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L’exclusion d’un associé de SAS pourrait-elle être anticonstitutionnelle ?

Lettre CREDA-sociétés 2022-17 du 16 novembre 2022

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Les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui permettent à une partie à un procès de contester la constitutionnalité d’une disposition législative, sont peu fréquentes en droit des sociétés et rarement reçues par la chambre commerciale de la Cour de cassation. C’est pourquoi l’arrêt du 12 octobre dernier (Cass. com., 12 octobre 2022, n° 22-40.013) mérite une attention particulière, alors que la chambre commerciale transmet au Conseil constitutionnel une question relative à la constitutionnalité de l’exclusion d’un associé de société par actions simplifiées.

 

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Dans cette décision, un salarié, associé d’une société par actions simplifiée, rompt son contrat de travail. Or, un article des statuts stipule que la qualité d’associé est réservée aux seuls salariés ou aux mandataires sociaux, la perte d’une de ces deux qualités pouvant entraîner la convocation de l’assemblée générale des actionnaires par le président de la société, afin de statuer sur l’exclusion de l’associé ne respectant plus la condition statutaire.

La situation aurait pu être d’une banalité confondante si, par la suite, une modification statutaire n’était pas intervenue. Celle-ci modifie la clause d’exclusion, permettant à l’associé visé par la procédure d’exclusion de voter, mettant la clause d’exclusion en conformité avec la jurisprudence (Cass. com., 23 octobre 2007, n°06-16.537). La majorité requise est celle issue de la loi du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés, permettant de modifier une clause d’exclusion à la majorité mentionnée dans les statuts et non plus uniquement à l’unanimité. En dépit du vote négatif de l’associé concerné, la clause d’exclusion est donc modifiée et l’associé révoqué le même jour. Celui-ci conteste alors à la fois la validité de la modification statutaire et de la décision d’exclusion, et formule, devant les juges de première instance, quatre questions prioritaires de constitutionnalité.

La chambre commerciale, saisie par les juges du fond, fait donc le choix de renvoyer la question de la constitutionnalité des articles L. 227-16 alinéa 1 et L. 227-19 alinéa 2 du Code de commerce au Conseil constitutionnel, qui dispose d’un délai de trois mois à compter du 13 octobre 2022 pour se prononcer. Sans préjuger de la position des Sages, cet arrêt est l’occasion de rappeler l’application immédiate de la loi du 19 juillet 2019 aux sociétés par actions simplifiées déjà immatriculées, puis de s’interroger sur la pertinence des questions posées aux juges.

L’applicabilité de la loi du 19 juillet 2019 au litige

Une des conditions de recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité est l’applicabilité du texte au litige. S’il est certain que le litige concerne l’alinéa premier de l’article L. 227-16 du Code de commerce, qui dispose que, dans les SAS, les statuts peuvent prévoir, dans les conditions qu’ils déterminent, qu'un associé peut être tenu de céder ses actions, il n’était en revanche pas acquis que l’alinéa 2 de l’article L. 227-19 du Code de commerce, issu de la loi du 19 juillet 2019, le soit (« Les clauses statutaires mentionnées aux articles L. 227-14 et L. 227-16 ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts »)..

Autrement formulé, un doute existait sur l’applicabilité au litige de la loi du 19 juillet 2019, qui permet la modification de la clause à la majorité statutaire et non à l’unanimité. De deux choses l’une :

  • Soit la loi n’est pas applicable à l’espèce en raison de la survie de la loi ancienne telle qu’applicable au moment de la conclusion du contrat de société, survenu avant l’entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 2019 (Cass. Civ. 3ème, 3 juillet 1979, n° 77-15.552). La demande d’annulation de la modification statutaire formulée par l’actionnaire exclu serait alors justifiée, mais la QPC irrecevable ;
  • Soit la loi du 19 juillet 2019 est applicable au litige par exception à l’article 2 du Code civil, rendant la QPC recevable, mais les demandes d’annulation inenvisageables.

La chambre commerciale considère que la loi du 19 juillet 2019, en ce qu’elle modifie l’article L. 227-19 alinéa 2 du Code de commerce, a pour « objet et pour effet de régir les effets légaux du contrat de société », faisant application d’une théorie jurisprudentielle appliquant la loi nouvelle à un contrat qui lui est antérieur (Cass. Civ. 3ème, 17 novembre 2016 n° 15-24.552). De ce fait, ne portant pas atteinte au contrat de société en tant que tel mais à ses effets créés par la loi, la clause d’exclusion pouvait valablement être modifiée sans avoir à être votée à l’ancienne condition légale d’unanimité.

Cette précision préalable est la condition nécessaire à la poursuite de l’étude de la constitutionnalité de l’exclusion d’un actionnaire de société par actions simplifiée.

Le sérieux des questions de constitutionnalité

L’autre condition relative à la question prioritaire de constitutionnalité développée par la chambre commerciale tient au sérieux des questions soulevées. Plusieurs questions sont soulevées, ayant toutes pour fondement les articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui font, de la propriété, un droit inviolable et sacré dont on ne peut être privé qu’en cas de nécessité publique, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité :

  • L’exclusion d’un actionnaire de SAS ne porte-t-elle pas une atteinte au droit de propriété de l’actionnaire exclu sans nécessité publique ?
  • L’exclusion d’un actionnaire de SAS ne porte-t-elle pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de l’actionnaire exclu sans justification par un motif d’intérêt général ?
  • La cession forcée par l’associé de ses actions sur le fondement d’une clause statutaire d’exclusion est-elle constitutionnelle, alors même qu’il n’a pas consenti à l’adoption d’une telle clause ?

La chambre commerciale de la Cour de cassation retient deux arguments avancés par le requérant pour justifier des QPC au Conseil constitutionnel :
D’une part, les magistrats soulignent que la privation de propriété des actions suite à l’exclusion d’un actionnaire de SAS ne repose pas sur une cause d’utilité publique. Cela ne fait aucun doute, l’exclusion répondant à des intérêts purement privés. Dès lors, c’est le principe même d’une clause d’exclusion qui serait contesté. Une inconstitutionnalité prononcée sur ce fondement pourrait alors entraîner des interrogations sur d’autres cas légaux permettant de contraindre un associé de céder ses parts, notamment en cas de vice du consentement ou d’incapacité d’un associé (articles 1844-12 du Code civil, L. 235-6 du Code de commerce). L’inconstitutionnalité retenue sur ce fondement pourrait alors entraîner des inconstitutionnalités en cascade.

D’autre part, il est noté que la modification de la clause statutaire conduit à ce qu’un actionnaire puisse être exclu sans avoir eu la possibilité d’avoir consenti par avance à l’éventualité de l’exclusion. La question de constitutionnalité porte alors sur la combinaison des articles L. 227-16 et L. 227-19 du Code de commerce telle qu’issue de la loi du 19 juillet 2019, en ce qu’un actionnaire de société par actions simplifiée puisse être exclu sans jamais avoir consenti ni au principe de l’exclusion par l’introduction de la clause ni à la décision d’exclusion elle-même.

Ce dernier grief semble assez séduisant, la dangerosité de la clause d’exclusion dans une SAS semblant a minima justifier un consentement des actionnaires à son principe. La réponse du Conseil constitutionnel sera donc au moins aussi intéressante qu’attendue…


Matthieu Zolomian
Maître de conférence à l’Université d’Angers

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