Sorry, you need to enable JavaScript to visit this website.

Redressement judiciaire : l'associé menacé de dilution peut former tierce opposition

Lettre CREDA-sociétés 2023-04 du 1er mars 2023

Creda 2022 D Creda 2022 R
Abonnement

 

Par un important arrêt publié rendu le 8 février 2023 (21-14.189), la chambre commerciale déclare recevable la tierce opposition de l’actionnaire qui cherche à contester le plan de redressement envisageant de lui imposer une dilution de sa participation. La solution mérite d’être remarquée, en ces temps de « désacralisation » des droits de l’associé au nom du sauvetage des entreprises.

Une société LPS, détenue notamment par une personne physique A à hauteur de 43,09 %, fut placée en redressement judiciaire. Quelques mois plus tard, le tribunal de commerce arrêta le plan de redressement. Par une ordonnance de référé, le président du tribunal désigna ensuite un mandataire avec la mission de mettre en œuvre la procédure prévue à l’article L. 631-9-1 du code de commerce. Les capitaux propres de la société étant tombés à un niveau inférieur à la moitié du capital social (C. com., art. L. 225-248), et en l’absence de reconstitution dans les conditions de l’article L. 626-3 du code de commerce, l'administrateur peut en effet solliciter la désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à la place des associés opposants, lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou de plusieurs personnes qui se sont engagées à exécuter le plan.

publications

 

L’assemblée générale devait ici être réunie pour se prononcer sur la réduction du capital social à zéro, suivie de son augmentation en numéraire en deux temps, réservée à B, qui s’était engagé à exécuter le plan, et à un autre actionnaire, une société M. Capital Partners.

L’actionnaire A, mis à l’écart et ne pouvant, de ce fait, faire jouer sa minorité de blocage, a décidé de former tierce opposition contre le jugement arrêtant le plan. Mais celle-ci fut déclarée irrecevable par la cour d’appel, qui retint que le demandeur, représenté à l’instance, n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société dans le cadre de ce plan.

L’arrêt sera finalement cassé par la chambre commerciale. L’intérêt de cette décision publiée est double. Il nous offre d’abord l’occasion de revenir sur la question épineuse de l’admission de la tierce opposition d’un associé à l’encontre d’une décision visant la société (1). Surtout, à rebours d’une tendance observable depuis quelques années en droit positif, la chambre commerciale se montre particulièrement soucieuse des droits de l’associé menacés de dilution par le plan de redressement (2).


 Téléchargez la lettre Creda-Sociétés n° 2023-04 du 1er mars 2023

Lettre 2023-04

 

L’admission de la tierce opposition de l’associé

La tierce opposition permet à un tiers d’attaquer un jugement en vue de le faire rétracter ou réformer (C. proc. civ., art. 582). Voie de recours exceptionnelle, ouverte uniquement dans les cas prévus par la loi (C. proc. civ., art. 580), plusieurs conditions de recevabilité sont imposées. Ne sont ainsi admis à l’exercer que les personnes qui n’ont pas été parties à l’instance, et qui font état d’un intérêt légitime à agir (C. proc. civ., art. 583). Parmi les tiers, sont néanmoins déclarés logiquement irrecevables ceux qui ont été représentés.

La question de savoir si l’associé est recevable à attaquer une décision concernant sa société a fait l’objet de nombreux débats, tant doctrinaux que devant les prétoires. Si l’associé est incontestablement un tiers, peut-on cependant le considérer comme étant « représenté » ? Dans la rigueur des principes techniques qui régissent la représentation, une réponse négative devrait s’imposer : le représentant légal de la personne morale n’agit, dans le cadre du procès, qu’au nom et pour le compte de cette dernière, et non des associés.

A la vérité, pour éviter une dilatation trop importante du domaine de la tierce opposition, la Cour de cassation a une conception plutôt extensive de la notion de représentation – certains arrêts se contentent même d’une « communauté d’intérêts » (Cass. civ. 1re, 5 mars 2008, no 07-11.667, publié). La jurisprudence, fixée depuis de nombreuses années, considère avec constance que les associés sont bel et bien représentés à l’instance par le représentant légal de la société (V. par exemple : Cass. com. 23 mai 2006, no 04-20.149, publié).

La seule possibilité pour l’associé est alors d’invoquer l’une des deux exceptions qui permettent l’ouverture de la tierce opposition aux représentés. Son droit d’agir sera d’abord reconnu s’il parvient à démontrer l’existence d’une fraude à ses droits ou s’il fait valoir des moyens qui lui sont propres, autrement dit, des moyens que le représentant n’aurait pas été en mesure d’invoquer. L’apport principal de l’arrêt est de reconnaître l’existence d’un moyen propre à l’associé qui cherche à contester une restructuration de capital prévue à son détriment par le plan de redressement.

La protection de l’associé menacé de dilution

La question du domaine de la tierce opposition est particulièrement sensible en droit des entreprises en difficulté. Les impératifs de la procédure peuvent inciter à restreindre les possibilités de contestation ouvertes aux tiers. Pourtant, depuis la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, la tierce opposition a été largement ouverte, tant à l’encontre du jugement d’ouverture, que de celui prononçant une extension de procédure (C. com., art. L. 661-2), ou encore de la décision arrêtant le plan de sauvegarde ou de redressement (C. com., art. L. 661-3).

Le problème prend une tournure particulière lorsque le plan prévoit une mesure qui peut se traduire par la dilution d’un associé contre son gré. C’était précisément l’effet du plan contesté, qui exploita la possibilité offerte par l’article L. 631-9-1 du code de commerce, lorsque les capitaux propres sont devenus inférieurs à la moitié du capital social. Si l’on peut y voir l’expression de la contribution aux pertes de l’associé, la mesure est néanmoins forte, et a d’ailleurs été contestée lors de son entrée en vigueur (Ord. du 12 mars 2014) : au nom du sauvetage de l’entreprise, le plan peut désormais porter atteinte aux droits de l’associé qui ne souhaite pas ou n’est pas en mesure de souscrire à l’augmentation de capital.

La solution adoptée par la chambre commerciale est à rebours de la tendance, observée depuis quelques années, d’autoriser une « mise à l’écart » de certains associés ou dirigeants lorsque le redressement de l’entreprise l’exige. Plus exactement, l’arrêt tempère la rigueur de ces nouveaux principes en cherchant à ménager les droits de l’associé, même récalcitrant, en lui ouvrant malgré tout la tierce opposition, dès lors (comme en l’espèce) qu’il critique précisément la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'exercer ses droits de vote aux fins d'approuver un coup d’accordéon réservé à d'autres associés que lui. Le raisonnement est difficilement contestable : la privation du droit de vote, ainsi que la dilution qu’il subit, sont des griefs qui sont évidemment propres à l’associé concerné.

La publication de cet arrêt de cassation – prononcée pour violation de la loi – s’explique sans doute par la résistance opposée par certaines juridictions du fond. En effet, la chambre commerciale avait déjà censuré une décision de cour d’appel ayant déclaré irrecevable la tierce opposition de l’associé, dans des circonstances très proches (Cass. com., 31 mars 2021, n° 19-14.839, publié). Le plan avait décidé d’une réduction du capital à zéro, suivie d’une augmentation réservée à un actionnaire devenu unique. La cour d’appel avait refusé de faire droit à la tierce opposition de l’associé évincé, qui invoquait la perte de sa qualité d’associé et l’atteinte portée à son droit préférentiel de souscription, motif pris de ce que ces moyens, qui concernent la collectivité des associés et ont été débattus à l’instance, n’étaient pas propres à l’associé opposant. La cassation fut sèchement prononcée, toujours pour violation de la loi, le moyen propre n’étant pas celui que peut exclusivement invoquer un associé considéré individuellement.

Ces arrêts sont vraisemblablement appelés à rayonner au-delà du strict domaine de l’article L. 631-9-1 du code de commerce. Une conclusion analogue devrait en effet a fortiori s’imposer lorsque le plan prévoit une mesure de dilution ou de cession forcées, conformément à l’article L. 631-19-2 du code commerce. Consacrée par la loi Macron du 6 août 2015, la mesure est encore plus lourde pour l’associé évincé car elle n’est pas conditionnée par les critères de l’article L. 225-248 du même code. Au point que sa constitutionnalité fut discutée, mais finalement reconnue (Cons. const., 5 août 2015, n° 2015-715 DC). S’il est vrai que l’associé concerné est entendu par le tribunal lorsqu’une telle mesure est projetée, cela ne suffit pas pour en faire une partie à l’instance.

Que penser de l’opportunité de ces solutions ? La quête du point d’équilibre entre intérêt social, intérêt des associés et celui des créanciers est, on le sait, une gageure. En l’occurrence, la multiplication des recours peut certainement risquer de perturber le bon déroulement de la procédure et in fine compromettre, peut-être, les chances de sauvetage. Certes, l’effet relatif de la tierce opposition atténue quelque peu ce danger : elle empêche simplement le jugement de produire effet à l’égard du tiers opposant, sans affecter la portée du jugement entre les parties (C. proc. civ., art. 591). Pour autant, l'admission au fond de la tierce opposition devrait logiquement conduire à faire obstacle à la dilution de l’associé.

 

Akram El Mejri,
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

 

Partager
/v