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Mixité femme homme dans les instances dirigeantes de sociétés : bientôt une nouvelle loi ?

Lettre CREDA-sociétés 2021-03 du 17 février 2021

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Dix ans après la loi Copé-Zimmermann, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) formule de nouvelles propositions pour instaurer un véritable partage du pouvoir de représentation et de décision entre les sexes.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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Dix ans après la loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration (loi dite « Copé-Zimmermann »), la question revient sur le devant de la scène. Le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) a en effet publié le 26 janvier dernier un nouveau rapport à ce sujet.

Rappelons que la loi Copé-Zimmermann était parvenue à instaurer dans les conseils d’administration des plus grandes sociétés cotées des quotas obligatoires en faveur du sexe sous-représenté. Observant que l’autorégulation était inefficace, il fallait imposer des quotas pour engager le changement.

Rappel du dispositif existant

Aujourd’hui et après de nombreux ajustements législatifs (en dernier lieu, la loi Pacte du 22 mai 2019 et l’Ordonnance du 16 septembre 2020), le dispositif est construit de la façon suivante, avec un champ d’application plus large qu’à l’origine : l’article L. 225-18-1 du code de commerce prévoit que « la proportion des administrateurs de chaque sexe ne peut être inférieure à 40% à l’issue de la plus prochaine assemblée générale ayant à statuer sur des nominations, dans les sociétés qui pour le troisième exercice consécutif emploient un nombre moyen d’au moins 250 salariés permanents et présentant un chiffre d’affaires ou un total de bilan d’au moins 50 millions d’euros. Dans ces mêmes sociétés lorsque le conseil d’administration est composé au plus de 8 membres, l’écart entre le nombre des administrateurs de chaque sexe ne peut être supérieure à deux ».

Au titre des sanctions, le deuxième alinéa de ce texte précise que : « Toute nomination intervenue en violation du premier alinéa et n’ayant pas pour effet de remédier à l’irrégularité de la composition du conseil et nulle ». Mais devant la faible portée de cette mesure, la loi Pacte a modifié le texte de façon à permettre que la nullité de la nomination irrégulière puisse entrainer celle des délibérations auxquelles a participé le mandataire social irrégulièrement nommé. Beaucoup considèrent qu’il s’agit là d’une règle porteuse d’insécurité juridique en raison des nullités en cascade qu’elle risque d’induire. Le dispositif s’applique aussi aux SA avec conseil de surveillance et directoire (C. com., art. L. 225-69-1) et aux SCA (C. com., art. L. 226-4-1).

En outre, lorsque le conseil d’administration d’une SA désigne un ou plusieurs directeurs généraux délégués, il est désormais, depuis la loi Pacte, impératif d’organiser un processus garantissant à son terme la présence d’au moins une personne de chaque sexe parmi les candidats. Les propositions de nomination doivent s’efforcer de rechercher une représentation équilibrée des femmes et des hommes (C. com., art. L. 225-53). Un dispositif semblable s’applique dans les SA à conseil de surveillance et directoire (C. com., art. L. 225-58). Aucune sanction n’est pas prévue en cas de violation de ces dispositions.

Pour quels résultats ?

De nombreux travaux ont été menés pour suivre l’application de ce dispositif de quotas. L’Autorité des marchés financiers, le Haut comité de gouvernement d’entreprise, le Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) ou encore l’Association Femmes experts-comptables ont suivi de très près l’application du dispositif.

Aujourd’hui, le constat est le suivant : la loi Copé-Zimmermann a largement contribué à la prise de conscience et a permis de modifier significativement la composition des conseils d’administration des plus grandes sociétés, en s’ouvrant aux profils féminins. Ainsi, dans son dernier rapport, le HCE met très clairement en évidence la progression spectaculaire de la parité dans les plus grandes sociétés cotées. Par exemple, les sociétés du CAC40 qui comptaient 10 % de femmes dans leurs conseils en 2009, en ont aujourd’hui 44,6 %. De même, les sociétés du SBF120 qui comptaient 26 % de femmes dans leurs conseils en 2013, en comptent désormais 45,2 %. Ces résultats placent la France au premier rang européen en matière de mixité.

44
% de femmes dans les CA du CAC 40
45
% de femmes dans les CA du SBF 120
20
femmes dans les instances dirigeantes du SBF 120

En revanche, pour les autres sociétés entrant pourtant dans le champ d’application du dispositif, les chiffres sont nettement moins bons : les sociétés non cotées réunissant 500 salariés ou plus et réalisant au moins 50 millions d’euros de chiffres d’affaires ne compteraient que 23,8 % de femmes dans leurs conseils.

Les chiffres se dégradent encore lorsque l’on quitte cette fois le champ d’application de la loi, démontrant très clairement l’absence d’autodiscipline : les entreprises cotées sur Euronext Growth ne dépassent pas 20 % de femmes dans leurs conseils.

De même, les autres organes de gouvernance comme les comités du conseil, à l’exception notable des comités RSE, connaissent une mixité timide et parfois faible (22 % dans les comités stratégie ; rarement dans les comités de rémunération ou de nomination).

Le constat est encore plus dur pour les conseils exécutifs ou les comités de directions, qui ne sont composés que pour 20 % de femmes (même si, il faut le reconnaître, cette part ne représentait que 7,3 % en 2011).

Un dernier chiffre suffit pour comprendre que le bilan est très mitigé : cette recherche de mixité n’aura pas permis aux femmes d’accéder aux fonctions de dirigeantes. A l’heure actuelle, seules 20 femmes occupent des postes de PDG (3), DG ou présidente du directoire (10) ou présidentes du conseil (7) des sociétés cotées aux SBF 120, tandis qu’elles ne sont que 3 (2 PDG et 1 DG) dans les sociétés du CAC40.

Autrement dit, la mixité dans les conseils d’administration a certes été mise en œuvre là où la loi l’avait imposée, mais…. c’est tout. Cela n’aura pas suffi pour insuffler un véritable changement des mentalités et des pratiques partout ailleurs dans l’entreprise. La dynamique paritaire qu’avaient appelé de leurs vœux M. Copé et Mme Zimmermann n’a pas connu le succès. L’heure n’est donc pas encore à un véritable partage à égalité du pouvoir de représentation et de décision entre les femmes et les hommes (définition du principe paritaire, dans le Guide de la parité, HCE).

Les propositions du HCE

C’est la raison pour laquelle le HCE, dans son dernier rapport, avance de nouvelles propositions qui pourraient constituer autant de pistes pour une future réforme. Le document présente de nombreuses propositions comme la modification de l’index égalité homme femme, dit index « Pénicaud », ou l’idée de conditionner l’attribution de financements publics au respect des obligations en matière de parité et d’égalité professionnelle, mais nous nous en tiendrons à exposer celles qui intéressent le droit des sociétés.

  • Vers une nouvelle extension du champ d’application de la mixité

Le HCE propose non seulement d’étendre le principe des quotas de façon progressive (20 % en 2023 et 40 % en 2025) dans l’ensemble des instances de gouvernance de toutes les SA et SCA réalisant 50 millions de chiffre d’affaires (le critère du nombre de salariés ne serait donc pas applicable ici), ainsi qu’à l’ensemble de leurs comités (comités de direction, comités exécutifs, comités du conseils).

Le comité de nomination, que le HCE propose de reconnaître légalement à la manière des comités d’audit, pourrait se voir confier un rôle particulier en termes de contrôle de la conformité de la composition du conseil d’administration.

Dans son rapport, le HCE propose également d’insérer une disposition dans le Code de commerce permettant de donner une assise légale à la constitution des comités exécutifs par le directeur général. Ces comités seraient tenus à leur tour par une obligation de respecter des quotas, appliquée de façon progressive, sur la base d’une rédaction proche de celle existante pour les CA. On comprend toutefois assez mal pourquoi il est proposé pour ces comités un champ d’application plus restrictif, puisque le HCE propose ce texte pour les sociétés « dont les actions sont soumises aux négociations sur un marché réglementé » (critère qui ne s’applique pas aujourd’hui pour les CA), et qui dépassent 250 salariés (alors que le HCE n’a pas repris le critère des salariés dans sa proposition d’extension des quotas aux autres instances de gouvernance).

Cela semble s’inscrire dans la droite ligne des dernières modifications du Code de gouvernement d’entreprise établi par l’AFEP et le MEDEF, le 30 janvier 2020, qui contient un nouveau paragraphe intitulé « Politique de mixité femmes/hommes au sein des instances dirigeantes ».

Vers un renforcement du contrôle de l’application des dispositifs

Le HCE propose par ailleurs d’instaurer un suivi plus étroit des sociétés tenues par l’obligation de respecter des quotas, après avoir observé que ce suivi, bien réel pour les sociétés du CAC40 et du SBF120, est parcellaire pour les autres sociétés entrant dans le champ d’application du dispositif. Le HCE indique que, compte tenu des risques de nullité des décisions désormais encourus depuis la loi PACTE, il est indispensable de s’assurer de la conformité de la composition des conseils.

Il s’agirait alors de confier ce contrôle aux greffes des tribunaux de commerce, à la manière de ce qui a été prévu pour les bénéficiaires effectifs (CMF., art. L. 561-47). L’idée est intéressante mais dans la mesure où les greffes s’en tiennent en principe à un contrôle formel sur pièces et n’ont pas de compétence d’investigation, cette proposition devra nécessairement être assortie d’une nouvelle obligation déclarative, impliquant le dépôt d’une formalité spécifique (composition et répartition des sexes dans les conseils d’administration, comités et différents organes de gouvernance). Selon le HCE, ces données pourraient ensuite être compilées sous la responsabilité d’une administration pilote au sein du ministère de l’économie et des finances, de façon à publier annuellement les informations sur ce point.

Le rapport du HCE a été remis au ministre de l’économie des finances et de la relance, à la ministre du travail, ainsi qu’à la ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Egalité des chances. Un avant-projet de loi pourrait être présenté en mars prochain en Conseil des ministres.

Tanguy ALLAIN
Maître de conférences en droit privé, Université de Rennes I

 

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