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De la fixation de la rémunération du gérant associé unique d'une EURL

Lettre CREDA-sociétés 2019-04 du 20 mars 2019

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Un gérant, associé unique d'une EURL, peut approuver sa propre rémunération a posteriori, dès lors que les statuts de la société prévoient que la rémunération est fixée et peut être modifiée par une décision ordinaire des associés.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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La question des rémunérations des dirigeants sociaux est, on le sait, une de celles qui donnent lieu au plus d’actualité en droit des sociétés. Cette question n’est pas seulement importante dans les sociétés cotées, mais aussi dans les sociétés à responsabilité limitée (SARL). Dans ces dernières, la question porte moins sur le montant de la rémunération que sur la procédure menant à son adoption.

La décision du 9 janvier 2019 rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation en est l’illustration.

Dans cette décision, le gérant associé unique d’une EURL cède le 12 janvier 2012 l’intégralité de ses parts sociales, et démissionne le même jour de ses fonctions de gérant. La société, par le biais de son nouveau gérant, demande par la suite le remboursement des rémunérations versées entre 2008 et 2012, arguant de ce que les rémunérations n’avaient pas été régulièrement décidées : les statuts prévoyaient que la rémunération des gérants serait fixée et modifiée par une décision ordinaire des associés, ce qui, selon la demande, n’avait pas été le cas.

 

La Cour d’appel de Toulouse rejette cette demande de l’EURL. Celle-ci se pourvoit en cassation en distinguant deux périodes, évoquées dans deux branches différentes :

  • Pour les rémunérations versées entre 2008 et 2010, la société demanderesse au pourvoi considère que « la décision fixant la rémunération du gérant associé unique d’une EURL doit être antérieure à son versement, ce qui n’était pas le cas en l’espèce ;
  • Pour les rémunérations versées en 2011 et 2012, la société invoque le fait qu’aucune décision d’attribution ne figure au registre des décisions pour ces années.

Pour autant, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi :

  • D’une part, il est constaté que les procès-verbaux des décisions de l’associé unique des 5 juin 2009, 18 mai 2010 et 30 juin 2011, portées dans le registre des décisions de l’associé unique, approuvaient les rémunérations versées lors de l’exercice écoulé. Ce faisant, la rémunération du gérant avait été déterminée conformément aux statuts, peu important que celle-ci ait été versée avant la décision de l’associé unique ;
  • D’autre part, bien que les rémunérations des exercices 2011 et 2012 n’aient pas été approuvées par une décision de l’associé unique, ce manquement est intervenu après la cession des parts sociales, et n’est donc pas imputable à l’ancien gérant associé unique dont les rémunérations sont contestées. De plus, la société ne pouvait ignorer le versement des rémunérations, et n’a pas prouvé qu’elles représentaient un caractère excessif eu égard aux ressources et à la situation économique de la société. Ce faisant, même si les rémunérations sont annulables, elles ne sont pas au cas particulier annulées, la chambre commerciale soutenant la cour d’appel qui a fait usage de son pouvoir souverain d’appréciation.

Force est de constater que cette décision est assez favorable à la pratique dite de l’autorémunération, c’est-à-dire la fixation de sa propre rémunération par le gérant. La chambre commerciale vient en effet préciser, dans un premier temps, que le respect des statuts prime sur le moment du versement de la rémunération et, dans un second temps, qu’une décision irrégulière peut ne pas être annulée en fonction des circonstances factuelles.

L’autorémunération du gérant associé unique d’EURL nécessitant le respect des statuts

La chambre commerciale vient rappeler un principe essentiel en matière de rémunération des gérants de SARL : il est nécessaire que celle-ci ait été déterminée conformément aux prévisions statutaires. Cette solution s’inscrit dans un courant jurisprudentiel établi (Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-22754 ; Cass. Com., 15 mars 2017, n°14-17873).

Or, les statuts précisaient que « les gérants [peuvent] recevoir une rémunération qui [est] fixée et [peut] être modifiée par une décision ordinaire des associés ». En conséquence, il suffit que la rémunération ait fait l’objet d’une décision de l’associé ce qui, lorsque celui-ci est aussi gérant, revient à une fixation de sa propre rémunération.

Dans le cadre d’une EURL, le respect de cette stipulation statutaire impose de tenir compte des dispositions de l’article L. 223-31 alinéa 3 du Code de commerce, aux termes duquel l’associé unique consigne ses décisions dans un registre. Formalité respectée à trois reprises par l’associé unique gérant. Mais en l’espèce, les décisions de l’associé unique étaient postérieures au versement des rémunérations, ce qui, selon certaines analyses de l’arrêt du 25 septembre 2012 précité, n’était pas envisageable. C’est sur ce point que l’arrêt attire l’attention.

La chambre commerciale souligne a en effet que « la rémunération du gérant [a] été déterminée conformément aux prévisions statutaires, peu important qu’elle ait été perçue par celui-ci avant la formalisation de la décision par l’associé unique (…) ». La chambre commerciale est alors formelle : le respect de la procédure mise en place par les statuts est nécessaire et suffisant, le moment de ce respect n’étant d’aucune importance. En l’espèce, cela signifie que les procès-verbaux des 5 juin 2009, 28 mai 2010 et 30 juin 2011 approuvant les rémunérations des années 2008, 2009 et 2010 sont parfaitement valables. Le terme approbation laisse la porte ouverte à toutes les interprétations, car une approbation peut être réalisée a priori comme a posteriori. A l’inverse, si les statuts avaient stipulé que l’assemblée autorisait les rémunérations, une intervention de l’associé unique a priori aurait été nécessaire.

L’absence d’annulation des rémunérations sans décision d’associé unique

Quant aux rémunérations versées en 2011 et en 2012, celles-ci n’ont pas été approuvées, même a posteriori, par l’associé unique. Et pour cause, l’associé unique avait changé à l’issue de la cession de parts. Les délibérations méconnaissant les statuts, elles auraient pu être annulées sur le fondement de l’article L. 223-31 du Code de commerce. Pourtant, la chambre commerciale de la Cour de cassation approuve les juges du fond de ne pas avoir prononcé une telle nullité car :

  • Tout d’abord, la cession de contrôle ayant eu lieu à compter du 12 janvier 2012, l’ancien gérant associé unique n’avait plus la maîtrise des assemblées, et ne pouvait donc pas faire approuver a posteriori ses rémunérations pour les exercices 2011 et 2012 ;
  • Ensuite, la société demanderesse, par le biais du cessionnaire, ne pouvait ignorer l’existence de ces rémunérations ;
  • Enfin, il n’est pas prouvé que les rémunérations étaient des charges excessives « eu égard aux ressources et à la situation économique de la société ». La chambre commerciale fait ici usage d’un critère qui était classiquement utilisé en matière de pensions de retraite (Cass. com., 10 février 1998, n° 95-22052 ; Cass. com., 24 octobre 2000, n° 98-18367)

Eu égard à ces éléments, la chambre commerciale donne pleine dimension à la nullité « facultative » de l’article L. 223-31 du Code de commerce, le texte disposant que les décisions méconnaissant ce texte « peuvent être annulées ». Si la nullité n’est pas prononcée ici, c’est sans doute en raison du comportement du cessionnaire, qui n’a pas pu ignorer le versement des rémunérations dans le processus de cession de contrôle, et qui a entendu les contester à moindre frais. Si le principe de l’arrêt est important, il n’en demeure pas moins qu’une partie de la décision est fondée sur des questions de fait, ce qui justifie sans doute son absence de publication au bulletin.

Matthieu Zolomian
Maître de conférences en droit privé à l’Université Jean Monnet

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