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Légalité et proportionnalité des peines prononcées par la Commission des sanctions de l'AMF

Lettre CREDA-sociétés 2017-11 du 28 juin 2017

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Le Conseil constitutionnel considère qu'en prévoyant de réprimer les manquements de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché d’une amende d’un montant pouvant aller jusqu’à cent millions d’euros, le législateur n’a pas institué une peine manifestement disproportionnée.

 

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Les larges pouvoirs d’injonction et de sanction confiés à l’AMF sont naturellement contrebalancés par un certain nombre de garanties, régulièrement rappelées par la jurisprudence, visant à assurer les droits fondamentaux des personnes soumises à cette autorité (exigences d’indépendance, d’impartialité, de respect des droits de la défense, de séparation des autorités de poursuite et de jugement…).

A cette jurisprudence en pleine expansion, vient s’ajouter une nouvelle décision du Conseil constitutionnel saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité intéressant le contentieux financier répressif (CC, 2 juin 2017, n° 2017-634, QPC).

La QPC émane de M. R., en qualité de PDG de la société Belvédère, et de deux autres sociétés. Par décision du 30 avril 2014, la Commission des sanctions de l’AMF les a condamnés à diverses sanctions pécuniaires, pour défaut de délivrance d'une information exacte, précise et sincère, non déclaration d’opérations réalisées sur les titres de la société Belvédère et défaut de déclaration de franchissement de seuils.

Alors que la Cour d’appel de Paris a refusé de transmettre cette QPC, la Cour de cassation a considéré qu’elle présentait un caractère sérieux (Cass. com., 16 mars 2017, n° 16-22652).

Devant le Conseil constitutionnel, il était soutenu, d’une part, que les articles L. 621-14 et L. 621-15 CMF méconnaissaient le principe de légalité des délits et des peines. D’autre part, les requérants soutenaient qu’une peine maximum de « 100 millions d’euros » portait atteinte au principe de proportionnalité des peines, dès lors que ce plafond réprime les manquements visés aux articles précités, quels qu’ils soient et donc sans considération de leur gravité.

Sur le principe de légalité des délits et des peines

L’article 223-1 du RGAMF expose les conditions dans lesquelles l’information doit être délivrée au public.

La violation de ces exigences d’exactitude, précision et sincérité relève des manquements sanctionnés par l’AMF en vertu des articles L. 621-14 et L. 621-15 CMF.

En effet, bien que l’article L. 621-14 CMF soit relatif au pouvoir d’injonction de l’AMF, par l’effet de renvois, ces comportements sont passibles d’une sanction, y compris pour « tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché ».

Les requérants considéraient que la référence à « tout autre manquement », pouvant faire l’objet de la procédure de sanction, méconnaissait le principe de légalité des délits et des peines, faute d’être suffisamment définie.

Le Conseil constitutionnel a en effet jugé que ce principe de légalité s’appliquait non seulement aux peines prononcées par une juridiction répressive, mais également « à toute sanction ayant le caractère d’une punition » (CC, 30 déc. 1982, DC n° 82-155).

En outre, il est admis que le Conseil constitutionnel est garant du principe de clarté de la loi et des objectifs, de valeur constitutionnelle, d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découlent des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789. Ces principes imposent au législateur d'adopter des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre le risque d'arbitraire. Il s’ensuit que les dispositions doivent être suffisamment précises, sans reporter sur les autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi (CC, 29 déc. 2013, DC n° 2013-685).

Pour écarter ces griefs, le Conseil constitutionnel expose que le législateur avait « entendu uniquement réprimer des manquements à des obligations définies par des dispositions législatives ou réglementaires ou par des règles professionnelles » (le CC s’appuyant alors sur l’exposé sommaire de l’amendement à l’origine des dispositions contestées).

En outre, sans surprise, le Conseil constitutionnel rappelle que le principe de légalité est satisfait en matière administrative,

« dès lors que les textes applicables font référence aux obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l’activité qu’ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent, de l’institution dont ils relèvent ou de la qualité qu’ils revêtent » (v. consid. 6, v. égal. CC, 25 nov. 2011, QPC n° 2011-199).

Cette décision se situe ainsi dans le sillage de la jurisprudence pragmatique de la Cour européenne des droits de l’homme, concluant (dans une décision qui opposait deux requérants à l’AMF) qu’en « raison même du principe de généralité des lois, le libellé de celles-ci ne peut présenter une précision absolue » (CEDH, 1er sept. 2016, n° 48158/11, X et Y c. France, Lettre CREDA n° 2016-26, v. égal. CEDH, 6 oct. 2011, n° 50425/06, Soros c/ France). Il reviendrait alors à la jurisprudence de jouer son rôle de source du droit, pour dissiper le doute sur l’interprétation d’une disposition.

Sur les principes de nécessité et de proportionnalité des peines

Dans son appréciation de l’adéquation de la sanction à l’infraction, le Conseil constitutionnel n’exerce qu’un contrôle de « l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue » (CC, 25 févr. 2010, DC n° 2010-604).

Les chances de succès de second grief paraissaient donc des plus minimes, dès lors que les cas de censure sont inaccoutumés (v. Commentaire du conseil constitutionnel).

Faisant écho à une formule relative au pouvoir de sanction de l’Autorité de la concurrence (CC, 14 oct. 2015, QPC n° 2015-489), le Conseil constitutionnel relève tout d’abord que :

en « instituant une sanction pécuniaire destinée à réprimer les manquements de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché, le législateur a poursuivi l’objectif de préservation de l’ordre public économique ».

Cela implique que le montant des sanctions fixé par la loi soit suffisamment dissuasif pour remplir la fonction de prévention des manquements assignée à la punition (consid. 13).

Au regard des conséquences sur les marchés financiers que pouvaient entraîner les manquements considérés (défaut de délivrance d'une information exacte, précise et sincère, non déclaration d’opérations réalisées sur les titres de la société ou encore défaut de déclaration de franchissement de seuils), le Conseil constitutionnel en a conclu que :

en « prévoyant de réprimer les manquements de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché d’une amende d’un montant pouvant aller jusqu’à un plafond de cent millions d’euros, le législateur n’a pas institué une peine manifestement disproportionnée au regard de la nature des manquements réprimés, des risques de perturbation des marchés financiers, de l’importance des gains pouvant en être retirés et des pertes pouvant être subies par les investisseurs » (consid. 14).

Il a par conséquent écarté le grief, ce qui ne surprend guère.

En effet, dans l’article L. 621-15, le législateur a pris soin de dresser une liste de sanctions administratives pouvant être prononcées par l’AMF (outre la sanction pécuniaire plafonnée contestée, l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis ou la radiation du registre mentionné). L’argument tiré du caractère manifestement excessif du montant de la sanction pécuniaire semblait ainsi voué à l’échec.

En matière de répression administrative des infractions financières, le législateur n’a pas réuni au sein des mêmes dispositions les éléments constitutifs de l’infraction et la sanction qui les accompagne. Cette méthode est donc très éloignée des présentation et structure de la matière pénale. En effet, la matière financière évolue sans cesse, en particulier sous l’impulsion du droit de l’Union, au point que ses sources s’éparpillent et perdent en lisibilité (les renvois sont nombreux et complexes, les réformes se juxtaposent…). Si la décision commentée ne va pas jusqu’à censurer les dispositions contestées sur les fondements d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, elle invite sans nul doute à un examen critique de la construction de notre réglementation financière.

Marine Michineau
Maître de conférences Université Paris Nanterre

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