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La violation des statuts de SAS peut entraîner la nullité de la décision

Lettre CREDA-sociétés 2023-07 du 5 avril 2023

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Une violation des dispositions statutaires concernant les décisions collectives d’une SAS peut être sanctionnée par la nullité si elle est de nature à influer sur le résultat du processus de décision. Les autres sociétés ne sont pas concernées par la règle posée (Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324).

Les faits concernent la SAS Larzul, déjà sujet d’un retentissant arrêt en 2010 (Com., 18 mai 2010, n° 09-14.855, Larzul,) mais différaient. L’associé unique de la SAS Larzul, la société Vectora conclut un accord avec la société UGMA et son actionnaire (la société FDG) pour augmenter le capital de la SAS par voie d’apports en numéraire et en nature à leur bénéfice ; augmentation assortie de la cession d’actions de la société Larzul par Vectora au bénéfice de la société FDG. Un arrêt irrévocable a, en 2012, annulé la délibération approuvant l’augmentation de capital. La société FDG, soutenant avoir été privée de ses droits d’associé depuis cette date, a sollicité l’annulation de toutes les décisions collectives subséquentes.

L’arrêt d’appel prononce la nullité de certaines de ces délibérations, mais au visa des art. L. 223-28 et -29 C. com, et non des dispositions applicables aux SAS, ce qui suffit à entraîner la cassation. Cela ne nous retiendra pas davantage.

Le pourvoi indiquait surtout que l’art. L. 227-9 C. com. énonce que les statuts précisent lesquelles des décisions de la SAS font l’objet d’une décision collective. De la sorte, aucune disposition impérative n’aurait été violée et la nullité ne serait pas encourue, en vertu de l’art. L. 235-1 C. com. La Cour de cassation prend le temps de rejeter l’argument au terme d’une motivation particulièrement détaillée, ce qui est de loin le plus important en l’espèce.

 

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Pour commencer, « l’organisation et le fonctionnement de la société par actions simplifiée relèvent essentiellement de la liberté statutaire. Il en découle que le respect des dispositions statutaires qui, conformément à l’article L. 227-9, alinéa 1er, du code de commerce, déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés et les formes et conditions dans lesquelles elles doivent l’être, est essentiel au bon fonctionnement de la société et à la sécurité de ses actes. Or, les limitations apportées par cette jurisprudence à la possibilité de voir sanctionner par la nullité la méconnaissance de ces dispositions statutaires conduisent à ce que leur violation ne puisse être sanctionnée ».

Par suite, « ces considérations conduisent la Cour à juger désormais que l’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu’il résulte de l’article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d’en poursuivre l’annulation ».

Dont acte, dans les SAS, la méconnaissance des règles statutaires régissant les décisions collectives peut entraîner la nullité de la décision à la condition que cette méconnaissance soit de nature à influer sur le processus de décision.

La pertinence de la règle peut tout d’abord être débattue, ainsi que sa portée.

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n° 2023-07 du 5 avril 2023

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Le bien-fondé

On le sait, l’arrêt Larzul énonçait que « sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n’est pas sanctionné par la nullité ». Mais il faisait l’objet de critiques concernant le domaine de la règle posée et sa justification.

Concernant le domaine, la notion de règle impérative aménageable est extrêmement floue. Ainsi, les règles de majorité concernant l’agrément dans les SARL rentrent-elles dans cette catégorie (Com., 10 févr. 2015, n° 13-25.588), ainsi que, semble-t-il, l’anc. art. 1844 C. civ. concernant la répartition des droits de vote entre usufruitier et nu-propriétaire (Com., 13 janv. 2021, n° 19-13.399). Les règles posées par l’art. 1836 al. 1 C. civ. (Cass. 3e civ., 8 juill. 2015, n° 13-14.348) et l’art. 1852 du même Code (Cass. 3e civ., 5 janvier 2022, n° 20-17.428) ont également été reconnues comme étant des dispositions impératives aménageables au sens de l’arrêt Larzul. Il est difficile de ne pas voir pourtant, dans ces deux dernières règles, des dispositions supplétives…. mais n’est-ce pas le cas de bien des dispositions impératives aménageables ?

La règle posée fonde sa légitimité sur le fait que les dispositions statutaires, quand elles aménagent une disposition impérative, ont, selon les mots d’Alexis Constantin, une « impérativité d’emprunt ». Par contraste, la violation de « simples » dispositions statutaires ne saurait entraîner une quelconque nullité. La règle peut être justifiée, malgré les critiques, par les limitations apportées aux nullités sociétaires par les art. L. 235-1 C. com. et 1844-10 C. civ.

Cependant, il était possible de soutenir qu’il faudrait sanctionner la violation des statuts dans les SAS avec plus de force que dans les autres sociétés, car ils ont une place prépondérante pour l’organisation de ces premières. De plus, la formulation de l’art. L. 227-9 C. com. pourrait faire penser qu’il contient une disposition impérative aménageable. Néanmoins, la Chambre commerciale a affirmé que ce n’était pas le cas (Com. 26 avr. 2017, n° 14-13.554).

Ce dernier arrêt est cité dans celui sous commentaire, justement pour préciser que la Chambre commerciale ne voit toujours pas dans l’art. L. 227-9 C. com. une disposition impérative aménageable (pt 14). La raison du revirement vient du fait que le respect des statuts « est essentiel au bon fonctionnement de la société et à la sécurité de ses actes » et que leur violation doit être sanctionnée per se, sur le fondement du dernier alinéa de l’art. L. 227-9 C. com.

La Cour circonscrit la portée de sa solution aux SAS, dans lesquelles il faudra désormais caractériser seulement une violation des statuts de nature à influer sur le résultat du processus de décision. Adieu donc, dans ce cadre, l’arrêt Larzul, au profit d’une impérativité des statuts de SAS. À l’inverse, dans les autres sociétés, il s’applique toujours, et il faudra vérifier qu’une disposition impérative aménagée a été violée pour obtenir la nullité de la décision.

N’aurait-il pas été plus simple d’admettre que l’art. L. 227-9 C. com. était une disposition impérative aménageable ? Ou, inversement, ne fallait-il pas abandonner totalement l’arrêt Larzul au profit d’une nullité pour violation des statuts dans toutes les formes sociales ? Car le respect des statuts n’est pas plus important dans les SAS qu’ailleurs a priori. Même si elles se distinguent par leur souplesse, ce caractère ne devrait pas faire varier la force obligatoire des statuts. Le respect des statuts n’est-il pas essentiel au bon fonctionnement de la société dans toutes les sociétés ? On sait par exemple que les SNC, bien que moins usitées, régissent tout autant leur fonctionnement par les statuts que les SAS, voire davantage.

Si le bien-fondé de cette règle peut donc être contesté, sa portée aussi.

La portée

Une chose semble certaine : ce sont les modalités statutaires de prise de décisions (comment prendre la décision ?) qui sont concernées mais également le domaine statutaire des décisions (quelles décisions doivent être collectives ?). La violation de ces deux types de stipulations sera sanctionnée par la nullité.

Les juges restreignent néanmoins le champ de la nullité par le biais du critère de l’influence de la violation sur le processus de délibération, qui ne brille pourtant pas par sa clarté. Cette nullité est en outre facultative et sera ainsi doublement restreinte : elle ne sera pas prononcée si la violation n’est pas de nature à influer sur le résultat de la décision ou si le juge, constatant qu’elle a cet effet, choisit néanmoins de ne pas la prononcer.

Au-delà, la règle posée confirme la préférence des juges de cassation commerciaux pour les statuts de SAS… au risque de revenir sur certaines interprétations. Car, il y a peu, la même chambre avait énoncé, dans une affaire concernant une SAS, que « si les actes extra-statutaires peuvent compléter les statuts, ils ne peuvent y déroger » (Com., 12 oct. 2022, n° 21-15.382). Nous avions cru y voir une affirmation générale selon laquelle les statuts primeraient toujours sur les actes extra-statutaires, mais peut-être la règle était-elle dictée par la forme sociale ; ce qui serait révélé par la faveur faite aux statuts de SAS dans le présent arrêt. Affaire à suivre donc.

 

Jean-Baptiste BARBIÈRI
Maître de conférences, Université Paris-Panthéon-Assas

 


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