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Compétence des tribunaux de commerce : suivez le lien...

Lettre CREDA-sociétés n° 2018-19 du 12 décembre 2018

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L'action en responsabilité intentée contre le dirigeant ou le liquidateur d'une société commerciale relève de la compétence du tribunal de commerce dès lors que les actes litigieux se rattachent à la gestion de la société commerciale.

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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La chambre commerciale de la Cour de cassation vient apporter quelques précisions utiles quant à la compétence matérielle des tribunaux de commerce.

Les décisions classées sous la rubrique « société commerciale » ayant les honneurs de la publication sur le site internet de la Cour de cassation sont peu nombreuses (v., pour la dernière en date, Cass. com., 31 janvier 2017, n° 15-19158). Aussi est-ce un petit événement lorsque les juges régulateurs décident d’une telle publication de l'arrêt du 14 novembre 2018.

Dans cette décision, une SARL a été liée à SFR par un contrat de partenariat et de distribution. La gérante de la SARL, obtient des prud’hommes la requalification des contrats de partenariat et de distribution en contrats de travail. SFR engage alors une procédure devant un tribunal de commerce, afin de tirer les conséquences de la décision prud’homale sur l’exécution des contrats de partenariat et de distribution par la SARL. Cette dernière ayant été liquidée, SFR assigne la gérante de la SARL devant le tribunal de commerce de Paris, estimant qu’elle est à l’origine du préjudice que lui avait causé l’inexécution de ses obligations contractuelles par la SARL. Le liquidateur de la SARL est aussi poursuivi devant la même juridiction, au motif qu’il aurait commis une faute dans l’exercice de ses fonctions.

Le tribunal de commerce de Paris s’estime compétent, ayant rejeté une exception d’incompétence de la part de la gérante et du liquidateur, faisant valoir tous deux qu’ils n’avaient pas la qualité de commerçant, et qu’ils n’accomplissaient aucun acte de commerce. Ces arguments sont toutefois entendus en seconde instance, la Cour d’appel recevant leur contredit.

La chambre commerciale de la Cour de cassation censure doublement l’arrêt d’appel, sans renvoyer devant les juges du fond, mettant fin à l’aspect procédural de ce litige. L’arrêt d’appel a, d’une part, violé l’article L. 721-3 du Code de commerce, car les manquements commis par un gérant à l’occasion de l’exécution d’un contrat se rattachent par un lien direct à la gestion de la société commerciale, justifiant la compétence des juridictions consulaires. D’autre part, l’arrêt viole l’article L. 721-3 du Code de commerce en ce que le liquidateur – comme le gérant – agit dans l’intérêt social et réalise des opérations se rattachant directement à la gestion de la société commerciale, justifiant là encore la compétence des tribunaux de commerce.

L’apport formel : l’apparition de sommaires

A titre liminaire, sur le plan de la forme, cette décision doit être remarquée en ce qu’elle met en œuvre une des recommandations de la Commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation.

Cet arrêt propose ainsi en en-tête deux sommaires, qui sont, selon un auteur, « la présentation aussi fidèle que possible de la règle de droit que [l’arrêt] enseigne ou rappelle ». Cette présentation offre donc, avant même de lire la décision, la possibilité de déterminer quelles en seront les grandes lignes. La chambre commerciale suit donc les préconisations de la Commission de réforme de la Cour, facilitant de facto la diffusion et la compréhension des arrêts.

Cette décision doit aussi appeler, sur le fond, deux séries de remarques, s’agissant des organes sociaux concernés par l’assignation.

La reprise d’une solution classique pour l’action contre le gérant

D’une part, l’arrêt affirme qu’une action en responsabilité engagée contre le gérant d’une SARL est de la compétence des tribunaux de commerce dès lors que le fait fautif (« le manquement » dans les termes de la décision) se rattache par un « lien direct à la gestion » de la société. Cette expression peut se retrouver dans d’autres décisions de la chambre commerciale de la Cour de cassation, certaines relativement récentes (Cass. com., 27 octobre 2009, n° 08-20384), d’autres plus anciennes (Cass. com., 7 avril 1967, n°65-14121). Trois précisions peuvent être formulées :

  • Tout d’abord le lien direct avec la gestion est nécessaire, mais surtout suffisant. La chambre commerciale précise que le fait que le gérant ne soit pas commerçant, ni n’accomplisse d’actes de commerce, importe peu. Il y a donc là une extension de l’article L. 721-3 2° du Code de commerce, les tribunaux de commerce connaissant « [des contestations] relatives aux sociétés commerciales », cette formule incluant donc désormais les actes se rattachant par un lien direct à la gestion de ces sociétés ;
  • Ensuite, la formule « les manquements commis par le gérant d’une société commerciale à l’occasion de l’exécution d’un contrat se rattachent par un lien direct à la gestion de celle-ci » semble générale. Cela signifierait que tout manquement commis par le gérant au cours de l’exécution d’un contrat conclu par la société est de la compétence du tribunal de commerce, car rattaché par un lien direct à la gestion de celle-ci. Il s’agirait donc bien d’un arrêt de principe, justifiant sa publication sur le site internet de la Cour de cassation ;
  • Enfin, l’arrêt ne se prononce qu’en des termes processuels, et non quant à la responsabilité de la gérante. L’action étant intentée par un tiers, elle répond de la théorie de la « faute détachable des fonctions », définie par la jurisprudence comme la faute « [intentionnelle], d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales » (Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17092). Or, le manquement reproché au gérant se rattachant directement à la gestion sociale, il est difficile de concevoir qu’il soit incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales. La victoire processuelle pour la société de téléphonie pourrait donc aboutir à une déception au fond, les conditions de la responsabilité de la gérante pouvant ne pas être réunies.

L’action contre le liquidateur

D’autre part, à l’égard du liquidateur, la chambre commerciale adopte un attendu qui s’apparente, lui aussi, à un attendu de principe. Il est affirmé que le liquidateur agit – au même titre que le gérant – dans l’intérêt social et réalise des opérations se rattachant directement à la gestion de la société commerciale.

Deux observations s’imposent :

  • D’abord, le rôle du liquidateur est avant tout de liquider. C’est-à-dire singulièrement de réaliser l’actif et d’apurer le passif. S’il est certain que le liquidateur peut avoir des prérogatives de gestion, ce n’est pas le cœur de sa mission. L’assimilation du liquidateur au gérant faite par la chambre commerciale semble sur ce point assez maladroite ;
  • Enfin, on peut déduire qu’une action visant un organe social devra être portée devant les tribunaux de commerce lorsque la personne poursuivie :i) agit dans l’intérêt social et ii) réalise des opérations se rattachant directement à la gestion de la société commerciale. Ces deux conditions semblant être cumulatives, est-ce à dire que les actions en responsabilité à l’encontre des membres du conseil de surveillance d’une société anonyme ne seraient pas de la compétence des tribunaux de commerce ? En effet, cet organe ne fait qu’exercer « le contrôle permanent de la gestion de la société » (article L. 225-68 du Code de commerce), et ne bénéficie d’aucune prérogative de gestion. Nous ne le pensons pas, l’interprétation jurisprudentielle de l’article L. 721-3 2° étant suffisamment large (Voir : Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-16548).

 

Matthieu ZOLOMIAN
Maître de conférences à l’université Jean Monnet

 

 

 

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