Sorry, you need to enable JavaScript to visit this website.

Le droit de repentir de l’héritier de parts de SARL

Lettre CREDA-sociétés 2024-05 du 27 mars 2024

Creda 2022 D Creda 2022 R

L’héritier de parts de SARL peut, en cas de refus d’agrément, renoncer à sa demande d’agrément à tout moment et exiger le remboursement de la valeur des parts du défunt.

Abonnement

 

C’est une solution inédite et importante, tant pour la théorie que la pratique, qui a été rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 24 janvier dernier (Cass. com., 24 janvier 2024, n° 21-25.416, FS-B).

En 2003, un associé de SARL décède et laisse pour lui succéder deux filles. Lors d’une assemblée du 12 janvier 2004, les associés survivants refusent d’agréer les deux héritières. Rappelons que les héritiers de parts de SARL ne sont soumis à agrément qu’à la condition que les statuts le prévoient (C. com., art. L. 223-13) ; à défaut, la SARL est présumée continuer avec eux (Civ. 3ème, 9 mars 2023, n° 21-21.698, en matière de société civile mais transposable). Dans la foulée du refus, les associés sollicitent la désignation d’un expert de prix, qui fixe la valeur des parts du défunt à près de 6 millions d’euros. Faute pour ces derniers ou la société d’avoir procédé au rachat dans le délai imparti par l’article L. 223-14, al. 3 du code de commerce, les deux héritières poursuivent l’exécution forcée du rachat.

En 2017, dans le cadre d’un protocole transactionnel, les héritières reconnaissent finalement avoir été agréées. Reprochant toutefois aux associés de ne pas avoir exécuté une partie de leurs engagements, elles reprennent l’exécution forcée du rachat, tirant argument de l’inopposabilité à leur égard du protocole.

publications

 

En appel, il est jugé que faute d’un rachat intervenu dans le délai légal (après prorogation), « l'agrément [des héritières] comme associées […] est réputé acquis, l'acquisition de cet agrément étant la seule conséquence légale du défaut d'acquisition des parts dans le délai imparti. »

L’arrêt est censuré. Par un moyen relevé d’office, la chambre commerciale déduit d’une lecture combinée des articles L. 223-13 et L. 223-14 du Code de commerce et 1843-4 du Code civil, la règle en vertu de laquelle « l'héritier d'un associé décédé qui a demandé à être agréé comme associé au titre des parts dont il a hérité peut, à tout moment, même après la fixation du prix par l'expert, renoncer à sa demande d'agrément et exiger le remboursement de la valeur des droits de son auteur. Les associés survivants qui ont refusé d'agréer comme associé l'héritier d'un associé décédé et qui ont demandé en justice, sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, la désignation d'un expert pour que soit déterminée la valeur de ses parts sociales, sont, à l'issue du délai légal, tenus d'acquérir ou de faire acquérir ces parts au prix fixé par l'expert si l'héritier a renoncé à sa demande d'agrément. Une telle hypothèse constitue l'intervention de la solution prévue au troisième alinéa de l'article L. 223-14 du code de commerce. »

1. Le mécanisme du repentir de l’héritier de parts de SARL

Creda 2024-05

 

C’est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation est saisie de l’application du droit de repentir bâti pour le cédant, à l’héritier de parts de SARL. Sans surprise, elle le consacre pleinement. En effet, ce droit prévu par l’article L. 223-14, al. 3 est expressément rendu applicable au refus d’agrément opposé à l’héritier de parts de SARL (sur renvoi de C. com., art. L. 223-13). Seulement, et c’est ce qui fait l’intérêt de l’arrêt et justifie sa publication, la haute juridiction ne se limite pas à une analyse purement technique : elle procède à une adaptation nécessaire de ce droit de repentir à la condition particulière de l’héritier de parts. N’étant pas dans la position du cédant, lequel peut renoncer à la cession en cas de refus d’agrément et demeurer associé, l’héritier qui se voit opposer un refus d’agrément doit, afin de pouvoir disposer d’un droit de repentir digne de ce nom, être mis en mesure de renoncer à sa demande d’agrément et ce, en sollicitant le rachat forcé des droits de son auteur.

L’arrêt va cependant plus loin. Afin de garantir l’effectivité de ce droit de repentir, l’arrêt retient que l’héritier peut encore renoncer à sa demande d’agrément, même après que le délai pour le rachat des droits de son auteur a expiré, et ce en dépit de la lettre de l’article L. 223-13, al. 2, dernière phrase. La solution doit être approuvée. Effectivement, si l’on devait considérer, comme l’avaient fait les juges d’appel, qu’en application de cette dernière phrase, l’agrément tacite de l’héritier est la seule conséquence légale du défaut d'acquisition des parts de son auteur dans les délais impartis, le repentir de l’héritier se trouverait vidé de sa substance. Mieux, non seulement l’héritier serait contraint de devenir associé, en dépit de sa demande de rachat, mais plus encore, une telle issue octroierait aux associés survivants un droit de repentir selon que le prix de rachat des parts fixé par l’expert leur conviendrait ou non. Or, en cas de refus d’agrément, l’article L. 223-14, al. 3 ne reconnait pas de droits aux associés survivants : il ne leur impose que des obligations. En revanche, si l’héritier ne peut se voir opposer l’agrément tacitement obtenu pour défaut de rachat dans les délais impartis, l’inverse n’est pas vrai : il peut ainsi s’en prévaloir et devenir associé (rappr. Com. 3 mai 2018, n° 15-20.851).

En conséquence, l’application combinée des articles L. 223-13, al. 2 et L. 223-14, al. 3, offre à l’héritier un droit d’option en cas de refus d’agrément et d’absence de remboursement de la valeur des droits de son auteur dans les délais impartis : soit il renonce à sa demande d’agrément et poursuit le rachat forcé, soit il se prévaut de l’agrément tacitement obtenu. La formule de la Cour d’après laquelle l’héritier « peut, à tout moment, même après la fixation du prix par l'expert, renoncer à sa demande d'agrément et exiger le remboursement de la valeur des droits de son auteur » s’éclaire alors : ce n’est qu’une fois le rapport de l’expert déposé, que l’héritier peut renoncer à sa demande en pleine connaissance de la valeur des parts de son auteur et en exiger le remboursement, plutôt que se prévaloir d’un agrément tacitement obtenu. L’héritier se trouve donc placé dans une situation doublement symétrique par rapport à celle du cédant qui, ayant essuyé un refus d’agrément pour le cessionnaire qu’il a présenté, peut soit renoncer à la vente en se maintenant comme associé, soit solliciter le rachat forcé de ses parts ; et en l’absence de rachat dans les délais impartis, il recouvre sa liberté de céder (Com., 29 nov. 1982, n° 81-13.117).

2. L’étendue du repentir de l’héritier

A titre liminaire, une distinction peut être faite entre la renonciation par l’héritier à sa demande d’agrément, véritable enjeu du repentir et de l’arrêt, et la sollicitation spontanée par lui du remboursement de la valeur des parts de son auteur ; parts dont il devient propriétaire, mais pour lesquelles il n’a pas la qualité d’associé (Com., 3 mai 2018, n° 15-20.851 ; Civ. 1ère, 9 juil. 1991, n° 90-12.503,). Ainsi, il a été admis qu’un héritier puisse, en qualité de créancier de la valeur des parts de son auteur, spontanément en demander le remboursement, sans avoir, au préalable, à essuyer un refus d’agrément (Bordeaux, 29 mars 2023, n° 21/00790, dans une société civile mais transposable).

Ensuite, il faut s’entendre sur la portée de cette faculté de renonciation « à tout moment » : signifie-t-elle également pouvoir renoncer une fois la demande d’agrément adressée, alors qu’elle serait pendante ? Mieux, l’héritier pourrait-il renoncer à l’agrément qu’il aurait expressément obtenu, voire tacitement à l’issue de la première période de 3 mois (C. com., art. L. 223-14, al. 2, sur renvoi de L. 223-13, al. 2) ? La réponse à la seconde question devrait être négative : il ne s’agirait plus de renoncer à une demande d’agrément, mais plutôt à la qualité d’associé.

On peut être plus hésitant s’agissant de la renonciation à une demande d’agrément qui serait pendante. Certes, si l’on raisonne à partir du modèle de la cession de parts, et c’est ce à quoi invite l’article L. 223-13, al. 2, le droit de repentir du cédant ne naît qu’au jour du refus d’agrément. Résultat, l’héritier ne devrait pouvoir renoncer qu’une fois un refus d’agrément expressément notifié. Cette lecture pourrait toutefois, en théorie au moins, être discutée, car la situation du cédant n’est pas celle de l’héritier. Si le cédant dispose bien d’un droit de repentir à la cession, c’est pour renoncer à la cession de ses parts aux autres associés, à un tiers ou à la société ; non pas pour renoncer à la cession conclue avec le cessionnaire avant que la société se soit prononcée sur son agrément. D’ailleurs, la rétractation opérée dans ces circonstances ne serait pas traitée sur le terrain du droit des sociétés, mais sur celui du droit des contrats. Lorsque l’associé cédant notifie le projet de cession (conclue sous condition suspensive d’agrément), son consentement à la vente avec le cessionnaire présenté est définitif. S’il se rétracte, le cessionnaire pourra le contraindre à l’exécution forcée de la vente et, au besoin, solliciter directement l’agrément par notification de la promesse de cession à la société et aux associés.

Enfin, la consécration d’un repentir à tout moment pour l’héritier (sous les réserves énoncées) pose la question de savoir si la solution est transposable au cédant. Un débat existe s’agissant de la faculté pour le cédant de parts de SARL de renoncer à la cession, même après que la valeur de ses parts a été fixée à dire d’expert. Sans le résoudre, l’arrêt fournit un argument sérieux en faveur d’une lecture extensive, sous réserve que le cédant n’ait pas renoncé expressément à son droit de repentir, une fois né, ou qu’il n’ait pas accepté le prix fixé par l’expert. Si c’était ainsi qu’il fallait lire l’arrêt, il alignerait, sur ce point, le régime de l’agrément des parts de SARL sur celui de la cession d’actions (C. com., art. L. 228-24).

Julien DELVALLÉE
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay

Partager
/v