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« Paris juridiction internationale » : enfin une chambre internationale à la cour d’appel de Paris

Lettre CREDA-sociétés 2018-03 du 21 février 2018

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La chambre internationale de la cour d’appel de Paris doit être installée au premier trimestre 2018. Les premières audiences pourraient se tenir, en partie en anglais, début mars 2018.

 

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La chambre internationale de la cour d’appel de Paris doit être installée au premier trimestre 2018. Les protocoles de mise en place de cette nouvelle chambre, devant le tribunal de commerce et devant la cour d’appel de Paris, ont été signés le 7 février 2018 à la cour d’appel de Paris. Les premières audiences pourraient se tenir, en partie en anglais, début mars 2018.

L’ordonnance de Villers-Cotterêts imposant le français pour tous les actes légaux et notariés

En France, l’usage de l’anglais (ou d’une autre langue étrangère), langue très largement pratiquée aujourd’hui dans le milieu des affaires internationales, peut ainsi être concilié avec l'ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice (dite ordonnance de Villers-Cotterêts), qui impose, depuis 1539, le français comme langue de justice (art. 111).

L’ordonnance, et plus précisément ses article 110 et 111, est encore en vigueur aujourd’hui, et la Cour de cassation l’applique toujours : elle est en effet visée dans certains arrêts récents de la Cour de cassation (notamment Cass. com., 27 nov. 2012, n° 11-17185 ; Cass. 1ère civ., 22 sept. 2016, n° 15-21176 jugeant que l’ordonnance de Villers-Cotterêts ne concerne que les actes de procédure et qu’il appartient au juge du fond, dans l'exercice de son pouvoir souverain, d'apprécier la force probante des éléments qui lui sont soumis). A l’époque, la langue française était totalement étrangère pour une partie des citoyens vivant en France ; et même probablement plus étrangère encore que peut l’être aujourd'hui l'anglais pour les Français dans leur majorité, ou au moins pour ceux qui travaillent dans le commerce mondial.

Sa conciliation avec l’usage de l’anglais comme langue de procédure : la création de la chambre internationale à la cour d’appel de Paris

La chambre internationale de la cour d’appel de Paris connaîtra ainsi de l’appel des litiges internationaux jugés en premier ressort par les tribunaux de commerce. Elle sera compétente pour les litiges relatifs aux contrats du commerce international, soumis au droit français ou relevant du droit d’un autre pays. Dans le respect de l’accord des parties, les audiences pourront se tenir en anglais, même si les actes de procédure seront rédigés en français (ou systématiquement accompagnés d’une traduction en français) afin de respecter les exigences de l’ordonnance de Villers-Cotterêts.

Cette modernisation bienvenue s’inscrit dans le prolongement et s’inspire clairement du rapport rendu le 3 mai 2017 par Monsieur Guy Canivet, ancien premier président de la Cour de cassation. Mais elle fait aussi écho à une pratique déjà établie depuis quelques années au sein du Tribunal de commerce de Paris, qui dispose déjà d’une chambre internationale. La création d’une chambre internationale à la cour d’appel de Paris la complète ainsi judicieusement au deuxième degré de juridiction, pour les appels.

Nicole BELLOUBET | Conseil constitutionnel
Nicole BELLOUBET
Garde des Sceaux

« Les actes de procédure resteraient en Français mais pourraient être accompagnés d'une traduction dans la langue de l'ensemble des parties » ;

« les pièces des débats seraient versées dans la langue choisie par les parties, le juge pouvant en exiger une traduction » ;

 « Au cour de l'audience, les témoins, experts ou parties ainsi que les avocats pourraient s'exprimer dans une langue étrangère. Néanmoins, une traduction simultanée pourrait être réalisée et nous pourrions prévoir des cabines d'interprètes dans les salles d'audience » ;

« Enfin, le juge lui s'exprimerait en Français, avec une traduction simultanée à la demande des parties. Le jugement serait également rendu en Français accompagné d'une traduction ».

Le gouvernement et des juristes français travaillaient à ce projet depuis le Brexit, afin de répondre aux opportunités apparues après la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne. Il y a là, en effet, une occasion de développer l’attractivité économique et de renforcer le rayonnement juridique de la capitale française dans le monde. En effet, ces dernières années, Londres s’était imposée comme centre juridictionnel de premier plan. Souvent, la compétence des juridictions de Londres est fondée dans l’ordre communautaire sur des clauses attributives de juridiction (art. 25 du Règlement Bruxelles I bis). Le Brexit va bouleverser cette situation pour les parties du continent, car il pourrait faire perdre au Royaume-Uni son accès à l’espace judiciaire commun et compromettre ainsi l’attractivité des juridictions londoniennes dont les décisions ne bénéficieront plus de la même reconnaissance automatique dans les autres pays de l’Union européenne et surtout de la même force exécutoire juridiction (art. 36 et 39 du Règlement Bruxelles I bis).

La chambre internationale au sein de la cour d’appel de Paris pourrait aussi, plus particulièrement, attirer de grandes banques après le Brexit et renforcer la position de la place financière de Paris face à ses concurrents. En effet, la plupart des grands contrats financiers internationaux sont rédigés en anglais et de surcroît souvent soumis au droit anglais. Ces contrats seront certainement touchés eux aussi par le Brexit. A cet égard, la place de Paris deviendra plus attractive aux yeux des investisseurs étrangers avec la création d’une nouvelle chambre, et cet attrait sera encore renforcé par l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), déjà en place à Paris, et l’installation prochaine de l’Autorité bancaire européenne dans la capitale française.

En outre, la nouvelle chambre internationale à Paris pourrait aussi susciter l’intérêt d’autres opérateurs, non-européens, issus de régions de tradition civiliste (Afrique, Amérique latine, Asie, Moyen-Orient) et non nécessairement francophones.

Par ailleurs, plusieurs pays dans le monde offrent déjà des juridictions comparables. Tel est notamment le cas de Dubaï, avec le « Dubaï International Financial Center » (DIFC), de Doha avec le « Qatar International Court and Dispute Resolution Center » (QICDRC) et de Singapour avec la « Singapour International Commercial Court » (SICC). Des telles initiatives, certes plus timides pour le moment, ont été également prises récemment en Allemagne (The Justice Initiative Frankfurt am Main, 2017) ou encore aux Pays-Bas où des chambres spécialisées pour le jugement de contentieux particuliers ont été instaurées dans plusieurs juridictions.

Le succès espéré de « Paris juridiction internationale » supposera toutefois que les pouvoirs publics et les juridictions concernées procèdent aussi à sa promotion active auprès des acteurs potentiellement intéressés par celle-ci. En outre, pour être vraiment attractives, ces formations devront être composées de juges spécialement qualifiés, maîtrisant l’anglais, et reconnus pour leur capacité à juger des litiges internationaux souvent très techniques et complexes en droit des affaires. On peut espérer que la Justice française sera en mesure de relever ce défi majeur.

Katrin DECKERT
Maître de conférences à l’université Paris-Nanterre

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