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EIRL : déposer une déclaration d’affectation vide est un manquement grave

Lettre CREDA-sociétés 2018-06 du 18 avril 2018

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Le dépôt d’une déclaration d’affectation sans état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés affectés à l’activité professionnelle constitue un manquement grave de nature à justifier la réunion des patrimoines.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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La jurisprudence relative à l’Entrepreneur individuel à responsabilité (EIRL) se fait rare, aussi peut-on se féliciter que la Cour de cassation ait rendu un arrêt expliquant les conséquences d’une déclaration d’affectation lacunaire, et tout particulièrement la réunion des patrimoines à l’occasion d’une liquidation judiciaire.

Une personne crée une activité de vente ambulante de boissons, sous le régime de l’EIRL. Deux ans plus tard, à l’occasion de sa mise en liquidation judiciaire, le liquidateur, invoquant l’absence, dans la déclaration d’affectation, des éléments affectés à l’activité, demande la réunion des patrimoines professionnel et personnel. Débouté en première instance et par la Cour d’appel, il forme alors un pourvoi en cassation.

Pour rejeter sa demande, la Cour d’appel avait estimé en premier lieu que la déclaration d’affectation a pour objet de rendre opposable aux créanciers de l’entrepreneur la décision d’affecter à son activité professionnelle une partie de son patrimoine et non d’énoncer l’existence des biens par nature nécessaires à cet exercice. Pour la CA, ces biens, dès lors qu’ils sont nécessaires à l’activité professionnelle, constituent le gage des créanciers professionnels, même s’ils ne figurent pas dans la déclaration d’affectation. Ainsi, l’absence de mention de ces biens dans la déclaration d’affectation ne permettrait pas de caractériser une confusion des patrimoines, ni un manquement grave aux règles relatives à la composition du patrimoine affecté.

En second lieu, elle ajoutait que la déclaration d’affectation avait été déposée au greffe et acceptée, que le débiteur avait utilisé le sigle « EIRL » pour ouvrir un compte bancaire professionnel et que le véhicule utilisé figurait à l’actif de son bilan.

Le liquidateur s’est alors pourvu en cassation. Au visa des articles L. 526-6, L. 526-7, L. 526-8 et L. 526-12, ainsi que de l’article L. 621-2 al. 3 du Code de commerce, la Cour de cassation est venue préciser :

  • que l’EIRL doit affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel ;
  • que la constitution de ce patrimoine affecté résulte du dépôt d’une déclaration devant comporter un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés affectés à l’activité professionnelle, en nature, qualité, quantité et valeur ;
  • et enfin, que le dépôt d’une déclaration d’affectation ne mentionnant aucun de ces éléments constitue un manquement grave de nature à justifier la réunion des patrimoines.

La mention obligatoire des biens nécessaires à l’activité dans la déclaration d’affectation

Le caractère très formaliste de l’EIRL est l’un des reproches formulés le plus fréquemment. Il est en effet indispensable, pour créer un patrimoine professionnel séparé d’un patrimoine personnel sans créer de personne morale (C. com., art. L. 526-6), de déposer au registre du commerce et des sociétés (RCS) une déclaration d’affectation (C. com., art. L. 526-7) comportant, notamment, « un état descriptif des biens, droits obligations ou sûretés affectés à l’activité professionnelle, en nature, qualité, quantité et valeur » (C. com., art. L. 526-8).

Selon la Cour d’appel, cette exigence formelle aurait pour but d’informer les créanciers de l’entrepreneur de sa décision d’affecter des biens à un patrimoine professionnel et de leur rendre celle-ci opposable (C. com., art. L. 526-12). Elle semble considérer que le créateur de l’EIRL disposerait d’une certaine liberté d’appréciation dans le choix des biens qu’il souhaite affecter à son activité.

Un tel raisonnement ne peut toutefois pas prospérer car le patrimoine affecté est composé « de l’ensemble des biens (…) nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle » (C. com., L. 526-6 al. 2). Il s’agit d’une obligation d’affecter à l’activité professionnelle tous les biens sans lesquels celle-ci ne peut pas être réalisée. Si une faculté est ouverte à l’occasion de l’affectation des biens, ce n’est qu’à propos des « biens (…) utilisés pour l’exercice de l’activité professionnel et qu’il décide d’y affecter », c’est-à-dire ceux qui n’y sont pas indispensables, de façon à augmenter le gage offert aux créanciers professionnels.

Le rejet d’une prétendue « affectation de plein droit » des biens nécessaires à l’activité

Le caractère formel de la déclaration d’affectation interdit en outre que l’on admette une sorte d’ « affectation de plein droit » de tous les biens nécessaires à l’activité, qui n’ont pas été identifiés dans la déclaration d’affectation. C’est ce qu’admettait la Cour d’appel, en affirmant que le compte bancaire ouvert en cours d’activité et le véhicule acquis après l’immatriculation et inscrit au bilan, devaient relever du patrimoine professionnel, peu important leur omission dans la déclaration d’affectation. La Cour de cassation refuse une telle affectation « tacite » : il appartient à l’entrepreneur d’identifier tous les biens nécessaires à son activité, et de les affecter matériellement et formellement à son patrimoine professionnel. Cela pose, en filigrane, la question du rôle des services du greffe, dont on pourrait s’attendre à ce qu’ils vérifient que la déclaration déposée comporte les mentions prévues à l’article L. 526-8 du Code de commerce…

Cette solution doit être approuvée : la déclaration d’affectation, qui a pour effet, notamment, de réaliser la séparation entre un patrimoine personnel et un patrimoine professionnel, doit impérativement assurer la sécurité juridique des créanciers tant professionnels que personnels. Or, il paraît assez difficile, du point de vue des créanciers personnels qui se seraient renseignés sur la consistance du patrimoine affecté, de savoir que des biens apparemment non affectés à l’activité professionnelle, pourraient, au gré d’une décision de justice, sortir du gage qui leur était promis.

Au demeurant, il n’était pas bien compliqué pour l’EIRL d’affecter efficacement son compte bancaire et le véhicule utilisé pour son activité. Il suffisait :

  • soit de procéder à une modification de la déclaration d’affectation pour y inscrire ces nouveaux biens ;
  • soit de déposer son bilan simplifié, cette démarche valant « actualisation de la composition du patrimoine affecté » (C. com., art. L. 526-14).

Une sanction sévère, mais prévue par la loi : la réunion des patrimoines

En définitive, la Cour de cassation approuve la demande du liquidateur de réunir les patrimoines personnel et professionnel du débiteur, considérant qu’il avait manqué gravement aux règles relatives à la composition du patrimoine affecté (C. com., art. L. 526-12 al. 3). Le débiteur en liquidation ne peut alors pas bénéficier des effets du statut d’EIRL et est responsable sur la totalité de ses biens ou droits.

Reste à savoir si le fait d’avoir affecté, ne serait-ce qu’un peu de stocks et du matériel, aurait permis d’éviter la qualification de « manquement grave » ?

 

Tanguy ALLAIN
Maître de conférences en droit privé à l’Université de Cergy-Pontoise

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