Le dirigeant social titulaire d'un pouvoir légal de représentation n'est pas un mandataire au sens du Code civil
Lettre CREDA-sociétés 2020-03 du 5 février 2020


Ce n'est pas parce que le dirigeant est parfois qualifié de mandataire social qu'il est lié à la société par un contrat de mandat au sens où le Code civil le définit et le régit. Son pouvoir de représentation est d'origine légale, précise la Cour de cassation dans un arrêt du 18 septembre 2019.
Certaines plaies du droit des sociétés cicatrisent mal. La querelle sur la nature des fonctions des dirigeants est de celles-là. L'arrêt du 18 septembre 2019 en est l’illustration. Les faits étaient simples. Un dirigeant condamné pour complicité d’abus de biens sociaux entendait obtenir de la société qu’il représentait le remboursement des sommes qu’il avait versées à la société victime au préjudice de laquelle il avait commis l’infraction. Débouté de toutes ses demandes au fond, ses moyens sont également écartés.
- Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 18 septembre 2019, 16-26.962 Publié au bulletin
Procédons par ordre d’importance.
La faute pénale intentionnelle est séparable des fonctions
En premier lieu, le dirigeant poursuivait le remboursement des sommes au motif qu’il avait commis ses fautes dans le cadre de ses fonctions. La Cour rejette le moyen.
- D’abord, selon une position désormais classique, il est rappelé que l’infraction pénale intentionnelle est, « par essence », séparable des fonctions (Com. 28 sept. 2010, n° 09-66255, réaffirmée depuis). Constitutive d’ « un acte personnel » et une « dette propre » au dirigeant, il ne dispose d’aucun recours contre la société.
- Ensuite, l’argument tiré de l’avantage procuré à la société ne tient pas. Même lucrative pour la société, l’infraction pénale de son dirigeant ne saurait « coïncider » avec son intérêt social (Crim. 22 avr. 1992, n°90-85125). Elle ne peut que lui être contraire (Crim. 27 oct. 1997, n°96-83698).
Au-delà, la chambre criminelle a retenu récemment qu’indépendamment de l’existence d’une faute séparable des fonctions, le dirigeant devait supporter, seul, les conséquences préjudiciables des fautes civiles découlant des infractions qu’il avait commises (Crim. 5 avr. 2018, n°16-87669). Dès lors, si une action récursoire devait être menée, ce serait celle de la société condamnée à l’allocation de dommages et intérêts.
Les arguments tirés du droit commun du mandat
En second lieu, ce sont les arguments tirés du droit commun du mandat qui échouent.
L’apport essentiel de l’arrêt est là. A la différence, par exemple du dirigeant d’association (1ère civ. 10 oct. 2019, n°18-15851), « le dirigeant social d’une société détient un pouvoir de représentation de la société, d’origine légale ». Aussi, la cour d’appel a jugé, à bon droit, « que les dispositions spécifiques du code civil régissant le mandat n’ont pas vocation à s’appliquer dans les rapports entre la société et son dirigeant ».
En effet, ce n’est pas parce que le dirigeant de société est parfois qualifié par le code de commerce de « mandataire social », que ce dernier est lié à la société par un contrat de mandat au sens où le code civil le définit et le régit.
A titre liminaire, on relèvera qu’à le considérer applicable, le droit commun du mandat n’aurait, au cas particulier, rien changé à la condamnation du dirigeant. L’imputabilité au mandant des actes accomplis par le mandataire suppose que ce dernier agisse dans la limite de ses pouvoirs (art. 1998 C. civ.). De même, les pertes du mandataire ne sont indemnisables que si elles sont réalisées à l’occasion de sa gestion, « sans imprudence qui lui soit imputable » (art. 2000 C. civ.).
Ces précisions effectuées, quelle portée convient-il d’accorder à l’exclusion des règles du mandat ici consacrée ?
Ce qui est certain
Quelle que soit la forme sociale, les dispositions du droit des sociétés encadrant expressément la représentation légale constituent un droit spécial par rapport au droit commun du mandat. La précision est importante car les choses sont loin d’être évidentes (par. ex. pour la démission d’un dirigeant, Soc. 1er fév. 2011, n°10-20953).
Aussi, seules les règles du droit des sociétés s’appliquent et ce, notamment pour : la détermination des pouvoirs du dirigeant ; ses éléments de rémunération ; sa révocation (ad nutum ; juste motif, voire, judiciairement, pour cause légitime) ; sa responsabilité civile ; celle pénale de la société, etc.
Néanmoins, l’arrêt ne dit pas que tous les pouvoirs des dirigeants sont légaux, ou qu’ils n’ont jamais une nature conventionnelle. Certes le caractère institutionnel demeure prégnant, soit parce que la loi organise expressément les pouvoirs ; soit parce qu’elle habilite les statuts à cet effet, exclusivement (pour les SAS, Com. 25 janv. 2017, n°14-28792). Pour autant, cela ne retire pas à la volonté des associés tout espace, ni n’interdit une négociation entre la société et ses dirigeants.
Ce qui l’est moins
Quid des rapports entre la société et les tiers ?
L’arrêt ne consacre pas une théorie doctrinale, singulièrement celle de l’organe, au détriment d’une autre, c’est-à-dire au sens où le droit commun du mandat n’éclairerait jamais les rapports entre la société et les tiers.
D’abord, la solution est fondée sur la nature de la norme organisant le pouvoir de représentation et non sur la personnalité morale du groupement (à la différence de la faute séparable, Com. 4 févr. 2014, n°13-13386).
Ensuite, le mandat peut rendre des services. Que l’on songe à la nullité des décisions du gérant sans pouvoir (1ère civ. 12 nov. 2015, n°14-23340) ; aux délégations de pouvoirs en matière de licenciement (Ch. mixte, 19 nov. 2010, n°10-10095) ; à la responsabilité des associés envers les tiers pour immixtion fautive (Com. 3 févr. 2015, n°13-24895).
Quid de l’exclusion du droit commun de la représentation ?
La question est difficile. A priori, les articles 1154 et 1155 du Code civil ne s’appliquent pas. Les pouvoirs du représentant légal sont expressément et largement définis par une norme spéciale, incompatible avec celles du droit commun. De même, les règles du droit des sociétés dérogent aux articles 1157 à 1159. Ainsi, les limitations aux pouvoirs du représentant, autres que légales, sont inopposables aux tiers, peu important leur bonne ou mauvaise foi, et le détournement de pouvoirs n’est pas, en principe, cause de nullité (art. 1844-10 al. 3 C. civ. ; art. L. 235-1 al. 2 C. com.). Quant à l’article 1161, il ne vise que les conflits d’intérêts entre personnes physiques.
Cependant, certaines situations sont délicates. Tel est le cas d’un arrêt récent ayant approuvé une cour d’appel pour avoir prononcé, à la demande d’un tiers, la nullité d’un congé délivré par un GFA, motif pris de ce que son gérant avait dépassé ses pouvoirs (3ème civ., 14 juin 2018, n°16-28672). Non expressément fondée sur l’article 1156 du code civil, cette solution risque, demain, de poser de vraies difficultés. Faudra-t-il par exemple, au sein de l’article 1156, panacher entre les alinéas : le premier relatif à l’apparence ne pouvant s’appliquer ; les deuxième et troisième l’étant, si c’est un tiers qui agit ?
Dans un autre registre, mais avec une logique proche, la Cour de cassation vient de réaffirmer, au double visa des articles 1199 et 1240 du Code civil, sa jurisprudence en vertu de laquelle les tiers à un contrat n’ont pas, pour engager la responsabilité d’une partie, à démontrer l’existence d’une faute autre que celle résultant de l’inexécution du contrat. En effet, « il importe de ne pas entraver l’indemnisation de ce dommage » (Ass. plén., 13 janv. 2020, n°17-19963, spéc. n°21).
En définitive, si la solution publiée est importante, elle nous rappelle que l’ombre vient avec la lumière.
Julien DELVALLEE
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay