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L’ordre public dans les SAS

Les décisions ne se prennent pas à la minorité et le directeur général est, en l’absence de précisions, révocable sans justes motifs

Lettre CREDA-sociétés 2022-04 du 6 avril 2022

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Deux décisions illustrent à merveille les difficultés que pose la liberté statutaire dans les SAS et peignent, à traits contrastés, les limites de l’ordre public sociétaire en la matière.

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Dans la première, une disposition des statuts prévoyait que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés ».

Une augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription a alors été adoptée à 229 313 voix pour et 269 185 voix contre, sans abstentions. Certains associés demandent l’annulation de cette délibération.

Les deux cours d'appel font la part belle aux statuts. La première estime que la décision a bien été adoptée à une majorité dépassant le tiers des voix exprimées, les statuts étant clairs et la décision ne saurait encourir la nullité. Pour la seconde, les statuts n’exigeant pas d’invoquer de justes motifs, le dirigeant ne peut pas contester sa révocation sur ce fondement.

Les pourvois se fondaient sur des principes propres à limiter la liberté statutaire : « les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires dans les sociétés anonymes, et notamment les décisions d’augmentation de capital et de suppression d’un droit préférentiel de souscription, doivent, dans les sociétés par actions simplifiées, être exercées collectivement par les associé » et ne pourraient « être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des présents et représentés » ; le second pourvoi est moins éloquent, se contentant d’évoquer qu’« en l’absence de mention statutaire dispensant la société de justifier d’un motif pour procéder à la révocation du dirigeant, la révocation ne peut intervenir que pour un juste motif ».

La Cour de cassation retient le premier argument, mais pas le second. Visant l’art. L. 227-9 al. 2 C.com., elle précise que ce texte laisse une grande liberté pour déterminer la majorité applicable aux opérations concernées mais que « cette liberté dans la rédaction des statuts trouve sa limite dans la nécessité d’instituer une règle d’adoption des résolutions soumises à l’examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires ». Tel ne serait pas le cas de la clause litigieuse « puisque les partisans et les adversaires de cette résolution peuvent simultanément remplir cette condition de seuil » et donc « les résolutions d’une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés ».

Quant au second pourvoi, il est rejeté car les juges du fond ont « exactement énoncé que les conditions dans lesquelles les dirigeants d’une société par actions simplifiée peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixées par les statuts, qu’il s’agisse des causes de la révocation ou de ses modalités » ; or l’article des statuts litigieux « ne conditionne nullement la révocation du dirigeant à l’existence de justes motifs ».

Au fond, ces deux arrêts révèlent les caractères essentiels de la SAS, mais aussi la place singulière de cette forme sociale entre les SA et les SARL.

Concernant le premier arrêt, le pourvoi se fondait sur la proximité entre le droit applicable aux SAS et aux SA, c’est-à-dire implicitement sur un ordre public dont il faudrait imprégner la SAS. Certaines décisions seraient trop importantes – celles soumises aux assemblées générales extraordinaires dans les SA – et ne sauraient donc échapper à la collectivité des associés ; collectivité qui ne serait représentée, au minimum, que par la majorité des associés présents ou représentés.

L’argumentaire est bancal, la loi de la majorité n’implique nullement l’existence d’une « majorité » mais simplement qu’une décision peut échapper à la règle de l’unanimité, qui est de mise en matière contractuelle où la modification du contrat nécessite un accord de toutes les parties. De surcroît, à partir du moment où la règle est celle de la majorité des associés présents ou représentés, une décision peut être prise à une proportion de voix bien inférieure à la majorité des voix de tous les associés, de sorte que l’invocation du caractère nécessairement collectif des décisions paraît peu convaincante. D’autant plus si l’on considère que les règles de majorité des associés présents ou représentés dans les SA s’assortissent d’un quorum n’existant pas dans les SAS.

Sur le fond, le raisonnement de la Cour de cassation est également peu convaincant. Il faudrait que les règles d’adoption des décisions collectives permettent de « départager [les] partisans et adversaires » de la décision. C’est une vision très antagoniste du droit des sociétés, on pourrait tout à fait considérer qu’une décision collective a pour vocation de permettre le débat et que ce débat doit avoir pour but de convaincre au moins un tiers des associés que la décision projetée est judicieuse. Certains auteurs avaient d’ailleurs admis que l’adoption d’une décision à la minorité n’avait « rien de choquant ». Certes, l’admission d’un vote minoritaire aurait ouvert la porte à de nombreuses difficultés, relatives notamment à la formulation des questions posées lors de la délibération. De même, si une minorité du tiers n’est pas si choquante, que penser de celle du vingtième ou du centième ? Cela aurait également ouvert la voix aux abus de minorité positifs (quand une minorité prend une décision), d’autant plus invoqués que davantage d’actionnaires se seraient sentis lésés.

Il en résulte ainsi une règle pratique, un fond indépassable de la majorité des associés présents ou représentés en SAS : 50% et une voix. Cependant, le visa de l’alinéa 2 de l’art. L. 227-9 C. com., et non de l’intégralité de l’article, laisse à penser que la règle est limitée aux cas où une décision collective est obligatoire, souscrivant ainsi au rapprochement fait par le pourvoi entre droit de la SA et celui de la SAS. Néanmoins, les termes employés pour justifier cette règle semblent transposables sans modification aux décisions collectives déterminées par les statuts, sauf à en identifier qui n’auraient pas de « partisans ou d’adversaires ». En revanche, selon nous, la majorité des associés présents ou représentés doit s’entendre de la majorité absolue et une décision présentant, par exemple, 49 % de pour, 3% d’abstentions et 48% de contre, ne serait pas admise, quand bien même les pour l’emportent face aux contre. Pour autant, une telle situation fait bien ressortir une victoire des « partisans » de la décision, de sorte que cette solution n’est pas assurée.

Qu’en est-il alors en cas de droit de vote plural, accordé par exemple par des actions de préférence ? La solution de la Cour s’applique certainement et l’actionnaire ne détenant que 10% du capital mais plus de 50% des droits de vote pourra valablement imposer sa volonté. Il s’agit simplement d’un « partisan » mieux armé seul que ses adversaires le sont à plusieurs. Retenir une solution inverse nierait tout intérêt au vote plural. On peut relever que la décision est alors peu « collective », argument supplémentaire allant à l’encontre de ceux développés par le pourvoi.

Le sort de la décision adoptée en vertu d’une telle clause est la nullité et la clause litigieuse sans doute réputée non écrite.

Quelle majorité alors pour les décisions prises jusqu’à l’insertion dans les statuts d’une nouvelle clause précisant les modalités des décisions collectives (y compris la décision d’insertion de cette clause) ? On peut hésiter : soit elles devront être passées dans les nouvelles conditions de « droit commun » que vient d’édicter la Cour, c’est-à-dire la majorité simple des actionnaires présents ou représentés ; soit, pour les décisions modifiant les statuts, à l’unanimité, suivant l’art. 1836 C. civ. Par prudence, la seconde option devrait être préférée.

Au vu de cette première décision, la seconde paraît éminemment libérale. L’argument du demandeur invoquait aussi en filigrane une branche du droit des sociétés empreinte d’ordre public : celui de la SARL.

Il est vrai qu’il avait été, dans le même temps, révoqué de ses fonctions de gérant d’une SARL du groupe. La solution a le mérite de trancher ce qu’il en est des conditions « chimiquement pures » d’une révocation, c’est-à-dire d’ériger ce qui devrait être la révocation de droit commun en l’absence de précisions légales.

D’un côté, on pourrait considérer que la révocation pour justes motifs est celle de droit commun, laissant celle ad nutum au cas exclusif des administrateurs, depuis que la loi NRE du 15 mai 2001 a soumis la révocation du directeur général de SA à une justification (hormis lorsqu’il est également président du conseil d’administration). À l’appui d’une telle conception, on pourrait évoquer que la procéduralisation de la révocation suppose une certaine motivation. Plus largement, la fonction de directeur général de SAS est normalement une fonction de représentation, non de seule administration, de sorte que la parenté avec les régimes applicables au gérant de société de personnes ou au directeur général de SA justifierait une identité de régime de révocation.

Mais, de l’autre côté, on se souvient que la libre révocabilité est de l’essence du mandat, et que les mandataires sociaux, s’ils sont dorénavant davantage des représentants légaux, restent librement révocables en l’absence de texte en disposant autrement. En témoignent notamment deux arrêts (Com., 26 novembre 2013, n° 12-25.004 ; Civ. 3e, 6 janv. 1999, n° 96-22.249) semblant admettre que l’on peut se dispenser, par une clause statutaire, de justes motifs pour révoquer un dirigeant d’une société d’économie mixte ou d’une société civile. C’est bien que la révocation pour justes motifs n’est pas d’ordre public, tout au plus, la révocation est-elle bornée par l’abus que l’on peut en faire, notamment en révoquant de manière vexatoire ou injurieuse.

Si elles peuvent paraître contradictoires car imposant une certaine dose d’ordre public pour l’une et rejetant cette médecine pour l’autre, ces deux décisions sont néanmoins relativement cohérentes : la collectivité des associés reste première, et il est normal d’édicter des règles d’ordre public – seraient-elles mal fondées – pour sauvegarder son expression. À l’inverse, la représentation de la société est secondaire, le dirigeant restant toujours « sur la sellette ». Il n’empêche que ces décisions se placent dans une mouvance traditionnelle de la matière sociétaire et non pas dans une vision renouvelée qui étend le champ d’action des dirigeants à des objectifs sociétaux et environnementaux – diminuant d’autant leur responsabilité – tout en retirant du pouvoir aux associés pour leur imposer des devoirs, dont le premier serait de supporter une partie de la responsabilité sociétaire.

Jean-Baptiste Barbièri
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Panthéon-Assas

 

 

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