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Dissolution d'une société pour justes motifs : l'exigence de la paralysie du fonctionnement

Lettre CREDA-sociétés 2018-15 du 3 octobre 2018

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L'inexécution de ses obligations par un associé ne permet, en application de l'article 1844-7, 5°, du code civil, le prononcé judiciaire de la dissolution anticipée de la société pour juste motif qu'à la condition qu'elle paralyse le fonctionnement de la société.

 

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La dissolution des sociétés pour justes motifs, telle que prévue à l’article 1844-7 5° du Code civil, est un des cas de dissolution le plus souvent invoqué devant les tribunaux. Afin de mieux cerner la notion de « justes motifs », le texte évoque deux exemples : l’inexécution par un associé de ses obligations et la mésentente entre associés entraînant une paralysie du fonctionnement social.

La dissolution pour inexécution de ses obligations par un associé est un cas rarement invoqué devant les juridictions (Cass. com. 26 mai 1961, Bull. civ. IV, n° 239 ; Cass. civ. 1ère, 27 avril 1964, Bull. civ. I, n° 214). L’arrêt rendu par la chambre commerciale du 3 mai 2018 est alors important – bien que non publié – car il concerne cette hypothèse de dissolution pour juste motifs.

Il était question, dans cette décision, d’une société à responsabilité limitée composée de trois associés, chacun bénéficiant de la qualité de gérant. En cours de vie sociale, un associé demande la dissolution anticipée de la société pour de justes motifs, arguant de ce qu’un de ses coassociés n’avait pas exécuté ses obligations. Sont aussi demandées l’annulation de diverses délibérations d’assemblées générales, ainsi que la condamnation de ses coassociés et de la société à lui payer des dommages-intérêts. Les juridictions du fond accèdent à ces dernières demandes mais rejettent celle relative à la dissolution anticipée.

La chambre commerciale censure partiellement l’arrêt d’appel, sur le fondement de l’article 1382 ancien du Code civil (alors applicable à la cause). En effet, la cour d’appel de Pau, après avoir écarté l’abus de majorité, a condamné les associés et la société au versement de dommages-intérêts sans caractériser un quelconque comportement fautif. Elle rejette, en revanche, le pourvoi relatif à la dissolution anticipée, approuvant les juges du fond d’avoir considéré que pour faire droit à la demande de dissolution pour inexécution par un des associés d’une de ses obligations, le fonctionnement de la société doit avoir été paralysé. A défaut d’une telle preuve, la dissolution anticipée pour inexécution de ses obligations par un associé ne peut qu’être refusée. C’est sur ce dernier point que l’arrêt attire l’attention.

Conditions d’application de l’article 1844-7 5° du Code civil

Il est nécessaire de revenir à la lettre texte de l’article 1844-7 5° du Code civil. La dissolution anticipée peut être prononcée pour de justes motifs : « notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ». Si la paralysie du fonctionnement des sociétés figure effectivement dans ce texte, elle semble attachée exclusivement au cas de dissolution pour mésentente entre associés, et non à l’inexécution de ses obligations par un associé. Cette analyse littérale peut se justifier, la préposition « ou » et la virgule semblant opérer une césure entre les deux exemples de dissolution pour de justes motifs. Selon cette lecture, la solution retenue par la chambre commerciale étonne, les juges semblant ajouter une condition qui ne figure pas, stricto sensu,au texte.

L’exigence de paralysie justifiée

Pour autant, y a-t-il lieu de s’offusquer d’une telle position ? Sans doute pas. Admettre la dissolution d’une société pour une simple inexécution de ses obligations par un des associés semble excessif à double titre :

  • D’une part, la notion d’inexécution d’une obligation d’associé est imprécise. L’obligation méconnue peut être d’origine légale, bien sûr, et consister en un manquement à l’obligation de libérer l’apport ou encore à l’obligation d’agir conformément à l’affectio societatis. Mais elle peut être aussi d’origine conventionnelle, comme la violation d’une clause d’agrément, de préemption ou de toute autre clause statutaire.

Le texte ne mentionnant aucun degré de gravité dans l’inexécution de l’obligation, admettre une dissolution pour une simple inexécution de la part d’un associé ferait du contrat de société un contrat plus aisé à rompre qu’un contrat de droit commun, l’article 1224 du Code civil exigeant une « inexécution suffisamment grave » pour résoudre le contrat. Eu égard aux enjeux attachés au contrat de société, il paraît alors logique que la chambre commerciale exige une condition supplémentaire s’ajoutant à l’inexécution d’une obligation, celle de la paralysie du fonctionnement social.

  • D’autre part, la solution doit être approuvée sur le plan de l’opportunité. Il semble en effet difficilement concevable que tous les associés pâtissent de la légèreté d’un seul d’entre eux. Or, admettre une dissolution de la société pour une seule inexécution d’une obligation de la part d’un associé place la société dans une situation critique, en ce qu’elle pourrait être dissoute à tout moment, et notamment à la demande de l’associé qui aurait lui-même méconnu une de ses obligations. Cette décision permet alors de réduire les risques de voir certaines sociétés être dissoutes.

Quelles conséquences ?

Si la solution doit être approuvée, dès lors qu’elle limite les risques de dissolution, elle suscite une interrogation sur le plan pratique. En n’admettant une dissolution sociale pour inexécution d’une obligation de la part d’un associé « qu’à la condition qu’elle paralyse le fonctionnement de la société », la chambre commerciale semble lier les deux conditions, le comportement de l’associé devant engendrer une paralysie fonctionnelle. Bien que la décision soulève aussi la question de la sanction adéquate du manquement de l’associé, il y a lieu de se concentrer sur la signification de la paralysie exigée par la Chambre commerciale.

Telle que définie par les juridictions, la paralysie fonctionnelle s’entend de l’impossibilité, pour les organes sociaux, de fonctionner normalement, aboutissant à l’impossibilité de prendre une décision (Cass. com., 17 mars 2015, n° 13-14.113 ; Cass. civ. 3ème, 5 mai 2015, n° 14-13.060). On voit alors difficilement comment l’inexécution d’une obligation sociale – comportement propre à un associé – pourrait aboutir à la paralysie du fonctionnement social – cas le plus fréquemment identifié par la jurisprudence –, par essence collective.

De deux choses l’une :

  • soit l’inexécution est insignifiante, et le risque de paralysie du fonctionnement social est inexistant ;
  • soit l’inexécution est d’une importance telle qu’elle rend inconcevable la continuation de la vie sociale. Les organes sociaux peuvent alors être affectés dans leur fonctionnement normal et être donc paralysés. Mais au vrai, cette paralysie du fonctionnement social est-elle due à l’inexécution de son obligation de la part d’un associé, ou de la mésentente entre associés qui aurait été elle-même engendrée par l’inexécution de l’obligation par un associé ?

Cette décision ne serait-elle alors pas l’occasion d’ouvrir une réflexion sur une refonte des cas de dissolution de société, alors qu’une proposition de loi ouvre la possibilité de surmonter, à certaines conditions, la dissolution pour survenance du terme (Proposition de loi de simplification du droit des sociétés, Lettre du CREDA n° 2018-07 du 16 mai 2018) ? En étendant l’exigence de paralysie du fonctionnement social, la chambre commerciale semble en faire le dénominateur commun des dissolutions pour juste motifs. La dissolution pour justes motifs – dont il est difficile de trouver des illustrations hors de la mésentente ou de l’inexécution de ses obligations par un associé (voir pour l’absence de viabilité économique, Cass. req., 11 novembre 1896) – ne deviendrait-elle alors pas une dissolution pour paralysie du fonctionnement social ?

Matthieu ZOLOMIAN
Maître de conférences à l’université Jean Monnet

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