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Pluralité de gérants dans une SARL : à faute individualisée, action propre !

Lettre CREDA-sociétés 2023-03 du 8 février 2023

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La gérance, dans les sociétés à responsabilité limitée, peut être exercée par plusieurs personnes physiques selon l’article L. 223-18 du Code de commerce. La chambre commerciale de la Cour de cassation a, dans un arrêt rendu le 25 janvier 2023 (Cass. com., 25 janvier 2023, n° 21-15.772), l’occasion d’apporter une précision sur les conditions processuelles de mise en œuvre de la responsabilité civile lorsqu’un cogérant commet une faute.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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Il est question, dans cette décision, d’une personne physique ayant, à titre personnel, un commerce de restauration situé dans un centre commercial. Cette personne est par ailleurs cogérante d’une SARL, exploitant un supermarché dans ce même centre commercial. La personne physique ayant démissionné de ses fonctions de cogérante, la SARL engage sa responsabilité civile, aux motifs que la société avait payé les factures d’électricité du commerce de restauration. Ce faisant, la cogérante avait commis une faute de gestion en mettant à la charge de la SARL des sommes qu’elle ne devait pas supporter.

La Cour d’appel de Nouméa rejette l’action sociale, au motif que celle-ci n’est engagée qu’à l’encontre d’un seul cogérant, alors qu’elle aurait dû être dirigée « à l’encontre de l’ensemble des cogérants ». La chambre commerciale censure l’arrêt, au visa de l’article L. 223-22 du Code de commerce, affirmant que « la pluralité de gérants ne fait pas obstacle à ce que leur responsabilité soit engagée de manière individuelle ».

Cet arrêt présente l’intérêt de rappeler la particularité de la pluralité de gérants au sein d’une SARL, puis d’aborder les modalités de mise en œuvre de la responsabilité civile lorsqu’un gérant commet une faute de gestion.

La pluralité de gérants dans une SARL

L’arrêt offre la possibilité de rappeler les modalités de la gérance de SARL lorsque plusieurs personnes sont chargées de l’exercer. La répartition des pouvoirs, dans l’hypothèse d’une pluralité de gérants, nécessite une distinction.
D’une part, dans les relations internes à la société, les statuts peuvent prévoir une répartition des pouvoirs. Ainsi, plusieurs gérants peuvent avoir des pouvoirs distincts et donc ne pas avoir de compétences concurrentes, ce qui permet d’avoir une gérance lisible. Un gérant qui ne respecterait pas une telle limitation des pouvoirs engagerait sa responsabilité pour méconnaissance des stipulations statutaires.

D’autre part, à l’égard des tiers, chaque cogérant dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société (article L. 223-18 du Code de commerce). Chaque gérant peut donc engager la société comme il le souhaite, sans se soucier d’une quelconque limitation statutaire de ses pouvoirs, qui n’est pas opposable aux tiers.

Si chaque gérant est donc le représentant légal de la société, un cogérant engage-t-il les autres gérants pour autant ? En d’autres termes, la faute commise par un cogérant engage-t-elle la responsabilité civile des autres ?

La responsabilité civile des cogérants de SARL

La chambre commerciale de la Cour de cassation apporte dans cette décision une réponse à cette question, qui n’est pas réglée par la lettre de l’article L. 223-22 du Code de commerce. Cet article, cité au visa de l’arrêt, dispose que « Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ». Par ailleurs, lorsque plusieurs gérants ont commis la même faute, il reviendra au tribunal de fixer leur part contributive.

En l’espèce, la faute de gestion commise ne l’était que par une seule cogérante, bien qu’il soit « constant que celle-ci n’était pas la seule cogérante de la société ». Les juges du fond avaient alors, devant le constat d’une gérance multiple, conclu que l’action en responsabilité ne pouvait être engagée qu’à l’encontre de tous les cogérants. Ils avaient assimilé la règle de contribution à une règle de procédure : pour engager la responsabilité de la cogérante du fait de sa faute de gestion, il aurait fallu introduire l’action à l’encontre de tous les cogérants, à charge pour le juge de déterminer par la suite qu’un seul des cogérants était fautif, et que lui seul devait contribuer aux réparations.

C’est sur ce point que la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel. Dans l’hypothèse d’une pluralité de gérants, de deux choses l’une :

  • Soit, la faute a été clairement commise par un seul cogérant, et les victimes – qu’il s’agisse de la société, des associés ou des tiers – pourront uniquement assigner le cogérant fautif qui assumera seul les conséquences de sa faute ;
  • Soit, il existe un doute quant à l’identité du gérant auteur de la faute, et les victimes pourront assigner les cogérants, qui seront solidairement responsables, mais dont la contribution dépendra de leur part dans la commission de la faute.

La présente décision offre donc une précision importante : le régime de responsabilité solidaire induit par la gérance collégiale n’emporte pas de conséquences processuelles. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’il est possible que les cogérants soient responsables solidairement en cas de faute de gestion qu’il est nécessaire d’engager une action en responsabilité à l’encontre de tous les cogérants, s’il est possible de rattacher exclusivement la faute à l’un des cogérants.

En revanche, et dans un tel cas de figure, cela ne signifie pas pour autant que les autres cogérants voient leur responsabilité écartée. Ces derniers pourraient voir leur responsabilité engagée pour la commission d’une autre faute, celle liée à un défaut de surveillance, si un tel devoir apparaît statutairement. Une telle action ne pourrait toutefois être envisageable que par le biais de l’action sociale ut singuli, c’est-à-dire celle engagée par des associés au nom de la société, ou par de nouveaux gérants.

In fine, lorsque l’action est engagée par un tiers, ne serait-il pas préférable, dans le doute, d’assigner tous les cogérants, sans avoir à rechercher l’imputabilité de la faute ? Cette solution n’est sans doute pas celle proposée par la chambre commerciale dans cet arrêt, qui ne l’interdit pas pour autant…


Matthieu Zolomian
Maître de conférences à l’Université d’Angers

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