Sorry, you need to enable JavaScript to visit this website.

Les petites entreprises commerciales dispensées d'établir un rapport de gestion

Lettre CREDA-sociétés 2018-13 du 11 septembre 2018

visuel_lettres_creda visuel_lettres_creda

La loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance supprime l'exigence d'établir un rapport de gestion pour les sociétés qui remplissent deux conditions cumulatives : entrer dans la catégorie des petites entreprises et ne pas exercer l’une des activités exclues par les textes.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

Les dernières lettres creda-sociétés

abonnement creda sociétés

L’article 55 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance, dont l’objet premier était pourtant assez éloigné des préoccupations du droit des sociétés, dispense désormais les petites entreprises commerciales d’établir un rapport de gestion.

Selon les données fournies par l’INSEE, c’est environ 1,3 million de petites entreprises commerciales qui, pour tous les exercices clos depuis le 11 août dernier, bénéficient de cet allègement. Une économie annuelle de plus de 200 € pour chaque société mais, surtout, selon les termes de l’étude d’impact accompagnant le texte (p. 206), « la suppression d’une charge administrative superflue ».

Rappelons que le rapport de gestion est un document écrit élaboré par le dirigeant social, et qui a vocation à renseigner les associés sur la situation de la société et ses perspectives d’évolution en dressant un bilan des choix stratégiques de la direction. Il n’est donc plus obligatoire dans les petites entreprises commerciales, alors qu’il l’était, jusqu’à présent, même si les exigences sur son contenu avaient été légèrement allégées par l’ordonnance n° 2017-1162 du 12 juillet 2017 portant diverses mesures de simplification et de clarification des obligations à la charge des sociétés.

La suppression du rapport de gestion avait été permise, il y a quelques années, par la directive comptable 2013/34/UE du 26 juin 2013 mais cette faculté laissée aux Etats n’avait été utilisée que partiellement par la France puisque seules les EURL et les SASU, dont la direction était assurée par l’associé unique et qui entraient dans la catégorie des petites entreprises, échappaient à cette obligation. Et encore, parmi ces sociétés, celles qui exerçaient une activité relevant de certains domaines financiers étaient rattrapées par la contrainte (C. com., art. L. 123-16-2, sur renvoi de C. com., art. L. 232-1, IV, anc.).

Ailleurs en Europe, on observait pourtant que les petites entreprises n’étaient pas tenues d’établir un tel rapport. Tel était notamment le cas en Allemagne, en Italie ou en Espagne.

Soucieuse d’ « améliorer la compétitivité des petites entreprises françaises par ce biais », la loi nouvelle supprime donc cette exigence pour les sociétés qui remplissent deux conditions cumulatives : entrer dans la catégorie des petites entreprises, d’une part, et ne pas exercer l’une des activités exclues par les textes, d’autre part.

Être une petite entreprise commerciale

La dispense ne concerne que les sociétés commerciales (SNC, SARL, SA, SCA et SAS) qui « sont des petites entreprises au sens de l’article L. 123-16 » (C. com., art. L. 232-1, IV). Or, sont des petites entreprises au sens de ce texte celles qui ne dépassent pas deux des trois seuils fixés par l’article D. 123-200, 2°, du Code de commerce :

  • Un total de bilan de 4 000 000 € [porté à 6 millions par le décret n° 2019-539 du 29 mai 2019]
  • Un montant net de chiffre d’affaires de 8 000 000 € [porté à 12 millions]
  • Un nombre moyen de salariés employés au cours de l’exercice de 50 personnes

Le texte réglementaire indique, par ailleurs, la méthode qu’il faut suivre pour apprécier le dépassement ou non de ces seuils.

En ce qui concerne les sociétés civiles, le principe ancien demeure : « les gérants doivent, au moins une fois dans l'année, rendre compte de leur gestion aux associés » (C. civ., art. 1856), et ce, même si la société a un caractère familial et qu’elle ne dispose d’aucun revenu (Cass. com., 4 nov. 2014, n° 13-22.487). Mais le rapport de gestion au sens où l’entend le Code de commerce, assorti de mentions spécifiques, n’est pas exigé, sauf pour deux types de sociétés civiles : les SCPI et les sociétés civiles exerçant une activité économique au sens des articles L. 612-1 et suivants du Code de commerce.

Ne pas exercer une activité exclue par les textes

La dispense « n’est pas applicable aux sociétés appartenant à l’une des catégories définies à l’article L. 123-16-2 ou dont l’activité consiste à gérer des titres de participations ou des valeurs mobilières » (C. com., art. L. 232-1, IV).

Demeurent ainsi concernées par l’obligation d’établir un rapport de gestion : Les sociétés dont l’activité consiste à gérer des titres de participation

  • Les sociétés dont l’activité consiste à gérer des valeurs mobilières
  • Les établissements de crédit et les sociétés de financement
  • Les entreprises d’assurance ou de réassurance
  • Les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé
  • Les sociétés faisant appel à la générosité publique au sens de la loi du 7 août 1991

On observera par ailleurs que les SCPI (sociétés civiles de placement immobilier), figurant naturellement en dehors de ce dispositif, demeurent également soumises à l’obligation d’établir un rapport de gestion par un texte spécial (C. mon. fin., art. L. 214-109).

On le voit donc, le champ des exceptions paraît assez réduit tant et si bien que beaucoup de petites entreprises seront, en pratique, soustraites au formalisme du rapport.

Ce constat pourrait interroger, au moins à deux égards.

D’un point de vue général, d’abord

À l’heure où les textes visant à faciliter l’exercice des droits des associés se multiplient (directive 2017/828 du 17 mai 2017 modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires ; ordonnance n° 2017-747 du 4 mai 2017 portant diverses mesures facilitant la prise de décision et la participation des actionnaires au sein des sociétés, notamment), le rapport de gestion disparaît pour plus d’un million de sociétés. N’est-ce pas contradictoire ? À cela, il pourrait être répondu que le droit d’information permanent dont dispose tout associé préserve, en théorie, l’effectivité de l’exercice de ses autres droits. Cela supposera néanmoins pour l’associé d’adopter une démarche active dans la collecte des informations, ce qui l’éloigne du confort d’une communication annuelle du rapport de gestion.

D’un point de vue particulier, ensuite

Plusieurs interrogations se poseront en pratique, en raison de la nécessité d’articuler les textes nouveaux avec les textes plus anciens. À titre d’exemple, il est possible de songer à l’article L. 225-37, al. 6, qui prévoit que « le conseil d'administration présente à l'assemblée générale mentionnée à l'article L. 225-100 un rapport sur le gouvernement d'entreprise joint au rapport de gestion mentionné au même article. Toutefois, les informations correspondantes peuvent être présentées au sein d'une section spécifique du rapport de gestion ». Dans les petites entreprises (SA, SCA), la seconde possibilité disparaît désormais et le rapport sur le gouvernement d’entreprise devra visiblement être présenté de façon autonome. La nécessaire articulation entre les principes et les exceptions, à l’évidence, ne favorise pas la lisibilité des règles.

Ceci illustre la nécessité qu’un texte général procède aux ajustements rendus nécessaires par l’accumulation du temps et des textes épars, en droit des sociétés. Espérons que, sur ce point, la future loi de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés (V. également le récent rapport de la CCI Paris Ile de France sur le projet de loi PACTE) soit à la hauteur des espérances de chacun.

 

Clément BARRILLON
Maître de conférences à l’université Paris-Nanterre
Membre du Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique (CEDCACE)

...

Partager
/v