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Responsabilité pour insuffisance d'actif : une appréciation souple de la "simple négligence"

Lettre CREDA-sociétés 2021-06 du 25 mars 2021

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Depuis la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Loi Sapin II, les dirigeants de sociétés placées en liquidation échappent à la responsabilité pour insuffisance d’actif lorsque leur faute n’est qu’une « simple négligence » (C. com., art. L. 651-2 al.1.). Cinq ans après l’introduction de cette notion plutôt imprécise, chaque nouvelle décision permet d’en cerner un peu mieux les contours.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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Les faits de l’affaire sont très classiques : à l’occasion de la mise en liquidation d’une société, le liquidateur assigne en responsabilité pour insuffisance d’actif les deux présidents qui se sont succédés, principalement pour avoir déclaré tardivement la cessation des paiements. Débouté par la Cour d’appel de Metz, le liquidateur forme un pourvoi devant la Cour de cassation.

La Cour d’appel avait considéré en l’espèce que la simple négligence ne pouvait pas être écartée. Elle avait souligné à ce titre que certes le résultat de l’exercice sur les quinze derniers mois était déficitaire de 122 350 €, mais qu’un dossier prévisionnel de développement avait été établi, démontrant la volonté du dirigeant de chercher une solution ; qu’il avait été procédé à la vente de 80% du fonds de commerce et que 60 000 € avaient été versés pour augmenter le capital social, aux fins d’apurer les pertes.

Le liquidateur, demandeur au pourvoi, estime pour sa part que l’omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal ne peut constituer une simple négligence que si le dirigeant a ignoré la situation de cessation de paiements. Or les circonstances sur lesquelles s’appuie la Cour d’appel démontrent au contraire que le dirigeant avait bien connaissance de cette situation.

La Cour de cassation devait donc vérifier si l’exclusion de responsabilité pour insuffisance d’actif bénéficiant au dirigeant simplement négligent, était conditionnée à la démonstration de son ignorance de la situation financière de la société.

Les juges du droit donnent tort au liquidateur. Ils considèrent que la faculté pour les juges de prononcer la responsabilité des dirigeants ayant commis des fautes de gestion ayant concouru à l’insuffisance d’actif, en cas de simple négligence, n’est pas réduite « à l’hypothèse dans laquelle le dirigeant a pu ignorer les circonstances ou la situation ayant entouré sa commission ». Par conséquent, l’omission volontaire de la déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal peut constituer une simple négligence, exclusive de responsabilité.

 De cette décision, on relèvera trois choses : un rappel, une précision et un doute.

Un rappel : l’application immédiate de la loi Sapin II pour favoriser la seconde chance

La date de cessation des paiements a été fixée au 5 juillet 2010 par le jugement du tribunal de grande instance de Metz. Pour autant, la loi Sapin II, promulguée six ans après les faits, est bien applicable aux procédures et aux actions en responsabilité en cours. Cette solution a été reconnue très tôt par la Cour de cassation (V. not. Cass. com., 5 sept. 2018, n°17-15031) en raison de l’absence de droit acquis du liquidateur à la réparation du préjudice auquel le dirigeant a contribué par sa faute de gestion : il s’agit d’une faculté qui appartient seulement au juge.

La loi se trouve peut-être plus exactement dotée d’une portée rétroactive, alors qu’aucune disposition expresse ne venait le prévoir (et contrairement à ce qui était annoncé dans l’étude d’impact). Cela s’explique par la volonté du législateur de favoriser le rebond des dirigeants en cas de d’échec économique, en développant le principe de la « seconde chance » pour les dirigeants fautifs qui n’ont commis qu’une « simple négligence ». Il s’agit de leur éviter d’avoir à supporter sur leur patrimoine personnel une dette les empêchant de redémarrer une nouvelle activité. Pour le dire autrement : la disposition est appliquée immédiatement parce qu’elle est plus favorable que le droit antérieur. C’est finalement appliquer au droit des entreprises en difficultés la notion de rétroactivité in mitius, pourtant propre à la matière pénale...

Une précision : la « simple négligence » ne se réduit pas l’ignorance

Il a été dès le départ mis en évidence l’impossibilité de distinguer avec certitude une négligence pouvant être qualifiée de « simple négligence » qui ne serait pas sanctionnée. Le législateur n’a d’ailleurs pas livré de directives d’interprétation, pas plus qu’il n’en donne pour la faute de gestion. Seule l’analyse de la jurisprudence permet de comprendre comment la notion doit être interprétée. Pour s’en tenir à la question posée dans l’arrêt, il faut donc observer comment la déclaration tardive de la cessation des paiements a pu être appréciée par les juges.

Déjà, il est certain que la déclaration tardive de la cessation des paiements constitue une faute. En effet, la loi fixe un délai de 45 jours pour déclarer la cessation des paiements (C. com., art. L. 640-4). Le non-respect du délai et plus largement de l’obligation de déclarer la cessation des paiements est une faute puisqu’il s’agit d’une violation de la loi (elle peut d’ailleurs entrainer une mesure d’interdiction de gérer : C. com., art. L. 653-8 ; Cass. com. 17 avr. 2019 ; n°18-11743). En outre, ce défaut de déclaration peut avoir pour effet d’aggraver la situation : plus on tarde à déclarer, plus l’insuffisance d’actif peut empirer, notamment en raison de l’apparition de nouvelles dettes.

Pour autant, toute déclaration tardive de cessation des paiements doit-elle être sanctionnée au titre de l’insuffisance d’actif ?

Trois arrêts rendus par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 février 2020 (n°18-15075 ; n°18-15062 ; n°18-15070) pouvaient le laisser supposer : dans ces trois décisions, les dirigeants ont été condamnés pour insuffisance d’actif, en raison de déclarations tardives (entre trois et neuf mois de retard) de cessation des paiements. Dans deux d’entre elles, les juges considèrent que cette faute ayant contribué à l’insuffisance ne pouvait « s'analyser en une simple négligence eu égard aux difficultés financières et à l'endettement de la société connus de ses dirigeants ». Dans la troisième, les juges ajoutent que la faute commise dans la déclaration tardive ne pouvait « qu'avoir été commise sciemment pour permettre à la société (…) de réduire son exposition financière », et que le courriel d'un avocat « démontre sa connaissance de l'état de cessation des paiements de la société débitrice ».

A la lumière de ces arrêts, on peut considérer que la décision commentée procède à un véritable assouplissement de l’appréciation de la « simple négligence ». D’une part, la durée de la violation de l’obligation de déclarer la cessation des paiements est beaucoup plus longue (1 an et demi) et pourtant les juges ne viennent pas le reprocher ; d’autre part, la connaissance de la situation n’a pas été prise en compte pour exclure la simple négligence.

Ainsi, si la déclaration tardive de la cessation des paiements constitue bien une faute, il peut néanmoins s’agir d’une simple négligence dès lors que les circonstances le démontrent. Or, en l’espèce, il est tout à fait établi que les dirigeants avaient une connaissance certaine de la situation financière, mais qu’ils se sont engagés dans la recherche de solutions efficaces, au point de parvenir à un dernier résultat d’exercice légèrement positif. Face à une situation qui s’était finalement améliorée, même insuffisamment, les juges pouvaient-il vraiment sanctionner la faute des dirigeants ? A la vérité, il n’est même plus certain ici que la faute discutée ait vraiment contribué à l’insuffisance d’actif …

Si l’on peut souligner le côté pragmatique de la solution, on peut peut-être déplorer un effet pervers : certains dirigeants ne seront-ils pas tentés de ne pas déclarer l’état de cessation des paiements, pour essayer une dernière de solution de sauvetage, au risque d’aggraver la situation ?

Un doute : la simple négligence est-elle désormais présumée ?

Telle qu’elle est présentée dans le texte, la simple négligence est une cause d’exclusion de la responsabilité des dirigeants pour insuffisance d’actif. Compte tenu de cette articulation entre la faute de gestion et la « simple négligence », on a pu se demander s’il appartenait d’un côté au liquidateur de prouver la faute de gestion, et de l’autre au dirigeant souhaitant bénéficier de la cause d’exclusion, de prouver en défense que les comportements reprochés ne sont que de simples négligences. Dans la logique du droit civil (C. civ., art. 1353), dont est issue cette responsabilité, il devrait en effet appartenir au dirigeant auquel une faute est reprochée, de démontrer qu’il ne s’agit que d’une simple négligence.

Ce n’est apparemment pas cette voie qui est retenue. Déjà, dans un arrêt du 17 juin 2020, la chambre commerciale reprochait à une cour d’appel de n’avoir pas recherché si les fautes imputées au dirigeant ne constituaient pas de « simples négligences » dans la gestion de la société. Mais il apparaît dans la dernière affaire que le juge va jusqu’à exiger du liquidateur qu’il démontre qu’il ne s’agissait pas d’une simple négligence. Ce n’est plus tout à fait la même chose, car s’il appartient au liquidateur de démontrer que la faute qu’il invoque n’est pas une simple négligence cela signifie qu’en réalité celle-ci est présumée !

En définitive, cet arrêt témoigne d’une réelle clémence vis-à-vis des dirigeants de sociétés en liquidation, à tout le moins quand leurs comportements, bien que fautifs, n’ont pas aggravé la situation de la société. En ces temps de crise sanitaire où règne l’incertitude, nombre de dirigeants ne savent plus s’ils doivent mettre la clé sous la porte ou garder espoir. La présente décision laisse penser que les juges sauront faire preuve de clémence à l’égard des dirigeants simplement négligents pendant cette période difficile.

Tanguy ALLAIN
Maître de conférences, Université de Rennes I

 

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