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La simplification du droit des sociétés : un pas de plus ?

Lettre CREDA-sociétés 2018-07 du 16 mai 2018

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Bien des textes ont eu, ces dernières années, la volonté de simplifier le droit des sociétés. La loi Warsmann II et la loi Sapin II en constituent deux exemples importants. Un pas de plus sera-t-il franchi avec la proposition de loi de simplification du droit des sociétés ?

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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« Simplifier ». Des dictionnaires indiquent que le terme est porteur d’un double sens : il désigne à la fois le fait de « supprimer ce qui n’est pas essentiel » et de « rendre moins complexe ». Telles sont justement les deux ambitions de cette proposition de loi, à la fois en droit commun et en droit spécial.

En droit commun

En droit commun, l’article qui retient en premier lieu l’attention est celui qui concerne l’usufruit de parts sociales ou d’actions. Au sein de l’article 1844 du Code civil, un « droit de participer aux délibérations », d’ordre public, serait reconnu dans les mêmes termes à l’usufruitier et au nu-propriétaire. Par ailleurs, la loi prévoirait désormais expressément la possibilité pour le nu-propriétaire de « déléguer » son droit de vote à l’usufruitier. Voici deux innovations discutables.

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En la forme, d’abord. L’alinéa 3 de l’article 1844 évoquerait un « droit de participer aux délibérations » alors que l’alinéa premier reconnaît à tout associé le « droit de participer aux décisions collectives ». S’agirait-il de deux prérogatives différentes ? On peut en douter. Mais alors pourquoi utiliser des dénominations distinctes ? Par ailleurs, la possibilité, conférée au nu-propriétaire, de « délégation de droit de vote », peine à convaincre. Ce concept ne renvoie à aucune réalité concrète. S’agirait-il d’un mandat ou alors d’un droit qui s’approcherait d’une délégation de pouvoir ou d’une délégation de signature ? Il faudra espérer une clarification par l’Assemblée sur ces deux points.

Au fond, ensuite. À supposer que la première maladresse de rédaction soit corrigée, l’une des prérogatives fondamentales de l’associé, c’est-à-dire le droit de participer aux décisions collectives, serait reconnue par la loi à l’usufruitier. Simplification ? Assurément non. Cela ne ferait que soutenir l’ambiguïté qui existe sur la qualité exacte de l’usufruitier et sur laquelle les avis sont partagés. Il serait sans doute préférable que le législateur lui attribue ou lui refuse clairement la qualité d’associé et ce texte pourrait lui en donner l’occasion.

Toujours en droit commun, il faut aussi relever la proposition d’ajout à l’article 1592 du Code civil, selon lequel, dans un contrat de vente, le prix peut « être laissé à l'estimation d'un tiers ; si le tiers ne veut ou ne peut faire l'estimation, il n'y a point de vente ». En l’état, le texte ne permet pas, de façon certaine, de prévenir le risque d’un abandon de sa mission par le tiers, en prévoyant la nomination d’un « suppléant ». Afin de renforcer l’utilité de ce texte, la proposition de loi ajoute cette possibilité. Voici qui viendrait consolider le mécanisme de fixation du prix dans les opérations sociétaires, mécanisme agençant les articles 1592 et 1843-4 du Code civil.

En droit spécial

En droit spécial, plusieurs dispositions retiennent également l’attention.

Extension du champ des fusions simplifiées, applicable en cas de détention à 100 % d’une société par une autre.

Rappelons que ce régime :

  • dispense les sociétés participantes d’approuver la fusion,
  • dispense leur conseil d’administration ou leur directoire de rédiger un rapport écrit,
  • écarte l’obligation de nommer un commissaire à la fusion (C. com. art. L. 236-11),
  • allège les mentions devant figurer sur le projet de fusion (C. com., art. R. 236-1, in fine).

La proposition de loi, étendrait le champ d’application de ce régime, de deux façons.

D’abord, il serait applicable aux fusions de sociétés civiles, sous réserve que la condition habituelle soit remplie, c’est-à-dire que la société absorbante détienne 100 % des titres de l’absorbée. Pour l’heure, le régime des fusions simplifiées ne bénéficie qu’aux sociétés par actions et aux SARL. L’extension serait bienvenue.

Ensuite, il deviendrait possible pour les fusions de sociétés sœurs si celles-ci sont des sociétés par actions ou des SARL. L’innovation semble pertinente mais on aurait pu s’attendre à ce qu’elle soit proposée, en même temps, pour les sociétés civiles.

Consécration de la nullité en cas de violation des dispositions relatives à la majorité requise pour l’adoption des délibérations de SARL.

On se souvient de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 mai 2012 ayant rejeté cette sanction en cas de violation des dispositions statutaires relatives à la majorité applicable aux décisions extraordinaires dans les SARL (Cass. com., 30 mai 2012, n° 11-16.272). Il serait mis un terme à cette jurisprudence, mais seulement en ce qui concerne les SARL. Pourtant, d’autres arrêts avaient fait craindre une analyse similaire dans les SAS (Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.855) et dans les sociétés civiles (Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-15.283). Par conséquent, pourquoi ne pas généraliser la sanction de la nullité à ces sociétés ? Rien ne justifie que la force des statuts soit renforcée pour les SARL sans l’être, au moins, dans les SAS.

Prise en compte dans les SA des abstentions dans le calcul des voix exprimées dans les assemblées.

Cette évolution serait assurément opportune. À l’heure actuelle, la majorité dans les SA est déterminée à partir des voix dont « disposent les actionnaires présents ou représentés », ce qui inclut les abstentions. En d’autres termes, à l’heure actuelle, une abstention vaut vote négatif, ce qui n’est pas satisfaisant. En modifiant le texte de manière à ce que la majorité soit calculée à partir des voix « exprimées par les actionnaires présents ou représentés », les abstentions seraient extraites du calcul. Ainsi, par exemple, avec une majorité qualifiée à deux tiers, dans une assemblée réunissant 80 actionnaires, dont 20 s’abstiendraient, tandis que le seuil majoritaire ne peut actuellement être atteint qu’avec 54 voix, il le serait demain avec 40.

Suppression de l’unanimité obligatoire pour l’adoption et la modification des clauses d’exclusion dans les SAS.

L’ordonnance du 4 mai 2017, adoptée sur habilitation de la loi Sapin II avait déjà supprimé l’exigence d’unanimité pour l’adoption ou la modification d’une clause d’agrément en cours de vie sociale. L’unanimité pouvait tout de même être exigée par les statuts. La même démarche serait suivie pour les clauses d’exclusion. Ne demeureraient, en conséquence, soumises à l’exigence d’unanimité que les clauses d’inaliénabilité (C. com., art. L. 227-13) et les clauses de suspension ou d’exclusion en cas de changement de contrôle (C. com., art. L. 227-17), sauf, évidemment, lorsque la société est une SASU (C. com., art. L. 227-20).

 

Clément BARRILLON
Maître de conférences à l’université Paris Nanterre

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