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Aperçu rapide de la loi visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle

Lettre CREDA-sociétés 2022-03 du 16 mars 2022

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La loi n° 2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, dite loi « Rixain », est, pour une partie de ses dispositions, déjà en application. Elle s’inscrit dans le prolongement de la loi Copé-Zimmermann (L. n° 2011-103 du 27-01-2011), mais va plus loin dans l’égalité professionnelle, objectif inscrit depuis 2008 dans la Constitution (Const., art. 1, al. 2).

 

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On comprend que ce sont les insuffisances des mesures jusqu’ici adoptées qui ont incité à renforcer les outils en faveur de cet égal accès, notamment dans les sociétés cotées et plus largement dans les grandes entreprises.

Deux principales obligations pour garantir une représentation équilibrée des femmes et des hommes

Parmi les règles créées, on s’intéressera particulièrement au dispositif de l’article L. 1142-11 nouveau du Code du travail inséré dans un chapitre uniquement consacré auparavant aux mesures visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes (C. trav., art. L. 1142-7 s.). En substance, il est prévu que, dans les entreprises qui, pour le 3ème exercice consécutif, emploient au moins 1000 salariés l’employeur doit :

1) depuis le 1er mars 2022, publier chaque année les « écarts éventuels de représentation » entre les femmes et les hommes au sein des « ensembles » suivants : « cadres dirigeants » et « instances dirigeantes » ; écarts de représentation qui, au 1er mars 2023, seront rendus publics sur le site du Ministère du travail (L. 2021-1774, art. 14, III) ;

2) à compter du 1er mars 2026, faire que « la proportion de personnes de chaque sexe au sein de chacun des ensembles » précité « ne peut être inférieure à 30 % » ; exigence portée à 40 % au 1er mars 2029 (L. 2021-1774, art. 14, III et IV). Deux sanctions sont prévues pour donner pleine efficacité à cette dernière mesure :

- au 1er mars 2029, si l’entreprise ne respecte pas ces obligations, elle disposera d’un délai supplémentaire de 2 ans pour se mettre en conformité, des obligations durant cette période étant expressément posées (C. trav., art. L. 1142-12). Passé ce délai, elle pourra se voir infliger une pénalité financière d’au maximum 1 % des rémunérations et gains versés aux salariés ou assimilés au cours de l'année civile précédant l'expiration du délai de remédiation

- dès le 1er mars 2026, « la négociation sur l'égalité professionnelle prévue au 2° de l'article L. 2242-1 porte(ra) également sur les mesures adéquates et pertinentes de correction » (C. trav., art. L. 1142-13, applicable au 1er mars 2026).

Champ d’application : potentiellement toutes les entreprises d’au moins 1000 salariés

Ce sont toutes les entreprises de 1000 salariés ou plus, sans distinction, qui sont concernées, c’est-à-dire toute entreprise, quelle que soit a priori la nature ou la forme juridique de son exploitation et la nature de l’activité exploitée, au moins pour les obligations concernant les « cadres dirigeants ». Sont visées les sociétés en général, mais possiblement aussi les autres groupements (GIE, associations, etc.), même si, pour ces derniers, on peut hésiter pour leurs « instances dirigeantes », car le texte qui les définit, l’article L. 23-12-1 du Code de commerce, se limite formellement aux sociétés et est placé dans un chapitre dédié aux sociétés commerciales. Pour autant, la règle est édictée à l’article L. 1142-11 qui évoque toutes les « entreprises » sans distinction, ce qui laisse la question ouverte.

C’est ensuite au niveau de chaque entreprise que le calcul du seuil en nombre de salariés doit être effectué, ce qui appelle plusieurs observations. La première, à notre avis, est que le décompte des exercices ne commence pas avec l’entrée en vigueur de la loi. Dit autrement, il convient bien de prendre en compte les exercices antérieurs à l’entrée en application des mesures : par exemple, ceux de 2023, 2024 et 2025, pour la mise en application au 1er mars 2026. La deuxième est que tout salarié de l’entreprise, au sens où le droit social l’envisage (C. trav., art. L. 1111-2), devrait être intégré dans le calcul, sous réserve de précisions contraires. En outre, si c’est au niveau de chaque employeur et donc de chaque société ou groupement personnifié qu’il convient de se placer, les effectifs ne doivent pas, nous semble-t-il, être consolidés, par exemple, au niveau du groupe, aucune indication n’étant faite en ce sens à la différence d’autres dispositifs légaux. D’ailleurs, l’ « instance dirigeante » est, selon l’article L. 23-12-1 du Code de commerce, celle « mise en place au sein de la société ». En revanche, on peut hésiter pour les salariés travaillant à l’étranger, notamment ceux des éventuelles succursales. En droit du fonds de commerce, il s’agit de la même entreprise exploitée, mais en un lieu différent, un autre établissement. Or, s’il peut sembler perturbant d’intégrer des salariés dont le contrat relève potentiellement d’un droit étranger et s’il faut demeurer prudent, on ne peut à ce jour exclure avec certitude leur intégration.

Enfin, rien n’est dit des conséquences d’un « passage », à la clôture d’un exercice, en deçà du seuil des 1000 salariés. Dans le silence du texte, cela devrait emporter sortie du dispositif.

La notion d’ « instance dirigeante »

L’exigence de représentation équilibrée des hommes et des femmes concerne deux « ensembles » distincts : les « cadres dirigeants » au sens du droit social (C. trav., art. l’article L. 3111-2) ; les « instances dirigeantes » définies à l’article L. 23-12-1 du Code de commerce. Selon ce texte, « Est considérée comme instance dirigeante toute instance mise en place au sein de la société, par tout acte ou toute pratique sociétaire, aux fins d'assister régulièrement les organes chargés de la direction générale dans l'exercice de leurs missions. »

Ne sont pas visés les organes de direction eux-mêmes, ce qui exclut le directoire et les DGD de la SA, même si, à la lettre ces derniers assistent le DG, car ils disposent de pouvoirs propres et d’un pouvoir légal de représentation. On peut également exclure le conseil d’administration qui, investi de pouvoirs propres, n’assiste pas la direction générale et, bien entendu, le conseil de surveillance. Il faut aussi écarter les comités des conseils qui préparent les travaux du conseil.

Au-delà, ce sont possiblement tous les niveaux de décisions stratégiques de l’entreprise qui sont concernés et d’abord les CODIR, COMEX et autres comités dits « stratégiques ». Ensuite, toute instance statutaire, conventionnelle (pacte) ou institutionnelle (procédant de la décision d’un organe de direction), dès lors qu’elle assiste les organes chargés de la direction générale, entre dans le champ de la notion. L’article L. 23-12-1 évoque « toute pratique sociétaire », façon de limiter les stratégies de contournement par l’absence de formalisation de l’instance ou de ses émanations, même si l’exigence de représentation équilibrée au sein des « cadres dirigeants » devrait freiner ces velléités. Cela dit, les cadres dirigeants et les instances dirigeantes ne se recoupent peut-être pas forcément. Enfin, certaines hypothèses sont particulières. Pour les organes du groupe par exemple, il faudra probablement dissocier selon que l’on sera en présence d’un véritable organe institué au sein de la mère pour fixer la politique du groupe, à la condition que cette société excède elle-même les seuils, ou bien en présence d’une instance commune aux sociétés du groupe. Pour les SAS, il conviendra de scruter les pouvoirs effectifs des organes statutaires, sous la réserve toutefois des DG et DGD qui sont a priori exclus.

Au résultat et en dépit de quelques incertitudes, on notera le pragmatisme de cette loi, qui laisse le temps de l’adaptation et celui de la remédiation, deux approches qui servent son objectif.

Julien DELVALLEE
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay

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