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Clause d’agrément dans une société anonyme : de la nécessité de mettre à jour les statuts…

Lettre CREDA-sociétés 2023-08 du 10 mai 2023

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Les clauses d’agrément au sein des sociétés anonymes non cotées ne sont pas imposées par la loi, mais peuvent être prévues par les statuts selon l’article L. 228-23 du Code de commerce. Cette disposition, qui a été modifiée par l’ordonnance du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières, introduit la possibilité de soumettre les cessions entre actionnaires à la procédure d’agrément.

C’est à propos de cette faculté que la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu une décision le 15 mars 2023 (Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-15.393).

Les faits de l’espèce sont classiques. Un actionnaire de deux sociétés anonymes cède le 12 juillet 2018 ses actions à un actionnaire, qui les cède lui-même à un autre cessionnaire le lendemain. Les sociétés refusent d’inscrire les cessions sur le registre des mouvements de titres, au motif qu’une clause statutaire d’agrément – introduite en 1985 et non modifiée depuis –stipule que « sauf dispense de la loi, toute cession ou transmission d’actions quelle qu’en soient la nature et la forme est soumise à l’agrément préalable du conseil d’administration ». En conséquence, les sociétés considèrent les ventes nulles. Les cessionnaires assignent alors les sociétés et leur directeur général afin de faire inscrire les cessions dans les livres de la société et donc de voir reconnaitre la cession valable.

La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 8 avril 2021, invalide les cessions. En effet, en raison de la nature institutionnelle de la société, la loi applicable à la cession des actions devrait être celle applicable au jour de réalisation de l’opération, soit en l’espèce la version actuelle de l’article L. 228-23, et non le texte applicable au moment de la rédaction de la clause statutaire. L’agrément de la cession entre actionnaires étant possible selon la modification législative opérée en 2004, la cession de 2018 est annulée, et ce d’autant plus que les juges du fond ont considéré que la cession était entachée de fraude. Un pourvoi est formé par les cessionnaires et la cédante, mais pas sur le dernier point.

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Il revenait à la chambre commerciale de déterminer le régime juridique applicable à une cession d’actions entre actionnaires lorsqu’une clause statutaire introduite avant une réforme législative prévoit que : « sauf dispense de la loi, toute cession ou transmission d'actions quelles qu'en soient la nature et la forme est soumise à l'agrément préalable du conseil d'administration ».

L’arrêt est censuré, pour défaut de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016. Il est en effet reproché aux juges du fond de ne pas avoir recherché quelle était la réelle volonté des rédacteurs de la clause statutaire d’agrément : se plier à toutes les évolutions législatives intervenant postérieurement à la clause ou, au contraire, cristalliser le droit applicable au moment de la rédaction de la clause ?

La décision de la chambre commerciale donne dans un premier temps l’occasion de rappeler la modification du champ d’application ratione personae des clauses d’agrément au sein des sociétés anonymes puis, dans un second temps, d’aborder l’application de cette modification textuelle à des statuts antérieurs.

La modification du champ d’application de la clause d’agrément dans les SA

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n° 2023-08 du 10 mai 2023

Lettre creda n°2023-08

 

 

L’ordonnance du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières a opéré un accroissement du champ d’application des clauses d’agrément contenues dans les statuts de sociétés anonymes.

L’article 274 de la loi du 24 juillet 1966 disposait « sauf en cas de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux, ou de cession, soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant, la cession d'actions à un tiers à quelque titre que ce soit, peut être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts ». Toute la question était de savoir ce que le législateur entendait par « cession à un tiers ». Selon la chambre commerciale (Cass. com., 10 mars 1976, n° 74-14.680), « l'actionnaire d'une société par actions est libre de céder ses titres à un autre actionnaire sans qu'une telle cession puisse être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts ». L’actionnaire cessionnaire n’était donc pas un tiers et n’était donc pas soumis à l’agrément.

L’ordonnance du 24 juin 2004 opère une profonde modification de l’article L. 228-23 du Code de commerce, en disposant que « la cession d'actions ou de valeurs mobilières donnant accès au capital, à quelque titre que ce soit, peut être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts ». Il n’est plus question d’une quelconque mention aux tiers, et donc d’une quelconque exception qui serait propre à la cession entre actionnaires. La clause d’agrément a depuis lors une double fonction de contrôle :

  • contrôle de l’identité des nouveaux entrants,
  • mais aussi contrôle des rapports capitalistiques entre actionnaires.

C’est sur cette seconde fonction que se cristallise le litige, alors que la clause d’agrément statutaire en cause posait un principe d’application de l’agrément, « sauf dispense de la loi » et qu’elle n’avait pas été modifiée depuis la réforme opérée en 2004.

Une clause statutaire non modifiée à la suite de la réforme

En se limitant aux « dispenses de la loi », la clause statutaire rédigée en 1985 semble indiquer que toutes « les cessions ou transmissions d’actions quelles qu'en soient la nature et la forme » sont soumises à la procédure d’agrément, sauf celles qui sont écartées par la lettre de la loi. Derrière l’emploi du terme « dispense », particulièrement inadapté, on peut considérer que la clause vise les interdictions légales, et donc les hypothèses de « succession, de liquidation du régime matrimonial ou de cession, soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant » (article L. 228-23 alinéa 3 du Code de commerce), déjà évoquées sous l’empire de la loi ancienne.

La question de la cession entre actionnaires, en revanche, n’est plus indirectement visée par une dispense de la loi. Dès lors, de deux choses l’une :

  • Soit les rédacteurs des statuts entendaient viser les dispenses de la loi au jour de la cession ou de la transmission d’actions. Dans ce cas, les dispenses sont mouvantes, soumises aux évolutions de la loi, et dans l’hypothèse de la clause d’agrément, peuvent être réduites par l’ordonnance du 24 juin 2004. La cession entre actionnaires n’étant plus une « dispense de la loi », elle devrait être soumise à la procédure d’agrément, ce qu’avait retenu la cour d’appel, en raison de la nature institutionnelle de la société, nécessitant donc l’application de la loi nouvelle ;
  • Soit les rédacteurs des statuts entendaient viser les dispenses de la loi au jour de la rédaction des statuts, conservant le droit tel qu’il était en 1985. Dans ce cas, la cession d’actions entre actionnaires ne serait pas soumise à agrément, ce d’autant plus que la réforme opérée depuis « n’impose pas » de soumettre la cession entre actionnaires à l’agrément, mais permet une telle éventualité.

C’est cette incertitude qui a conduit la chambre commerciale à censurer la décision de la Cour d’appel. Plus qu’une question d’application de la loi dans le temps, cette décision rappelle un principe de droit des contrats : lorsque l’interprétation d’une clause est incertaine, il est nécessaire de revenir à la commune intention des parties, ce que n’a pas fait la cour d’appel en l’espèce.

Il reviendra alors aux juges du fond la délicate tâche d’effectuer une telle recherche, nécessitant de se remettre dans le contexte de la rédaction de la clause d’agrément, il y a près de trente-huit ans !

On ne soulignera donc pas assez la nécessité de mettre à jour les clauses des statuts se contentant de renvoyer à la loi – ou de la recopier – lorsque celle-ci est modifiée, sauf à risquer de se lancer dans un travail d’exégète, d’historien, voire de devin selon l’ancienneté de la clause…

 

Matthieu ZOLOMIAN
Maître de conférences à l'Université d'Angers

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