Sorry, you need to enable JavaScript to visit this website.

Le nu-propriétaire indivis de droits sociaux est recevable à agir seul en désignation d’un administrateur provisoire

Lettre CREDA-sociétés 2019-02 du 6 férier 2019

visuel_lettres_creda visuel_lettres_creda

Le nu-propriétaire indivis de droits sociaux ayant la qualité d'associé, il peut agir en désignation d'un administrateur provisoire.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

Les dernières lettres creda-sociétés

abonnement creda sociétés

On ne compte plus les arrêts de la Cour de cassation traitant des difficultés liées à la situation dans laquelle des droits sociaux sont détenus en indivision par plusieurs personnes, notamment en conséquence d’une succession. Dans un arrêt rendu le 17 janvier 2019, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation apporte une nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel, s’agissant cette fois-ci de la demande de désignation d’un administrateur provisoire.

M. X et Mme G sont parents de trois enfants. Ils ont constitué une SCI dont M. X est associé majoritaire et gérant, et Mme G minoritaire. Plus tard, Mme Z, la nouvelle épouse de M. X est désignée en qualité de co-gérante. A la suite du décès de M. X, les enfants issus de sa 1ère union avec Mme G deviennent nus-propriétaires indivis de ses parts, tandis que Mme Z en détient l’usufruit.

A l’issue de la succession, la société regroupe donc :

  • Mme G, 1ère épouse de M. X et associée minoritaire ;
  • Mme Z, gérante et usufruitière des droits sociaux conférant la majorité ;
  • les trois enfants de M. X et Mme G, nus-propriétaires indivis des droits sociaux conférant la majorité.

Au cours d’une assemblée générale, l’un des trois enfants est désigné gérant unique de la SCI. Ses deux frère et sœur n’ayant pas été informés de la tenue de cette assemblée assignent la SCI et Mme G aux fins de voir désigné un administrateur provisoire, avec mission de convoquer une assemblée générale pour désigner un nouveau gérant et examiner les comptes.

Alors que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence estime cette demande recevable en se fondant sur la qualité d’associé du nu-propriétaire indivis, le gérant nouvellement désigné et la SCI forment un pourvoi en cassation. Selon eux, la qualité d’associé des indivisaires de parts sociales ne peut accorder de droits individuels que dans la mesure où ceux-ci sont compatibles avec les droits des autres indivisaires. Or, la demande de nomination d’un administrateur provisoire est une mesure grave : étant donné qu’elle conduit à dessaisir le gérant de ses pouvoirs de gestion, elle ne devrait pas pouvoir être engagée par l’un seulement des indivisaires, associé minoritaire, sous peine de violer les articles 815-9 du Code civil et 873 du Code de procédure civile.

La question posée aux juges du droit était donc des plus simples : le nu-propriétaire indivis de parts sociales est-il recevable à agir individuellement en désignation d’un administrateur provisoire ? Leur réponse ne l’est pas moins : le nu-propriétaire indivis de droit sociaux ayant la qualité d’associé, la cour d’appel avait pu en déduire sans violer la loi qu’il était recevable à agir seul en désignation d’un administrateur provisoire.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette décision.

Une confirmation préalable : la qualité d’associé du nu-propriétaire indivis de droits sociaux

On n’en doutait plus, mais il s’agissait néanmoins d’un préalable conditionnant la suite du raisonnement, l’arrêt confirme que le nu-propriétaire indivis de droits sociaux est bien un associé. La première chambre civile avait posé le principe s’agissant d’une indivision de parts sociales dès 1980, et la chambre commerciale avait eu l’occasion de se rallier à cette analyse, qu’elle a même étendue aux nus-propriétaires indivis de parts sociales (v. not. Cass. com., 21 janv. 2014). Aujourd’hui la 3ème chambre civile confirme le mouvement.

Une articulation toujours délicate entre le régime de l’indivision et les droits d’associés

Ceci étant, dès 1980 les juges avaient indiqué que la qualité d’associé reconnue aux co-indivisaires ne permet pas que chacun d’eux puisse exercer librement et isolément les droits qui y sont attachés. Ces droits s’exercent dans les limites du régime de l’indivision, ce qui implique généralement que les décisions des co-indivisaires soient prises à l’unanimité et qu’aucun d’entre eux ne peut prendre d’initiative individuelle sans requérir au préalable l’assentiment des autres.


Ainsi par exemple, le droit de vote attaché aux droits sociaux indivis ne peut être exercé que collectivement (C. civ., art 1844 ; C. com., art. L. 225-110, imposant la présence d’un représentant des copropriétaires des droits sociaux indivis). De même en va-t-il de la demande de dissolution de la société dont les parts sont détenues en indivision (Cass. com., 9 oct. 1972).

Néanmoins, le régime de l’indivision prévoit quand même quelques adaptations, en permettant aux indivisaires d’agir seuls. Par exemple, la convocation aux AG d’une SA est un droit individuel (C. com., art. R. 225-68), de même que le droit de communication (C. com., art. L. 225-118). Dans l’arrêt précité de 2014, chaque indivisaire se voit reconnaitre, en raison de sa qualité d’associé, le droit de participer aux assemblées générales, quand bien même seul le représentant de l’indivision peut y voter. Il en va encore ainsi de l’exercice de l’action sociale ut singuli (Cass. crim., 4 nov. 2009).

Faute de précisions dans les textes pour tous les droits attachés à la qualité d’associés, les co-indivisaires en sont alors réduits à soumettre leurs interprétations aux tribunaux, qui identifient progressivement ceux qui impliquent l’unanimité et ceux qui peuvent être exercés individuellement.

Dans le sillon tracé par la chambre commerciale

Ce fut le cas par exemple à propos d’une demande d’expertise de gestion. Dans un arrêt rendu en 2007, la chambre commerciale considère qu’un co-indivisaire d’actions peut présenter une demande de désignation d’un expert de gestion sans que tous les autres co-indivisaires se joignent à la demande, dès lors que l’ensemble des actions détenues en indivision atteignent le seuil fixé par l’article L. 225-231 du Code de commerce.

Cette solution trouve son fondement au visa de l’article 815-9 du Code civil. Les juges ont ici rappelé que « chaque indivisaire peut user des biens indivis conformément à leur destination, dans la limite compatible avec le droit des autres indivisaires ». L’unanimité n’était donc pas requise. En l’occurence, les juges venaient en filigrane affirmer que la demande d’expertise de gestion, bien qu’impliquant un usage personnel des biens indivis, s’exerçait en conformité avec les droits des autres indivisaires. Il est vrai que l’expertise de gestion est avant tout une mesure qui profite à la société et à la collectivité des associés, puisqu’il s’agit de contrôler la gestion et révéler le cas échéant des fautes de gestion, en remédiant à une information insuffisante. En outre, même les co-indivisaires qui ne se sont pas joints à la demande ont de toute façon connaissance du rapport de l’expert désigné. Leurs droits sont ainsi respectés.

En tant qu’arrêt de rejet, l’arrêt rapporté ne contient pas de visa. Pour autant, l’article 815-9 du Code civil comptait bien au titre des dispositions que le pourvoi reprochait à la Cour d’appel d’avoir violé. On peut donc supposer qu’en l’espèce, les juges ont adopté un raisonnement similaire à celui retenu dans l’arrêt de 2007.

Le pourvoi tenait pour argument que la désignation d’un administrateur provisoire était une mesure grave, dessaisissant le gérant de ses pouvoirs de gestion. Les juges y voient pour leur part une mesure compatible avec les droits de tous les indivisaires. Il faut admettre que cette mesure exceptionnelle vise à protéger les intérêts de la société avant les intérêts personnels des associés, contre un fonctionnement irrégulier des organes sociaux et un péril imminent. En outre, le dessaisissement des pouvoirs de gestion n’est pas systématique et n’est pas forcement total : tout dépendra de l’étendue des attributions qui seront confiées par le juge. On peut alors approuver l’analyse retenue par la 3ème chambre civile.

Pour tout dire, une solution contraire, qui aurait imposé l’unanimité des membres de l’indivision pour demander la désignation d’un administrateur provisoire, aurait manqué de cohérence. Observons qu’en l’espèce, c’est l’un des co-indivisaires qui a été désigné en qualité de gérant et dont la gestion est contestée. On imagine alors sans difficulté qu’il aurait systématiquement refusé de donner son accord à l’engagement d’une action en demande de désignation d’un administrateur provisoire.

Tanguy ALLAIN
Maître de conférences en droit privé à l’Université de Cergy-Pontoise

...

Partager