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Vers un renforcement du contrôle des investissements étrangers en France

Lettre CREDA-sociétés n° 2018-20 du 21 décembre 2018

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Deux années après le décret n° 2010-932 du 10 mai 2017 qui avait globalement allégé le dispositif en place, le projet de loi PACTE prévoit de renforcer le mécanisme de contrôle des investissements étrangers soumis à autorisation.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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En cette fin d’année 2018, il est assez naturel de se demander ce qui attend les sociétés pour l’année 2019. Au premier chef, verra le jour la « loi Pacte », qui n’est, pour l’heure, qu’à l’état de projet. Ce texte a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 9 octobre 2018 et devrait être présenté au Sénat dans le courant du mois de janvier 2019.

Le texte, faisant suite au « plan d’action relatif à la croissance et la transformation des entreprises » (« P.A.C.T.E. »), comporte de très nombreuses mesures, parfois issues d’autres textes comme la proposition de loi de simplification du droit des sociétés. Parmi ces mesures, on peut, en particulier, s’intéresser à celles qui figurent aux articles 55, 55 bis, 55 ter et 56 du texte et qui en constituent une section 4 intitulée « Protéger nos entreprises stratégiques ».

Ces mesures ont vocation à amender le dispositif existant en matière de contrôle des investissements étrangers en France.

Il y est question d’un renforcement très net des pouvoirs du Ministre et des sanctions applicables aux investissements étrangers requérant une autorisation. Sur un plan plus formel, on remarquera la création, souhaitée, d’une délégation parlementaire à la sécurité économique.
Un mot d’ordre – renforcement – qui est décliné en triptyque, permet donc d’avoir une vue d’ensemble du futur mécanisme de contrôle des investissements étrangers en France :

  • Renforcement des pouvoirs
  • Renforcement des sanctions
  • Renforcement de la transparence

    Renforcement des pouvoirs, d’abord

    Il faut avant toute chose observer que ce renforcement serait limité au domaine de l’autorisation.

    En effet, rappelons, que si, par principe, « les relations financières entre la France et l'étranger sont libres » (C. mon. fin., art. L. 151-1), celles-ci peuvent nécessiter l’accomplissement de formalités de deux ordres. Les unes relèvent du mécanisme dit de l’autorisation ; les autres, du mécanisme dit des déclarations.

    La future loi PACTE ne modifierait que le mécanisme de l’autorisation et l’exposé des motifs annonce à cet égard qu’un décret étendrait la liste des secteurs dans lesquels un investissement ne peut avoir lieu sans autorisation du Ministre de l’Economie. Ces secteurs nouveaux sont les « secteurs d’avenir », définis par M. Bruno Le Maire à l’occasion des travaux parlementaires, comme ceux concernant « les drones, le spatial, la recherche-développement en matière de cybersécurité, d’intelligence artificielle, de robotique, de fabrication additive et de semi-conducteurs ».

    Ceci étant précisé, on constatera que ce sont deux types de pouvoirs qui seront l’objet d’un renforcement.

    D’une part, les pouvoirs d’injonction (C. mon. fin., art. L. 151-3, III) dont dispose actuellement le Ministre, lorsqu’un investissement a été réalisé sans autorisation, seront étendus.

    D’autre part, ses pouvoirs de contrainte le seront également puisque le projet de loi prévoit qu’il pourra :

    • Prononcer la suspension des droits de vote attachés à la fraction des actions ou parts sociales dont la détention par l’investisseur aurait dû faire l’objet d’une autorisation préalable ;
    • Interdire ou limiter la distribution des dividendes ou des rémunérations attachés aux actions ou aux parts sociales dont la détention par l’investisseur aurait dû faire l’objet d’une autorisation préalable ;
    • Suspendre, restreindre ou interdire temporairement la libre disposition de tout ou partie des actifs liés à l’activité en question (ce peut être l’immeuble acquis sans autorisation ou les actifs dont dispose la société dont les titres ont été acquis sans autorisation) ;
    • Désigner un mandataire chargé de veiller, au sein de l’entreprise acquise, et même si l’autorisation a bien été donnée avant l’investissement, à la protection des intérêts nationaux. Ce mandataire pourrait alors bloquer les décisions des dirigeants sociaux de nature à porter atteinte à ces intérêts.

    Renforcement des sanctions, ensuite

    À l’heure actuelle, le non-respect de la procédure d’autorisation emporte nullité de l’opération accomplie sans autorisation (cmf, art. L. 151-4) et expose l’investisseur à une peine de cinq ans d’emprisonnement ainsi qu’à une amende égale au double du montant de l’investissement irrégulier (cmf, art. L. 151-3, III et c. douanes, art. 459, sur renvoi de cmf, art. L. 165-1).

    Le projet de loi PACTE prévoit d’alourdir les sanctions susceptibles d’être prononcées. Et pour cause, aux sanctions actuelles qui ne peuvent être prononcées que par un juge, s’ajouterait une sanction « administrative » susceptible d’être infligée par le Ministre lui-même, ce qui ne manquera pas de soulever, une fois encore, la question de l’application du principe ne bis in idem.

    Cette nouvelle sanction possible serait de nature pécuniaire dont le montant s’élèverait à la plus élevée des sommes suivantes :

    • Double du montant de l’investissement irrégulier ;
    • 10 % du chiffre d’affaires annuel hors taxes de la société cible (faudrait-il inclure le chiffre d’affaires consolidé si la société cible est une holding ?) ;
    • Cinq millions d’euros pour les personnes morales et un million d’euros pour les personnes physiques.

    Sanction assurément dissuasive, en raison de son montant, qui s’ajoute aux sanctions actuelles qui l’étaient pourtant déjà. La volonté de s’assurer du respect de la procédure d’autorisation préalable, révélant elle-même une volonté protectionniste du Gouvernement à l’égard des secteurs qu’il juge stratégiques, est ici très claire.

    Renforcement de la transparence, enfin

    La transparence serait renforcée envers le public et envers le Parlement.

    En ce qui concerne la transparence envers le public

    À l’heure actuelle, le public peut avoir connaissance des éléments statistiques relatifs au contrôle des investissements étrangers en interrogeant le site internet de la Banque de France.

    Le projet de loi PACTE prévoit que le Ministre de l’économie, sous réserve des dispositions relatives à la protection du secret de la défense nationale, rende lui aussi ces statistiques publiques. Et cela inclura probablement les autorisations données, mais le texte prévoit que l’anonymat des personnes concernées devra être protégé.

    En ce qui concerne la transparence envers le Parlement

    Une délégation parlementaire à la sécurité économique, commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, composée de huit députés et de huit sénateurs, verrait le jour. Ses travaux ne seraient pas rendus publics mais le Gouvernement aurait la charge de lui transmettre un rapport chaque année. Un véritable droit à l’information serait reconnu à cette délégation qui n’existe pas, à l’heure actuelle.

    Deux années après le décret n° 2010-932 du 10 mai 2017 qui, globalement, avait allégé le mécanisme des déclarations, la future loi PACTE viendrait, pour sa part, renforcer le mécanisme de l’autorisation. Plus que des récipients communicants, on y verra le signe que cette matière évolue bel et bien au gré des préoccupations gouvernementales.

     

    Clément BARRILLON
    Maître de conférences à l’université Paris Nanterre
    Membre du Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique (CEDCACE)

     

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