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Exclusion abusive d'un associé et nullité

Lettre CREDA-sociétés 2021-05 du 17 mars 2021

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Alors que la chambre commerciale de la Cour de cassation vient, de fermer la voie à la nullité d’une décision sociale tirée de la seule violation de l’intérêt social, la première chambre civile ouvre largement la nullité de la décision d’exclusion d’un associé lorsque celle-ci est prise abusivement.

 

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Sur le fondement de l’article L. 235-1 du Code de commerce, la chambre commerciale ferme la voie à la nullité d’une décision sociale tirée de la seule violation de l’intérêt social (Com., 13 janv. 2021, n°18-21860 ; v. lettre Creda-sociétés n° 2021-02 du 27 janvier 2021) tandis que la première chambre civile ouvre largement, dans un arrêt du 3 février 2021, la nullité de la décision d’exclusion d’un associé lorsque celle-ci est prise abusivement , sur le fondement l’article 1844-10 du Code civil.

En l’espèce, un associé d’une société d’avocats (SELAS), en arrêt maladie depuis février 2013, avait informé la société, le 29 août, de son intention de quitter le cabinet pour ensuite lui notifier sa démission courant octobre avec effet au 31 décembre de la même année. Une « assemblée générale extraordinaire » était convoquée pour évoquer sa démission sans toutefois statuer sur ce point. Finalement, la société décidait, le 25 novembre 2013, en application de ses statuts, d’exclure l’associé pour « incapacité d’exercice professionnel pendant une période cumulée de neuf mois au cours d’une période totale de douze mois ».

L’associé exclu entendait obtenir, outre des rappels de rétrocession d’honoraires et l’allocation de dommages et intérêts en raison d’un syndrome d’épuisement professionnel, d’abord devant son bâtonnier saisi d’une demande d’arbitrage, ensuite en appel, le prononcé de la nullité de la décision d’exclusion. Ses demandes sont rejetées par la cour d’appel de Paris.

S’agissant de la réparation du préjudice tiré de l’épuisement professionnel, la Cour de cassation se range derrière l’interprétation souveraine des juges du fond, ce qui n’appelle pas de commentaires.

En revanche, plus intéressante est la censure de la cour d’appel qui avait jugé l’exclusion abusive, mais refusé de prononcer la nullité au motif que l’abus ne peut que justifier l’octroi de dommages et intérêts et ce, à la condition que l’exclu démontre avoir subi un préjudice.

Au visa des articles 1832, 1833 et 1844-10, alinéa 3, du Code civil, la Cour de cassation décide qu’« il résulte du dernier de ces textes que la décision prise abusivement par une assemblée générale d'exclure un associé affecte par elle-même la régularité des délibérations de cette assemblée et en justifie l'annulation. »

Même s’il convient de demeurer prudent s’agissant d’une espèce rendue en matière de SELAS d’avocats, par la première chambre civile, la formule a le mérite de la concision et donne à l’arrêt, publié, les allures d’une solution de principe. En effet, le visa de l’article 1844-10, alinéa 3, du Code civil, couplé avec la solution générale selon laquelle la prise abusive d’une décision d’exclusion « affecte par elle-même la régularité des délibérations », confèrent une certaine portée à l’arrêt.

D’ailleurs, le visa des articles 1833 et 1844-10 du Code civil dans leur rédaction antérieure à la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 dite « Pacte » n’affecte ni le sens ni la portée de l’arrêt, aucune référence n’étant faite à l’intérêt social.

Le contrôle judiciaire de la décision d’exclusion « prise abusivement »

On sait que le droit d’exclure un associé ne peut être discrétionnaire ou arbitraire et qu’à ce titre la Cour de cassation a déjà retenu qu’il appartient aux juges du fond, lorsqu’ils en sont saisis, de vérifier que l’exclusion n’est pas abusive (Com., 21 oct. 1997, n°95-13892 ; Com., 14 nov. 2018, n°16-24532). Le contrôle de l’abus est large et ne se limite pas à l’intention de nuire (Com., 14 nov. 2018, préc.) : il porte aussi bien sur la procédure d’exclusion et notamment le respect du contradictoire (pouvoir s’expliquer sur les griefs reprochés : Com. 12 févr. 1973, n°71-13819 ; Com., 21 juin 1994, n°92-16985 ; disposer d’une information préalable suffisante : Com. 4 déc. 2012, n°11-27667), que sur la légitimité, la réalité ou encore la gravité des motifs invoqués au soutien de la mesure (par ex. : Com., 14 nov. 2018, préc. ; Civ. 1ère, 13 juin 1993, n°91-15649 ; Civ. 1ère, 8 nov. 1976, n°75-12405), aucune clause des statuts ne pouvant limiter le pouvoir des juges à cet égard (Com. 21 oct. 1997, préc.).

En l’espèce, l’abus résulterait à la fois de ce que l’exclusion est prononcée en réponse à une démission – ce qui fait écho à l’espèce précitée du 14 novembre 2018 dans laquelle l’exclusion avait été prononcée en réponse à une demande de retrait partiel –, mais aussi et surtout, dans le fait que l’exclusion de l’associé « était motivée par la volonté de résister à ses prétentions financières ». Concrètement, c’est l’utilisation « détournée », voire frauduleuse (ce que vraisemblablement le demandeur soutenait aussi d’après les moyens annexés à l’arrêt), de la procédure d’exclusion qui paraît sanctionnée ici. De ce point de vue, l’arrêt est intéressant, mais les éléments manquent pour apprécier avec précision les critères du contrôle de l’abus qui semble néanmoins distinct de la fraude. Tout au plus, on croit comprendre que l’exclusion était financièrement plus avantageuse pour la société que ne l’était la démission et que l’abus dans l’exclusion, en dépit du visa de l’article 1833, n’est pas réductible à l’abus du droit de vote.

La sanction de la décision d’exclusion « prise abusivement »

L’originalité de la solution tient dans la cause générale de nullité des délibérations affirmée au visa de l’article 1844, alinéa 3, du Code civil.

Notons à cet égard que c’est la Cour de cassation qui « ajoute » cet article à son visa, puisque le demandeur reprochait aux juges d’appel une violation des « seuls » articles 1832 et 1833 et que l’on pouvait plutôt à s’attendre à ce que, « formellement », l’article L. 235-1 du Code de commerce soit mobilisé s’agissant d’une SELAS (Loi n°90-1258 du 31 déc. 1990, art. 1, al. 1er).

En outre, la Cour semblait, jusqu’à présent, s’appuyer, tantôt, conformément à la théorie de l’abus de droit, sur l’article 1382 du Code civil (dans sa version antérieure à l’ord. n°2016-131 du 10. févr. 2016 : Com., 21 oct. 1997, préc. ; Com. 14 nov. 2018, préc.) ; tantôt sur l’article 1134 du Code civil (dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2016-131 : Civ. 1ère, 8 nov. 1976, préc. ; Civ. 1ère, 13 juin 1993, préc. ; Com. 4 déc. 2012, n°11-27667).

Il est vrai, d’une certaine manière, que l’exclusion peut être abusive parce qu’elle est prise en violation des règles procédurales ou de fond prévues par les statuts, ou, plus largement par assimilation, parce qu’elle procède d’une mise en œuvre de mauvaise foi d’une prérogative contractuelle dont le juge peut neutraliser les effets (si l’on rapproche, avec une partie de la doctrine, l’exclusion d’une forme de clause résolutoire).

Il est tout aussi vrai que l’abus est, comme la fraude, « une cause de nullité des contrats en général » (C. civ., art. 1844-10, al. 3 et C. com., art. L. 235-1, dern. al., évoquant une disposition impérative « des lois qui régissent les contrats »).

Au cas particulier, la nullité est tirée d’un texte, l’article 1844-10, alinéa 3, qui, habituellement, est plutôt mobilisé pour restreindre les causes de nullité des décisions sociales.

Or, au-delà des causes de nullité des contrats en général, on peine à identifier la règle impérative violée au visa des articles 1832 et 1833. A la rigueur, par déduction d’une lecture combinée des articles précités, on songe à l’atteinte illégitime au droit de demeurer associé ou, peut-être, à l’atteinte au droit pour tout associé de collaborer sur un pied d’égalité à la réalisation de l’entreprise commune.

De même, la position de la Cour de cassation s’inscrit ici en opposition avec une tendance à l’acception stricte des causes de nullité en droit des sociétés, singulièrement en matière d’exclusion. Certains arrêts ont ainsi pu donner l’impression que toute décision abusive n’était pas forcément sanctionnée sur le terrain de la nullité. Par exemple, il a été jugé, en matière de sociétés coopératives à forme anonyme à capital variable, que faute pour le contradictoire d’être une disposition impérative au sens de l’article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce, sa violation dans le cadre d’une procédure d’exclusion ne pouvait fonder la nullité de la décision (Com., 13 juill. 2010, n°09-16156 ; Com., 9 nov. 2010, n°10-10150 ; Com., 17 mars 2015, n°14-12407).

Au résultat, il est difficile d’apprécier la portée de cet arrêt. Ce que l’on peut dire c’est qu’il va certainement renforcer le contentieux de l’exclusion sans que l’on puisse identifier, à ce stade avec certitude, les critères de l’abus justifiant le prononcé d’une nullité.

Julien DELVALLEE
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay

 

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