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L’usufruitier n’a pas la qualité d’associé : conséquence fiscale…

Lettre CREDA-sociétés 2023-01 du 11 janvier 2023

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La cession de l’usufruit de parts sociales d’une société civile immobilière est-elle soumise au droit d’enregistrement au taux proportionnel de 5 % ? La Cour de cassation répond par la négative dans un arrêt du 30 novembre 2022 (Cass. com., 30 nov. 2022, n° 20-18.884, FS-B). La cession de l’usufruit de droits sociaux est hors du champ des droits de mutation à titre onéreux. La question était inédite. La solution de la chambre commerciale mérite donc d’y consacrer quelques développements, d’autant qu’elle fera l’objet d’une publication au bulletin.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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Contexte de la solution

Les droits de mutation à titre onéreux ont un champ d’application beaucoup plus restreint que celui des droits de succession ou de donation. Ils ne frappent que certaines mutations prévues par un texte particulier. L’interprétation de ces textes présente alors un enjeu essentiel car, selon que la mutation entre ou non dans son champ d’application, elle sera ou non soumise aux droits d’enregistrement proportionnels.

En matière de cession de titres sociaux, le I de l’article 726 du Code général des impôts soumet « les cessions de droits sociaux » à un taux, assis sur le prix de cession, de 1 % pour « les cessions d’actions » non négociées sur un marché règlementé – pour celles qui y sont négociées, la taxe est due seulement lorsque la cession est constatée dans un acte –, de 3 % pour « les cessions (…) de parts sociales » et de 5 % pour « les cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière ».

Lorsque la cession porte sur la pleine propriété de parts sociales ou d’actions, l’application des droits de mutation ne fait aucun doute ; mais lorsque la cession porte sur le seul usufruit de titres sociaux, est-on toujours en présence d’une cession de droits sociaux, au sens de l’article 726 du Code générale des impôts, soumise aux droits d’enregistrement proportionnel ? Tel est l’enjeu de l’affaire soumise à la chambre commerciale dans l’arrêt du 20 novembre 2022.

Le cessionnaire de l’usufruit de parts sociales d’une société civile à prépondérance immobilière, ayant estimé que cette cession n’était pas incluse dans le champ d’application de la taxe, s’était contenté d’acquitter, lors de la présentation à l’enregistrement de l’acte de cession, le droit fixe de 125 € (CGI, art. 680). L’Administration fiscale ne partageait pas son avis et lui avait notifié une proposition de rectification des droits d’enregistrement pour un montant de 510 000 €.

Solution en appel

La Cour d’appel de Paris se rallia à la position de l’Administration fiscale en formulant deux arguments (CA Paris, Pôle 5, ch. 10, 29 juin 2020, n° 18/27154). En premier lieu, elle estima que « le terme “cession“, au sens de cet article, n’est pas uniquement limité à l’acte définitif de la cession de l’intégralité d’une ou plusieurs parts sociales, mais s’entend de toute transmission temporaire ou définitive de la part sociale elle-même ou de son démembrement, telle la cession de l’usufruit ou de la nue-propriété, le texte ne distinguant pas selon que la cession porte sur la pleine propriété ou sur un démembrement de celle-ci, même si d’autres dispositions du code général des impôts procèdent à une telle différenciation ». En second lieu, la cour ajoute que « la cession litigieuse a entraîné le transfert d’éléments de participation dès lors qu’en se dépossédant de l’usufruit des titres, les associés de la société civile immobilière NSG, qui ont perdu leur droit au bénéfice des dividendes, ont également perdu leur droit de vote afférent aux parts sociales cédées ».

S’il est important de s’attarder quelques instants sur l’argumentation de la cour d’appel, c’est en raison du double sens qu’elle confère aux « droits sociaux » ou, plus exactement, des deux approches qu’elle retient. Dans un premier sens, qui est l’approche du droit des biens, les droits sociaux désignent la part sociale ou l’action, à savoir le bien meuble par détermination de la loi. Pour les conseillers, la cession de l’usufruit de parts sociales serait effectivement une cession de droits sociaux, la généralité du texte justifiant de ne pas distinguer. Dans un second sens, qui est plutôt celui du droit des sociétés, les droits sociaux seraient les droits attachés à la qualité d’associé, qui, selon la cour, seraient partiellement transmis en cas de cession de l’usufruit de titres sociaux. Ainsi, pour résumer l’argumentation de la Cour d’appel de Paris, il y aurait cession de droits sociaux lorsqu’un droit sur les titres sociaux serait cédé ou, ce qui reviendrait presque au même, lorsque des prérogatives sociales seraient transmises.

Solution de la Cour

La Cour de cassation condamne cette interprétation et casse l’arrêt d’appel.

Dans ses motifs, la chambre commerciale commence par rappeler que, au terme de l’article 726 du Code général des impôts, « les cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d’enregistrement proportionnel ». Ce rappel peut paraître bien inutile. Il a néanmoins le mérite de montrer que les termes clés pour l’interprétation de cet article sont « droits sociaux » et non « parts sociales », « actions » ou « participation dans une personne morale ».

Ensuite, en se fondant sur l’article 578 du Code civil, elle énonce que « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. Il en résulte que l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire, de sorte que la cession de l’usufruit de droits sociaux ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux ». La Cour en conclut alors que « la cession de l’usufruit de droits sociaux, qui n’emporte pas mutation de la propriété des droits sociaux, n’est pas soumise au droit d’enregistrement applicable aux cessions de droits sociaux » et, statuant au fond, prononce la décharge des droits d’enregistrement supplémentaire mis en recouvrement par l’Administration fiscale.

L’argumentation de la Cour est quelque peu déroutante. A s’en tenir à la seule conclusion, les conseillers semblent limiter les cessions de droits sociaux, au sens de l’article 726, aux seules cessions de la propriété des parts sociales ou des actions. Non seulement la Cour semble retenir une approche exclusivement de droit des biens, plutôt classique en matière de droits d’enregistrement, mais en outre elle interpréterait strictement le texte.

Mais alors qu’elle est l’utilité du rappel de sa jurisprudence dorénavant classique depuis l’avis de la chambre commerciale du 1er décembre 2021 (v. lettre CREDA-Societes n° 2022-02) et l’arrêt de la 3e chambre civile du 16 février 2022, selon laquelle l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé ? Si l’approche du droit des biens suffit à l’interprétation de l’article 726, pourquoi opérer le détour par la qualité d’associé ? Est-ce uniquement pour réfuter l’argumentation de la cour d’appel sur la transmission de certains droits d’associé ? Proposons l’explication suivante : l’approche du droit des biens n’est pas suffisante car, pour la Cour de cassation, la cession de droits sociaux serait avant tout la cession de la qualité d’associé. Il importe moins de savoir si la cession emporte transfert de la pleine-propriété des titres sociaux, de la nue-propriété ou d’un autre droit réel – même s’il s’agit d’un excellent indice – que si l’opération emporte la transmission de la qualité d’associé elle-même. Cette interprétation permet d’ailleurs de conserver dans le domaine de l’article 726 les cessions de droits sociaux dans une société en participation ou une société créée de fait, opération que la Cour de cassation qualifie de « cession par les participants des droits qu’ils tiennent du contrat de société ».

En définitive, et bien que l’arrêt ne concernât que la cession de parts sociales dans une société civile à prépondérance immobilière, il est possible de considérer, en transposant la solution au-delà, que toutes les cessions d’usufruit de titres sociaux devraient échapper aux droits d’enregistrement proportionnels car ces opérations n’emportent pas transmission de la qualité d’associé.

Et la neutralité fiscale ?

La principale critique que l’on peut formuler à l’encontre de cet arrêt est de l’ordre de la politique fiscale. Cette solution heurte, en effet, le principe de neutralité fiscale de la détention directe ou indirecte de l’immeuble. Certes, à la différence d’autres textes, notamment en matière d’imposition des plus-values, l’article 726 n’assimile pas la cession de titres sociaux d’une société à prépondérance immobilière à la cession de l’immeuble (CGI, art. 682). Mais, l’esprit de ce texte, en soumettant la cession de tels titres sociaux à un taux équivalent (5 %) à celui des cessions immobilières (5,807 %), n’est-il pas de traiter de la même façon la cession directe et celle indirecte de l’immeuble ? Il serait ainsi curieux que la cession de l’usufruit d’un immeuble soit soumise aux droits d’enregistrement et non la cession de l’usufruit des parts d’une société à prépondérance immobilière. La loi de finances pour 2023 est passée, mais peut-être que le législateur se saisira de la question dans le futur. A suivre…


Gauthier Le Noach
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

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