerce. Une conclusion analogue devrait en effet a fortiori s’imposer lorsque le plan prévoit une mesure de dilution ou de cession forcées, conformément à l’article L. 631-19-2 du code commerce. Consacrée par la loi Macron du 6 août 2015, la mesure est encore plus lourde pour l’associé évincé car elle n’est pas conditionnée par les critères de l’article L. 225-248 du même code. Au point que sa constitutionnalité fut discutée, mais finalement reconnue (Cons. const., 5 août 2015, n° 2015-715 DC). S’il est vrai que l’associé concerné est entendu par le tribunal lorsqu’une telle mesure est projetée, cela ne suffit pas pour en faire une partie à l’instance.

Que penser de l’opportunité de ces solutions ? La quête du point d’équilibre entre intérêt social, intérêt des associés et celui des créanciers est, on le sait, une gageure. En l’occurrence, la multiplication des recours peut certainement risquer de perturber le bon déroulement de la procédure et in fine compromettre, peut-être, les chances de sauvetage. Certes, l’effet relatif de la tierce opposition atténue quelque peu ce danger : elle empêche simplement le jugement de produire effet à l’égard du tiers opposant, sans affecter la portée du jugement entre les parties (C. proc. civ., art. 591). Pour autant, l'admission au fond de la tierce opposition devrait logiquement conduire à faire obstacle à la dilution de l’associé.

 

Akram El Mejri,
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

 

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L'équipe du CROCIS

Soumis par npagnoux le ven 10/02/2023 - 15:10
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Le responsable

Julien Tuillier LinkedIn 

Julien est titulaire d’un DESS de Conseil en Organisation et Stratégie des entreprises de l’Université Paris 1. Fort d’une expérience de 5 ans dans un cabinet de conseil en immobilier d’entreprise, Julien rejoint le CROCIS de la CCI Paris Ile-de-France en 2010 avec pour missions de suivre l’activité du commerce et du développement durable et de réaliser des études sur ces thèmes. Il prend également en charge l’ensemble des enquêtes entreprises du CROCIS et des prestations rémunérées (particulièrement l’accompagnement au déploiement d’observatoires économiques).

Julien devient responsable du CROCIS en 2021 et dirige aujourd’hui l’équipe composée de 7 personnes, avec pour objectif de développer le service, renforcer sa visibilité auprès des partenaires internes / externes, développer le chiffre d’affaires et produire des études & enquêtes en lien avec les entreprises franciliennes.

Les experts

Yves Burfin LinkedIn Responsable d’études (Industrie - Démographie d’entreprises - Enquêtes) 

Yves est Titulaire d’un Master 2 d’économie de l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et d’un certificat de Data Analyst. Il est en charge, au sein du CROCIS, des études sur l’industrie, le commerce extérieur, la création d’entreprises, la transmission d’entreprises et chef de projet des chiffres clés de la région Ile-de-France. Ses partenaires de travail réguliers sont l’Insee Ile-de-France, L’Institut Paris Region et Choose Paris Region.

Bénédicte Gualbert - Responsable d’études (Services - Commerce - Développement durable)

Diplômée de l'Université de Nice et du Conservatoire National des Arts et Métiers, Bénédicte fait partie du CROCIS depuis une dizaine d'années. Elle a réalisé des publications en partenariat avec l'Insee Ile-de-France, l'Institut Paris Région, ou Paris Capitale Economique. Elle a également collaboré avec des fédérations professionnelles, notamment dans le cadre d'enquêtes auprès de leurs adhérents. Elle a rédigé une des premières études sur le phénomène des tiers-lieux en Ile-de-France. En charge du secteur du commerce, elle a analysé la recomposition du paysage commercial francilien après le Covid-19. Sensible à l'impératif du développement durable, elle aborde la question de la transition écologique au sein des entreprises franciliennes via des enquêtes afin d'identifier précisément les difficultés dans ce domaine.

Mickaël Le Priol LinkedIn Responsable d’études (Conjoncture - Benchmark européen) Statisticien-économiste 

Mickaël est diplômé de l’Université de Rennes 1. Au CROCIS, il est responsable de l’analyse de la conjoncture économique en Ile-de-France et rédige notamment chaque trimestre le tableau de bord économique de l’Ile-de-France ; c’est aussi lui qui réalise les études de benchmark qui consistent à comparer la région-capitale française avec d’autres grandes métropoles européennes. Du fait de son parcours professionnel (Observatoire régional du tourisme de Bretagne, Direction des congrès et salons de la CCI Paris Ile-de-France, etc.), c’est également le spécialiste du secteur du tourisme. Les missions de Mickaël le conduisent régulièrement à travailler en partenariat avec l’Insee Ile-de-France, l’Institut Paris Région ou encore le Comité Régional du Tourisme Paris Ile-de-France.

La cellule de Veille

Marielle Guerard LinkedIn Responsable de la veille économique

Depuis plus de 30 ans, Marielle mets en place des systèmes d’information et de connaissances. Elle a acquis au sein du CROCIS des compétences expertes en matière de veille stratégique (certification CNAM 2016). Elle développe quotidiennement des process de veille spécifiques pour les collaborateurs et directions de la CCIR afin de répondre au plus près à leurs besoins d’information en matière notamment de création d’entreprise, d’e-commerce, d’industrie, de marketing digital

Charlotte Bizieux LinkedIn Chargée de veille

Charlotte travaille avec Marielle sur la veille économique. Diplômée en gestion de l'information et en Intelligence économique, elle réalise des veilles territoriales, sectorielles et concurrentielles au sein du CROCIS suivant les demandes des CCID et CCIT ainsi que des collaborateurs. Elle mets en place des plans de surveillance de l'information plus particulièrement dans le domaine du développement durable, des réseaux d'entreprise, de l'entrepreneuriat féminin, du tourisme...

Administratif et communication

Isabelle Burgot LinkedIn Assistante

Isabelle est diplômée en langues étrangères (anglais allemand) Isabelle travaille notamment en binôme avec Yves Burfin sur la publication de la brochure annuelle « Chiffres-clés ». Elle gère la facturation de nos prestations, assure le suivi comptable et est garante du suivi administratif. En lien direct avec chacun, elle attache une grande importance à la dimension humaine dans les relations professionnelles.

Nathalie Pagnoux LinkedIn Responsable PAO WEB

Nathalie est diplômée d’un BTS en édition et également un diplôme Supérieur en communication, Nathalie travaille depuis 1999 au sein du CROCIS, où son poste n’a cessé d’évoluer, elle a passé également une certification en 2018 en community management pour pouvoir piloter le compte Twitter. Elle a la charge de mettre en page les différentes études réalisées par l'équipe, mais également d’alimenter le site internet CROCIS.

 

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Pluralité de gérants dans une SARL : à faute individualisée, action propre !

Soumis par sfournier le mer 08/02/2023 - 08:11

Lettre CREDA-sociétés 2023-03 du 8 février 2023

La gérance, dans les sociétés à responsabilité limitée, peut être exercée par plusieurs personnes physiques selon l’article L. 223-18 du Code de commerce. La chambre commerciale de la Cour de cassation a, dans un arrêt rendu le 25 janvier 2023 (Cass. com., 25 janvier 2023, n° 21-15.772), l’occasion d’apporter une précision sur les conditions processuelles de mise en œuvre de la responsabilité civile lorsqu’un cogérant commet une faute.

 

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Il est question, dans cette décision, d’une personne physique ayant, à titre personnel, un commerce de restauration situé dans un centre commercial. Cette personne est par ailleurs cogérante d’une SARL, exploitant un supermarché dans ce même centre commercial. La personne physique ayant démissionné de ses fonctions de cogérante, la SARL engage sa responsabilité civile, aux motifs que la société avait payé les factures d’électricité du commerce de restauration. Ce faisant, la cogérante avait commis une faute de gestion en mettant à la charge de la SARL des sommes qu’elle ne devait pas supporter.

La Cour d’appel de Nouméa rejette l’action sociale, au motif que celle-ci n’est engagée qu’à l’encontre d’un seul cogérant, alors qu’elle aurait dû être dirigée « à l’encontre de l’ensemble des cogérants ». La chambre commerciale censure l’arrêt, au visa de l’article L. 223-22 du Code de commerce, affirmant que « la pluralité de gérants ne fait pas obstacle à ce que leur responsabilité soit engagée de manière individuelle ».

Cet arrêt présente l’intérêt de rappeler la particularité de la pluralité de gérants au sein d’une SARL, puis d’aborder les modalités de mise en œuvre de la responsabilité civile lorsqu’un gérant commet une faute de gestion.

La pluralité de gérants dans une SARL

L’arrêt offre la possibilité de rappeler les modalités de la gérance de SARL lorsque plusieurs personnes sont chargées de l’exercer. La répartition des pouvoirs, dans l’hypothèse d’une pluralité de gérants, nécessite une distinction.
D’une part, dans les relations internes à la société, les statuts peuvent prévoir une répartition des pouvoirs. Ainsi, plusieurs gérants peuvent avoir des pouvoirs distincts et donc ne pas avoir de compétences concurrentes, ce qui permet d’avoir une gérance lisible. Un gérant qui ne respecterait pas une telle limitation des pouvoirs engagerait sa responsabilité pour méconnaissance des stipulations statutaires.

D’autre part, à l’égard des tiers, chaque cogérant dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société (article L. 223-18 du Code de commerce). Chaque gérant peut donc engager la société comme il le souhaite, sans se soucier d’une quelconque limitation statutaire de ses pouvoirs, qui n’est pas opposable aux tiers.

Si chaque gérant est donc le représentant légal de la société, un cogérant engage-t-il les autres gérants pour autant ? En d’autres termes, la faute commise par un cogérant engage-t-elle la responsabilité civile des autres ?

La responsabilité civile des cogérants de SARL

La chambre commerciale de la Cour de cassation apporte dans cette décision une réponse à cette question, qui n’est pas réglée par la lettre de l’article L. 223-22 du Code de commerce. Cet article, cité au visa de l’arrêt, dispose que « Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ». Par ailleurs, lorsque plusieurs gérants ont commis la même faute, il reviendra au tribunal de fixer leur part contributive.

En l’espèce, la faute de gestion commise ne l’était que par une seule cogérante, bien qu’il soit « constant que celle-ci n’était pas la seule cogérante de la société ». Les juges du fond avaient alors, devant le constat d’une gérance multiple, conclu que l’action en responsabilité ne pouvait être engagée qu’à l’encontre de tous les cogérants. Ils avaient assimilé la règle de contribution à une règle de procédure : pour engager la responsabilité de la cogérante du fait de sa faute de gestion, il aurait fallu introduire l’action à l’encontre de tous les cogérants, à charge pour le juge de déterminer par la suite qu’un seul des cogérants était fautif, et que lui seul devait contribuer aux réparations.

C’est sur ce point que la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel. Dans l’hypothèse d’une pluralité de gérants, de deux choses l’une :

  • Soit, la faute a été clairement commise par un seul cogérant, et les victimes – qu’il s’agisse de la société, des associés ou des tiers – pourront uniquement assigner le cogérant fautif qui assumera seul les conséquences de sa faute ;
  • Soit, il existe un doute quant à l’identité du gérant auteur de la faute, et les victimes pourront assigner les cogérants, qui seront solidairement responsables, mais dont la contribution dépendra de leur part dans la commission de la faute.

La présente décision offre donc une précision importante : le régime de responsabilité solidaire induit par la gérance collégiale n’emporte pas de conséquences processuelles. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’il est possible que les cogérants soient responsables solidairement en cas de faute de gestion qu’il est nécessaire d’engager une action en responsabilité à l’encontre de tous les cogérants, s’il est possible de rattacher exclusivement la faute à l’un des cogérants.

En revanche, et dans un tel cas de figure, cela ne signifie pas pour autant que les autres cogérants voient leur responsabilité écartée. Ces derniers pourraient voir leur responsabilité engagée pour la commission d’une autre faute, celle liée à un défaut de surveillance, si un tel devoir apparaît statutairement. Une telle action ne pourrait toutefois être envisageable que par le biais de l’action sociale ut singuli, c’est-à-dire celle engagée par des associés au nom de la société, ou par de nouveaux gérants.

In fine, lorsque l’action est engagée par un tiers, ne serait-il pas préférable, dans le doute, d’assigner tous les cogérants, sans avoir à rechercher l’imputabilité de la faute ? Cette solution n’est sans doute pas celle proposée par la chambre commerciale dans cet arrêt, qui ne l’interdit pas pour autant…


Matthieu Zolomian
Maître de conférences à l’Université d’Angers

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Coup d’accordéon : la réduction du capital à zéro indissociable de son augmentation

Soumis par sfournier le mer 25/01/2023 - 12:55

Lettre CREDA-sociétés 2023-02 du 25 janvier 2023

Dans un arrêt du 4 janvier 2023 (Cass. com., 4 janv. 2023, n° 21-10.609, F-B), la Cour de cassation énonce que, dans une société par actions, la réduction du capital à zéro ne peut produire légalement effet tant que l’augmentation de son capital n’a pas été réalisée. Jusqu’à cette augmentation effective du capital, les actionnaires concernés par la réduction demeurent associés. La solution est opportune, mais la référence à l’article L. 224-2 du Code de commerce peut surprendre.

 

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Contexte de la solution

En 2015, les actionnaires d’une société par actions simplifiée avaient décidé la réduction du capital à zéro et l’augmentation du capital par création d’actions nouvelles, avec maintien du droit préférentiel de souscription. Seul l’actionnaire majoritaire souscrivit à celle-ci. Un des actionnaires minoritaires, ainsi évincé, avait alors saisi le juge des référés afin de demander la suspension des décisions de cette assemblée. Il estimait n’avoir pas été mis en mesure de souscrire à cette augmentation du capital. Dans son ordonnance, le Président du tribunal de commerce fit droit à sa demande en suspendant les résolutions de l’assemblée constatant la souscription de l’augmentation du capital, mais non celles relatives à la réduction du capital à zéro et au principe de son augmentation.

Un mois après la décision du juge des référés, l’actionnaire majoritaire – se croyant associé unique – décida d’un apport partiel d’actif d’une branche d’activité de la SAS à une autre société, détenue par la SAS et une autre personne. Le minoritaire évincé a alors agi en nullité de la décision d’apport partiel d’actif ; mais la Cour d’appel de Paris déclara irrecevable son action. Le minoritaire évincé n’avait plus, selon elle, la qualité d’associé au jour de l’introduction de son action, ce qui le privait donc de toute qualité à agir en nullité de la délibération litigieuse. Pour justifier sa solution, la cour d’appel avait retenu que le juge des référés n’avait suspendu que la seule résolution relative à la souscription de l’augmentation de capital. Celle relative à la réduction du capital était toujours effective de sorte que le minoritaire avait perdu sa qualité d’actionnaire.

Solution de la Cour

Au visa des articles L. 210-2 et L. 224-2 du Code de commerce, la chambre commerciale énonce que « la réduction à zéro du capital d’une société par actions n’est licite que si elle est décidée sous la condition suspensive d’une augmentation effective de son capital amenant celui-ci à un montant au moins égal au montant minimum légal ou statutaire ». Elle en conclut que la cour d’appel aurait dû déduire de la suspension de la réalisation de l’augmentation de capital que « la résolution décidant de la réduction à zéro du capital de la société ne pouvait, sauf à priver cette société de tout capital, légalement produire effet, peu important que la suspension de cette résolution n’ait pas été ordonnée en référé, de sorte que [le minoritaire] avait conservé, à la date à laquelle il avait introduit son action, la qualité d’actionnaire ». L’arrêt d’appel est donc cassé.

Il ne paraît pas très contestable que le minoritaire avait toujours la qualité d’associé au jour de l’introduction de son action en nullité de l’apport partiel d’actif. Dans le cas contraire, il aurait fallu admettre qu’aucune personne n’avait la qualité d’associé depuis la suspension de l’augmentation de capital par le juge des référés. On aurait été alors confronté à une figure insolite : la société sans associé ! Il est donc parfaitement opportun de conférer un caractère indissociable de la réduction du capital à zéro avec son augmentation subséquente dès lors que l’on tient pour acquis – mais la question pourrait être discutée – que la réduction du capital à zéro emporte la perte de la qualité d’associé. Pour justifier cette solution opportune, la Cour de cassation se fonde sur deux textes : les articles L. 224-2 et L. 210-2 du Code de commerce.

L’article L. 224-2 du Code de commerce

L’article L. 224-2 du Code de commerce, figurant dans le chapitre intitulé « Dispositions générales applicables aux sociétés par actions », fixe dans son premier alinéa à 37 000 € le capital social minimum dans une société par actions. Dans son deuxième alinéa, il est prévu que « la réduction du capital social à un montant inférieur ne peut être décidée que sous la condition suspensive d’une augmentation de capital destinée à amener celui-ci à un montant au moins égal au montant prévu à l’alinéa précédent ». En cas d’inobservation de cette exigence, toute personne peut demander en justice la dissolution de la société. La référence à cet article suscite au moins deux difficultés.

  • La première, et non des moindres, est que cet article n’est pas applicable à la société par actions simplifiée. Le troisième alinéa de l’article L. 227-1 du Code de commerce exclut expressément l’application de l’article L. 224-2 à la SAS et ce depuis la loi LME du 4 août 2008.
  • La seconde difficulté réside dans le fait que la chambre commerciale n’applique pas véritablement ce texte. En effet, ce texte ne confère pas un caractère indissociable entre la réduction du capital en-dessous du minimum légal et l’augmentation du capital. Cette disposition envisage seulement la possibilité de demander la dissolution de la société sous réserve d’une éventuelle régularisation, ce qui démontre que la réduction du capital produit tout de même effet.

L’article L. 224-2 n’est donc ni applicable, ni appliqué par la chambre commerciale. Il est alors possible de douter qu’il soit le fondement de la solution ainsi retenue. Tout au plus, cette disposition constitue-t-elle une source d’inspiration dont elle aurait dû se garder d’en faire mention dans le visa. L’inspiration n’est pas particulièrement heureuse, d’ailleurs, lorsque la Cour précise que l’augmentation effective du capital doit amener celui-ci à un montant au moins égal au minimum légal – elle vise les SA et SCA – ou statutaire – elle vise les SAS. En dehors des sociétés à capital variable, quels statuts de SAS fixent un montant minimal du capital social que les associés ne pourraient jamais modifier ?

L’article L. 210-2 du Code de commerce

L’article L. 210-2 énumère les différents éléments que doivent déterminer les statuts d’une société commerciale et parmi lesquels figure le montant du capital social. De ce texte, la Cour de cassation paraît en déduire l’impossibilité, pour une société par actions, d’être dépourvue de tout capital social. En effet, dans la conclusion de ses motifs, la chambre commerciale précise que la réduction du capital à zéro ne pouvait « légalement produire effet » en l’absence d’une augmentation effective du capital, car sinon la société serait privée de tout capital social. Assurément, cet article paraît être le véritable fondement de l’arrêt. Quatre remarques.

  • Il serait à nouveau possible de discuter de l’applicabilité à la SAS de l’article L. 210-2 en ce qui concerne la détermination du montant du capital social. L’ordonnance n° 2009-80 du 22 janvier 2009 a supprimé l’alinéa 2 de l’article L. 227-2 énonçant que « le montant du capital social est fixé par les statuts ». Supprimer une disposition du droit spécial reprenant le contenu d’une disposition générale, est-ce évincer le droit commun ? On peut en douter.
  • Toujours est-il que la Cour de cassation applique ce texte et pose donc le principe dans la SAS, et plus généralement dans les sociétés par actions, de l’existence d’un capital social. Et s’il faut un capital social en cours de vie sociale, il est possible logiquement d’en déduire qu’une société par actions ne peut pas être constituée sans capital social, sans apports en nature ou en numéraire, sans capitaux, même si le législateur admet l’émission d’actions inaliénables dans une SAS (C. com., art. L. 227-1).
  • Autre enseignement de cet arrêt, la suspension de l’effet de la réduction du capital à zéro est de source légale, à savoir l’article L. 210-2 imposant l’existence d’un capital social. Il n’est alors pas indispensable de stipuler cette condition suspensive dans la résolution contrairement à ce que suggère l’attendu de principe (« la réduction n’est licite que si elle est décidée sous la condition suspensive… »). D’ailleurs, en l’espèce, une telle condition avait été effectivement stipulée et pourtant la Cour de cassation ne se fonde pas sur elle, et sur le principe de la force obligatoire des contrats, pour retenir sa solution.
  • Dernière remarque : cette solution est-elle transposable à l’ensemble des sociétés commerciales ? La référence à l’article L. 210-2, qui relève du droit commun des sociétés commerciales, inviterait à le penser. Pour autant, la réponse n’est pas évidente tant le capital social n’occupe pas la même place selon que la société est à responsabilité limitée ou non. Par exemple, dans une SARL, l’article L. 223-42 du Code de commerce, traitant de la situation dans laquelle les capitaux propres sont devenus inférieurs à la moitié du capital social, n’aurait aucun sens en l’absence de capital social. C’est la fonction de garantie des tiers, malmenée par l’absence d’un montant minimal, qui justifie l’existence d’un capital social. En revanche, dans une SNC, le capital social assure uniquement une fonction de répartition supplétive des droits financiers ce qui pourrait justifier d’en faire l’économie. D’ailleurs, il est coutume d’enseigner qu’une SNC pourrait être constituée uniquement avec des apports en industrie.


Gauthier Le Noach
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

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L’usufruitier n’a pas la qualité d’associé : conséquence fiscale…

Soumis par sfournier le jeu 12/01/2023 - 09:06

Lettre CREDA-sociétés 2023-01 du 11 janvier 2023

La cession de l’usufruit de parts sociales d’une société civile immobilière est-elle soumise au droit d’enregistrement au taux proportionnel de 5 % ? La Cour de cassation répond par la négative dans un arrêt du 30 novembre 2022 (Cass. com., 30 nov. 2022, n° 20-18.884, FS-B). La cession de l’usufruit de droits sociaux est hors du champ des droits de mutation à titre onéreux. La question était inédite. La solution de la chambre commerciale mérite donc d’y consacrer quelques développements, d’autant qu’elle fera l’objet d’une publication au bulletin.

 

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Contexte de la solution

Les droits de mutation à titre onéreux ont un champ d’application beaucoup plus restreint que celui des droits de succession ou de donation. Ils ne frappent que certaines mutations prévues par un texte particulier. L’interprétation de ces textes présente alors un enjeu essentiel car, selon que la mutation entre ou non dans son champ d’application, elle sera ou non soumise aux droits d’enregistrement proportionnels.

En matière de cession de titres sociaux, le I de l’article 726 du Code général des impôts soumet « les cessions de droits sociaux » à un taux, assis sur le prix de cession, de 1 % pour « les cessions d’actions » non négociées sur un marché règlementé – pour celles qui y sont négociées, la taxe est due seulement lorsque la cession est constatée dans un acte –, de 3 % pour « les cessions (…) de parts sociales » et de 5 % pour « les cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière ».

Lorsque la cession porte sur la pleine propriété de parts sociales ou d’actions, l’application des droits de mutation ne fait aucun doute ; mais lorsque la cession porte sur le seul usufruit de titres sociaux, est-on toujours en présence d’une cession de droits sociaux, au sens de l’article 726 du Code générale des impôts, soumise aux droits d’enregistrement proportionnel ? Tel est l’enjeu de l’affaire soumise à la chambre commerciale dans l’arrêt du 20 novembre 2022.

Le cessionnaire de l’usufruit de parts sociales d’une société civile à prépondérance immobilière, ayant estimé que cette cession n’était pas incluse dans le champ d’application de la taxe, s’était contenté d’acquitter, lors de la présentation à l’enregistrement de l’acte de cession, le droit fixe de 125 € (CGI, art. 680). L’Administration fiscale ne partageait pas son avis et lui avait notifié une proposition de rectification des droits d’enregistrement pour un montant de 510 000 €.

Solution en appel

La Cour d’appel de Paris se rallia à la position de l’Administration fiscale en formulant deux arguments (CA Paris, Pôle 5, ch. 10, 29 juin 2020, n° 18/27154). En premier lieu, elle estima que « le terme “cession“, au sens de cet article, n’est pas uniquement limité à l’acte définitif de la cession de l’intégralité d’une ou plusieurs parts sociales, mais s’entend de toute transmission temporaire ou définitive de la part sociale elle-même ou de son démembrement, telle la cession de l’usufruit ou de la nue-propriété, le texte ne distinguant pas selon que la cession porte sur la pleine propriété ou sur un démembrement de celle-ci, même si d’autres dispositions du code général des impôts procèdent à une telle différenciation ». En second lieu, la cour ajoute que « la cession litigieuse a entraîné le transfert d’éléments de participation dès lors qu’en se dépossédant de l’usufruit des titres, les associés de la société civile immobilière NSG, qui ont perdu leur droit au bénéfice des dividendes, ont également perdu leur droit de vote afférent aux parts sociales cédées ».

S’il est important de s’attarder quelques instants sur l’argumentation de la cour d’appel, c’est en raison du double sens qu’elle confère aux « droits sociaux » ou, plus exactement, des deux approches qu’elle retient. Dans un premier sens, qui est l’approche du droit des biens, les droits sociaux désignent la part sociale ou l’action, à savoir le bien meuble par détermination de la loi. Pour les conseillers, la cession de l’usufruit de parts sociales serait effectivement une cession de droits sociaux, la généralité du texte justifiant de ne pas distinguer. Dans un second sens, qui est plutôt celui du droit des sociétés, les droits sociaux seraient les droits attachés à la qualité d’associé, qui, selon la cour, seraient partiellement transmis en cas de cession de l’usufruit de titres sociaux. Ainsi, pour résumer l’argumentation de la Cour d’appel de Paris, il y aurait cession de droits sociaux lorsqu’un droit sur les titres sociaux serait cédé ou, ce qui reviendrait presque au même, lorsque des prérogatives sociales seraient transmises.

Solution de la Cour

La Cour de cassation condamne cette interprétation et casse l’arrêt d’appel.

Dans ses motifs, la chambre commerciale commence par rappeler que, au terme de l’article 726 du Code général des impôts, « les cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d’enregistrement proportionnel ». Ce rappel peut paraître bien inutile. Il a néanmoins le mérite de montrer que les termes clés pour l’interprétation de cet article sont « droits sociaux » et non « parts sociales », « actions » ou « participation dans une personne morale ».

Ensuite, en se fondant sur l’article 578 du Code civil, elle énonce que « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. Il en résulte que l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire, de sorte que la cession de l’usufruit de droits sociaux ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux ». La Cour en conclut alors que « la cession de l’usufruit de droits sociaux, qui n’emporte pas mutation de la propriété des droits sociaux, n’est pas soumise au droit d’enregistrement applicable aux cessions de droits sociaux » et, statuant au fond, prononce la décharge des droits d’enregistrement supplémentaire mis en recouvrement par l’Administration fiscale.

L’argumentation de la Cour est quelque peu déroutante. A s’en tenir à la seule conclusion, les conseillers semblent limiter les cessions de droits sociaux, au sens de l’article 726, aux seules cessions de la propriété des parts sociales ou des actions. Non seulement la Cour semble retenir une approche exclusivement de droit des biens, plutôt classique en matière de droits d’enregistrement, mais en outre elle interpréterait strictement le texte.

Mais alors qu’elle est l’utilité du rappel de sa jurisprudence dorénavant classique depuis l’avis de la chambre commerciale du 1er décembre 2021 (v. lettre CREDA-Societes n° 2022-02) et l’arrêt de la 3e chambre civile du 16 février 2022, selon laquelle l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé ? Si l’approche du droit des biens suffit à l’interprétation de l’article 726, pourquoi opérer le détour par la qualité d’associé ? Est-ce uniquement pour réfuter l’argumentation de la cour d’appel sur la transmission de certains droits d’associé ? Proposons l’explication suivante : l’approche du droit des biens n’est pas suffisante car, pour la Cour de cassation, la cession de droits sociaux serait avant tout la cession de la qualité d’associé. Il importe moins de savoir si la cession emporte transfert de la pleine-propriété des titres sociaux, de la nue-propriété ou d’un autre droit réel – même s’il s’agit d’un excellent indice – que si l’opération emporte la transmission de la qualité d’associé elle-même. Cette interprétation permet d’ailleurs de conserver dans le domaine de l’article 726 les cessions de droits sociaux dans une société en participation ou une société créée de fait, opération que la Cour de cassation qualifie de « cession par les participants des droits qu’ils tiennent du contrat de société ».

En définitive, et bien que l’arrêt ne concernât que la cession de parts sociales dans une société civile à prépondérance immobilière, il est possible de considérer, en transposant la solution au-delà, que toutes les cessions d’usufruit de titres sociaux devraient échapper aux droits d’enregistrement proportionnels car ces opérations n’emportent pas transmission de la qualité d’associé.

Et la neutralité fiscale ?

La principale critique que l’on peut formuler à l’encontre de cet arrêt est de l’ordre de la politique fiscale. Cette solution heurte, en effet, le principe de neutralité fiscale de la détention directe ou indirecte de l’immeuble. Certes, à la différence d’autres textes, notamment en matière d’imposition des plus-values, l’article 726 n’assimile pas la cession de titres sociaux d’une société à prépondérance immobilière à la cession de l’immeuble (CGI, art. 682). Mais, l’esprit de ce texte, en soumettant la cession de tels titres sociaux à un taux équivalent (5 %) à celui des cessions immobilières (5,807 %), n’est-il pas de traiter de la même façon la cession directe et celle indirecte de l’immeuble ? Il serait ainsi curieux que la cession de l’usufruit d’un immeuble soit soumise aux droits d’enregistrement et non la cession de l’usufruit des parts d’une société à prépondérance immobilière. La loi de finances pour 2023 est passée, mais peut-être que le législateur se saisira de la question dans le futur. A suivre…


Gauthier Le Noach
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

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Les lettres du CREDA publiées en 2023

Soumis par cfaure le mer 11/01/2023 - 13:17
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Les lettres d'information creda-sociétés présentent sous forme synthétique un élément d'actualité du droit des sociétés – législative, jurisprudentielle, doctrinale, économique – ou mettent en évidence une difficulté à laquelle la pratique des affaires est confrontée.

Elles offrent un espace d'échanges et de propositions visant à perfectionner le système juridique auquel sont soumises les entreprises françaises.

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Le coemploi n’est pas mort !

Soumis par sfournier le mer 07/12/2022 - 15:47

Lettre CREDA-sociétés 2022-19 du 7 décembre 2022

Le coemploi, dont on craignait l’extinction en raison d’un resserrement très net de sa définition en 2020, est toujours vivace. En effet, par un important arrêt rendu le 23 novembre 2022 (n° 20-23.206 publié), la Cour de cassation confirme une décision de cour d’appel ayant qualifié une société mère de coemployeur des salariés de sa filiale, en raison d’une ingérence continuelle et anormale de la première dans la gestion de la seconde.

 

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Après avoir été licencié pour motif économique, un salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes dirigées contre son employeur, une société de transport, et sa société mère la contrôlant à 100 %, afin d’obtenir leur condamnation in solidum à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le demandeur estimait en effet que l’entité faîtière devait être considérée comme coemployeur. En cours d’instance, la filiale sera placée en liquidation judiciaire.

Le 15 septembre 2020, la Cour d’appel de Metz donna gain de cause au salarié, et la chambre sociale de la Cour de cassation rejettera le pourvoi formé par la société mère. Cette décision, l’une des rares à avoir caractérisé une situation de coemploi, nous offre l’occasion de revenir sur cette notion au contenu et aux contours difficiles à cerner.

I.   La nouvelle définition du coemploi

La notion de coemploi, d’origine jurisprudentielle (Cass. soc., 19 juin 2007, Aspocomp, n° 05-42.551, publié), a été consacrée pour traiter la situation dans laquelle une société n’est plus en mesure de faire face à ses obligations sociales (généralement en raison de son placement en procédure collective) : il s’agit de permettre à ses salariés d’agir à l’encontre d’un autre débiteur, souvent une société issue du même groupe, pour faire valoir leurs droits (reclassement, indemnités pour licenciement sans cause et sérieuse…). Cette construction, utile mais parfois décriée, est l’objet depuis son apparition de nombreuses discussions. Celles-ci ont essentiellement porté sur ses critères.

Le célèbre arrêt Molex (Cass. soc., 2 juill. 2014, n° 13-15.208, publié) avait fait reposer cette théorie sur le critère de la confusion d’intérêts, d’activités et de directions entre deux sociétés, se manifestant par une immixtion de l’une dans la gestion économique et sociale de l’autre. La pertinence du critère fut discutée. Son caractère équivoque avait aussi été remarqué : l’immixtion est-elle un critère autonome du coemploi, ou n’est-elle conçue que comme une conséquence de cette triple confusion ?

Afin de répondre à ces difficultés, la Cour de cassation, par une décision très commentée (Cass. soc., 25 nov. 2020, n° 18-13.769, FP-P+B+R+I), a fait le choix de renoncer à cette définition, et a même érigé l’immixtion en critère central du coemploi : la chambre sociale jugea en effet, au visa de l’article L. 1221-1 du code du travail, qu’« hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière ». Cette formule est reprise à la lettre dans l’arrêt présenté.

En exigeant désormais une immixtion permanente et une perte totale d’autonomie de la société employeur, le coemploi, dont la reconnaissance était déjà rarement acceptée, risque peut-être de déserter les prétoires (V. par exemple, sous l’empire du critère de la triple confusion : Cass. soc., 9 oct. 2019, n° 17-28.150 et s., FS-P+B, rejetant le coemploi alors que la cour d’appel avait relevé une centralisation de services supports, des conventions de trésorerie et de compensation, des dettes non réglées à la filiale, des facturations de prestations de services partiellement sans contrepartie, la maîtrise de sa facturation, et l'octroi par la société mère d'une prime exceptionnelle à ses salariés).

Le choix d’une définition restrictive se comprend aisément, le coemploi représentant une atteinte au principe de l’effet relatif des contrats (la société mère est tenue des obligations sociales contractées par la filiale à l’égard de ses salariés). Bien que le droit du travail poursuive des objectifs qui lui sont propres, la chambre sociale entend ménager le principe d’autonomie des personnes morales, consciente, sans doute, des dangers d’une conception trop élastique du coemploi pour l’organisation juridique des groupes. Pour autant, l’arrêt commenté témoigne de ce que la théorie du coemploi n’est pas en voie de disparition : le juge s’autorise, dans des circonstances assez exceptionnelles il est vrai, à occulter la barrière patrimoniale séparant une société mère et sa filiale.

II.   La caractérisation du coemploi

En dépit du resserrement des critères du coemploi, sa caractérisation repose toujours sur la technique du faisceau d’indices. En l’occurrence, les éléments de fait relevés par la cour d’appel étaient édifiants : la filiale n’avait plus de clients propres, dépendant totalement de la société mère qui lui sous-traitait des contrats de transport ; la société mère s’était substituée à la filiale dans la gestion de son personnel, sur le plan individuel et collectif, au point que cette dernière n’avait « plus aucune autonomie dans l'élaboration des tournées des chauffeurs, leurs plannings, les relations avec les clients et même la gestion des congés de maladie des chauffeurs ou de leur temps de vote pour les institutions représentatives du personnel » ; enfin, la « gestion financière et comptable » de la filiale était assurée par la société mère. Selon le juge du droit, les magistrats du fond ont bel et bien « caractérisé une immixtion permanente de la société mère dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière », et en ont exactement déduit l'existence d'une situation de coemploi.

Si l’arrêt mérite l’approbation, il démontre que la nouvelle conception du coemploi n’épuise pas toutes les incertitudes. En particulier, sa lecture attentive révèle l’importance du critère de l’immixtion permanente dans la gestion sociale. Est-ce à dire qu’une intrusion envahissante de la société mère dans la gestion des ressources humaines de la filiale suffirait à caractériser le coemploi ? En toute rigueur, une réponse négative devrait s’imposer, les critères dégagés étant cumulatifs (immixtion permanente dans la gestion économique et sociale, perte d’autonomie). Du reste, les juges du fond semblent avoir caractérisé une immixtion économique, en relevant que l’intégralité de l’activité de la filiale française portait sur des transports sous-traités par la société mère. En revanche, la prise en charge de la « gestion financière et comptable » de la filiale nous semble particulièrement vague.

En tout état de cause, afin de dissiper ces questionnements et par souci de cohérence, la caractérisation du coemploi ne devrait-elle pas, finalement, reposer exclusivement sur une analyse des relations de travail ?

III.   La nature juridique du coemploi

Par ailleurs, l’arrêt nourrira certainement les discussions autour de la nature juridique du coemploi. Peut-on y voir l’équivalent d’une situation de fictivité (C. com., art. L. 621-2, al. 2) ? Si le critère de la perte d’autonomie permet d’y penser, la concordance n’est sans doute pas parfaite, car la chambre sociale n’exige pas la disparition de toute vie sociale, et ne fait pas reposer cette construction sur l’absence d’affectio societatis. Un même constat peut être fait au sujet de la confusion des patrimoines, laquelle ne nécessite pas la démonstration d’une immixtion permanente dans la gestion du personnel.

Le rapprochement semble plus évident avec la théorie de l’apparence. L’on ne peut en effet s’empêcher de déceler un lien avec la solution récemment rappelée par la chambre commerciale, en vertu de laquelle une société mère ne peut être tenue de répondre de la dette d'une filiale que si son immixtion dans les relations contractuelles de cette dernière a été de nature à créer, pour son cocontractant, une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement qu'il était aussi le cocontractant de la société mère (Cass. com., 9 nov. 2022, n° 20-22.063, publié). La cohérence des approches suivies par les deux chambres de la Cour de cassation mérite, à cet égard, d’être remarquée.
Dans son esprit, le coemploi n’est pas non plus sans présenter une parenté avec la théorie de l'entité transparente du droit public, masque sous lequel une collectivité territoriale agit en fait directement (CE, 21 mars 2007, n° 281796, Commune de Boulogne Billancourt, publié au recueil Lebon, jugeant que « lorsqu'une personne privée est créée à l'initiative d'une personne publique qui en contrôle l'organisation et le fonctionnement et qui lui procure l'essentiel de ses ressources, cette personne privée doit être regardée comme transparente et les contrats qu'elle conclut pour l'exécution de la mission de service public qui lui est confiée sont des contrats administratifs »).


Akram El Mejri
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

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Action intentée à l’encontre d’une société absorbée : la fermeté est (toujours) de mise

Soumis par sfournier le lun 28/11/2022 - 14:32

Lettre CREDA-sociétés 2022-18 du 30 novembre 2022

Par une décision inédite rendue le 8 septembre 2022, la Cour de cassation juge qu’un acte introductif d’instance dirigé à l’encontre d’une société absorbée est atteint d’une irrégularité de fond, que l’intervention volontaire de la société absorbante ne saurait couvrir. L’arrêt mérite d’être remarqué car il répond à deux arguments intéressants : la violation du droit à un tribunal (CESDH, art. 6§1) ou encore du principe de l’estoppel (« Nul ne peut se contredire aux dépens d’autrui »).

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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Après avoir été indemnisé par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, un ancien salarié de la société EADS Airbus a cherché à faire reconnaître une faute inexcusable de son ancien employeur devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. La demande a cependant été déclarée irrecevable, car, au moment de l’introduction de l’instance, la société EADS Airbus avait été absorbée par la société Airbus Opérations. La solution sera confirmée par la cour d’appel de Rennes le 9 décembre 2020, et le pourvoi formé par le demandeur sera rejeté. L’argumentation développée par le pourvoi était pourtant habilement articulée.

I- L’intervention volontaire de l’absorbante

Reprochant aux juges du fond une violation des articles 32 et 126 du code de procédure civile, l’auteur du pourvoi estime que l’intervention volontaire de l’absorbante était de nature à régulariser les actes de saisine.

Le juge du droit répond sèchement que l’acte introductif d’instance adressé à une partie dépourvue de personnalité juridique est affecté d’une irrégularité de fond, et n’est pas régularisable.

L’on sait que les actes de procédure sont soumis à plusieurs exigences, sous peine de nullité. L’on distingue les irrégularités de forme, de celles de fond. Les premières, qui peuvent être couvertes (C. proc. civ., art. 121), ne sont des causes de nullité que si un texte le prescrit, et à la condition qu’elles causent un grief (C. proc. civ., art. 114). Pour les secondes, qui ne peuvent en principe pas être régularisées, les adages « Pas de nullité sans texte » et « Pas de nullité sans grief » sont sans effet (C. proc. civ., art. 119).

A priori, le choix d’un vice de fond s’avère ici pertinent. Le vice de forme renvoie au défaut ou au mauvais accomplissement d'une formalité requise par la loi. Le défaut de capacité d’ester en justice ne répond pas à cette définition, et figure bien au rang des irrégularités de fond (C. proc. civ., art. 117). Une société absorbée, donc dissoute, est évidemment privée de sa capacité de jouissance.

Le premier point qui pouvait poser question a trait au fait qu’en l’espèce, c’est le destinataire de l’acte qui était à la source de l’irrégularité. Si les prétoires jugent avec constance que le défaut de capacité de l’auteur de l’acte est un vice de fond (Cass. civ. 2ème, 20 janv. 2005, no 01-11.491, pour une société absorbée ; Cass. civ. 2ème, 27 sept. 2012, n° 11-22.278, jugeant que l’irrégularité ne peut pas être couverte par l’intervention volontaire de l’absorbante en cause d’appel), certaines incertitudes planent sur l’hypothèse inverse.

La Cour de cassation a donc choisi d’opérer l’analogie entre les deux situations, à l’instar d’autres décisions (Cass. civ. 2ème, 23 sept. 2010, no 09-70.355). L’on pourrait cependant objecter qu’en toute rigueur, le défaut de capacité devrait, pour constituer un vice de fond, émaner de l’auteur de la manifestation de volonté. Ne pouvait-on pas plutôt constater un vice de forme régularisable, en considérant que le demandeur avait commis une erreur d’identification du défendeur, en confondant l’absorbée et l’absorbante ? Cette confusion est d’autant plus compréhensible que l’ensemble du passif de l’absorbée fut transmis à l’absorbante (C. com., L. 236-3), en ce inclus l’obligation (contestée) d’indemniser le salarié en raison d’une faute, même inexcusable, de la première (Cass. soc., 29 avr. 1980, 79-11.496, publié). Le point de référence étant le fait générateur, cette dette potentielle est transmise même si aucune décision de justice n’est encore intervenue (Cass. com., 2 févr. 2010, no 09-11.938, publié). L’on décèle dans cette prise de position la volonté de faire produire plein effet à la personnalité juridique des groupements sociétaires, au prix d’un certain manque de pragmatisme.

Relevons en outre que certains arrêts ont tendance à voir dans ce type d’irrégularité une fin de non-recevoir tirée de l’article 32 précité, selon lequel « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ». La chambre commerciale avait ainsi jugé qu’est irrecevable une demande formulée à l’encontre d’une société absorbée (Cass. com., 7 juill. 2009, no 08-19.827) ou encore d’une société en formation (Cass. com. 20 juin 2006, no 03-15.957, publié). Une telle qualification peut se concevoir si l’on analyse la réalité du destinataire de l’acte comme une condition d’existence même du droit d’action.

L’arrêt présente une ambigüité, puisque, tout en évoquant une irrégularité de fond, il vise cet article 32. Mais cette apparente confusion est sans conséquence : que l’on y décèle un vice de fond ou une fin de non-recevoir, l’absence de personnalité juridique du défendeur ne peut jamais être couverte. Ces deux moyens de défense suivent très sensiblement le même régime, au point qu’ils sont parfois confondus : ils peuvent tous deux être soulevés sans grief (C. proc. civ., art. 119 et 124), et à tout moment de la procédure (C. proc. civ., art. 118 et 123).

II- Le droit d’accès à un tribunal

L’auteur du pourvoi cherchait ensuite à faire valoir que, si la loi peut restreindre le droit d’accès à un tribunal (CESDH, art. 6§1) en instaurant des conditions de recevabilité, le refus d’admettre la régularisation par voie d’intervention volontaire de l’absorbante s’avérait disproportionné.

La Cour de cassation prit d’abord soin de rappeler les principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), selon laquelle les limitations au droit à un tribunal sont admises, à la condition, d’une part, que ce droit ne s'en trouve pas atteint dans sa substance, d’autre part, qu’elles tendent à un but légitime et, enfin, qu’existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
La deuxième chambre procéda ensuite à ce double « test » de conventionnalité et de proportionnalité. Elle releva alors que « le but poursuivi par la règle qui impose que la personne morale, en demande comme en défense, soit pourvue d'une existence juridique est légitime, en ce [qu’elle] tend à protéger les droits de la défense ». Sans argumenter plus avant, l’arrêt observe qu’un tel principe ne porte pas atteinte au droit d'accès à un tribunal dans sa substance, et qu’« il existe un rapport raisonnable de proportionnalité ».

La solution était prévisible. La CEDH a toujours admis que les États imposent des conditions de recevabilité, tout en leur accordant une ample marge de manœuvre, puisque le droit d’accès à un tribunal « appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace suivant les ressources de la communauté et les besoins des individus » (CEDH, 28 mai 1985, Ashingdane c. Royaume-Uni). La Cour a tendance à ne sanctionner que les atteintes les plus manifestes (V. ainsi CEDH, 15 janvier 2009, Ligue du monde islamique et Organisation islamique mondiale du secours islamique c. France).

III- L’estoppel

L’auteur du pourvoi tentait, enfin, d’invoquer le principe suivant lequel « Nul ne peut se contredire aux dépens d’autrui », puisque l’absorbante avait excipé de l’irrecevabilité de la demande après être intervenue volontairement à l’instance.

L’institution de l’estoppel, d’origine anglaise, tend à être reçue par la jurisprudence française (V. par exemple : Ass. pl., 27 févr. 2009, 07-19.841, publié). Le principe fut ici mobilisé de façon singulière, puisqu’à l’accoutumée, ce principe est invoqué, au contraire, pour faire déclarer une demande irrecevable.
De façon remarquable, la Cour de cassation ne rejette pas, par principe, un tel argument. Elle constate que l’arrêt de la cour d’appel ne permettait pas de caractériser ses conditions d’application. En particulier, la société absorbante pouvait intervenir, ne serait-ce que pour contester la recevabilité du recours. Du reste, si elle s’était aussi défendue sur le fond, elle ne l’avait fait qu’à titre subsidiaire, si bien qu’elle « n'a pas induit en erreur son adversaire sur ses intentions et ne s'est pas contredite à son détriment ».

L’arrêt s’inscrit dans le courant majoritaire, la jurisprudence ayant tendance à ne sanctionner qu’un véritable défaut de loyauté processuel (Cass. civ. 1ère, 6 juill. 2005, n° 01-15.912).
Est-ce à dire que l’estoppel aurait trouvé à s’appliquer si l’absorbante s’était contentée de se défendre au fond en première instance, puis aurait invoqué, en cause d’appel, la fin de non-recevoir ? Une réponse négative devrait s’imposer. Les fins de non-recevoir, comme les nullités pour vice de fond, sont invocables à tout moment de la procédure, sauf au juge, le cas échéant, à accorder à la partie victime des dommages et intérêts s’il constate une manœuvre dilatoire (C. proc. civ., art. 123 et 118).


Akram El Mejri
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

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