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La nouvelle obligation de diligence raisonnable des entreprises dans les chaînes d'approvisionnement mondiales en Allemagne

Lettre CREDA-sociétés 2021-13 du 9 septembre 2021

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La France a joué un rôle pionnier dans l’encadrement de l’activité des entreprises multinationales quant au respect des droits humains et de l’environnement, en adoptant la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Celle-ci a en effet servi depuis de référence pour de nombreux autres pays. Au sein de l’UE, plusieurs États membres ont déjà fait évoluer leur législation comme les Pays-Bas (avec la loi de 2019 sur la diligence raisonnable en matière de travail des enfants), et tout récemment l’Allemagne.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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Le 11 juin 2021, le Bundestag a adopté la loi régissant les devoirs de diligence des entreprises dans les chaînes d’approvisionnementLieferkettensorgfaltspflichtengesetz »), publiée le 22 juillet. La plupart de ses dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2023 mais certaines s’appliquent dès le lendemain de sa promulgation. Les législateurs allemand et français poursuivent le même objectif, à savoir obliger les entreprises à veiller à ce qu’elles-mêmes, mais aussi leurs filiales et leur chaîne de sous-traitance, respectent les droits de l’homme et l’environnement, et ce partout où elles opèrent. Toutefois, bien conscient qu’on ne peut pas demander l’impossible aux entreprises, le législateur allemand a fixé des limites à la responsabilité de l’entreprise, en particulier à l’égard d’entités qu’elle ne contrôle pas. Il en résulte des différences sensibles dans la conception des devoirs des entreprises dans les deux pays.

1.   Un champ d'application personnel plus large

Dans un premier temps, la Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz s’applique à toutes les entreprises, quelle que soit leur forme juridique, qui ont leur administration centrale, établissement principal ou leur siège social en Allemagne, à condition qu’elles emploient en Allemagne plus de 3 000 salariés (ce seuil passera à 1 000 salariés en 2024). Les travailleurs détachés à l’étranger et les salariés intérimaires sont inclus dans le calcul.

Les entreprises étrangères peuvent également entrer dans le champ d’application de la loi si elles sont représentées en Allemagne par au moins un établissement secondaire et y emploient au moins 3 000 salariés. Cet élargissement crée les mêmes conditions de concurrence pour les entreprises allemandes et étrangères implantées outre-Rhin, d’où aussi l’importance de cette loi pour certaines entreprises françaises opérant en Allemagne.

Le nombre de sociétés soumises à l’obligation de diligence prévu par le droit allemand est donc plus important que le nombre de sociétés entrant dans le champ d’application de la loi française sur le devoir de vigilance.

2.   Des obligations imposées aux entreprises plus précises

La loi allemande impose aux entreprises concernées de mettre en place des procédures visant à identifier, prévenir et atténuer les atteintes aux droits de l’Homme et à l'environnement causées par leur propre activité ou celle des membres de leur chaîne d’approvisionnement. Ainsi, les entreprises doivent surveiller l’impact des activités de leurs fournisseurs directs comme indirects, en Allemagne ou à l’étranger, avec toutefois des degrés de vigilance différents. À cela s’ajoutent la mise en place de procédures internes d’alerte, de procédures correctives et la publication annuelle sur le site de l’entreprise d’un rapport recensant les risques identifiés et les mesures mises en place.

Plus précisément, le texte énumère les règles nationales et internationales dont il sanctionne la violation, notamment l’interdiction du travail des enfants et de toute forme d’esclavage. Concernant l’environnement, la loi se réfère aux obligations résultant de trois conventions internationales sur les polluants de longue durée, les émissions de mercure et le transport de déchets dangereux. Toutefois, les atteintes à l’environnement sont visées uniquement si elles engendrent une violation des droits de l’Homme.

La notion de « chaîne d’approvisionnement » est large, de sorte que tous les produits et services d’une entreprise sont inclus. Toutes les étapes, en Allemagne comme à l’étranger, nécessaires à la fabrication des produits et à la fourniture des services, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la livraison au client final, sont concernées. L’obligation de contrôle s’applique donc à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.

La loi allemande contient des « devoirs d’effort » pour les entreprises, c'est-à-dire ni une obligation de résultat ni de garantie. Toutes les obligations de diligence requises font l’objet d’une « réserve d’opportunité », qui laisse aux entreprises une certaine marge d’appréciation et d’action. Ainsi, s’il était - légalement ou de facto - impossible de retracer l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement ou de prendre des mesures préventives ou correctives, il ne pourrait être reproché à l’entreprise de manquer à son obligation de diligence.

L’entreprise est obligée de mettre en place un système de gestion des risques approprié pour surveiller les chaînes d’approvisionnement. En particulier, il lui appartient de vérifier dans son propre domaine d’activité et auprès de ses fournisseurs directs, au moins une fois par an et chaque fois que la situation de risque a considérablement changé ou s’est étendue, s’il y a eu une violation des droits de l’Homme ou des préoccupations environnementales. Dans le cas des fournisseurs indirects, l’obligation d’effectuer des analyses de risques ne s’applique que lorsque l’entreprise a effectivement connaissance d’éventuelles violations.

L’entreprise doit aussi mettre en place un système de recueil des alertes afin que d’éventuels risques et atteintes aux droits de l’Homme ou à l’environnement puissent être signalés à tout moment.

Si un risque est identifié, l’entreprise doit immédiatement prendre des mesures préventives appropriées, puis les examiner annuellement et ponctuellement en fonction de la situation. Si des violations sont constatées, des mesures correctives, de réparation, doivent être prises et, si la violation est trop importante, il faut mettre un terme au contrat avec ce fournisseur.

Enfin, le respect du devoir de vigilance doit être documenté et cette documentation doit être conservée pendant 7 ans. Il existe également une obligation de préparer un rapport annuel sur le respect des obligations de diligence au cours de l’exercice écoulé et de le publier ensuite sur le site Internet de l’entreprise au plus tard 4 mois après la fin de l’exercice.

Le champ d’application matériel de la loi de vigilance en France est plus large. Par exemple, les atteintes à l’environnement sont incluses dans le devoir de vigilance. Surtout, les contours du périmètre de vigilance sont beaucoup plus vagues dans la loi française.

3.   Des sanctions sévères mais permettant d'éviter un activisme judiciaire

Les sanctions du nouveau dispositif légal ne relèvent pas du juge mais de l’Office fédéral de l’économie et du contrôle des exportations : celui-ci est chargé de l’application de la loi, tant à l’égard des entreprises allemandes que des entreprises étrangères. Il peut ordonner des mesures sous astreinte allant jusqu’à 50 000 € et sanctionner des violations de l’obligation de diligence par des amendes allant jusqu’à 800 000 € ou 2 % du CA annuel dans certains cas. De plus, certaines entreprises sanctionnées pourraient se voir refuser l’accès aux marchés publics pendant une durée maximale de 3 ans. La loi allemande exclut en revanche toute mise en jeu de la responsabilité civile de l’entreprise sur son fondement (mais pas le cas échéant sur un autre fondement approprié). Les syndicats et ONG ne peuvent agir en justice qu’au nom et sur mandat d’une victime dont les droits protégés par la loi ont été violés, sous réserve qu’ils ne soient pas créés pour la circonstance et n’aient pas d’activité commerciale.

Des différences significatives existent donc là aussi entre les dispositifs allemand et français. En effet, en vertu de la loi française du 27 mars 2017, une société française peut être attraite devant un juge (v. aussi art. 34 al. 2 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judicaire) pour se voir enjoindre de changer sa stratégie de vigilance, et toute ONG (quelle que soit sa durée d’existence) peut agir en justice, conformément à son objet.

La directive européenne sur le devoir de diligence, en préparation, n’éliminera certainement pas les différences entre les législations française et allemande en la matière, et partant les différences de traitement entre entreprises françaises et allemandes puisqu’elle laissera notamment aux États membres le soin de dessiner le régime de responsabilité civile en cas de manquement aux différentes obligations. Mais avec l’entrée en vigueur de sa nouvelle loi, l’Allemagne pourrait influer sur le projet européen.


Katrin Deckert
Maître de conférences à l'université de Paris-Nanterre

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