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Proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés : point d’étape

Lettre CREDA-sociétés 2019-07 du 24 avril 2019

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Alors que la loi PACTE vient d'être votée, on aurait presque tendance à oublier qu'une autre réforme, très riche, est actuellement discutée au Parlement. Celle-ci aura des incidences significatives en droit des sociétés. Le 27 mars dernier, l’Assemblée nationale s’est en effet prononcée en première lecture sur la proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés, dite « Soilihi », du nom du Sénateur qui en est à l’origine.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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On se souvient, en effet, qu’une telle proposition de loi avait été enregistrée à la présidence du Sénat le 4 août 2014 qui l’avait adoptée en première lecture le 8 mars 2018 .

Plusieurs de ses dispositions ont été absorbées par d’autres lois, y compris par la loi PACTE. Néanmoins, la proposition « Soilihi » conserve un grand intérêt au regard des importantes mesures qu’elle contient encore. Parmi ces dispositions, il y a celles qui seront encore discutées, celles qui ne le seront plus, celles qui ont été ajoutées et celles qui ont été retirées. Bien des aspects devraient être examinés mais il en est quatre qui seront retenus pour le moment.

Voir aussi
  • Lettre Creda-sociétés n° 2018-07 du 16 mai 2018, La simplification du droit des sociétés : un pas de plus ?

Suppression de la condition d’exploitation préalable de deux ans du fonds de commerce avant sa mise en location-gérance

L’actuel article 5 du texte, supprime l’obligation d’avoir exploité soi-même un fonds de commerce avant de pouvoir le mettre en location-gérance (C. com., art. L. 144-3). Le Sénat puis l’Assemblée nationale ont voté en faveur de cette suppression. Ainsi que cela a été relevé au cours des discussions en commission à l’Assemblée, cette suppression aura inévitablement pour effet de permettre à des sociétés spécialisées dans les activités immobilières commerciales, de spéculer sur les fonds. Sur le terrain des principes, on s’étonnera peut-être d’un tel renversement des valeurs, d’autant que les motifs invoqués au cours des discussions pour défendre cette suppression (nombreuses dérogations possibles et absence de spéculation effective à l’heure actuelle) n’emportent pas la conviction.

Clarification des droits respectifs du nu-propriétaire et de l’usufruitier en cas de démembrement de part sociale ?

L’article 6 de la proposition, pour sa part, pourra soulever des contestations plus vives encore. Il vise à modifier le célèbre article 1844 du Code civil. On se souvient que, dans la version du Sénat, le texte reconnaissait à tout usufruitier un « droit de participer aux délibérations » et permettait au nu-propriétaire de « déléguer » son droit de vote à l’usufruitier. Deux concepts qui, ainsi formulés, ne renvoyaient à aucune réalité juridique (v. lettre Creda-sociétés n° 2018-07 du 16 mai 2018). Dans la dernière version de l’Assemblée nationale, ces formulations ont été retravaillées. Néanmoins, le texte persiste à ajouter, au troisième alinéa de l’article 1844 du Code civil, la règle suivante : « si une part est grevée d’un usufruit, le nu-propriétaire et l’usufruitier ont le droit de participer aux décisions collectives ». L’idée est la suivante : l’usufruitier doit pouvoir assister aux débats y compris s’agissant des décisions pour lesquelles il n’exerce pas le droit de vote.

Concrètement, nous aurions donc un texte ainsi conçu :

  • C. civ., art. 1844, al. 1 : « Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives ».
  • C. civ., art. 1844, al. 3 : « (…) l’usufruitier [a] le droit de participer aux décisions collectives ».

Faudra-t-il en déduire que l’usufruitier entre dans la catégorie des associés ? Faudra-t-il, au contraire, en déduire que si le législateur lui reconnaît expressément un droit réservé aux associés c’est justement parce qu’il n’a pas cette qualité ? Le législateur ajouterait ici un questionnement à un sujet qui n’en manque pas. À l’heure où l’on cherche à simplifier le droit (tant dans son expression législative que prétorienne), ne devrait-on pas se dispenser d’une telle reformulation de l’article 1844, al. 3, du Code civil ? D’autant plus que, contrairement à ce qui a été affirmé aux cours des discussions parlementaires, le contenu exact du droit de participer aux décisions collectives n’est pas connu.

La formulation qui est actuellement retenue ne paraît donc pas souhaitable. Il faut désormais espérer que le Sénat en prenne conscience.

Point de départ du délai d’opposition d’un créancier à la dissolution d’une société dont toutes les parts sont réunies en une seule main

L’Assemblée nationale a supprimé l’article 8 de la proposition de loi, ce dont les praticiens se réjouiront sans doute. Cet article modifiait le point de départ du délai d’opposition des créanciers en cas de dissolution-confusion prévue par l’article 1844-5 du Code civil. Il proposait de faire courir ce délai à compter de la publication de la dissolution « au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales ». Plusieurs praticiens s’étaient opposés à une telle modification. En effet, à l’heure actuelle, c’est la publication dans un journal habilité à recevoir les annonces légales qui compte, ce qui signifie que les conseils ont la maîtrise du délai, ou plutôt du point de départ, dans la mesure où l’annonce est publiée à la suite de son dépôt et en fonction de la date de réalisation de l’opération qui est souhaitée. À l’inverse, si la publication au BODACC avait été retenue, les greffes auraient eu, de fait, la maîtrise du point de départ du délai d’opposition car ce sont eux qui transmettent les annonces. Or, parce qu’ils ont besoin d’une visibilité nette pour purger le délai d’opposition, les conseils préfèrent la logique d’une publicité « désintermédiée », sans passer par le greffe. Cette réalité pratique a opportunément été prise en compte par l’Assemblée nationale.

Possibilité de désigner un tiers suppléant dans les conventions renvoyant, sous peine de nullité, à un tiers la détermination du prix de vente

La modification de l’article 1592 du Code civil, a été votée dans les mêmes termes par le Sénat et par l’Assemblée nationale (art. 58 de la proposition). En l’état actuel des textes, l’article 1592 du Code civil prévoit que le prix, dans un contrat de vente, peut « être laissé à l’estimation d’un tiers », et il est également prévu que « si le tiers ne veut ou ne peut faire l’estimation, il n’y a point de vente ». Mais nul ne sait si les parties peuvent intégrer dans le schéma de l’estimation du prix de vente un « tiers suppléant ». À en croire les travaux parlementaires, cette pratique serait déjà fréquente. D’une voix unique, le Sénat puis, dernièrement, l’Assemblée nationale, ont ajouté au texte cette possibilité. Dès l’entrée en vigueur de la loi, l’article 1592 du Code civil sera donc ainsi rédigé :

« Il peut cependant être laissé à l’estimation d’un tiers ; si le tiers ne veut ou ne peut faire l’estimation, il n’y a point de vente, sauf estimation par un autre tiers ».

La proposition de loi a été transmise au Sénat le 28 mars 2019 afin qu’il débute la deuxième lecture, mais, on le sait, les dispositions qui ont d’ores et déjà été l’objet de deux votes concordants demeureront en l’état.

Clément BARILLON
Maître de conférences à l’université Paris-Nanterre

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