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Distinguer les conditions de nomination du mandataire ad hoc de celles de l’administrateur provisoire

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La Cour de cassation estime que la nomination d’un mandataire ad hoc en référé sur le fondement du droit commun ne requiert pas la démonstration de l’impossibilité d’un fonctionnement normal et d’un péril imminent pour la société. Elle relance ce faisant le débat sur la question de la conformité de la nomination du mandataire à l’intérêt social.

 

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L’espèce est banale mais sa procédure est complexe, ayant donné lieu à trois arrêts de cassation. Dans une SARL, un associé majoritaire est en conflit avec le gérant associé minoritaire. Le premier demande la convocation d’une assemblée générale afin de révoquer le gérant, ce que ce dernier refuse. D’où une demande en désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée qui est à l’origine de deux premiers arrêts. Le troisième, sous commentaire (Cass. com. 21 sept. 2022, n° 20-21.416), concerne la réplique du dirigeant associé minoritaire, demandant en référé la nomination d’un mandataire pour remplacer l’associé majoritaire aux prochaines assemblées et d’un autre pour remplacer la société dans certains litiges sur le fondement de l’art. 873 CPC.

La Cour d’appel avait acquiescé aux arguments du majoritaire considérant qu’il faudrait que soit rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent pour procéder à cette nomination, ce qui n’avait pas été le cas.

La cassation était alors inévitable : la Chambre commerciale rappelle clairement que la nomination d’un mandataire sur le fondement de l’art. 873 CPC n’est pas soumise à ces conditions mais peut être effectuée pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Si la décision ne souffre pas de critiques, c’est que la désignation d’un mandataire ad hoc est fondamentalement différente de celle d’un administrateur provisoire ; mais elle laisse subsister la question de la conformité de la nomination à l’intérêt social.

La certitude : la différence des critères de nomination entre mandataire ad hoc et administrateur provisoire

On le sait, l’administrateur provisoire et le mandataire ad hoc n’ont pas les mêmes fonctions : quand le premier vient prendre en main la gestion sociale (intégralement ou limitativement), le second n’intervient que pour des opérations ponctuelles. La nomination de l’administrateur provisoire est donc particulièrement « invasive », pour reprendre le terme de Nadège Jullian et suppose par conséquent la réunion de critères plus stricts que celle du mandataire ad hoc, quand bien même les deux peuvent intervenir en référé sur le fondement de l’art. 873 CPC (ou 835 CPC si le litige est porté devant le tribunal judiciaire). C’est bien pour cela que la Cour de cassation retient que « la désignation judiciaire d’un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d’un péril imminent » (la formule est quasi constante, par ex. : Com., 29 sept. 2009, n° 08-19.937), les deux conditions devant être appréciées cumulativement (v. CA Versailles, 21 avr. 2022, n° 21/05842). La distinction est donc nette et un arrêt avait par exemple admis que le juge saisi d’une demande de nomination d’un mandataire n’avait pas à rechercher l’absence de fonctionnement normal dès lors qu’il n’était pas saisi d’« une demande tendant à conférer à un tiers un mandat général de gestion courante de la société ni un mandat d’accomplir un acte de gestion déterminé » (Civ. 3e , 21 juin 2018, n° 17-13.212 ; Civ. 1re, 17 oct. 2012, n° 11-23.153).

Il est ainsi logique que la Cour de cassation censure les juges ayant voulu appliquer ces critères à la nomination d’un mandataire ad hoc, par hypothèse plus aisée. Seuls ceux énoncés par l’art. 873 CPC s’appliquent, c’est-à-dire la prévention d’un dommage imminent ou la cessation d’un trouble manifestement illicite. Deux observations peuvent cependant être formulées.

  • Pratiquement d’abord, il est difficile de distinguer entre la condition tenant au péril imminent pour la nomination de l’administrateur provisoire et celle de dommage imminent applicable au mandataire. On comprend néanmoins que le péril imminent serait celui mettant en jeu la survie de la société et la Cour de cassation a pu par exemple estimer qu’une dispute créant « un risque de remise en cause par les tiers des actes accomplis et des engagements contractés au nom de la société » (Com., 21 février 2012, n° 11-18.608) ne caractérisait pas le péril imminent, alors qu’elle aurait pu caractériser un dommage imminent appelant l’intervention d’un mandataire. Il reste que la distinction tiendra souvent davantage au critère de l’impossibilité de fonctionnement normal.
  • Théoriquement ensuite, on peut remarquer que la Cour de cassation reproche aux juges du fond d’ajouter aux conditions prévues par la loi pour la nomination du mandataire… alors qu’elle ajoute elle-même aux conditions de ce même art. 873 CPC quand il est question de nommer un administrateur provisoire. La légitimité de l’ajout à la loi par le juge est alors à géométrie variable.

La question : quid de l’intérêt social ?

La nomination du mandataire ad hoc en référé sur le fondement de l’art. 873 CPC suppose-t-elle une conformité à l’intérêt social ? Il se trouve que les demandes de la partie adverse, c’est-à-dire l’associé majoritaire, ont donné lieu aux deux arrêts précités qui règlent cette question dans le cadre de l’art. L. 223-27 C. com. Dans le premier (Com., 6 févr. 2019, n° 16-27.560), la Cour avait affirmé que « la cour d’appel […] n’avait pas à en apprécier l’opportunité [de la demande de désignation] ». Mais, à la suite d’un second pourvoi, elle avait fait marche arrière en estimant que « c’est à tort que la cour d’appel a énoncé que le juge, [...] n’a pas à apprécier cette demande au regard de l’intérêt social » (Com., 15 déc. 2021, n° 20-12.307). Il est vrai qu’entre temps, dans une autre affaire, elle avait jugé que « la désignation d’un mandataire ad hoc en application sur [sic] l’article L. 225-103, II, 2° du code de commerce n’est subordonnée ni au fonctionnement anormal de la société, ni à la menace d’un péril imminent ou d’un trouble manifestement illicite, mais seulement à la démonstration de sa conformité à l’intérêt social » (Com., 13 janv. 2021, n° 18-24.853 et n°19-11.302).

Notons que dans l’arrêt du 15 décembre c’est la demande qui doit être appréciée au regard de l’intérêt social, alors que celui du 13 janvier fait référence à la désignation elle-même. Dans le premier cas, la Chambre commerciale semble en réalité vouloir poser des garde-fous aux demandes abusives. Sa lettre périodique indique que, face à une demande de nomination, le juge « pourra, si cela est soutenu par ceux qui s’opposent à cette mesure, la refuser, en constatant qu’elle est intempestive, qu’elle intervient à contretemps etc., ce qui révélera alors sa contrariété à l’intérêt social ».

Mais alors, la demande ou la désignation d’un mandataire ad hoc sur le fondement, non des textes spéciaux, mais de l’art. 873 CPC devra-t-elle respecter l’intérêt social ? Il aurait potentiellement sa place dans son rôle de barrière face aux abus mais le juge peut également considérer la demande abusive sans recourir à cette notion. De surcroît, concernant le contrôle de la désignation en elle-même, le même fait peut être un dommage imminent pour le demandeur mais bénéficier à la société (si le dirigeant que l’on veut révoquer est incompétent). L’art. 873 CPC peut dès lors servir à nommer un mandataire dans un intérêt contraire à celui de la société. Plus simplement, le mandataire des art. L. 223-27 ou L. 225-103 C. com. a pour but de convoquer une assemblée, il est donc relativement logique que l’intérêt social joue un rôle dans son intervention ; au contraire, celui de l’art. 873 CPC a des rôles bien plus divers et l’intérêt social a une place moins évidente dans sa nomination.

La question est d’autant plus délicate que l’on sait que la jurisprudence tend à faire cohabiter droits commun et spécial. En matière d’expertise de gestion, l’art. 145 CPC peut ainsi être invoqué par des associés qui disposent pourtant de l’expertise spéciale – aux conditions plus exigeantes – des art. L. 225-231 ou L. 223-37 C. com. Cela révèle une appréciation de la règle specialia generalibus derogant assez largement admise qui veut que des dispositions générales et spéciales ayant le même champ peuvent être invoquées concurremment dès lors qu’elles ne sont pas antinomiques. Partant, l’art. 873 CPC peut être invoqué quand les art. L. 225-103 C. com. ou L. 223-27 C. com. sont applicables ; mais cela n’empêche que ses conditions seraient distinctes car sinon il n’y aurait aucun intérêt à se fonder sur le droit commun plutôt que sur le droit spécial. L’intérêt social n’interviendrait donc pas nécessairement dans le droit commun.

Notons que la Cour de cassation a refusé récemment de suivre cette interprétation de la règle specialia. Concernant le déséquilibre significatif, elle a jugé que c’était uniquement parce que l’art. L. 442-1 C. com. n’était pas applicable aux opérations de banque que l’on devait alors revenir au droit commun, c’est-à-dire à l’art. 1171 C. civ. (Com., 26 janv. 2022, n° 20-16.782). Dit autrement, les dispositions générales et spéciales ne seraient pas cumulables. Si l’on transpose cette interprétation à la question de la nomination du mandataire, l’art. 873 CPC ne serait invocable que faute d’un texte spécial (ce qui dépasse le cadre de cette étude, mais la piste est à creuser) mais la scission ainsi opérée fait aussi penser que la condition tenant à l’intérêt social n’aurait pas lieu d’être quand le droit commun est invoqué.

La balance penche donc vers une absence de contrôle spécifique de la demande ou de la désignation par rapport à l’intérêt social, même s’il faut rester très prudent à ce sujet et que l’intérêt social sera sans doute souvent pris en considération implicitement pour apprécier le trouble illicite ou le dommage imminent.


Jean-Baptiste Barbièri
Maître de conférences, Université Paris-Panthéon-Assas

 

 

 

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