Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme : le registre des bénéficiaires effectifs
Lettre CREDA-sociétés 2018-10 du 20 juin 2018


Les personnes morales de droit privé immatriculées au RCS sont tenues de déposer des informations sur leurs bénéficiaires effectifs, c’est-à-dire les personnes qui contrôlent in fine la personne morale considérée.
Transposant en droit français la directive 2015/849 du 20 mai 2015, les articles L. 561-46 à L. 561-50 du code monétaire et financier (CMF), introduits par une ordonnance du 1er décembre 2016, viennent renforcer le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Certaines personnes morales sont désormais tenues d’obtenir, conserver et communiquer au greffe du tribunal de commerce des informations sur leurs « bénéficiaires effectifs » (CMF, art. L. 561-46 al. 1), c’est-à-dire les personnes physiques qui contrôlent in fine la personne morale considérée. Le dernier décret d’application ayant été publié (D. n°2018-284 du 18 avril 2018), un tour d’horizon du mécanisme peut être présenté.
Entités concernées
Les entités tenues par la nouvelle obligation sont (CMF, art. L. 561-46 al. 1) celles tenues de s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés (RCS) établies sur le territoire français : sociétés (civiles et commerciales) dotées de la personnalité juridique, organismes de placement collectif (OPC) constitués sous forme de société, groupements d’intérêt économique, sociétés étrangères ayant un établissement en France, autres personnes morales immatriculées (dont les associations et fondations ayant émis un emprunt obligataire).
Les sociétés cotées (mais pas leurs filiales non cotées…) en sont dispensées. Il a en effet été considéré que les obligations de transparence pesant sur ces dernières étaient suffisantes pour ne pas leur imposer de contraintes supplémentaires.
Notion de bénéficiaires effectifs
Les bénéficiaires effectifs sont définis par renvoi à article L. 561-2-2 (art. L. 561-46 du CMF). Il s’agit de la ou des personnes physiques (plusieurs bénéficiaires effectifs peuvent être déclarés) :
- soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement l’entité concernée.
Cette formule vise plus précisément (CMF, art. R. 561-1) la ou les personnes qui :
* soit détiennent, directement ou indirectement, plus de 25% du capital ou des droits de vote de la société ;
* soit exercent par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur la société.
Il s’agit ici : soit du contrôle « de fait » permettant à une personne de déterminer en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de l’entité concernée (C. com., art. L. 233-3, I. 3°) ; soit du contrôle « politique » permettant à un associé ou un actionnaire du pouvoir de nommer ou révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de l’entité concernée (C. com., art. L. 233-3, I. 4°).
- soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée.
Dans l’hypothèse où aucune personne physique n’a pu être identifiée en application de ces critères, on considèrera que le bénéficiaire effectif de l’entité concernée est son représentant légal (CMF, art. R. 561-1 al. 2).
Modalités de la déclaration
Les entités concernées sont tenues : d’« obtenir et conserver des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs » (CMF, art. L. 561-46 al. 1).
Il appartient à leurs dirigeants de procéder aux investigations nécessaires pour identifier ces bénéficiaires effectifs, et obtenir les informations les concernant.
Ces informations sont consignées dans un document comprenant notamment les éléments d’identification et le domicile personnel du bénéficiaire effectif, ainsi que les modalités du contrôle qu’il exerce (CMF, art. R. 561-56). Il doit être déposé au greffe du tribunal de commerce, pour être annexé au RCS (CMF, art. L. 561-46 al. 2). Les informations sont également transmises à l’INPI (CMF, art. L. 561-47 al. 2).
Un nouveau document est déposé dans les 30 jours suivant tout fait ou acte rendant nécessaire la rectification ou le complément des informations mentionnées dans le document relatif au bénéficiaire effectif (CMF, art. R. 561-55).
Le greffier du tribunal de commerce vérifie que les informations fournies sont complètes et conformes aux dispositions légales et réglementaires dans le cadre d’un contrôle sur pièces (CMF, art. L. 561-47).
Les entités constituées à partir du 1er août 2017 doivent respecter l’obligation dès la demande d’immatriculation et au plus tard dans les 15 jours de la délivrance du récépissé de dépôt du dossier de création d’entreprise. Les entités déjà immatriculées au 1er aout 2017 avaient jusqu’au 1er avril 2018 pour se conformer (CMF, art. R. 561-55 ; D. n° 2017-1094 du 12 juin 2017, art. 5).
Sanctions
Il n’est pas exclu que le greffe qui constate l’absence de dépôt du document relatif aux bénéficiaires effectifs refuse de valider les formalités sollicitées dans le même temps.
De plus, le fait de ne pas déposer le document relatif aux bénéficiaires effectifs ou de déposer un document inexact ou incomplet fait encourir la peine de 7500€ d’amende et 6 mois d’emprisonnement (CMF, art. L. 561-49).
Lorsque la personne coupable est une personne physique, elle peut encourir des peines complémentaires : interdiction de gérer (C. pén., art. 131-27) ; privation partielle des droits civils et civiques (C. pén., art. 131-26).
Lorsque la personne coupable est l’entité concernée, elle encourt outre l’amende précitée (éventuellement portée au quintuple de celle prévue pour les personnes physiques. (C. pén., art. 131-38), des peines complémentaires (dissolution, surveillance judiciaire, etc. : C. pén. art. 131-39).
Enfin, le président du tribunal peut enjoindre, d’office ou sur requête du procureur de la République ou de toute personne justifiant y avoir un intérêt, au besoin sous astreinte, à l’entité concernée de procéder ou faire procéder au dépôt de pièces relatif aux bénéficiaires effectifs (CMF, art. L. 561-48 ; R. 561-60 à R. 561-63). Si la personne ne défère pas à l’injonction, le greffer doit en aviser le procureur. Le président peut désigner un mandataire chargé d’accomplir ces formalités, qui pourra obtenir du commissaire aux comptes (s’il en existe un) communication de tous renseignements nécessaires.
Accès à la déclaration
Cette nouvelle obligation de transparence ne profite qu’à certains acteurs (CMF, art L. 561-46, et R. 561-57, R. 561-58, R. 561-59).
Ainsi, outre l’entité concernée, peuvent notamment avoir accès aux informations susvisées : les autorités judiciaires, la cellule de renseignement financier nationale, les agents des douanes, les agents habilités de l’administration des finances publiques chargés du contrôle et du recouvrement en matière fiscale, et différentes autorités de contrôle (ACPR, AMF, certains ordres professionnels, etc. CMF, art. L. 561-36).
Ont également accès aux informations les personnes assujetties à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme dans le cadre de leurs mesures de vigilance, et toute autre personne justifiant d'un intérêt légitime et autorisée par le juge commis à la surveillance du RCS auprès duquel est immatriculée l’entité concernée.
En définitive, cette nouvelle obligation et les critères qui sont associés à son champ d’application appellent une vigilance accrue de la part des personnes en charge d’identifier les bénéficiaires effectifs, dans les hypothèses les plus complexes : détentions directes conjointes, détentions indirectes (l’AMF et l’ACPR livrent des réflexions intéressantes sur ces aspects) ; organisation des droits sociaux (usufruit, location, indivision, communauté de biens entre époux), etc. Sur ce point, l’oeuvre de la doctrine est à suivre avec une très grande attention.
Tanguy ALLAIN
Maître de conférences en droit privé à l’Université de Cergy-Pontoise