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Les statuts-types de SAS : du sur-mesure au prêt-à-porter... numérique

Lettre CREDA-sociétés 2020-12 du 7 octobre 2020

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Le Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris (HCJP) a publié le 6 juillet 2020 un nouveau rapport sur les Sociétés par actions simplifiées (SAS) et a élaboré à la demande de la Chancellerie un projet de statuts-types.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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L’idée peut surprendre car la SAS est conçue comme une forme sociale malléable où doit régner la liberté statutaire : il n’était pas prévu à l’origine de suggérer aux rédacteurs des statuts tel ou tel type de clauses.

Statuts-types et liberté statutaire

Dans un précédent rapport sur la SAS, le HCJP s’était efforcé de formuler des propositions ne créant pas de rigidité supplémentaire. L’objectif fondamental de cette forme sociale est bien de pouvoir s’adapter à tous les projets d’entreprise, grâce à la rédaction de stipulations statutaires « sur-mesure ». La démarche même d’élaborer des statuts-types de SAS, c’est-à-dire une sorte de standard « prêt-à-porter », paraît contrevenir à la philosophie qui a animé ses créateurs en 1994.

840 000
SAS en 2019

 

La SAS connaît à compter de son ouverture au grand public en 1999 un énorme succès, non seulement à l’échelle interne (le HCJP fait état de 840 000 SAS en 2019), mais aussi à l’échelle européenne : plusieurs Etats membres s’en inspirent et intègrent dans leur droit une forme sociale similaire. Le législateur français est en outre intervenu à plusieurs reprises pour déployer cette forme sociale, qui est désormais prisée tant par le petit créateur que par les start-up ou pour des projets sociétaires de grande envergure.

Pour autant, le caractère éminemment libéral du fonctionnement de la SAS ne doit pas être pris à la légère : il est très souvent recommandé d’être accompagné par des professionnels pour rédiger des statuts de SAS. Il en résulte des coûts non négligeables difficiles à supporter pour les plus petites entreprises.

Il peut persister à ce titre un sentiment d’inaccessibilité et une tentation de recourir à des statuts-types d’origine douteuse trouvés au hasard d’internet. Aussi, la création de statuts-types « officiels » paraît être une excellente chose tant à la fois pour protéger leurs utilisateurs que pour faciliter l’accès au droit.

Les modèles de statuts : un élément de la stratégie européenne de numérisation du droit des sociétés

Tout ceci s’inscrit dans le cadre de la « stratégie pour un marché unique numérique en Europe », ayant notamment donné lieu à l’adoption de la directive n°2019/1151 (modifiant la directive de 2017/1132). Ce nouveau texte a réalisé une réforme d’ampleur du droit européen des sociétés, tout spécialement au sujet de l’utilisation d’outils et de processus numériques : immatriculation en ligne nationale et transfrontalière, dépôt et publicité légale en ligne.

Le chapitre III de la directive de 2017 modifiée dresse le cadre juridique que les Etats membres doivent mettre en place pour garantir l’immatriculation en ligne des sociétés et des succursales (art. 13 octies).

Il contient notamment un article 13 nonies qui prévoit l’obligation pour les Etats membres de mettre à disposition des « modèles » de statuts en application de leur droit national pour certaines sociétés (pour la France : les SARL, EURL, SAS et SASU) accessibles par l’intermédiaire du portail numérique unique (interface unique, à partir de laquelle les ressortissants de l’UE pourront réaliser l’ensemble de leurs démarches administratives).

Les Etats peuvent s’ils le souhaitent prévoir des modèles pour d’autres formes sociales. Ils doivent en outre veiller à ce qu’ils puissent être utilisés dans le cadre d’une procédure de constitution en ligne et être disponibles « dans une langue globalement comprise par le plus grand nombre possible d’utilisateurs transfrontières ». On imagine qu’il s’agit de l’anglais. Les modèles peuvent être accessibles dans une ou plusieurs autres langues que la langue officielle de l’Etat, mais à des fins d’information seulement. Il appartient enfin aux Etats de décider quelle procédure ils mettent en place en interne pour vérifier l’utilisation correcte des modèles.

S’ajoute l’obligation pour les Etats membres de prévoir des informations pour aider à la constitution de sociétés et à l’immatriculation de succursales (art. 13 septies) sur les portails ou sites internet destinés à l’immatriculation accessibles via le portail numérique unique. Ces informations devront notamment comprendre les règles relatives à la constitution de sociétés, les procédures en ligne et les obligations relatives à l’utilisation des modèles.

L’intérêt bien sûr sera de pouvoir utiliser les modèles proposés directement en ligne et les transmettre de façon dématérialisée une fois remplis.

Un projet de modèle intéressant … à compléter par un guide

Le projet de statuts-types proposé par le groupe de travail du HCJP est intéressant et plutôt réussi.

La tâche était pourtant délicate : comment proposer un modèle de statuts constitué de stipulations dont une majorité est laissée par la loi à la discrétion des rédacteurs ? L’exercice était beaucoup plus périlleux que celui de rédiger des statuts-types d’EURL dont l’associé assume personnellement la gérance (v. C. com., annexe 2-1) et dont les options rédactionnelles sont quasi-inexistantes.

Le modèle présenté va à l’essentiel et propose une articulation qui devrait être suffisamment claire pour ceux qui souhaiteraient y recourir. On décèle toutefois par endroits des notes de bas de pages renvoyant prudemment à l’avis d’un professionnel (sur les clauses d’agrément par ex.), ou évoquant des possibilités d’adaptation des statuts et diverses options (indemnisation du président en cas cessation des fonctions ; choix de la structure de gouvernance ; conventions interdites, majorités, seuil de détention d’actions pour proposer un ordre du jour), ce qui peut rendre la lecture difficile pour le néophyte, voire créer le doute. On peut donc regretter que le guide juridique et pratique en vue de la constitution et l’immatriculation d’une SAS en France ne soit annoncé que pour août 2021.

Bien évidemment, ces statuts-types auront un caractère subsidiaire et il sera loisible à chacun d’en adopter d’autres dès lors qu’ils seront conformes au droit national.

Vers une bibliothèque de statuts-types officiels ?

Ce ne sont pas les premiers statuts-types droit français. Les créateurs d’EURL dont l’associé est le gérant bénéficient déjà de modèles remis gratuitement par le CFE ou par le greffe du tribunal de commerce (C. com., art. D. 223-2). Ces statuts-types ont ceci de particulier qu’ils sont supplétifs : ils s’appliquent, à moins qu’il n’ait été joint des statuts différents lors de la demande d’immatriculation.

La philosophie de la directive est différente, même s’il est indiqué que l’utilisation des modèles permettra, dans les Etats où c’est prévu, d’échapper à l’obligation d’établir les statuts par acte authentique.

Il existe également en France des statuts-types, définis par décret en Conseil d’Etat, pour les sociétés constituées par les associations sportives (C. sport, art. L. 122-3) ; des statuts types homologués pour les coopératives, et certainement beaucoup d’autres.

Les statuts-types de SAS proposés par le HCJP viennent ainsi s’ajouter à une multitude de statuts-types internes, aux valeurs juridiques variées. Peut-être y a-t-il sur ce sujet matière à harmonisation ?

En tout cas, le projet de statuts-types élaboré par le HCJP concerne les SAS et les SASU, répondant à une partie des exigences de la directive. Pour le reste, il faudra encore élaborer des projets de statuts-types de SARL et d’EURL. En effet, ceux dont on dispose en droit français ne visent que les EURL dont l’associé unique est également le gérant. Or il semble bien que la directive vise de façon plus globale les SARL et les EURL, sans considération pour le mode de gérance.

De la numérisation à l’automatisation du droit des sociétés ?

L’avancée offerte par la directive est importante, mais elle n’est pas considérable.

Pour s’en convaincre, il suffit d’observer ce que sont capables de proposer certaines entreprises de la Legaltech spécialisées dans la création de sociétés en ligne. Leur force est de voir les statuts de sociétés non comme un point de départ mais comme un résultat : les statuts ne sont rédigés qu’après l’analyse d’une situation, juridique, sociale, des créateurs et futurs associés.

Ce processus intellectuel, déjà mis en place par les avocats en droit des sociétés, peut aujourd’hui être robotisé, de façon à automatiser la sélection et la rédaction de certaines clauses, en fonction de réponses données à des questions : souhaitez-vous travailler seul ou à plusieurs ? quel type d’activité souhaitez-vous exercer ? quel régime social souhaitez-vous choisir ? souhaitez-vous pouvoir quitter librement la société ? etc.

On peut donc largement nuancer l’intérêt de la « numérisation » de la procédure d’immatriculation des sociétés tel qu’elle est conçue dans la directive, dès lors qu’il ne s’agit « que » de permettre l’accès et l’envoi en ligne de documents (comme les modèles) qu’on pourrait par ailleurs renseigner à la main, sans véritable apport des technologies numériques.

Certes, c’est un pas en avant et l’on observera des gains en termes de déplacement et d’envoi de dossiers papiers. Mais cette façon de procéder ne met pas davantage le créateur d’entreprise en mesure de sélectionner seul les options qui sont les meilleures pour lui : encore faudrait-il qu’il comprenne certaines données propres au droit des sociétés, parfois très techniques (clause d’agrément, actions de préférence ou autres) pour faire les bons choix en fonction de sa situation personnelle et son projet.

Tanguy ALLAIN
Maître de conférences en droit privé, Université de Rennes I

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