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Le droit des contrats en général et la force majeure en particulier à l’épreuve de la crise de la Covid-19

Lettre CREDA-sociétés 2021-04 du 3 mars 2021

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Depuis le printemps 2020, la crise sanitaire a suscité des contentieux impliquant des sociétés, notamment en matière contractuelle, lorsque l'une des parties, dans l'impossibilité d'exécuter ses obligations, invoque la force majeure, pour suspendre le contrat.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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La crise de la Covid-19 a suscité d’innombrables contentieux, et notamment des litiges, plus ou moins remarqués, en matière contractuelle : entre industriels (EDF c/ Total Direct Energie), entre bailleurs et locataires, entre restaurateurs et assureurs, entre Tiffany et LVMH (à propos de l’application d’une clause MAC (Material adverse change ou clause de changement significatif)…

Très récemment, deux décisions rendues par le Tribunal judiciaire de Paris ont à nouveau attiré l’attention sur certains aspects du traitement judiciaire d’une crise sanitaire et économique sans précédent.

Par un jugement en date du 20 janvier 2021 (TJ Paris JEX, 20 janvier 2021, no 20/80923), le juge de l’exécution s’est prononcé sur une question très sensible en affirmant que l’impossibilité d’exploiter les lieux loués en raison de la fermeture des commerces pendant le premier confinement est assimilable à la perte fortuite du local prévue par l’article 1722 du Code civil et a pour conséquences de libérer le locataire de l’obligation de payer le loyer durant cette période.

Le lendemain, le juge des référés parisien a visé deux autres notions, souvent invoquées dans le contexte actuel, pour considérer que la demande du bailleur relative à l’acquisition de la clause résolutoire d’un bail commercial pour défaut de paiement de loyers du 3e trimestre 2020 se heurtait à une contestation sérieuse, la crise sanitaire imposant d’examiner les modalités d’exécution de l’obligation de payer au regard de l’exigence de bonne foi et des dispositions sur l’imprévision. Il en a donc conclu qu’il n’y avait pas lieu à référé (TJ Paris réf., 21 janvier 2021, no 20/55750, Sté S. C. I. M. c/ Sté S. A.S. S.).

Une autre question récurrente est de savoir si la crise de la Covid-19 peut s’analyser ou non en un événement de force majeure au sens du nouvel article 1218 du Code civil, issu de la réforme du droit des contrats réalisée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ou au regard de la jurisprudence antérieure (pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions de la réforme du droit des contrats) qui visait un évènement extérieur au débiteur, imprévisible et irrésistible.

Aux termes du nouvel article 1218 alinéa 1 du Code civil, « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

La définition, légale ou jurisprudentielle, de la force majeure n’est cependant pas d’ordre public et les parties à un contrat peuvent ainsi l’aménager (V. déjà en ce sens Cass. com., 8 juillet 1981, n° 79-15.626).

Les parties au contrat peuvent notamment l’assouplir, comme c’était le cas dans l’affaire qui a suscité une décision remarquée, rendue par la Cour d’appel de Paris le 28 juillet 2020 dans un litige opposant EDF à Total Direct Energie (CA Paris, Pôle 01 ch. 02, 28 juillet 2020, n° 20/06689). Dans cette affaire, Total Direct Energie demandait la suspension d’un contrat-cadre conclu avec EDF pour la fourniture d’électricité, en soulignant que la clause de force majeure qui y était insérée visait un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des Parties dans des conditions économiques raisonnables.

La Cour d’appel a confirmé l’ordonnance de référé du président du Tribunal de commerce de Paris ayant considéré que la pandémie de Covid-19 constituait un cas de force majeure permettant à Total Direct Energie, quelle que soit sa surface financière, de suspendre l’exécution du contrat qu’il lui était impossible de poursuivre dans des conditions économiquement raisonnables, compte tenu de la baisse très importante des volumes consommés par ses propres clients.

La cour a relevé la spécificité de la force majeure retenue par le contrat : la définition contractuelle de la force majeure par l’accord liant les parties est « d’une acception manifestement plus large que la notion telle qu’elle était retenue en droit civil lors de la conclusion du contrat, puisqu’elle fait référence à l’impossibilité d’exécuter dans des conditions économiques raisonnables » et en l’espèce, « l’événement de force majeure invoqué est l’épidémie de covid 19 et les mesures sanitaires et légales drastiques qui ont été prises pour la juguler et ont eu une incidence très importante sur la consommation d’électricité et le niveau du prix de celle-ci ». Il en ressort qu’« au regard des éléments de la cause (définition contractuelle de la force majeure, nature de l’événement allégué) il n’apparaît pas que la réalité d’un cas de force majeure au sens du contrat puisse être écartée avec l’évidence requise en référé ».

Cette motivation souligne que la force majeure a pu être caractérisée en l’espèce sur le terrain de sa définition contractuelle, alors qu’elle n’aurait pu l’être sur le fondement de sa seule définition légale ou jurisprudentielle (pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur des textes issus de la réforme du droit des contrats).

A cet égard, l’argument tiré de la surface financière d’un contractant impose aussi de rappeler que, d’une manière générale, il n’existe pas, en principe, de force majeure financière. En effet, la Cour de cassation (Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-20306) a jugé que « le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de ce cette obligation en invoquant un cas de force majeure ».

Il en résulte que même en considérant que la crise de la Covid-19 revêt les caractères de la force majeure, celle-ci ne peut pas exonérer en principe les débiteurs d’obligations de sommes d’argent de leur exécution (v. aussi Cass., ass. plén., 10 juill. 2020, P+B+R+I, n° 18-18.542 et 18-21.814 ). D’où, là encore, l’intérêt d’une stipulation particulière qui pourrait étendre les effets de la force majeure aux obligations monétaires.

La situation actuelle et la liberté contractuelle suggèrent enfin aux rédacteurs de contrats de prendre une autre précaution à l’avenir dans les clauses relatives à la force majeure : celle d’envisager expressément l’hypothèse d’une pandémie et ses effets sur les obligations contractuelles, car un tel événement ne devrait plus être considéré comme imprévisible après la crise de la Covid-19 !

Katrin DECKERT
Maître de conférences Université Paris-Nanterre

 

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