Pour nantir un compte-titres, une déclaration de nantissement est suffisante
Lettre CREDA-sociétés 2019-06 du 10 avril 2019


La déclaration de nantissement par le titulaire du compte-titre est une condition de constitution de la garantie, et non pas une simple condition d’opposabilité.
Les titres de sociétés, qui représentent souvent une part importante du patrimoine d’une personne physique ou morale, peuvent être utilisés pour fournir une sûreté à un créancier. Plus précisément, cette sûreté, dénommée nantissement de compte-titres consiste, pour le titulaire d’un compte-titres (le « constituant ») ouvert auprès de l’émetteur des titres ou d’un établissement bancaire, à accorder à cet établissement ou à un tiers (le « créancier »), un droit de rétention, et le cas échéant de réalisation, sur les titres inscrits en compte, en garantie d’un engagement pris par le constituant ou par un tiers. Cette garantie est désormais régie par l’article L. 211-20 du Code monétaire et financier (ancien article L. 431-4, I, du même code applicable au gage de compte d’instruments financiers).
Un formalisme allégé
Le nantissement de compte-titres est très largement utilisé et apprécié par les praticiens, notamment pour sécuriser les opérations de financement des sociétés, mais aussi celles réalisées par des particuliers. Son succès peut être expliqué par la souplesse et la simplicité de son régime, par rapport à d’autres sûretés. Cette garantie est en effet d’abord constituée par une signature sous seing privé par le constituant d’une « déclaration de nantissement de compte de titres financier », laquelle doit être datée et contenir les mentions visées par les articles L. 211-20 et D. 211-10 du Code monétaire et financier (art. L. 211-20, I, phr. 1 et 2, du Code monétaire et financier). Ensuite, le nantissement est réalisé à la seule initiative du créancier, après mise en demeure et dès lors qu’il considère avoir une créance certaine, liquide et exigible (art. L. 211-20, V).
Une illustration de la simplicité des formalités requises pour sa constitution a été donnée en 2018 par la Cour de cassation, qui a jugé que la déclaration de nantissement du compte-titres signée par le titulaire suffit pour constituer le nantissement, tant entre les parties qu’à l’égard de la société émettrice des titres et des tiers (Cass. com., 20 juin 2018, n°17-12.559). Il n’est donc pas nécessaire de le notifier à la société émettrice pour rendre le nantissement opposable aux tiers.
- Cour de cassation, chambre commerciale, 23 janvier 2019 (16-20.582), Publié au Bulletin
Mais peut-on aller encore plus loin dans cette recherche d’assouplissement du formalisme prévu par les dispositions du Code monétaire et financier, en renonçant même à l’exigence que le titulaire du compte-titres ait personnellement constitué la sûreté́ ?
L’arrêt rendu le 23 janvier 2019 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (n° 16-20.582, Sté Banque Laydernier c/ Mme X) (qui sera mentionné dans le Rapport annuel de la Cour de cassation pour en souligner l’importance) répond heureusement par la négative à cette question.
En l’espèce, un homme a ouvert dans les livres d’une banque un plan d’épargne en actions (PEA). Le divorce du titulaire du PEA et de son conjoint a été prononcé par consentement mutuel par jugement du 18 juin 2001. La convention définitive de divorce stipulait que le titulaire du PEA était redevable envers son ex-épouse d'une certaine somme et que le PEA serait donné en garantie du paiement de celle-ci. L’ex-épouse a alors fait signifier à la banque la copie du jugement de divorce, l'acte de signification précisant que le titulaire des titres avait remis en gage un PEA ouvert auprès de la banque désignée. La banque n’a cependant pas tenu compte de cette signification et a vendu les titres du PEA, dont le produit a été versé à d’autres créanciers. Dans ces conditions, l’ex-épouse a assigné la banque en responsabilité.
Le 17 mai 2016, la cour d’appel de Chambéry a fait droit à cette demande et a condamné la banque à payer à l’ex-épouse la somme de 436 144,83 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de l’assignation. Les juges du fond ont retenu que si les formalités édictées par l’article D. 431-1 du Code monétaire et financier n’ont pas été respectées dans leur totalité par l’ex-épouse, les exigences de forme de ce texte n’étaient pas prescrites à peine de nullité et que l’acte de signification était suffisamment précis pour permettre à la banque de déterminer qu’il s’agissait bien d’un gage et d’identifier les titres gagés, de sorte qu’en procédant à la vente de titres, dont le produit est allé à d’autres créanciers, la banque a commis une faute à l’origine d’un préjudice pour l’ex-épouse.
Le 23 janvier 2019, la Cour de cassation casse et annule l'arrêt rendu par les juges du fond au visa des articles L. 431-4 et D. 431-1 du Code monétaire et financier : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’en l’absence de déclaration datée et signée par M. Y..., titulaire du compte, et comportant les mentions prescrites par l’article D. 431-1 du code monétaire et financier, le gage de compte d’instruments financiers dont se prévalait Mme X... n’était pas réalisé et ne pouvait donc être opposé à la banque, la cour d’appel a violé les textes susvisés. ». Autrement dit, le gage était inopposable à la banque parce qu’il n’était pas régulièrement constitué, faute de la déclaration requise de la part du constituant.
La déclaration de nantissement de la part du constituant, condition de sa constitution
Cette solution est parfaitement conforme aux textes et doit être approuvée. En effet, et la Cour le dit ici clairement, la déclaration de gage du constituant est une condition de constitution de la garantie, et non pas une simple condition d’opposabilité. En conséquence, les juges du fond ne pouvaient pas admettre une sorte de formalisme par équivalent en considérant que la signification, par l’ex-épouse, de la copie du jugement de divorce pouvait produire les mêmes effets que la déclaration du constituant, même si cette signification permettait à la banque de disposer de tous les éléments nécessaires à la constitution du gage. Autrement dit, un acte émanant du titulaire du compte-titres qui atteste de sa volonté de constituer la garantie est nécessaire pour que cette sureté puisse être régulièrement constituée.
Cette solution, rendue sur le fondement des anciens articles L. 431-4 et D. 431-1 du Code monétaire et financier relatifs au gage de compte d’instruments financiers, est parfaitement transposable au nantissement de compte-titres, régi par les nouveaux articles L. 211-20 et D. 211-10 et suivants du Code monétaire et financier, qui visent le « nantissement » de compte-titres en lieu et place de la « mise en gage » dudit compte. Les règles applicables à la constitution du nantissement de compte-titres sont identiques : l’article L. 211-20, I, requiert lui-aussi une «déclaration signée par le titulaire du compte».
Notons enfin que l’inefficacité d’une sûreté peut souvent poser un problème en termes de responsabilité civile, ce qui n’est toutefois pas le cas en l’espèce. En effet, le gage de compte-titres n’ayant pas été valablement constitué, la responsabilité de la banque ne pouvait donc pas être engagée par l’ex-épouse pour avoir procédé à la vente de titres du PEA et versé son produit à d’autres créanciers. Et la responsabilité de la banque ne pouvait pas davantage être engagée sur le terrain de l’obligation d’information ou de conseil, pour n’avoir pas veillé en amont au respect du formalisme applicable à la constitution de cette garantie, dès lors que l’ex-épouse n’était pas sa cliente.
L’apport majeur de l’arrêt pour les praticiens du droit des sociétés est de souligner que le nantissement de compte-titres ne peut pas être valablement réalisé à défaut de déclaration signée par le constituant.
Katrin DECKERT
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre