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L'associé et l'abus de biens sociaux

Soumis par sfournier le mer 07/06/2023 - 09:06

Lettre CREDA-sociétés 2023-10 du 7 juin 2023

La Cour de cassation (Crim., 17 mai 2023, n° 22-83.762) semble faire preuve de souplesse quant à l’admission de la constitution de partie civile de l’associé en matière d’abus de biens sociaux. Cette constitution est normalement difficile, mais il peut être possible d’arguer d’une perte de chance « d’investir ses millions mieux donc ailleurs ».

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En l’espèce, différents dirigeants d’une société avaient été poursuivis notamment pour abus de biens sociaux. Deux d’entre eux avaient également été poursuivis pour présentation de comptes annuels infidèles. Une société actionnaire majoritaire ayant récemment pris le contrôle avait alors voulu se constituer partie civile. Le tribunal, comme la Cour d’appel, jugent irrecevable l’actionnaire majoritaire à se constituer partie civile, car il ne présenterait pas de préjudice personnel et distinct de celui de la société.

Pourvoi est alors formé, dont la formulation peut intriguer (outre un moyen sur lequel nous ne nous attarderons pas). Car il argue que les abus ont causé « à la fois, un préjudice social (l’effondrement financier de la société) et un préjudice distinct personnel à l’actionnaire (une perte de chance de mieux utiliser les sommes dépensées et détournées) ». Ainsi, l’abus aurait fait perdre « une chance d’investir ses millions mieux donc ailleurs » et les dirigeants avaient « malgré elle associé son nom [de l’actionnaire] à la mise en lumière médiatique de pratiques illicites ayant conduit le fleuron français du jouet à la ruine ».

Et la Cour de cassation se laisse toucher par ces arguments ; au visa des art. 2 et 593 CPP elle rappelle que « les associés d’une société victime d’un abus de biens sociaux, exerçant non l’action sociale, mais agissant à titre personnel, sont recevables à se constituer partie civile lorsqu’ils démontrent l’existence d’un préjudice propre, distinct du préjudice social, découlant directement de l’infraction », mais qu’en l’espèce les juges du fond ont insuffisamment motivé leur arrêt. Ils avaient en effet argué que « les associés ne peuvent être indemnisés individuellement pour le préjudice indirect subi du fait de l’appauvrissement de la société dans laquelle ils sont intéressés » et qu’ils pouvaient, comme les autres créanciers, récupérer leur investissement par le biais de l’action du liquidateur. Or l’actionnaire alléguait d’un préjudice distinct, l’arrêt est ainsi cassé.

S’il se situe dans une lignée classique, l’arrêt laisse néanmoins entrevoir une évolution à ce sujet.

Une lignée classique

publications

 

La question de la constitution de partie civile de l’actionnaire est lancinante et rappelle, bien entendu, celle de l’action personnelle de l’associé au civil.

Rappelons que la constitution de partie civile, quand elle est exercée par l’associé au nom de la société, est tout à fait recevable, l’abus de biens sociaux causant bien un dommage social (Crim., 19 oct. 1978, n° 77-92.742 ; Crim., 2 avr. 2003, no 02-82.674).

Mais, s’agissant de l’action visant à réparer un préjudice subi individuellement, la solution est tout autre. Anciennement, il était admis que « la recevabilité d’une constitution de partie civile devant une juridiction d’instruction ne saurait être subordonnée à la double preuve, préalablement rapportée par la personne qui se prétend lésée par une infraction, d’abord de l’existence même de ladite infraction, ensuite de l’existence du préjudice dont elle aurait souffert » (Crim., 4 nov. 1969, n° 68-93.573). Par conséquent, était même autorisée la constitution de partie civile par un associé pour un abus de biens sociaux commis dans une filiale, car « pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent d’admettre comme possibles l’existence du préjudice allégué et sa relation directe avec les infractions poursuivies » (Crim., 6 févr. 1996, n° 95-84.041).

Cependant, un revirement, toujours confirmé depuis, avait considéré que « la dépréciation des titres d’une société découlant des agissements délictueux de ses dirigeants constitue, non pas un dommage propre à chaque associé, mais un préjudice subi par la société elle-même » (Crim., 13 déc. 2000,n° 99-80.387 ; Crim. 13 déc. 2000, no 99-84.855).

On reconnaît alors la même logique que celle prévalant en matière d’action individuelle, laquelle ne peut tendre qu’à la réparation de préjudice n’étant pas le « corollaire » (Com., 26 janv. 1970, n° 67-14.787) de celui subi par la société ou encore, quand la société cesse d’être in bonis « la fraction du préjudice subi par la collectivité des créanciers ou par la société débitrice » (Com., 21 juin 2016, n° 15-10.028).

Logiquement, la jurisprudence estime donc que la constitution de partie civile est recevable dès lors que l’associé démontre l’existence d’un « préjudice propre, distinct du préjudice social, découlant directement de l’infraction » (Crim., 9 juin 2022, n° 21-82.545 ; Crim., 3 déc. 2014, n° 13-87.224). La règle est la même en matière de banqueroute (Crim., 22 juin 2022, n° 21-83.036).

Néanmoins, et cela a été souligné (v. sur ce point la thèse de notre collègue Julie Gallois, L’exercice de l’action civile de l’associé, PUAM 2022, spéc. n° 96 s.), la solution n’est pas unifiée pour toutes les infractions.

C’est ainsi que, en matière d’abus de confiance, la Cour considère que « les détournements commis par un associé d’une société en nom collectif, occasionnent aux autres associés, qui répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales, un préjudice personnel et direct » (Crim., 10 avr. 2002, n° 01-81.282). Plus récemment, tout en confirmant la possibilité de cette constitution, elle a néanmoins semblé préciser qu’il fallait établir un « préjudice propre consécutif aux détournements » (Crim., 3 mars 2020, n° 18-86.939).

De même, la Cour de cassation a pu juger que la présentation de comptes annuels infidèles était une infraction « de nature » à causer un préjudice personnel et distinct aux associés, justifiant leur constitution de partie civile (Crim., 16 avr. 2008, n° 07-84.713 ; égal. Crim., 30 janv. 2002, n° 01-84.256).

 

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n° 2023-10 du 7 juin 2023

Lettre creda-sociétés n° 2023-10

 

Une évolution

Une telle disparité peut être critiquée ou bien alors approuvée. C’est ainsi que dans d’autres colonnes nous avions plaidé pour une dissociation de la règle selon les cas de banqueroute. Certains se rapprochent en effet de l’infraction de présentation de comptes annuels infidèles quand d’autres davantage de l’abus de biens sociaux.

Néanmoins, on peut peut-être voir dans l’arrêt sous commentaire une volonté de la Cour de faire évoluer sa jurisprudence pas à pas.

Certes, l’arrêt est inédit. Certes encore, la Cour casse pour insuffisance de motifs, ce qui ne veut pas dire que la constitution de partie civile sera admise, mais qu’il faudra que le juge précise en quoi le préjudice allégué n’est pas distinct du préjudice social.

Mais cela est déjà une avancée, on a vu des arrêts énonçant lapidairement que « le délit d’abus de biens sociaux n’occasionne un dommage personnel et direct qu’à la société elle-même et non à chaque associé » (Crim., 5 déc. 2001, n° 01-80.065). Tel n’est pas le cas ici.

En matière de banqueroute, il est admis que ce préjudice peut être moral (Crim., 30 mai 1994, n° 93-83.933) ou bien consister en la perte de chance par un créancier de récupérer sa créance (Crim., 4 déc. 1997, n° 96-85.729). La perte de chance est également invocable en matière d’action individuelle (Com., 9 mars 2010, 08-21.547 et 08-21.793). En matière d’abus de biens sociaux, la question n’a jamais été tranchée à notre connaissance, mais il a été jugé qu’on ne pouvait admettre la constitution de partie civile de l’associé pour une « perte de chance de percevoir des dividendes » (Crim., 5 déc. 2001, n° 01-80.065). Ce qui n’est pas anormal, car cette « perte de chance » provient alors de l’appauvrissement social.

L’arrêt sous commentaire paraît admettre qu’elle soit possible en matière d’abus de biens sociaux pour un investissement qui se révèle désastreux du fait de l’abus. Pour le préjudice moral, cela paraît moins étonnant.

Les faits de l’espèce étaient relativement particuliers cela dit, car il existait également une présentation de comptes infidèles et l’associé partie civile avait acquis une participation majoritaire peu de temps auparavant. Il n’est donc pas certain que dans un contexte plus classique d’un associé en place depuis longtemps, on puisse admettre la perte de chance comme fondement de sa constitution de partie civile. Néanmoins, on sent frémir la Cour de cassation, laquelle serait davantage encline à reconnaître le préjudice individuel. Ainsi, en matière d’action d’un créancier contre le dirigeant d’une société en société, elle a pu faire preuve de souplesse (Com., 8 sept. 2021, n° 19-13.526).

Cette souplesse sera-t-elle également de mise en matière d’abus de biens sociaux ?

Jean-Baptiste BARBIERI
Maître de conférences en droit privé à l'Université Paris-Panthéon-Assas

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Imprévision : transmission d’une QPC au sujet de l’exemption bénéficiant aux cessions de titres financiers

Soumis par sfournier le mar 23/05/2023 - 13:11

Lettre CREDA-sociétés 2023-09 du 24 mai 2023

L’article L. 211-40-1 du code monétaire et financier exempte l’ensemble des opérations sur titres et contrats financiers du mécanisme de révision pour imprévision (C. civ., art. 1195). Concernant les opérations sur actions, le texte ne distingue pas celles qui sont cotées de celles qui ne le sont pas. Par une importante décision en date du 15 mars 2023 (n° 22-40.023), la chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité de ce texte au principe d’égalité devant la loi.

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La révision pour imprévision permet à un cocontractant de solliciter une renégociation de son partenaire lorsque l’exécution du contrat est rendue excessivement onéreuse par un changement de circonstances imprévisible lors de sa conclusion. Le mécanisme peut se traduire par l’intervention du juge puisque faute d’accord entre les parties dans un délai raisonnable sur l’adaptation ou la résolution du contrat, le juge peut, à la demande de l’une d’entre elles, le « réviser […] ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ».

En amont des discussions portant sur la loi de ratification de l’ordonnance réformant le droit des contrats, le Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris avait préconisé l’adoption d’« une disposition législative écartant le régime de l'imprévision pour l'ensemble des opérations sur instruments financiers ». Cette proposition finira par être consacrée. Lors des discussions au Parlement, il était apparu que « le Gouvernement [avait] d’ailleurs reconnu, en séance publique, que les risques induits par l’application de la théorie de l’imprévision aux contrats sur instruments financiers étaient plus forts que les gains espérés, les opérations sur titres financiers ayant par nature pour objectif d’intégrer le risque dans leur valorisation et dans les caractéristiques retenues pour l’opération ».

Un nouvel article L. 211-40-1 a donc été intégré au sein du code monétaire et financier. Il dispose que « l'article 1195 du code civil n'est pas applicable aux obligations qui résultent d'opérations sur les titres et les contrats financiers mentionnés aux I à III de l'article L. 211-1 du présent code ». Ce renvoi permet d’exempter toutes les opérations portant sur des titres de capital émis par les sociétés par actions, des titres de créance, des parts ou actions d’OPC, ou encore l’ensemble des instruments financiers à terme (contrats financiers). L’absence de distinction faite, dans la première catégorie, entre actions cotées et non cotées, se trouve être au cœur de la décision commentée.

La décision

publications

 

Une société et une personne physique avaient consenti, au profit d’une autre société, une promesse synallagmatique de cession des actions qu’elles détenaient au sein d’une SAS. La société cessionnaire chercha cependant à en être libérée, en invoquant, sur le fondement de l’article 1195 du code civil, un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion de la promesse rendant son exécution excessivement onéreuse.

En défense, les vendeurs répliquèrent qu’en application de l’article L. 211-40-1 du code monétaire et financier, le mécanisme de révision pour imprévision ne pouvait pas être activé. Par mémoire spécial, l’acquéreur posa alors une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Estimant les critères réunis (article 23-2 de la loi organique sur le Conseil constitutionnel), le tribunal de commerce transmit la question suivante à la chambre commerciale : « L'article L. 211-40-1 du code monétaire et financier est-il conforme au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 1er de la Constitution et l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? ».

La Cour de cassation devait donc, à son tour, procéder à l’examen des conditions requises pour une transmission au Conseil constitutionnel. Elle constata, d’abord, que la disposition contestée était bien applicable au litige, et qu’elle n’avait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

Surtout, la question présentait bien un caractère sérieux au regard du principe d’égalité devant la loi. La Cour régulatrice rappela la ratio legis de l’article contesté, pour ensuite cibler la difficulté. Ce texte a pour « objet d'assurer la sécurité juridique d'opérations portant sur des biens et droits dont la valeur est susceptible d'évolutions rapides et importantes, en fonction d'événements imprévisibles ». Le point de questionnement tient au fait que le législateur n’a pas distingué les actions cotées de celles qui ne le sont pas. Une telle assimilation se justifie-t-elle au regard de l’objectif du législateur ?

Corrélativement, quelle est la pertinence de la distinction ainsi instaurée entre, d’une part, les actions non cotées, et de l’autre, les parts sociales, toutes deux étant « à l'abri, dans une large mesure, d'évolutions substantielles et inattendues portant sur leur valeur », contrairement aux actions cotées, « qui se trouvent soumises à un aléa important résultant de la spéculation des opérateurs intervenant sur les marchés financiers » ?

Il appartiendra donc au Conseil constitutionnel de se prononcer dans un délai de 3 mois suivant la transmission de la QPC. Il est cependant possible, dès à présent, d’éclairer les termes de la discussion.

 

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n° 2023-09 du 24 mai 2023

lettre n° 2023-09

 

Les termes du débat

Le débat se trouvera donc placé sur le terrain du principe d’égalité. La question qui devra être tranchée pourrait être ainsi résumée : le texte n’instaurerait-il pas un traitement « inégalitaire » du cessionnaire d’actions non cotées, qui serait placé dans une situation plus défavorable que celle d’un cessionnaire de parts sociales (lequel peut théoriquement invoquer l’imprévision, sauf clause contraire), alors pourtant que tous deux se trouveraient dans une situation similaire ?

Ainsi que le décide de façon constante la Conseil constitutionnel depuis une décision du 9 avril 1996, le principe d’égalité « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Face à une différence de traitement, le Conseil a pour coutume de raisonner en deux temps :

  • Cette différence est-elle suffisamment justifiée : soit parce que les situations sont clairement différentes ; soit, lorsque les deux situations sont similaires, parce qu’existe un motif d’intérêt général ?
  • Par ailleurs, la différence de traitement, à la supposer justifiée, entretient-elle un rapport suffisamment étroit avec le but poursuivi par le législateur ?

Il est vrai que les actions, qu’elles soient cotées ou non, font partie d’une même catégorie juridique, celle des titres financiers (C. mon. fin., art. L. 211-2, renvoyant à la notion de valeurs mobilières : C. com., art. L. 228-1). Qu’elles se négocient ou non sur les marchés, de nombreux traits les distinguent : négociabilité (C. mon. fin., art. L. 211-14), fongibilité, indivisibilité (C. com., art. L. 228-5).

Pour autant, c’est à l’aune de l’objet de la norme concernée qu’il convient de raisonner. En l’occurrence, l’exception ouverte par l’article L. 211-40-1 du code monétaire et financier vise à préserver la stabilité juridique de certains contrats portant sur un objet dont la valeur est très volatile. De ce point de vue, et en dépit de leur rattachement à la même catégorie, il existe des dissemblances assez substantielles entre actions cotées et non cotées.

Le prix des actions cotées est fixé au regard de leur « valeur boursière », autrement dit par la loi de l’offre et de la demande. Le cours, qui est publié et varie au jour le jour en fonction des transactions dont le titre est l'objet, est susceptible d’être affecté, à tout moment, par de nombreux paramètres qui peuvent être extérieurs à la société émettrice : perte de confiance des investisseurs, conjoncture économique, spéculation, évènement géopolitique…

En revanche, la valeur d’une action non cotée est davantage arrimée aux caractéristiques de l’émettrice, et moins dépendante de turbulences extérieures. Si de nombreuses méthodes de valorisation existent, leur point commun réside dans la recherche des « fondamentaux de l’entreprise ». Sont ainsi souvent prises pour référence la valeur comptable de l’action (division de l’actif net par le nombre d’actions) ou encore la valeur de rendement (bénéfice moyen réalisé ou projeté de l’entreprise). Et de ce point de vue, peu de choses séparent une cession d’actions non cotées d’une cession de parts sociales. La négociabilité des premières ne semble pas devoir remettre en cause un tel constat.

Au-delà de ces aspects, il semble difficile de déceler un motif d’intérêt général justifiant le modus operandi du législateur consistant, au regard de la théorie de l’imprévision, d’une part, à assimiler actions cotées et non cotées, et à distinguer les actions non cotées des parts sociales.

Pour toutes ces raisons, le risque de censure nous semble sérieux. Néanmoins, le Conseil pourrait préférer émettre des réserves d’interprétation, afin d’éviter de prononcer une abrogation qui pourrait s’avérer lourde de conséquences.

AKRAM EL MEJRI
Maître de conférences à l'Université Paris Nanterre

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Clause d’agrément dans une société anonyme : de la nécessité de mettre à jour les statuts…

Soumis par sfournier le mer 10/05/2023 - 13:25

Lettre CREDA-sociétés 2023-08 du 10 mai 2023

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Les clauses d’agrément au sein des sociétés anonymes non cotées ne sont pas imposées par la loi, mais peuvent être prévues par les statuts selon l’article L. 228-23 du Code de commerce. Cette disposition, qui a été modifiée par l’ordonnance du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières, introduit la possibilité de soumettre les cessions entre actionnaires à la procédure d’agrément.

C’est à propos de cette faculté que la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu une décision le 15 mars 2023 (Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-15.393).

Les faits de l’espèce sont classiques. Un actionnaire de deux sociétés anonymes cède le 12 juillet 2018 ses actions à un actionnaire, qui les cède lui-même à un autre cessionnaire le lendemain. Les sociétés refusent d’inscrire les cessions sur le registre des mouvements de titres, au motif qu’une clause statutaire d’agrément – introduite en 1985 et non modifiée depuis –stipule que « sauf dispense de la loi, toute cession ou transmission d’actions quelle qu’en soient la nature et la forme est soumise à l’agrément préalable du conseil d’administration ». En conséquence, les sociétés considèrent les ventes nulles. Les cessionnaires assignent alors les sociétés et leur directeur général afin de faire inscrire les cessions dans les livres de la société et donc de voir reconnaitre la cession valable.

La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 8 avril 2021, invalide les cessions. En effet, en raison de la nature institutionnelle de la société, la loi applicable à la cession des actions devrait être celle applicable au jour de réalisation de l’opération, soit en l’espèce la version actuelle de l’article L. 228-23, et non le texte applicable au moment de la rédaction de la clause statutaire. L’agrément de la cession entre actionnaires étant possible selon la modification législative opérée en 2004, la cession de 2018 est annulée, et ce d’autant plus que les juges du fond ont considéré que la cession était entachée de fraude. Un pourvoi est formé par les cessionnaires et la cédante, mais pas sur le dernier point.

publications

 

 

Il revenait à la chambre commerciale de déterminer le régime juridique applicable à une cession d’actions entre actionnaires lorsqu’une clause statutaire introduite avant une réforme législative prévoit que : « sauf dispense de la loi, toute cession ou transmission d'actions quelles qu'en soient la nature et la forme est soumise à l'agrément préalable du conseil d'administration ».

L’arrêt est censuré, pour défaut de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016. Il est en effet reproché aux juges du fond de ne pas avoir recherché quelle était la réelle volonté des rédacteurs de la clause statutaire d’agrément : se plier à toutes les évolutions législatives intervenant postérieurement à la clause ou, au contraire, cristalliser le droit applicable au moment de la rédaction de la clause ?

La décision de la chambre commerciale donne dans un premier temps l’occasion de rappeler la modification du champ d’application ratione personae des clauses d’agrément au sein des sociétés anonymes puis, dans un second temps, d’aborder l’application de cette modification textuelle à des statuts antérieurs.

La modification du champ d’application de la clause d’agrément dans les SA

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n° 2023-08 du 10 mai 2023

Lettre creda n°2023-08

 

 

L’ordonnance du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières a opéré un accroissement du champ d’application des clauses d’agrément contenues dans les statuts de sociétés anonymes.

L’article 274 de la loi du 24 juillet 1966 disposait « sauf en cas de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux, ou de cession, soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant, la cession d'actions à un tiers à quelque titre que ce soit, peut être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts ». Toute la question était de savoir ce que le législateur entendait par « cession à un tiers ». Selon la chambre commerciale (Cass. com., 10 mars 1976, n° 74-14.680), « l'actionnaire d'une société par actions est libre de céder ses titres à un autre actionnaire sans qu'une telle cession puisse être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts ». L’actionnaire cessionnaire n’était donc pas un tiers et n’était donc pas soumis à l’agrément.

L’ordonnance du 24 juin 2004 opère une profonde modification de l’article L. 228-23 du Code de commerce, en disposant que « la cession d'actions ou de valeurs mobilières donnant accès au capital, à quelque titre que ce soit, peut être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts ». Il n’est plus question d’une quelconque mention aux tiers, et donc d’une quelconque exception qui serait propre à la cession entre actionnaires. La clause d’agrément a depuis lors une double fonction de contrôle :

  • contrôle de l’identité des nouveaux entrants,
  • mais aussi contrôle des rapports capitalistiques entre actionnaires.

C’est sur cette seconde fonction que se cristallise le litige, alors que la clause d’agrément statutaire en cause posait un principe d’application de l’agrément, « sauf dispense de la loi » et qu’elle n’avait pas été modifiée depuis la réforme opérée en 2004.

Une clause statutaire non modifiée à la suite de la réforme

En se limitant aux « dispenses de la loi », la clause statutaire rédigée en 1985 semble indiquer que toutes « les cessions ou transmissions d’actions quelles qu'en soient la nature et la forme » sont soumises à la procédure d’agrément, sauf celles qui sont écartées par la lettre de la loi. Derrière l’emploi du terme « dispense », particulièrement inadapté, on peut considérer que la clause vise les interdictions légales, et donc les hypothèses de « succession, de liquidation du régime matrimonial ou de cession, soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant » (article L. 228-23 alinéa 3 du Code de commerce), déjà évoquées sous l’empire de la loi ancienne.

La question de la cession entre actionnaires, en revanche, n’est plus indirectement visée par une dispense de la loi. Dès lors, de deux choses l’une :

  • Soit les rédacteurs des statuts entendaient viser les dispenses de la loi au jour de la cession ou de la transmission d’actions. Dans ce cas, les dispenses sont mouvantes, soumises aux évolutions de la loi, et dans l’hypothèse de la clause d’agrément, peuvent être réduites par l’ordonnance du 24 juin 2004. La cession entre actionnaires n’étant plus une « dispense de la loi », elle devrait être soumise à la procédure d’agrément, ce qu’avait retenu la cour d’appel, en raison de la nature institutionnelle de la société, nécessitant donc l’application de la loi nouvelle ;
  • Soit les rédacteurs des statuts entendaient viser les dispenses de la loi au jour de la rédaction des statuts, conservant le droit tel qu’il était en 1985. Dans ce cas, la cession d’actions entre actionnaires ne serait pas soumise à agrément, ce d’autant plus que la réforme opérée depuis « n’impose pas » de soumettre la cession entre actionnaires à l’agrément, mais permet une telle éventualité.

C’est cette incertitude qui a conduit la chambre commerciale à censurer la décision de la Cour d’appel. Plus qu’une question d’application de la loi dans le temps, cette décision rappelle un principe de droit des contrats : lorsque l’interprétation d’une clause est incertaine, il est nécessaire de revenir à la commune intention des parties, ce que n’a pas fait la cour d’appel en l’espèce.

Il reviendra alors aux juges du fond la délicate tâche d’effectuer une telle recherche, nécessitant de se remettre dans le contexte de la rédaction de la clause d’agrément, il y a près de trente-huit ans !

On ne soulignera donc pas assez la nécessité de mettre à jour les clauses des statuts se contentant de renvoyer à la loi – ou de la recopier – lorsque celle-ci est modifiée, sauf à risquer de se lancer dans un travail d’exégète, d’historien, voire de devin selon l’ancienneté de la clause…

 

Matthieu ZOLOMIAN
Maître de conférences à l'Université d'Angers

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La violation des statuts de SAS peut entraîner la nullité de la décision

Soumis par sfournier le mer 05/04/2023 - 12:48

Lettre CREDA-sociétés 2023-07 du 5 avril 2023

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Une violation des dispositions statutaires concernant les décisions collectives d’une SAS peut être sanctionnée par la nullité si elle est de nature à influer sur le résultat du processus de décision. Les autres sociétés ne sont pas concernées par la règle posée (Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324).

Les faits concernent la SAS Larzul, déjà sujet d’un retentissant arrêt en 2010 (Com., 18 mai 2010, n° 09-14.855, Larzul,) mais différaient. L’associé unique de la SAS Larzul, la société Vectora conclut un accord avec la société UGMA et son actionnaire (la société FDG) pour augmenter le capital de la SAS par voie d’apports en numéraire et en nature à leur bénéfice ; augmentation assortie de la cession d’actions de la société Larzul par Vectora au bénéfice de la société FDG. Un arrêt irrévocable a, en 2012, annulé la délibération approuvant l’augmentation de capital. La société FDG, soutenant avoir été privée de ses droits d’associé depuis cette date, a sollicité l’annulation de toutes les décisions collectives subséquentes.

L’arrêt d’appel prononce la nullité de certaines de ces délibérations, mais au visa des art. L. 223-28 et -29 C. com, et non des dispositions applicables aux SAS, ce qui suffit à entraîner la cassation. Cela ne nous retiendra pas davantage.

Le pourvoi indiquait surtout que l’art. L. 227-9 C. com. énonce que les statuts précisent lesquelles des décisions de la SAS font l’objet d’une décision collective. De la sorte, aucune disposition impérative n’aurait été violée et la nullité ne serait pas encourue, en vertu de l’art. L. 235-1 C. com. La Cour de cassation prend le temps de rejeter l’argument au terme d’une motivation particulièrement détaillée, ce qui est de loin le plus important en l’espèce.

 

publications

 

Pour commencer, « l’organisation et le fonctionnement de la société par actions simplifiée relèvent essentiellement de la liberté statutaire. Il en découle que le respect des dispositions statutaires qui, conformément à l’article L. 227-9, alinéa 1er, du code de commerce, déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés et les formes et conditions dans lesquelles elles doivent l’être, est essentiel au bon fonctionnement de la société et à la sécurité de ses actes. Or, les limitations apportées par cette jurisprudence à la possibilité de voir sanctionner par la nullité la méconnaissance de ces dispositions statutaires conduisent à ce que leur violation ne puisse être sanctionnée ».

Par suite, « ces considérations conduisent la Cour à juger désormais que l’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu’il résulte de l’article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d’en poursuivre l’annulation ».

Dont acte, dans les SAS, la méconnaissance des règles statutaires régissant les décisions collectives peut entraîner la nullité de la décision à la condition que cette méconnaissance soit de nature à influer sur le processus de décision.

La pertinence de la règle peut tout d’abord être débattue, ainsi que sa portée.

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n° 2023-07 du 5 avril 2023

lettre creda sociétés 2023 07

 

Le bien-fondé

On le sait, l’arrêt Larzul énonçait que « sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n’est pas sanctionné par la nullité ». Mais il faisait l’objet de critiques concernant le domaine de la règle posée et sa justification.

Concernant le domaine, la notion de règle impérative aménageable est extrêmement floue. Ainsi, les règles de majorité concernant l’agrément dans les SARL rentrent-elles dans cette catégorie (Com., 10 févr. 2015, n° 13-25.588), ainsi que, semble-t-il, l’anc. art. 1844 C. civ. concernant la répartition des droits de vote entre usufruitier et nu-propriétaire (Com., 13 janv. 2021, n° 19-13.399). Les règles posées par l’art. 1836 al. 1 C. civ. (Cass. 3e civ., 8 juill. 2015, n° 13-14.348) et l’art. 1852 du même Code (Cass. 3e civ., 5 janvier 2022, n° 20-17.428) ont également été reconnues comme étant des dispositions impératives aménageables au sens de l’arrêt Larzul. Il est difficile de ne pas voir pourtant, dans ces deux dernières règles, des dispositions supplétives…. mais n’est-ce pas le cas de bien des dispositions impératives aménageables ?

La règle posée fonde sa légitimité sur le fait que les dispositions statutaires, quand elles aménagent une disposition impérative, ont, selon les mots d’Alexis Constantin, une « impérativité d’emprunt ». Par contraste, la violation de « simples » dispositions statutaires ne saurait entraîner une quelconque nullité. La règle peut être justifiée, malgré les critiques, par les limitations apportées aux nullités sociétaires par les art. L. 235-1 C. com. et 1844-10 C. civ.

Cependant, il était possible de soutenir qu’il faudrait sanctionner la violation des statuts dans les SAS avec plus de force que dans les autres sociétés, car ils ont une place prépondérante pour l’organisation de ces premières. De plus, la formulation de l’art. L. 227-9 C. com. pourrait faire penser qu’il contient une disposition impérative aménageable. Néanmoins, la Chambre commerciale a affirmé que ce n’était pas le cas (Com. 26 avr. 2017, n° 14-13.554).

Ce dernier arrêt est cité dans celui sous commentaire, justement pour préciser que la Chambre commerciale ne voit toujours pas dans l’art. L. 227-9 C. com. une disposition impérative aménageable (pt 14). La raison du revirement vient du fait que le respect des statuts « est essentiel au bon fonctionnement de la société et à la sécurité de ses actes » et que leur violation doit être sanctionnée per se, sur le fondement du dernier alinéa de l’art. L. 227-9 C. com.

La Cour circonscrit la portée de sa solution aux SAS, dans lesquelles il faudra désormais caractériser seulement une violation des statuts de nature à influer sur le résultat du processus de décision. Adieu donc, dans ce cadre, l’arrêt Larzul, au profit d’une impérativité des statuts de SAS. À l’inverse, dans les autres sociétés, il s’applique toujours, et il faudra vérifier qu’une disposition impérative aménagée a été violée pour obtenir la nullité de la décision.

N’aurait-il pas été plus simple d’admettre que l’art. L. 227-9 C. com. était une disposition impérative aménageable ? Ou, inversement, ne fallait-il pas abandonner totalement l’arrêt Larzul au profit d’une nullité pour violation des statuts dans toutes les formes sociales ? Car le respect des statuts n’est pas plus important dans les SAS qu’ailleurs a priori. Même si elles se distinguent par leur souplesse, ce caractère ne devrait pas faire varier la force obligatoire des statuts. Le respect des statuts n’est-il pas essentiel au bon fonctionnement de la société dans toutes les sociétés ? On sait par exemple que les SNC, bien que moins usitées, régissent tout autant leur fonctionnement par les statuts que les SAS, voire davantage.

Si le bien-fondé de cette règle peut donc être contesté, sa portée aussi.

La portée

Une chose semble certaine : ce sont les modalités statutaires de prise de décisions (comment prendre la décision ?) qui sont concernées mais également le domaine statutaire des décisions (quelles décisions doivent être collectives ?). La violation de ces deux types de stipulations sera sanctionnée par la nullité.

Les juges restreignent néanmoins le champ de la nullité par le biais du critère de l’influence de la violation sur le processus de délibération, qui ne brille pourtant pas par sa clarté. Cette nullité est en outre facultative et sera ainsi doublement restreinte : elle ne sera pas prononcée si la violation n’est pas de nature à influer sur le résultat de la décision ou si le juge, constatant qu’elle a cet effet, choisit néanmoins de ne pas la prononcer.

Au-delà, la règle posée confirme la préférence des juges de cassation commerciaux pour les statuts de SAS… au risque de revenir sur certaines interprétations. Car, il y a peu, la même chambre avait énoncé, dans une affaire concernant une SAS, que « si les actes extra-statutaires peuvent compléter les statuts, ils ne peuvent y déroger » (Com., 12 oct. 2022, n° 21-15.382). Nous avions cru y voir une affirmation générale selon laquelle les statuts primeraient toujours sur les actes extra-statutaires, mais peut-être la règle était-elle dictée par la forme sociale ; ce qui serait révélé par la faveur faite aux statuts de SAS dans le présent arrêt. Affaire à suivre donc.

 

Jean-Baptiste BARBIÈRI
Maître de conférences, Université Paris-Panthéon-Assas

 


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Une société civile n’est pas engagée par le prêt de nature à compromettre son existence

Soumis par sfournier le mer 29/03/2023 - 07:33

Lettre CREDA-sociétés 2023-06 du 29 mars 2023

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"Les actes accomplis par le gérant ne peuvent engager la société si, étant de nature à compromettre son existence même, ils sont contraires à l’intérêt social, y compris lorsqu’ils entrent dans son objet statutaire". La formule n’est pas nouvelle ; mais pour la première fois, dans un arrêt du 11 janvier 2023, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dépassant le seul cadre de la garantie de la dette d’autrui, l’applique au prêt souscrit par le gérant d’une SCI (Cass. 3e civ., 11 janv. 2023, n° 21-22.174, F-D).

Depuis 2008, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, suivie avec quelques nuances par la chambre commerciale, considère que la société civile n’est pas engagée par la sûreté octroyée en garantie de la dette d’autrui, et spécialement d’un associé, dès lors que, étant de nature à compromettre son existence même, elle est contraire à l’intérêt social. Si cette solution est applicable aux sociétés de personnes, elle est en revanche écartée en présence d’une société de capitaux relevant du champ d’application de la directive (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017. Il en a été jugé ainsi à propos d’une SARL et d’une SAS. Outre l’influence de la directive, l’absence de transposition de cette jurisprudence aux sociétés commerciales à responsabilité limitée s’explique également par la différence des pouvoirs du représentant légal pour engager la société et à la qualification de convention interdite, sanctionnée par la nullité, des garanties et prêts octroyés par la société aux associés personne physique.

L’accueil, par une partie de la doctrine, de la jurisprudence relative aux sociétés de personnes est extrêmement réservé. Trois principaux reproches sont généralement formulés à son encontre : l’absence de fondement textuel, le recours à la notion « insaisissable » d’intérêt social et une atteinte à la sécurité juridique des transactions. Par cet arrêt du 11 janvier 2023, la Cour de cassation ne paraît pas avoir été convaincue par ces différents arguments – mais peut-être parce qu’ils ne sont pas toujours convaincants – et va même plus loin – tout du moins en apparence – en écartant la validité même du prêt souscrit par la société.

Contexte de la solution

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Dans la présente affaire, une SCI a été constituée en 2004 par deux associés, le minoritaire ayant été désigné gérant. La société fit alors l’acquisition d’un bien immobilier. En 2007, par l’emploi de manœuvres frauduleuses, le gérant de la SCI obtint d’une banque – dont on apprend dans l’arrêt d’appel qu’elle déposa par la suite plainte contre le gérant – un prêt relais d’un montant de 384 000 euros garanti par une inscription d’hypothèque sur le bien immobilier de la SCI. Quelques années après, les échéances du prêt n’ayant pas été réglées, la banque engagea une procédure de saisie immobilière à l’encontre de la SCI. L’associé majoritaire fut alors désigné en qualité de nouveau gérant car il reprochait à l’ancien gérant d’avoir souscrit le prêt à son insu et d’avoir détourné les fonds prêtés à son profit.

La SCI assigna donc la banque en nullité ou en déclaration d’inopposabilité du prêt et des actes subséquents tels que l’inscription d’hypothèque. Accueillie en première instance, cette demande fut rejetée par un arrêt du 1er juillet 2021 de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Trois arguments furent retenus pour écarter la demande : 1) il n’était pas établi que la banque avait eu connaissance de la fraude du gérant lors de la conclusion du prêt ; 2) le prêt avait été conclu avec le gérant régulièrement désigné et cette opération entrait « dans l’objet social défini par les statuts » ; 3) les dispositions du droit des sociétés se référant à l’intérêt social concernent les seuls rapports entre associés.

La SCI a alors formé un pourvoi dans lequel elle considère, notamment, que la société ne pouvait pas être engagée par l’acte du gérant, détournant son pouvoir dans son intérêt personnel, qui était de nature à compromettre l’existence de la SCI et était donc contraire à l’intérêt social. Le demandeur de pourvoi invoquait donc la jurisprudence relative à la nullité des garanties de la dette d’autrui octroyées par une société.

Énoncé de la solution

 Téléchargez la lettre Creda-Sociétés n° 2023-06 du 29 mars 2023

Lettre 2023-05

 

Au visa de l’article 1849, alinéa 1er, du Code civil, la troisième chambre civile casse l’arrêt d’appel. Dans un premier temps, la Cour de cassation rappelle le contenu de ce texte, lequel énonce que, « dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société pour les actes entrant dans l’objet social ». Prolongeant l’interprétation de ce texte, la Cour précise, ce qui constitue l’ « attendu » de principe, que « les actes accomplis par le gérant ne peuvent engager la société si, étant de nature à compromettre son existence même, ils sont contraires à l’intérêt social, y compris lorsqu’ils entrent dans son objet statutaire ».

Dans un second temps, elle reproche à la cour d’appel en s’étant déterminée ainsi, « sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le prêt souscrit n’était pas contraire à l’intérêt social de la SCI, eu égard au montant de l’emprunt et à l’inscription hypothécaire prise sur son seul immeuble », de ne pas avoir donné de base légale à sa décision.

L’arrêt d’appel est donc cassé car les juges du fond n’ont pas vérifié que l’une des conditions d’application de l’article 1849 du Code civil était remplie. Autrement dit, pour déterminer si le gérant avait commis un dépassement de pouvoir, les juges auraient dû vérifier si le prêt, en compromettant l’existence de la société, n’était pas contraire à l’intérêt social, peu important qu’il entre dans son objet statutaire.

Le fondement de la sanction : le dépassement de pouvoir

Le visa de l’article 1849, auquel se réfère systématiquement la troisième chambre civile, apporte un éclairage précieux sur la jurisprudence relative à la nullité des actes compromettant l’existence d’une société. En appliquant ce texte, la Cour qualifie ces actes, non comme un détournement de pouvoir, mais comme un dépassement de pouvoir. Il s’ensuit que l’argument de la Cour d’appel selon lequel la banque n’avait pas connaissance de la fraude lors de la souscription du prêt est inopérant. En effet, la qualification de dépassement de pouvoir écarte l’application de l’article 1157 du Code civil énonçant que « lorsque le représentant détourne ses pouvoirs au détriment du représenté, ce dernier peut invoquer la nullité de l’acte accompli si le tiers avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer ». De même, l’article 1849 déroge à l’article 1156 selon lequel « l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté ». La connaissance du tiers du dépassement de pouvoir du gérant est sans incidence sur la validité de l’acte.

La référence à l’article 1849 du Code civil permet en outre d’écarter l’argumentation selon laquelle cette jurisprudence ne reposerait sur aucun fondement textuel. De même, la modification du troisième alinéa de l’article 1844-10 du Code de civil opéré par la loi PACTE ne devrait pas remettre en cause la présente jurisprudence rendue dans des affaires antérieures à son entrée en vigueur. En effet, même si cette réforme écarte la nullité des actes et délibérations sociales – mais cela concerne-t-il les actes externes ? – contraires au deuxième alinéa de l’article 1833 du même code, précisant que « la société est gérée dans son intérêt social », l’article 1849 constitue un texte plus spécial dérogeant à cette disposition. Aussi, et surtout, le visa de cet article ne place pas le débat sur le terrain de la nullité, mais sur celui de l’engagement de la société par l’acte litigieux.

L’acte compromettant l’existence de la société n’entre pas dans l’objet social

Il reste alors à expliquer, ce qui est plus délicat, en quoi la souscription du prêt n’était pas susceptible d’entrer dans l’objet social. Il faut observer tout d’abord que, pour la Cour de cassation, la mention d’un acte dans l’objet statutaire n’est pas toujours suffisante pour que celui-ci entre dans l’objet social. Il n’existerait pas une identité parfaite entre « l’objet social » et « l’objet statutaire ». La volonté des associés ne suffirait pas toujours pour faire entrer un acte dans l’objet social et donc pour autoriser le gérant à engager la société à l’égard des tiers.

Certains actes, bien que prévus par les statuts, peuvent ne pas intégrer l’objet social, ou plus exactement peuvent en être exclus, dès lors qu’ils sont contraires à l’intérêt social. Pour autant, pour éviter que l’application de ce critère ne soit l’occasion pour le juge de procéder à un contrôle d’opportunité de l’acte, la Cour de cassation n’admet, en pareil cas, qu’une seule hypothèse de contrariété à l’intérêt social : lorsque l’acte compromet l’existence même de la société.

Même si cela ne ressort pas de la formulation des motifs, la jurisprudence admet – explicitement pour la chambre commerciale – que l’acte compromettant l’existence de la société est valide lorsqu’il est utile à la société. La société peut en effet avoir intérêt dans certains cas à prendre un tel risque si bien que l’acte sera alors conforme à son intérêt. Cependant, au regard du présent arrêt, cette utilité de l’acte compromettant son existence ne peut résulter de la seule existence d’une contreprestation offerte à la société – ce qui est le cas avec un contrat de prêt bancaire– mais de son utilité concrète. Or, dans cette affaire, les fonds prêtés n’ont pas été utiles à la société, mais à son associé minoritaire. Et on arrive alors au ressort essentiel de la solution : l’immeuble n’est jamais la chose personnelle d’un associé !

 

Gauthier LE NOACH
Maître de conférences à l’Université Paris-Nanterre

 

 

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Un pacte conclu pour la durée de vie d’une société est licite

Soumis par sfournier le mer 15/03/2023 - 09:41

Lettre CREDA-sociétés 2023-05 du 15 mars 2023

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Il résulte des articles 1134, alinéa 1er ancien et 1838 du code civil que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement.

C’est la seconde fois en quelques mois que la Cour de cassation apporte des précisions essentielles sur la durée des pactes d’associés et, singulièrement, s’agissant de la prohibition des engagements perpétuels (Cass. 1ère civ., 25 janv. 2023, n° 19-25.478, FS-B). Elle a déjà jugé, pour un pacte conclu avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, que « les engagements perpétuels ne sont pas sanctionnés par la nullité du contrat mais chaque contractant peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable » (Com., 21 sept. 2022, n° 20-16994 ; désormais, C. civ., art. 1210). L’arrêt du 25 janvier 2023, publié au Bulletin, formule une solution tout aussi essentielle pour la force obligatoire des pactes d’associés. Il énonce que le pacte conclu pour la durée de vie d’une société n’est pas constitutif d’un engagement perpétuel. Affecté d’un terme licite, ce pacte est donc à durée déterminée et ses signataires ne peuvent le dénoncer unilatéralement avant son échéance.

En l’espèce, 7 associés d’une SAS (un père, ses cinq enfants et une société HC) avaient conclu en 2010 un pacte dont la durée était calquée sur celle restant à courir de la SAS (soit 58 ans). La clause de durée du pacte prévoyait qu’à l’issue de cette première période, ce dernier serait tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée et qu’à l’occasion de chaque renouvellement, toute partie disposerait d’une faculté de dénoncer le pacte moyennant le respect d’un préavis de 6 mois. La clause stipulait enfin que le pacte lierait et bénéficierait aux héritiers, aux légataires, ayants droit, ayants cause de chacune des parties, et notamment leurs holdings familiales.

publications

 

En 2017, le pacte d’associés est résilié par le père et la société HC, et le 10 janvier suivant, par l’un des cinq enfants. En appel, la demande formulée par un autre des cinq enfants de voir la résiliation jugée irrégulière, et partant inefficace, est rejetée. Pour les juges aixois, la clause de durée du pacte constitue un engagement perpétuel dès lors qu’elle ne permet à ses signataires d’en « sortir », selon les cas, qu’à un âge avancé, entre 79 et 96 ans. Elle en déduit qu’une telle « durée excessive, qui confisque toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés, ouvre aux parties la possibilité de résilier le pacte à tout moment ».

L’arrêt est censuré au double visa des articles 1134, alinéa 1 ancien et 1838 du code civil. Selon la Chambre commerciale, statuant sur le moyen tiré de la perpétuité de l’engagement, bien que l’arrêt soit rendu par la première Chambre civile, il résulte de ces textes « que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement ».


 Téléchargez la lettre Creda-Sociétés n° 2023-05 du 15 mars 2023

Lettre 2023-05

 

1. L’opportunité de la solution

Ce qui frappe tout d’abord, c’est la généralité de la solution, dont la formulation lui donne les atours d’un arrêt de principe. Mieux, les circonstances de l’espèce sont en ce sens, puisqu’étaient signataires du pacte des personnes physiques possiblement liées jusqu’à la fin de leur vie et auxquelles ledit pacte pouvait survivre. Or, en dépit d’un précédent qui ne semblait pas marquer une hostilité de principe à un engagement affecté d’une telle durée (Com. 20 déc. 2017, n° 16-22.099), l’hésitation sur la nature perpétuelle du pacte conclu par des personnes physiques pour la durée de vie de la société était permise. En particulier, une décision récente sous-entendait que l’appréciation du caractère perpétuel d’un pacte, fonction des circonstances et de la nature des engagements souscrits, dépend de ce que la partie concernée est une personne morale ou une personne physique (CA Paris, 15 déc. 2020, RG 20/00220).

Les doutes sont ici levés et l’arrêt sera accueilli favorablement en pratique. En effet, faute d’une position claire de la jurisprudence sur l’appréciation du caractère perpétuel des clauses indexant la durée du pacte sur celle de la société, une solution, peu satisfaisante, consistait pour les parties à retenir une durée pour le pacte de 5, 10, 15 ans, etc., avec clause de reconduction. Simplement, à chaque échéance, les parties se trouvaient confrontées au risque de sortie de l’une d’entre elles.

L’accueil réservé à l’arrêt sera d’autant plus favorable qu’il a été jugé que ne constitue pas un terme, même implicite (i.e. se référant à la durée de vie de la société), la clause selon laquelle les stipulations d’un pacte d’associés demeurent applicables aussi longtemps que ses signataires resteront ensemble associés. Sans qualifier expressément la clause (il n’est pas dit qu’il s’agit d’une condition), la cour d’appel, qui est approuvée par la Chambre commerciale, avait retenu que « la perte, par l’un ou l’autre des cocontractants, de la qualité d’actionnaire ne présente aucun caractère de certitude, quand bien même l’un ou l’autre peut-il à tout moment céder ses actions » (Com. 6 nov. 2007, n° 07-10.620,). Or, faute de terme stipulé au pacte, chaque partie dispose alors d’une faculté de résiliation unilatérale (rappr. Com. 20 déc. 2017, n° 16-22.099, précité, estimant « que la perte de la qualité d’actionnaire de ce dernier ne constitue pas un terme extinctif, mais une condition de validité de l’engagement dans le temps »).

2. La portée de la solution

La force obligatoire des pactes d’associés sort clairement renforcée de cet arrêt. En un sens, et c’est la raison du visa de l’article 1838 du Code civil, les hauts magistrats considèrent que si la société peut durer 99 ans et lier pour aussi longtemps les associés, pourquoi ne pas l’admettre pour un pacte d’associés ? De toute évidence, l’arrêt consacre une règle spéciale justifiée par la nature particulière du contrat qu’est le pacte d’associés. D’abord, le pacte crée des droits et obligations qui ont, en simplifiant, pour objet la société ou les titres de capital émis par elle. Ensuite, le pacte est un contrat périphérique et souvent complémentaire aux statuts ; il peut même être conçu comme un « accessoire » des statuts. Il convient donc d’éviter que sa force obligatoire, qui se trouve en partie dans la dépendance des statuts, soit désactivée par tout signataire au seul motif que sa durée est arrimée à celle de la société. En un sens, cet arrêt invite à considérer que si les stipulations d’un pacte ne doivent pas heurter l’ordre public sociétaire, il apparait opportun, à rebours, que certaines règles du droit des sociétés, par capillarité, lui profitent.

Un peu plus loin du sujet, rappelons qu’il a été admis que l’on prête à la sanction de certaines clauses d’un pacte d’associés conclus entre les associés d’une SAS la vigueur de celle des clauses statutaires (Com. 27 juin 2018, n° 16-14.097). Et on sait que l’articulation entre statuts et actes extrastatutaires n’est pas toujours aisée à opérer (par ex. Com. 12 oct. 2022, n° 21-15382). On saura donc gré à la Cour de cassation de livrer certaines clés de lecture, et au cas particulier, en matière de durée des pactes, une solution claire.

Pour autant, un blanc-seing n’est pas donné aux rédacteurs de pactes. D’une part, était en l’espèce réservée aux signataires une faculté de résiliation lors de chaque reconduction tacite du pacte, elle-même fonction de la prorogation de la durée de la société. Si une telle faculté n’écarte pas toujours la critique sur le terrain de la perpétuité (ex. Com., 11 mai 2022, n° 19-22.015), il ne semble pas douteux que le pacte qui serait renouvelé ou prorogé de façon illimitée ou indéfinie à la discrétion de l’une des parties seulement, encourrait le vice de perpétuité (ex. Civ. 3ème, 27 mai 1998, n° 96-15.774).

D’autre part, le libéralisme de la solution n’exclut pas, évidemment, l’assujettissement des engagements que contient le pacte à un test de licéité sur d’autres plans. On songe aux règles de l’ordre public du droit des contrats en général, et du droit des sociétés en particulier : clauses de non-concurrence, d’exclusivité, d’inaliénabilité, conventions de vote, clauses léonines, libre révocabilité des dirigeants, potestativité des engagements ou conditions, etc. Concrètement, les pactes restent exposés à la critique sur le terrain de la licéité de leur contenu. Simplement, il faudra fonder cette critique sur une autre cause que la seule conclusion du pacte pour une durée correspondant à celle de la société.

 

Julien Delvallée,
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay

 

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Redressement judiciaire : l'associé menacé de dilution peut former tierce opposition

Soumis par sfournier le mer 01/03/2023 - 13:16

Lettre CREDA-sociétés 2023-04 du 1er mars 2023

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Par un important arrêt publié rendu le 8 février 2023 (21-14.189), la chambre commerciale déclare recevable la tierce opposition de l’actionnaire qui cherche à contester le plan de redressement envisageant de lui imposer une dilution de sa participation. La solution mérite d’être remarquée, en ces temps de « désacralisation » des droits de l’associé au nom du sauvetage des entreprises.

Une société LPS, détenue notamment par une personne physique A à hauteur de 43,09 %, fut placée en redressement judiciaire. Quelques mois plus tard, le tribunal de commerce arrêta le plan de redressement. Par une ordonnance de référé, le président du tribunal désigna ensuite un mandataire avec la mission de mettre en œuvre la procédure prévue à l’article L. 631-9-1 du code de commerce. Les capitaux propres de la société étant tombés à un niveau inférieur à la moitié du capital social (C. com., art. L. 225-248), et en l’absence de reconstitution dans les conditions de l’article L. 626-3 du code de commerce, l'administrateur peut en effet solliciter la désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à la place des associés opposants, lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou de plusieurs personnes qui se sont engagées à exécuter le plan.

publications

 

L’assemblée générale devait ici être réunie pour se prononcer sur la réduction du capital social à zéro, suivie de son augmentation en numéraire en deux temps, réservée à B, qui s’était engagé à exécuter le plan, et à un autre actionnaire, une société M. Capital Partners.

L’actionnaire A, mis à l’écart et ne pouvant, de ce fait, faire jouer sa minorité de blocage, a décidé de former tierce opposition contre le jugement arrêtant le plan. Mais celle-ci fut déclarée irrecevable par la cour d’appel, qui retint que le demandeur, représenté à l’instance, n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société dans le cadre de ce plan.

L’arrêt sera finalement cassé par la chambre commerciale. L’intérêt de cette décision publiée est double. Il nous offre d’abord l’occasion de revenir sur la question épineuse de l’admission de la tierce opposition d’un associé à l’encontre d’une décision visant la société (1). Surtout, à rebours d’une tendance observable depuis quelques années en droit positif, la chambre commerciale se montre particulièrement soucieuse des droits de l’associé menacés de dilution par le plan de redressement (2).


 Téléchargez la lettre Creda-Sociétés n° 2023-04 du 1er mars 2023

Lettre 2023-04

 

L’admission de la tierce opposition de l’associé

La tierce opposition permet à un tiers d’attaquer un jugement en vue de le faire rétracter ou réformer (C. proc. civ., art. 582). Voie de recours exceptionnelle, ouverte uniquement dans les cas prévus par la loi (C. proc. civ., art. 580), plusieurs conditions de recevabilité sont imposées. Ne sont ainsi admis à l’exercer que les personnes qui n’ont pas été parties à l’instance, et qui font état d’un intérêt légitime à agir (C. proc. civ., art. 583). Parmi les tiers, sont néanmoins déclarés logiquement irrecevables ceux qui ont été représentés.

La question de savoir si l’associé est recevable à attaquer une décision concernant sa société a fait l’objet de nombreux débats, tant doctrinaux que devant les prétoires. Si l’associé est incontestablement un tiers, peut-on cependant le considérer comme étant « représenté » ? Dans la rigueur des principes techniques qui régissent la représentation, une réponse négative devrait s’imposer : le représentant légal de la personne morale n’agit, dans le cadre du procès, qu’au nom et pour le compte de cette dernière, et non des associés.

A la vérité, pour éviter une dilatation trop importante du domaine de la tierce opposition, la Cour de cassation a une conception plutôt extensive de la notion de représentation – certains arrêts se contentent même d’une « communauté d’intérêts » (Cass. civ. 1re, 5 mars 2008, no 07-11.667, publié). La jurisprudence, fixée depuis de nombreuses années, considère avec constance que les associés sont bel et bien représentés à l’instance par le représentant légal de la société (V. par exemple : Cass. com. 23 mai 2006, no 04-20.149, publié).

La seule possibilité pour l’associé est alors d’invoquer l’une des deux exceptions qui permettent l’ouverture de la tierce opposition aux représentés. Son droit d’agir sera d’abord reconnu s’il parvient à démontrer l’existence d’une fraude à ses droits ou s’il fait valoir des moyens qui lui sont propres, autrement dit, des moyens que le représentant n’aurait pas été en mesure d’invoquer. L’apport principal de l’arrêt est de reconnaître l’existence d’un moyen propre à l’associé qui cherche à contester une restructuration de capital prévue à son détriment par le plan de redressement.

La protection de l’associé menacé de dilution

La question du domaine de la tierce opposition est particulièrement sensible en droit des entreprises en difficulté. Les impératifs de la procédure peuvent inciter à restreindre les possibilités de contestation ouvertes aux tiers. Pourtant, depuis la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, la tierce opposition a été largement ouverte, tant à l’encontre du jugement d’ouverture, que de celui prononçant une extension de procédure (C. com., art. L. 661-2), ou encore de la décision arrêtant le plan de sauvegarde ou de redressement (C. com., art. L. 661-3).

Le problème prend une tournure particulière lorsque le plan prévoit une mesure qui peut se traduire par la dilution d’un associé contre son gré. C’était précisément l’effet du plan contesté, qui exploita la possibilité offerte par l’article L. 631-9-1 du code de commerce, lorsque les capitaux propres sont devenus inférieurs à la moitié du capital social. Si l’on peut y voir l’expression de la contribution aux pertes de l’associé, la mesure est néanmoins forte, et a d’ailleurs été contestée lors de son entrée en vigueur (Ord. du 12 mars 2014) : au nom du sauvetage de l’entreprise, le plan peut désormais porter atteinte aux droits de l’associé qui ne souhaite pas ou n’est pas en mesure de souscrire à l’augmentation de capital.

La solution adoptée par la chambre commerciale est à rebours de la tendance, observée depuis quelques années, d’autoriser une « mise à l’écart » de certains associés ou dirigeants lorsque le redressement de l’entreprise l’exige. Plus exactement, l’arrêt tempère la rigueur de ces nouveaux principes en cherchant à ménager les droits de l’associé, même récalcitrant, en lui ouvrant malgré tout la tierce opposition, dès lors (comme en l’espèce) qu’il critique précisément la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'exercer ses droits de vote aux fins d'approuver un coup d’accordéon réservé à d'autres associés que lui. Le raisonnement est difficilement contestable : la privation du droit de vote, ainsi que la dilution qu’il subit, sont des griefs qui sont évidemment propres à l’associé concerné.

La publication de cet arrêt de cassation – prononcée pour violation de la loi – s’explique sans doute par la résistance opposée par certaines juridictions du fond. En effet, la chambre commerciale avait déjà censuré une décision de cour d’appel ayant déclaré irrecevable la tierce opposition de l’associé, dans des circonstances très proches (Cass. com., 31 mars 2021, n° 19-14.839, publié). Le plan avait décidé d’une réduction du capital à zéro, suivie d’une augmentation réservée à un actionnaire devenu unique. La cour d’appel avait refusé de faire droit à la tierce opposition de l’associé évincé, qui invoquait la perte de sa qualité d’associé et l’atteinte portée à son droit préférentiel de souscription, motif pris de ce que ces moyens, qui concernent la collectivité des associés et ont été débattus à l’instance, n’étaient pas propres à l’associé opposant. La cassation fut sèchement prononcée, toujours pour violation de la loi, le moyen propre n’étant pas celui que peut exclusivement invoquer un associé considéré individuellement.

Ces arrêts sont vraisemblablement appelés à rayonner au-delà du strict domaine de l’article L. 631-9-1 du code de commerce. Une conclusion analogue devrait en effet a fortiori s’imposer lorsque le plan prévoit une mesure de dilution ou de cession forcées, conformément à l’article L. 631-19-2 du code commerce. Consacrée par la loi Macron du 6 août 2015, la mesure est encore plus lourde pour l’associé évincé car elle n’est pas conditionnée par les critères de l’article L. 225-248 du même code. Au point que sa constitutionnalité fut discutée, mais finalement reconnue (Cons. const., 5 août 2015, n° 2015-715 DC). S’il est vrai que l’associé concerné est entendu par le tribunal lorsqu’une telle mesure est projetée, cela ne suffit pas pour en faire une partie à l’instance.

Que penser de l’opportunité de ces solutions ? La quête du point d’équilibre entre intérêt social, intérêt des associés et celui des créanciers est, on le sait, une gageure. En l’occurrence, la multiplication des recours peut certainement risquer de perturber le bon déroulement de la procédure et in fine compromettre, peut-être, les chances de sauvetage. Certes, l’effet relatif de la tierce opposition atténue quelque peu ce danger : elle empêche simplement le jugement de produire effet à l’égard du tiers opposant, sans affecter la portée du jugement entre les parties (C. proc. civ., art. 591). Pour autant, l'admission au fond de la tierce opposition devrait logiquement conduire à faire obstacle à la dilution de l’associé.

 

Akram El Mejri,
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

 

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Pluralité de gérants dans une SARL : à faute individualisée, action propre !

Soumis par sfournier le mer 08/02/2023 - 08:11

Lettre CREDA-sociétés 2023-03 du 8 février 2023

La gérance, dans les sociétés à responsabilité limitée, peut être exercée par plusieurs personnes physiques selon l’article L. 223-18 du Code de commerce. La chambre commerciale de la Cour de cassation a, dans un arrêt rendu le 25 janvier 2023 (Cass. com., 25 janvier 2023, n° 21-15.772), l’occasion d’apporter une précision sur les conditions processuelles de mise en œuvre de la responsabilité civile lorsqu’un cogérant commet une faute.

 

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Il est question, dans cette décision, d’une personne physique ayant, à titre personnel, un commerce de restauration situé dans un centre commercial. Cette personne est par ailleurs cogérante d’une SARL, exploitant un supermarché dans ce même centre commercial. La personne physique ayant démissionné de ses fonctions de cogérante, la SARL engage sa responsabilité civile, aux motifs que la société avait payé les factures d’électricité du commerce de restauration. Ce faisant, la cogérante avait commis une faute de gestion en mettant à la charge de la SARL des sommes qu’elle ne devait pas supporter.

La Cour d’appel de Nouméa rejette l’action sociale, au motif que celle-ci n’est engagée qu’à l’encontre d’un seul cogérant, alors qu’elle aurait dû être dirigée « à l’encontre de l’ensemble des cogérants ». La chambre commerciale censure l’arrêt, au visa de l’article L. 223-22 du Code de commerce, affirmant que « la pluralité de gérants ne fait pas obstacle à ce que leur responsabilité soit engagée de manière individuelle ».

Cet arrêt présente l’intérêt de rappeler la particularité de la pluralité de gérants au sein d’une SARL, puis d’aborder les modalités de mise en œuvre de la responsabilité civile lorsqu’un gérant commet une faute de gestion.

La pluralité de gérants dans une SARL

L’arrêt offre la possibilité de rappeler les modalités de la gérance de SARL lorsque plusieurs personnes sont chargées de l’exercer. La répartition des pouvoirs, dans l’hypothèse d’une pluralité de gérants, nécessite une distinction.
D’une part, dans les relations internes à la société, les statuts peuvent prévoir une répartition des pouvoirs. Ainsi, plusieurs gérants peuvent avoir des pouvoirs distincts et donc ne pas avoir de compétences concurrentes, ce qui permet d’avoir une gérance lisible. Un gérant qui ne respecterait pas une telle limitation des pouvoirs engagerait sa responsabilité pour méconnaissance des stipulations statutaires.

D’autre part, à l’égard des tiers, chaque cogérant dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société (article L. 223-18 du Code de commerce). Chaque gérant peut donc engager la société comme il le souhaite, sans se soucier d’une quelconque limitation statutaire de ses pouvoirs, qui n’est pas opposable aux tiers.

Si chaque gérant est donc le représentant légal de la société, un cogérant engage-t-il les autres gérants pour autant ? En d’autres termes, la faute commise par un cogérant engage-t-elle la responsabilité civile des autres ?

La responsabilité civile des cogérants de SARL

La chambre commerciale de la Cour de cassation apporte dans cette décision une réponse à cette question, qui n’est pas réglée par la lettre de l’article L. 223-22 du Code de commerce. Cet article, cité au visa de l’arrêt, dispose que « Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ». Par ailleurs, lorsque plusieurs gérants ont commis la même faute, il reviendra au tribunal de fixer leur part contributive.

En l’espèce, la faute de gestion commise ne l’était que par une seule cogérante, bien qu’il soit « constant que celle-ci n’était pas la seule cogérante de la société ». Les juges du fond avaient alors, devant le constat d’une gérance multiple, conclu que l’action en responsabilité ne pouvait être engagée qu’à l’encontre de tous les cogérants. Ils avaient assimilé la règle de contribution à une règle de procédure : pour engager la responsabilité de la cogérante du fait de sa faute de gestion, il aurait fallu introduire l’action à l’encontre de tous les cogérants, à charge pour le juge de déterminer par la suite qu’un seul des cogérants était fautif, et que lui seul devait contribuer aux réparations.

C’est sur ce point que la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel. Dans l’hypothèse d’une pluralité de gérants, de deux choses l’une :

  • Soit, la faute a été clairement commise par un seul cogérant, et les victimes – qu’il s’agisse de la société, des associés ou des tiers – pourront uniquement assigner le cogérant fautif qui assumera seul les conséquences de sa faute ;
  • Soit, il existe un doute quant à l’identité du gérant auteur de la faute, et les victimes pourront assigner les cogérants, qui seront solidairement responsables, mais dont la contribution dépendra de leur part dans la commission de la faute.

La présente décision offre donc une précision importante : le régime de responsabilité solidaire induit par la gérance collégiale n’emporte pas de conséquences processuelles. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’il est possible que les cogérants soient responsables solidairement en cas de faute de gestion qu’il est nécessaire d’engager une action en responsabilité à l’encontre de tous les cogérants, s’il est possible de rattacher exclusivement la faute à l’un des cogérants.

En revanche, et dans un tel cas de figure, cela ne signifie pas pour autant que les autres cogérants voient leur responsabilité écartée. Ces derniers pourraient voir leur responsabilité engagée pour la commission d’une autre faute, celle liée à un défaut de surveillance, si un tel devoir apparaît statutairement. Une telle action ne pourrait toutefois être envisageable que par le biais de l’action sociale ut singuli, c’est-à-dire celle engagée par des associés au nom de la société, ou par de nouveaux gérants.

In fine, lorsque l’action est engagée par un tiers, ne serait-il pas préférable, dans le doute, d’assigner tous les cogérants, sans avoir à rechercher l’imputabilité de la faute ? Cette solution n’est sans doute pas celle proposée par la chambre commerciale dans cet arrêt, qui ne l’interdit pas pour autant…


Matthieu Zolomian
Maître de conférences à l’Université d’Angers

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Coup d’accordéon : la réduction du capital à zéro indissociable de son augmentation

Soumis par sfournier le mer 25/01/2023 - 12:55

Lettre CREDA-sociétés 2023-02 du 25 janvier 2023

Dans un arrêt du 4 janvier 2023 (Cass. com., 4 janv. 2023, n° 21-10.609, F-B), la Cour de cassation énonce que, dans une société par actions, la réduction du capital à zéro ne peut produire légalement effet tant que l’augmentation de son capital n’a pas été réalisée. Jusqu’à cette augmentation effective du capital, les actionnaires concernés par la réduction demeurent associés. La solution est opportune, mais la référence à l’article L. 224-2 du Code de commerce peut surprendre.

 

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Contexte de la solution

En 2015, les actionnaires d’une société par actions simplifiée avaient décidé la réduction du capital à zéro et l’augmentation du capital par création d’actions nouvelles, avec maintien du droit préférentiel de souscription. Seul l’actionnaire majoritaire souscrivit à celle-ci. Un des actionnaires minoritaires, ainsi évincé, avait alors saisi le juge des référés afin de demander la suspension des décisions de cette assemblée. Il estimait n’avoir pas été mis en mesure de souscrire à cette augmentation du capital. Dans son ordonnance, le Président du tribunal de commerce fit droit à sa demande en suspendant les résolutions de l’assemblée constatant la souscription de l’augmentation du capital, mais non celles relatives à la réduction du capital à zéro et au principe de son augmentation.

Un mois après la décision du juge des référés, l’actionnaire majoritaire – se croyant associé unique – décida d’un apport partiel d’actif d’une branche d’activité de la SAS à une autre société, détenue par la SAS et une autre personne. Le minoritaire évincé a alors agi en nullité de la décision d’apport partiel d’actif ; mais la Cour d’appel de Paris déclara irrecevable son action. Le minoritaire évincé n’avait plus, selon elle, la qualité d’associé au jour de l’introduction de son action, ce qui le privait donc de toute qualité à agir en nullité de la délibération litigieuse. Pour justifier sa solution, la cour d’appel avait retenu que le juge des référés n’avait suspendu que la seule résolution relative à la souscription de l’augmentation de capital. Celle relative à la réduction du capital était toujours effective de sorte que le minoritaire avait perdu sa qualité d’actionnaire.

Solution de la Cour

Au visa des articles L. 210-2 et L. 224-2 du Code de commerce, la chambre commerciale énonce que « la réduction à zéro du capital d’une société par actions n’est licite que si elle est décidée sous la condition suspensive d’une augmentation effective de son capital amenant celui-ci à un montant au moins égal au montant minimum légal ou statutaire ». Elle en conclut que la cour d’appel aurait dû déduire de la suspension de la réalisation de l’augmentation de capital que « la résolution décidant de la réduction à zéro du capital de la société ne pouvait, sauf à priver cette société de tout capital, légalement produire effet, peu important que la suspension de cette résolution n’ait pas été ordonnée en référé, de sorte que [le minoritaire] avait conservé, à la date à laquelle il avait introduit son action, la qualité d’actionnaire ». L’arrêt d’appel est donc cassé.

Il ne paraît pas très contestable que le minoritaire avait toujours la qualité d’associé au jour de l’introduction de son action en nullité de l’apport partiel d’actif. Dans le cas contraire, il aurait fallu admettre qu’aucune personne n’avait la qualité d’associé depuis la suspension de l’augmentation de capital par le juge des référés. On aurait été alors confronté à une figure insolite : la société sans associé ! Il est donc parfaitement opportun de conférer un caractère indissociable de la réduction du capital à zéro avec son augmentation subséquente dès lors que l’on tient pour acquis – mais la question pourrait être discutée – que la réduction du capital à zéro emporte la perte de la qualité d’associé. Pour justifier cette solution opportune, la Cour de cassation se fonde sur deux textes : les articles L. 224-2 et L. 210-2 du Code de commerce.

L’article L. 224-2 du Code de commerce

L’article L. 224-2 du Code de commerce, figurant dans le chapitre intitulé « Dispositions générales applicables aux sociétés par actions », fixe dans son premier alinéa à 37 000 € le capital social minimum dans une société par actions. Dans son deuxième alinéa, il est prévu que « la réduction du capital social à un montant inférieur ne peut être décidée que sous la condition suspensive d’une augmentation de capital destinée à amener celui-ci à un montant au moins égal au montant prévu à l’alinéa précédent ». En cas d’inobservation de cette exigence, toute personne peut demander en justice la dissolution de la société. La référence à cet article suscite au moins deux difficultés.

  • La première, et non des moindres, est que cet article n’est pas applicable à la société par actions simplifiée. Le troisième alinéa de l’article L. 227-1 du Code de commerce exclut expressément l’application de l’article L. 224-2 à la SAS et ce depuis la loi LME du 4 août 2008.
  • La seconde difficulté réside dans le fait que la chambre commerciale n’applique pas véritablement ce texte. En effet, ce texte ne confère pas un caractère indissociable entre la réduction du capital en-dessous du minimum légal et l’augmentation du capital. Cette disposition envisage seulement la possibilité de demander la dissolution de la société sous réserve d’une éventuelle régularisation, ce qui démontre que la réduction du capital produit tout de même effet.

L’article L. 224-2 n’est donc ni applicable, ni appliqué par la chambre commerciale. Il est alors possible de douter qu’il soit le fondement de la solution ainsi retenue. Tout au plus, cette disposition constitue-t-elle une source d’inspiration dont elle aurait dû se garder d’en faire mention dans le visa. L’inspiration n’est pas particulièrement heureuse, d’ailleurs, lorsque la Cour précise que l’augmentation effective du capital doit amener celui-ci à un montant au moins égal au minimum légal – elle vise les SA et SCA – ou statutaire – elle vise les SAS. En dehors des sociétés à capital variable, quels statuts de SAS fixent un montant minimal du capital social que les associés ne pourraient jamais modifier ?

L’article L. 210-2 du Code de commerce

L’article L. 210-2 énumère les différents éléments que doivent déterminer les statuts d’une société commerciale et parmi lesquels figure le montant du capital social. De ce texte, la Cour de cassation paraît en déduire l’impossibilité, pour une société par actions, d’être dépourvue de tout capital social. En effet, dans la conclusion de ses motifs, la chambre commerciale précise que la réduction du capital à zéro ne pouvait « légalement produire effet » en l’absence d’une augmentation effective du capital, car sinon la société serait privée de tout capital social. Assurément, cet article paraît être le véritable fondement de l’arrêt. Quatre remarques.

  • Il serait à nouveau possible de discuter de l’applicabilité à la SAS de l’article L. 210-2 en ce qui concerne la détermination du montant du capital social. L’ordonnance n° 2009-80 du 22 janvier 2009 a supprimé l’alinéa 2 de l’article L. 227-2 énonçant que « le montant du capital social est fixé par les statuts ». Supprimer une disposition du droit spécial reprenant le contenu d’une disposition générale, est-ce évincer le droit commun ? On peut en douter.
  • Toujours est-il que la Cour de cassation applique ce texte et pose donc le principe dans la SAS, et plus généralement dans les sociétés par actions, de l’existence d’un capital social. Et s’il faut un capital social en cours de vie sociale, il est possible logiquement d’en déduire qu’une société par actions ne peut pas être constituée sans capital social, sans apports en nature ou en numéraire, sans capitaux, même si le législateur admet l’émission d’actions inaliénables dans une SAS (C. com., art. L. 227-1).
  • Autre enseignement de cet arrêt, la suspension de l’effet de la réduction du capital à zéro est de source légale, à savoir l’article L. 210-2 imposant l’existence d’un capital social. Il n’est alors pas indispensable de stipuler cette condition suspensive dans la résolution contrairement à ce que suggère l’attendu de principe (« la réduction n’est licite que si elle est décidée sous la condition suspensive… »). D’ailleurs, en l’espèce, une telle condition avait été effectivement stipulée et pourtant la Cour de cassation ne se fonde pas sur elle, et sur le principe de la force obligatoire des contrats, pour retenir sa solution.
  • Dernière remarque : cette solution est-elle transposable à l’ensemble des sociétés commerciales ? La référence à l’article L. 210-2, qui relève du droit commun des sociétés commerciales, inviterait à le penser. Pour autant, la réponse n’est pas évidente tant le capital social n’occupe pas la même place selon que la société est à responsabilité limitée ou non. Par exemple, dans une SARL, l’article L. 223-42 du Code de commerce, traitant de la situation dans laquelle les capitaux propres sont devenus inférieurs à la moitié du capital social, n’aurait aucun sens en l’absence de capital social. C’est la fonction de garantie des tiers, malmenée par l’absence d’un montant minimal, qui justifie l’existence d’un capital social. En revanche, dans une SNC, le capital social assure uniquement une fonction de répartition supplétive des droits financiers ce qui pourrait justifier d’en faire l’économie. D’ailleurs, il est coutume d’enseigner qu’une SNC pourrait être constituée uniquement avec des apports en industrie.


Gauthier Le Noach
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

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L’usufruitier n’a pas la qualité d’associé : conséquence fiscale…

Soumis par sfournier le jeu 12/01/2023 - 09:06

Lettre CREDA-sociétés 2023-01 du 11 janvier 2023

La cession de l’usufruit de parts sociales d’une société civile immobilière est-elle soumise au droit d’enregistrement au taux proportionnel de 5 % ? La Cour de cassation répond par la négative dans un arrêt du 30 novembre 2022 (Cass. com., 30 nov. 2022, n° 20-18.884, FS-B). La cession de l’usufruit de droits sociaux est hors du champ des droits de mutation à titre onéreux. La question était inédite. La solution de la chambre commerciale mérite donc d’y consacrer quelques développements, d’autant qu’elle fera l’objet d’une publication au bulletin.

 

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Contexte de la solution

Les droits de mutation à titre onéreux ont un champ d’application beaucoup plus restreint que celui des droits de succession ou de donation. Ils ne frappent que certaines mutations prévues par un texte particulier. L’interprétation de ces textes présente alors un enjeu essentiel car, selon que la mutation entre ou non dans son champ d’application, elle sera ou non soumise aux droits d’enregistrement proportionnels.

En matière de cession de titres sociaux, le I de l’article 726 du Code général des impôts soumet « les cessions de droits sociaux » à un taux, assis sur le prix de cession, de 1 % pour « les cessions d’actions » non négociées sur un marché règlementé – pour celles qui y sont négociées, la taxe est due seulement lorsque la cession est constatée dans un acte –, de 3 % pour « les cessions (…) de parts sociales » et de 5 % pour « les cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière ».

Lorsque la cession porte sur la pleine propriété de parts sociales ou d’actions, l’application des droits de mutation ne fait aucun doute ; mais lorsque la cession porte sur le seul usufruit de titres sociaux, est-on toujours en présence d’une cession de droits sociaux, au sens de l’article 726 du Code générale des impôts, soumise aux droits d’enregistrement proportionnel ? Tel est l’enjeu de l’affaire soumise à la chambre commerciale dans l’arrêt du 20 novembre 2022.

Le cessionnaire de l’usufruit de parts sociales d’une société civile à prépondérance immobilière, ayant estimé que cette cession n’était pas incluse dans le champ d’application de la taxe, s’était contenté d’acquitter, lors de la présentation à l’enregistrement de l’acte de cession, le droit fixe de 125 € (CGI, art. 680). L’Administration fiscale ne partageait pas son avis et lui avait notifié une proposition de rectification des droits d’enregistrement pour un montant de 510 000 €.

Solution en appel

La Cour d’appel de Paris se rallia à la position de l’Administration fiscale en formulant deux arguments (CA Paris, Pôle 5, ch. 10, 29 juin 2020, n° 18/27154). En premier lieu, elle estima que « le terme “cession“, au sens de cet article, n’est pas uniquement limité à l’acte définitif de la cession de l’intégralité d’une ou plusieurs parts sociales, mais s’entend de toute transmission temporaire ou définitive de la part sociale elle-même ou de son démembrement, telle la cession de l’usufruit ou de la nue-propriété, le texte ne distinguant pas selon que la cession porte sur la pleine propriété ou sur un démembrement de celle-ci, même si d’autres dispositions du code général des impôts procèdent à une telle différenciation ». En second lieu, la cour ajoute que « la cession litigieuse a entraîné le transfert d’éléments de participation dès lors qu’en se dépossédant de l’usufruit des titres, les associés de la société civile immobilière NSG, qui ont perdu leur droit au bénéfice des dividendes, ont également perdu leur droit de vote afférent aux parts sociales cédées ».

S’il est important de s’attarder quelques instants sur l’argumentation de la cour d’appel, c’est en raison du double sens qu’elle confère aux « droits sociaux » ou, plus exactement, des deux approches qu’elle retient. Dans un premier sens, qui est l’approche du droit des biens, les droits sociaux désignent la part sociale ou l’action, à savoir le bien meuble par détermination de la loi. Pour les conseillers, la cession de l’usufruit de parts sociales serait effectivement une cession de droits sociaux, la généralité du texte justifiant de ne pas distinguer. Dans un second sens, qui est plutôt celui du droit des sociétés, les droits sociaux seraient les droits attachés à la qualité d’associé, qui, selon la cour, seraient partiellement transmis en cas de cession de l’usufruit de titres sociaux. Ainsi, pour résumer l’argumentation de la Cour d’appel de Paris, il y aurait cession de droits sociaux lorsqu’un droit sur les titres sociaux serait cédé ou, ce qui reviendrait presque au même, lorsque des prérogatives sociales seraient transmises.

Solution de la Cour

La Cour de cassation condamne cette interprétation et casse l’arrêt d’appel.

Dans ses motifs, la chambre commerciale commence par rappeler que, au terme de l’article 726 du Code général des impôts, « les cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d’enregistrement proportionnel ». Ce rappel peut paraître bien inutile. Il a néanmoins le mérite de montrer que les termes clés pour l’interprétation de cet article sont « droits sociaux » et non « parts sociales », « actions » ou « participation dans une personne morale ».

Ensuite, en se fondant sur l’article 578 du Code civil, elle énonce que « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. Il en résulte que l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire, de sorte que la cession de l’usufruit de droits sociaux ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux ». La Cour en conclut alors que « la cession de l’usufruit de droits sociaux, qui n’emporte pas mutation de la propriété des droits sociaux, n’est pas soumise au droit d’enregistrement applicable aux cessions de droits sociaux » et, statuant au fond, prononce la décharge des droits d’enregistrement supplémentaire mis en recouvrement par l’Administration fiscale.

L’argumentation de la Cour est quelque peu déroutante. A s’en tenir à la seule conclusion, les conseillers semblent limiter les cessions de droits sociaux, au sens de l’article 726, aux seules cessions de la propriété des parts sociales ou des actions. Non seulement la Cour semble retenir une approche exclusivement de droit des biens, plutôt classique en matière de droits d’enregistrement, mais en outre elle interpréterait strictement le texte.

Mais alors qu’elle est l’utilité du rappel de sa jurisprudence dorénavant classique depuis l’avis de la chambre commerciale du 1er décembre 2021 (v. lettre CREDA-Societes n° 2022-02) et l’arrêt de la 3e chambre civile du 16 février 2022, selon laquelle l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé ? Si l’approche du droit des biens suffit à l’interprétation de l’article 726, pourquoi opérer le détour par la qualité d’associé ? Est-ce uniquement pour réfuter l’argumentation de la cour d’appel sur la transmission de certains droits d’associé ? Proposons l’explication suivante : l’approche du droit des biens n’est pas suffisante car, pour la Cour de cassation, la cession de droits sociaux serait avant tout la cession de la qualité d’associé. Il importe moins de savoir si la cession emporte transfert de la pleine-propriété des titres sociaux, de la nue-propriété ou d’un autre droit réel – même s’il s’agit d’un excellent indice – que si l’opération emporte la transmission de la qualité d’associé elle-même. Cette interprétation permet d’ailleurs de conserver dans le domaine de l’article 726 les cessions de droits sociaux dans une société en participation ou une société créée de fait, opération que la Cour de cassation qualifie de « cession par les participants des droits qu’ils tiennent du contrat de société ».

En définitive, et bien que l’arrêt ne concernât que la cession de parts sociales dans une société civile à prépondérance immobilière, il est possible de considérer, en transposant la solution au-delà, que toutes les cessions d’usufruit de titres sociaux devraient échapper aux droits d’enregistrement proportionnels car ces opérations n’emportent pas transmission de la qualité d’associé.

Et la neutralité fiscale ?

La principale critique que l’on peut formuler à l’encontre de cet arrêt est de l’ordre de la politique fiscale. Cette solution heurte, en effet, le principe de neutralité fiscale de la détention directe ou indirecte de l’immeuble. Certes, à la différence d’autres textes, notamment en matière d’imposition des plus-values, l’article 726 n’assimile pas la cession de titres sociaux d’une société à prépondérance immobilière à la cession de l’immeuble (CGI, art. 682). Mais, l’esprit de ce texte, en soumettant la cession de tels titres sociaux à un taux équivalent (5 %) à celui des cessions immobilières (5,807 %), n’est-il pas de traiter de la même façon la cession directe et celle indirecte de l’immeuble ? Il serait ainsi curieux que la cession de l’usufruit d’un immeuble soit soumise aux droits d’enregistrement et non la cession de l’usufruit des parts d’une société à prépondérance immobilière. La loi de finances pour 2023 est passée, mais peut-être que le législateur se saisira de la question dans le futur. A suivre…


Gauthier Le Noach
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

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