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Une réforme des actions de préférence dans le projet de loi PACTE ?

Lettre CREDA-sociétés 2018-12 du 11 juillet 2018

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Les dispositions que le projet de loi PACTE consacre aux actions de préférence, pour intéressantes qu'elles soient, ne suffiront pas à les libérer définitivement de leur carcan législatif et à leur donner le caractère hybride qu’en attendent les investisseurs, notamment à l’échelle internationale.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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Lors du Conseil des ministres du 18 juin 2018, le ministre de l’économie et des finances, Bruno Lemaire, a présenté un projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, dans le cadre du plan d’action du même nom, dit « PACTE ».

Fort de 70 articles, le projet a pour ambition de « relever un défi majeur, celui de la croissance des entreprises, à toute phase de leur développement, pour renouer avec l’esprit de conquête économique », en passant par une « transformation du modèle d’entreprise français », selon son exposé des motifs.

Pour ce faire, deux objectifs principaux sont expressément cités dans le Plan :

  • lever les obstacles à la croissance des entreprises à toutes les étapes de leur développement ;
  • replacer les entreprises au centre de la société

Trois séries de mesures principales visent à faire des entreprises françaises des entreprises :

  • « libérées » (RCS, annonces légales, soldes, rebond, transmission, simplification des seuils, etc) ;
  • « mieux financées et plus innovantes » (plan d’épargne en actions PME, entreprise solidaire d’utilité sociale, recherche publique et entreprises, actions spécifiques, etc.) ;
  • et « plus justes » (épargne salariale, actionnariat salarié, intérêt social, etc.).

Mais on peut observer que le texte contient aussi d’ « autres mesures ». Celles-ci pourraient passer inaperçu mais elles méritent tout de même que l’on s’y penche. Outre des dispositions de transposition de directives européennes, des mesures de droit des sociétés sont ainsi envisagées, à travers notamment « le développement d’émission d’actions de préférence ».

Voilà plusieurs années en effet que les praticiens, les universitaires et les représentants du monde des entreprises - dont la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Ile de France à travers deux rapports en 2013 puis en 2017 (v. aussi le rapport AFEP MEDF ANSA en 2017) - et de la place financière (v. le rapport du HCJP en 2018), réclamaient une réforme de fond des actions de préférence. Des aménagements ont certes eu lieu depuis l’introduction des actions de préférence en droit français en 2004, et l’on se souviendra notamment de l’ordonnance n°2014-863 du 31 juillet 2014, au sujet de leur rachat, mais de nombreuses questions restaient en suspens.

Optimiser les actions de préférence : un enjeu de croissance pour les entreprises, Rapport Pfeiffer, CCI Paris Ile de France, juillet 2017

Voilà plusieurs années en effet que les praticiens, les universitaires et les représentants du monde des entreprises - dont la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Ile de France à travers deux rapports en 2013 puis en 2017 (v. aussi le rapport AFEP MEDF ANSA en 2017) - et de la place financière (v. le rapport du HCJP en 2018), réclamaient une réforme de fond des actions de préférence. Des aménagements ont certes eu lieu depuis l’introduction des actions de préférence en droit français en 2004, et l’on se souviendra notamment de l’ordonnance n°2014-863 du 31 juillet 2014, au sujet de leur rachat, mais de nombreuses questions restaient en suspens.

L’article 28 du projet prévoit donc d’apporter au Code de commerce trois séries de modifications tout à fait intéressantes.

La création d’actions de préférence à droit de vote multiple

Jusqu’à présent, l’article L. 228-11 du Code de commerce renvoyait - ce qui pouvait paraître discutable compte tenu de la philosophie libérale qui inspire les actions de préférence -, aux articles L. 225-122 à L. 225-125, qui fondent le principe de proportionnalité des droits de vote (« une action-une voix »), assorti de deux exceptions : le droit de vote double et le plafonnement des droits de vote. Ce faisant il était impossible, même avec des actions de présence, de créer des droits de vote multiple.

De façon assez révolutionnaire, il est proposé de supprimer ce renvoi au principe de proportionnalité, pour les seules sociétés non cotées émettant des actions de préférence.

Ce pas en avant doit être salué : il vient compléter les aménagements dont le droit de vote attaché aux actions de préférence peut faire l’objet. Nul doute que cela satisfera autant les fondateurs de sociétés que les investisseurs, qui pourront désormais utiliser plus efficacement le levier politique dans leurs négociations.

Cette proposition vient du même coup encourager l’utilisation par les SAS des actions de préférence. On sait en effet qu’en raison de son régime très libre, la SAS est une forme sociale qui permet la création d’actions à droit de vote multiple dans ses statuts. Mais - paradoxalement - si les actions émises dans une SAS étaient des actions de préférence au sens de l’article L. 228-11, elles ne pouvaient pas émettre des droits de vote multiple par ce biais. Le projet vient corriger une telle incongruité.

L’extension de la possibilité de supprimer le droit préférentiel de souscription

Dans les sociétés par actions, le (DPS) protège les actionnaires contre les effets dilutifs d’une opération capitalistique. Il n’est toutefois pas toujours justifié et sa suppression doit pouvoir être envisagée dans certaines opérations de financement, notamment lorsque les actions sont souscrites par des investisseurs indifférents aux évolutions du capital.

Ainsi, le droit européen (art. 72 de la directive (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017) prévoit-il que les Etats membres peuvent ne pas prévoir de DPS pour les actions « auxquelles est attaché un droit limité de participation aux distributions (…) ou au partage du patrimoine social de liquidation ».

Jusqu’à présent, le troisième alinéa de l’article L. 228-11 surtransposait ce texte en ajoutant la condition selon laquelle ces mêmes actions devaient en outre être dénuées de droit de vote. Cette précision réduisait nettement la possibilité de supprimer le DPS, puisque les investisseurs, même indifférents à l’évolution du capital, souhaitent le plus souvent conserver le droit de vote, au moins de façon contingente.

Le projet de loi PACTE propose donc de mettre fin à cette surtransposition.

Une meilleure précision rédactionnelle du régime des avantages particuliers

Actuellement, l’article L. 228-15 du Code de commerce, prévoit que la procédure des avantages particuliers s’applique lorsque des actions de préférence sont émises au profit d’ « actionnaires nommément désignés ».

Ce texte couvre le risque de rupture d’égalité entre actionnaires existants et nouveaux porteurs d’actions de préférence, et s’applique plus exactement à toute personne - actionnaire ou non - bénéficiant personnellement d’une émission d’actions de préférence.

En remplaçant les termes « d’un ou plusieurs actionnaires nommément désignés » par les termes « d’une ou plusieurs personnes, actionnaires ou non, nommément désignées », le projet corrige opportunément une imprécision rédactionnelle, et confirme la lecture proposée par une réponse ministérielle … dès 2005.

La clarification du régime d’émission des VMDAC en présence d’actions de préférence

L’article L. 228-98 du Code de commerce qui encadre l’émission de valeurs mobilières donnant accès au capital (VMDAC), prévoit en son deuxième alinéa que la société émettrice ne peut, à dater de l’émission desdits titres, « ni modifier les règles de répartition de ses bénéfices, ni amortir son capital, ni créer d'actions de préférence entraînant une telle modification ou un tel amortissement (…) ».

Un troisième alinéa prévoit à son tour que « Sous ces mêmes réserves, elle peut cependant créer des actions de préférence ».

On a pu longtemps douter de la lecture à retenir de ce troisième alinéa. Aujourd’hui, la doctrine s’accorde pour considérer qu’il s’agit d’un doublon : on sait déjà qu’en application du 2ème alinéa, une société émettrice de VMDAC peut émettre des actions de préférence, à la condition que cette émission ne modifie pas les règles de répartition des bénéfices ni conduise à amortir le capital.

Redondant avec cette idée, le troisième alinéa mérite d’être supprimé, comme le propose le projet PACTE.

En définitive, il faut se féliciter de ces avancées, non pas seulement parce qu’elles répondent assez largement aux demandes des entreprises, mais surtout parce qu’elles auront des effets positifs et apporteront une meilleure lisibilité des actions de préférence.

Au risque de paraître tatillon, il n’est toutefois pas certain que le chantier soit tout à fait clos à l’appui de ces seules propositions. En effet, pour libérer définitivement les actions de préférence de leur carcan législatif et leur donner le caractère hybride qu’en attendent les investisseurs, notamment à l’échelle internationale, il faut envisager :

  • de garantir le versement des dividendes aux porteurs des actions de préférence, dès la constatation de l’existence d’un résultat distribuable, sans attendre la décision effective de distribution de l’assemblée générale ;
  • de permettre au conseil d’administration de définir plus efficacement les droits attachés aux actions de préférence, en cas de délégation de compétence ;
  • de fusionner les rapports du commissaire aux comptes et celui des avantages particuliers, en raison de la proximité de leur contenu ;
  • d’autoriser le rachat des actions de préférence à l’initiative du porteur.

Il appartient maintenant au législateur de se saisir de ces propositions pour aller encore plus loin dans la réflexion et construire une véritable réforme de fond.

Tanguy ALLAIN
Maître de conférences en droit privé à l’Université de Cergy-Pontoise

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