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En creux de l’ordonnance du 16 septembre 2020 : la SAS « quasi-société » de droit commun ?

Lettre CREDA-sociétés 2020-14 du 12 novembre 2020

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Ce que le transfert des dispositions propres aux sociétés cotées dans un chapitre dédié dit des mouvements qui animent le droit des sociétés...

 

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Beaucoup de choses ont été dites et écrites à propos de l’ordonnance 2020-1142 du 16 septembre 2020 portant création, au sein du code de commerce, d’un chapitre 10 relatif aux sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation (C. com., art. L. 22-10-1 s.).

On sait que cette ordonnance prise en application de l’article 75, II, de la loi Pacte, entrera en vigueur au 1er janvier 2021, ce qui est une manière de laisser aux praticiens le temps de se familiariser avec les « nouveaux » textes. C’est aussi et surtout une façon de permettre au décret d’extraire du corps des règles applicables à toutes les sociétés commerciales, pour la partie règlementaire, celles qui concernent les sociétés dont les titres font l’objet d’une admission à la cotation.

Brèves observations sur le contenu de l’ordonnance

La recodification à droit constant

Première observation : l’ordonnance, le rapport au Président de la République l’indique expressément, opère une recodification à droit constant de sorte que les pathologies des textes originels perdureront ; ce que d’aucuns regrettent déjà, mais que l’on ne saurait évidemment imputer aux rédacteurs.

Les objectifs d'accessibilité et de lisibilité

La seconde observation concerne les objectifs d’accessibilité et de lisibilité du droit que poursuit la recodification.

  • Accessibilité en regroupant les « règles propres aux sociétés cotées afin d'en identifier le régime plus aisément » ; régime qui est, selon le rapport accompagnant l’ordonnance, « dérogatoire aux dispositions du droit commun auxquelles il renvoie » (« droit commun » des sociétés anonymes ?).
  • Lisibilité afin de « gagner en stabilité dans la mesure où de nombreuses réformes, souvent d’origine européenne, ne s’appliquent qu’aux sociétés cotées ».

Disons les choses : on peut douter de ce que la concentration des règles dans un chapitre dédié simplifie la lecture. Comme hier, il faudra procéder à des allers et retours d’un corps de règles à l’autre, et ainsi encore utiliser le droit de la SA, de la SCA et de la SE, celui des sociétés par actions, le code monétaire et financier et le droit commun des sociétés, outre les dispositions du Règlement général de l’AMF.

Certes, ces allers retours sont inhérents au droit des sociétés en général (il suffit d’envisager les SCA ou SAS auxquelles les dispositions propres aux SA sont applicables dans la mesure de leur compatibilité : C. com., art. L. 226-1 al. 2 et L. 227-1, al. 3) et au droit des sociétés cotées en particulier.

Aussi, rien ne dit que l’on pouvait faire autrement. Mais précisément, rien ne dit non plus qu’il fallait nécessairement recodifier, même s’il est vrai qu’à l’étranger une tendance à la faveur de la centralisation des dispositions relatives aux sociétés cotées est observée. Quoi qu’il en soit, l’essentiel sera de savoir, in fine, si la forme touche au fond. Or, de ce point de vue, ce n’est qu’à l’usage que chacun pourra apprécier, au-delà de l’utilité formelle de la recodification, sa véritable opportunité pratique.

Ce que le transfert des dispositions propres aux sociétés cotées dans un chapitre dédié dit des mouvements qui animent le droit des sociétés

Outre la césure évidente que l’ordonnance emporte entre les SA, SCA et SE cotées et les sociétés non cotées, c’est la place prépondérante qu’elle confère indirectement aux SAS en droit commun des sociétés, qui retient l’attention.

Le phénomène n’est pas nouveau : l’écart entre SA et SAS avait déjà été creusé par le législateur en 1994 avec la liberté statutaire offerte aux associés, tant pour l’encadrement de la libre négociabilité des actions, que pour l’organisation des pouvoirs et des décisions collectives. Par exemple, là où les SA ont dû attendre la consécration par la loi 2019-744 du 19 juillet 2019 du « vote d’abstention » (C. com., art. L. 225-96 dern. al., et L. 225-98, dern. al.), les SAS pouvaient déjà le pratiquer par une clause de majorité décomptant les voix seulement exprimées et non celles des membres présents ou représentés.

Les différentes réformes avaient, à la faveur de la SAS, accentué l’écart : possibilité de constituer une SASU et suppression d’un capital minimum dès 1999 ; autorisation des apports en industrie en 2008. Plus récemment, c’est la suppression par la loi 2019-744, du respect de la procédure des avantages particuliers lors de la constitution des SAS qui renforce encore leur attrait (C. com., art. L. 227-1, al. 3), même si toutes les difficultés ne sont pas soldées, en particulier sur le terrain de l’émission d’actions de préférences réservées à une ou plusieurs personnes nommément désignées (C. com., art. L. 228-15, al. 1er).

Les SAS sont même habilitées à procéder à certaines offres au public conformément à l’article L. 227-2 du code de commerce (ancien placement privé notamment) et peuvent émettre des titres, autres que les actions, susceptibles d’être admis à la cotation.

Plus encore, il résulte de la pratique et de la jurisprudence une tendance à la consécration de la SAS au rang de « quasi-société » de droit commun.

A cet égard, les arrêts rendus en matière de SAS ont souvent été (et le seront certainement encore) l’occasion d’affirmer ou de réaffirmer des principes du droit commun des sociétés. Cela procède des silences du législateur qui obligent à puiser dans le droit commun pour identifier ce qui est irréductible ou incontournable, voire ce qu’il convient de pallier.

Tel fut le cas s’agissant du droit de participer aux décisions collectives en matière de clauses d’exclusion (Com., 23 oct. 2007, n° 06-16537, considérant que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter et que les statuts ne peuvent déroger à ces dispositions que dans les cas prévus par la loi » ; Com., 9 juill. 2013, n° 11-27235, jugeant, sur le fondement de l’article 1844-10, alinéa 2 du Code civil, que parce qu’elle contrevient au principe d’ordre public de l’article 1844 alinéa 1er du même code, la clause statutaire qui prive un associé de son droit de vote sur la décision collective relative à son exclusion est, pour le tout, réputée non écrite).

De même, c’est pour une SAS que la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel sauf lorsqu’une clause des statuts ou d’un règlement intérieur est prise pour l’aménagement d’une disposition impérative du Livre II du code de commerce, sa violation n’est pas une cause de nullité des décisions sociales (Com., 18 mai 2010, n° 09-14855).

Enfin, on peut déceler dans certains arrêts un signal fort en vertu duquel le statutaire, aussi largement aménageable par la volonté des associés qu’il soit, n’est pas antinomique avec une conception institutionnelle du pouvoir des organes sociaux commune à toutes les sociétés (au sujet du pouvoir de représentation dont disposent les DG et DGD alors qu’ils sont habilités par les statuts : Ch. mixte, 19 nov. 2010, n° 10-10095 et n° 10-30215 ; concernant la nécessité de stipuler les organes dans les statuts : Com., 25 janv. 2017, n° 14-28792).

Et que dire de la solution énonçant un devoir de loyauté de portée générale pesant sur l’administrateur commun à une société mère et à sa filiale lui imposant une obligation de voter dans le sens déterminé par la mère sous réserve de l’intérêt social de la filiale ? (Com. 22 mai 2019, n° 17-13565).

Au résultat, alors qu’elle avait été pensée comme une structure dérogatoire, la SAS semble désormais, en dehors des cas de recours à la cotation, être la structure incontournable, ce que l’ordonnance 2020-1142 devrait accroître (v. aussi lettre creda-societes n° 2020-12 - Les statuts-types de SAS : du sur-mesure au prêt-à-porter… numérique).

Et à l’exception des SARL qui, pour des raisons fiscales et de simplicité de choix dans l’organisation, résistent, avec toutefois une baisse continue du nombre de leur création, près de deux sociétés créées sur trois en 2017, 2018 et 2019 étaient, selon l’INSEE, des SAS.

En conséquence, on peut se demander quel intérêt il y aura demain à recourir aux SA, en dehors de la recherche d’une cotation des actions ou des cas légaux dans lesquels cette forme sociale est encore imposée.

Julien DELVALLEE
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay

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