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Cautions, avals et garanties dans les sociétés anonymes à directoire et conseil de surveillance

Lettre CREDA-sociétés 2024-07 du 15 mai 2024

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Le président du directoire ne peut pas consentir un cautionnement, même en cas d’autorisation du conseil de surveillance, dès lors qu’il n’a pas été habilité à le faire par le directoire lui-même (Cass. com., 10 mai 2024, n° 22-20.430).

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Le 13 avril 2010, une banque a consenti à une société un prêt, garanti par le cautionnement solidaire de la société IGS, société anonyme dualiste. Après la déconfiture de l’emprunteuse, la banque assigna la société IGS, laquelle lui opposa la nullité de son engagement de caution.

La cour d’appel ayant refusé d’accueillir ce moyen de défense, la société IGS forma un pourvoi. Selon la demanderesse, le cautionnement ne lui était pas opposable, dès lors qu’il avait été consenti par le président du directoire sans qu’une décision spéciale de cet organe ne l’ait habilité pour ce faire.

La chambre commerciale accueillit favorablement l’argument. Elle énonce « que si le président du directoire a le pouvoir d'exécuter une décision prise par le directoire, le cas échéant […] en vertu d'une autorisation donnée au directoire par le conseil de surveillance, il ne peut, en l'absence d'une telle décision, décider par lui-même de consentir un engagement de caution au nom de la société que s'il a reçu du directoire délégation pour ce faire ».

En l’espèce, le conseil de surveillance avait bien autorisé le directoire à engager la société IGS en tant que caution, le procès-verbal accordant « tous pouvoirs au directoire à l'effet de signer tous actes, percevoir toutes sommes [et] accorder les garanties demandées ». La cour d’appel s’était contentée de cet élément, considérant qu'il « ne résulte d'aucun texte, ni des statuts de la société IGS, que le président du directoire de celle-ci, doive lui-même être habilité par une décision spéciale du directoire à conclure l'acte de caution [sic] que le directoire a été autorisé à passer par le conseil de surveillance ».

La Cour de cassation reproche à la cour d’appel d’avoir privé sa décision de base légale, car elle n’a pas recherché si une décision du directoire avait habilité son président à passer l’acte litigieux.

L’habilitation impérative du président du directoire

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L’arrêt mérite d’être remarqué compte tenu de la rareté des décisions abordant le thème de l’autorisation des « cautions, avals et garanties » dans le contexte des sociétés à directoire et conseil de surveillance. Ceci s’explique sans doute par le fait qu’une large majorité de sociétés anonymes sont dotées d’une structure moniste.

Le champ d’application du dispositif ne varie pas selon que l’on soit en présence d’une société anonyme classique (C. com., art. L. 225-35, al. 4) ou à structure bicéphale. Ainsi, ne sont concernés que les engagements pris par la société en garantie de la dette d’autrui (V. Cass. com., 12 juill. 2011). Il en est de même s’agissant de la sanction d’un défaut d’autorisation, qui entraîne l’inopposabilité de la sûreté à la société. En revanche, et tout naturellement, les principes ne sont pas identiques pour ce qui est de la détermination des organes compétents.

C’est logiquement le conseil de surveillance qui est chargé d’autoriser, préalablement, les « cautions, avals et garanties » consentis au nom de la société (C. com., art. L. 225-68). Cette attribution s’impose car cet organe a pour fonction de contrôler le directoire, étant observé que ses membres, qui ne sont ni dirigeants de droit, ni dirigeants de fait (en principe), ont interdiction de s’immiscer dans la gestion. Une première originalité est à signaler, puisque le directoire peut passer outre un refus du conseil, en soumettant le différend à l’assemblée générale (C. com., art. R. 225-40).

Par ailleurs, l'article R. 225-53 du code de commerce permet au conseil de surveillance de fixer des seuils annuels de garantie. Ainsi, le conseil peut fixer un plafond par engagement, et, dans la limite d'un montant total qu'il fixe, autoriser le directoire à engager la société, pour une durée maximale d’un an.

En l’espèce, le conseil de surveillance avait eu recours à cette possibilité. La question posée était donc celle de savoir si le président du directoire pouvait, de lui-même, consentir un cautionnement dans les limites de l’autorisation ainsi accordée.

Un premier élément de réponse nous est fourni par le quatrième alinéa de l’article L. 225-53, qui prévoit que le directoire peut déléguer le pouvoir qu'il a reçu du conseil de surveillance à l’un de ses membres. Ce point mérite d’être noté, car est ici reconnu un pouvoir de délégation spécifique au directoire, alors que la doctrine est divisée quant à savoir si cet organe dispose d’une telle faculté à titre général. Toujours est-il que la chambre commerciale en tire argument pour poser le principe suivant lequel, en l’absence d’habilitation spéciale du président par le directoire, le premier ne pouvait pas passer l’acte litigieux au nom de la société.

La solution est conforme tant à l’esprit des textes qu’à la philosophie des sociétés anonymes dualistes. Si le président du directoire est bien le représentant légal de la société à l’égard des tiers (C. com., art. L. 225-66, al. 1er), il n’est pas assimilable à un directeur général de société anonyme moniste. La raison en est que la direction générale est attribuée au directoire lui-même, en tant qu’organe collégial (C. com., art. L. 225-64, al. 1er). Les membres du directoire, en ce inclus son président, ne détiennent aucun pouvoir propre distinct de celui de cet organe. Pour cette raison, l’on présente souvent le président comme un « organe d’exécution » des décisions prises par le directoire. Ceci vaut, à la vérité, pour tout autre représentant légal (« directeur général ») que pourrait nommer le conseil de surveillance, si les statuts le permettent (C. com., art. L. 225-66, al. 1er).

Cette collégialité découle très clairement de l’article R. 225-39 du code de commerce. Ce texte permet au conseil de surveillance (sauf stipulations statutaires contraires) d’autoriser le directoire à répartir les tâches de direction entre ses membres. Cette répartition ne produit cependant effet qu’en interne, et surtout, le texte ajoute qu’elle « ne peut en aucun cas avoir pour effet de retirer au directoire son caractère d'organe assurant collégialement la direction de la société ». Les conditions de mise en œuvre de cette collégialité (quorum, majorité…) sont, quant à elles, librement fixées par les statuts (C. com., art. L. 225-64, al. 4).

 

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Il s’en évince qu’en toute circonstance, le président du directoire ne peut passer un acte que si, à l’origine, une décision en ce sens a été prise par le directoire. La solution est cohérente : conférer davantage de pouvoir au président reviendrait à transformer le directoire en organe de contrôle… qui ferait doublon avec le conseil de surveillance !

En application de ces principes, le modus operandi suivant doit être respecté. Dès lors que le conseil de surveillance a autorisé un engagement, ponctuellement ou suivant une « enveloppe globale », l’initiative revient au directoire. Ce dernier a alors le loisir de décider, collégialement, d’accorder une ou plusieurs sûretés. En ce cas, le représentant légal ou, éventuellement, un directeur général, pourra accomplir les actes d’exécution (rédaction, signature de l’instrumentum…). L’autre possibilité consiste, pour le directoire, et, là encore, collégialement, à consentir une délégation de pouvoir au représentant légal. Le président ou le directeur général se verra alors transmettre la prérogative du directoire, et sera juge de l’opportunité de l’opération. En toute hypothèse, la décision du directoire devra être attestée par un procès-verbal.

Les choses sont moins compliquées lorsque les fonctions du directoire sont dévolues à une seule personne, le directeur général unique, ce qui n’est possible que dans les sociétés dont le capital est inférieur à 150 000 euros (C. com., art. L. 225-58, al. 2). Ici, le pouvoir de décision et de représentation se trouve logiquement concentré entre les mains d’une seule et même personne.

Quelle sanction pour un acte qui serait passé par le président sans habilitation du directoire ?

L’arrêt n’aborde pas directement la question. A lire les textes, l’inopposabilité ne frappe que les garanties consenties sans autorisation du conseil. En l’espèce, la nullité avait été invoquée devant les juges du fond par la société IGS. Il n’est pas déraisonnable de faire application de la théorie générale de la représentation, selon laquelle « l'acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté » (C. civ., art. 1156). Le représenté conserve la possibilité de ratifier l’acte.


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Les créanciers d’une garantie consenties par une société anonyme dualiste doivent donc redoubler de vigilance, puisqu’ils devront s’assurer, d’une part, de l’autorisation préalable du conseil, et d’autre part, de la décision habilitant le représentant légal à passer l’acte. Cette double précaution s’impose car les échappatoires sont minces. De jurisprudence constante, le bénéficiaire de la sûreté ne peut pas reprocher une faute détachable au dirigeant qui s’est abstenu de solliciter l’autorisation du conseil d’administration (Cass. com., 8 nov. 2017, n°16-10626, inédit). L’on ne perçoit aucun obstacle à l’application de cette solution au cas où le président du directoire agit sans habilitation du directoire.

De même, il est en principe exclu de considérer comme débiteur de la garantie le représentant, dès lors que l’acte – privé d’effet par hypothèse – a été conclu au nom de la personne morale.

 

Akram EL MEJRI
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

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