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La nullité du cautionnement accordé par une SCI en garantie de la dette de l’un de ses associés est une nullité absolue

Lettre CREDA-sociétés 2017-18 du 6 décembre 2017

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La distinction entre nullité absolue et nullité relative tient à la finalité de la règle violée : si celle-ci protège un intérêt particulier, la nullité est relative mais si celle-ci protège l’intérêt général, la nullité est absolue. Quelles sont les conséquences d'une telle qualification ?

 

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Par principe, une société n’a pas vocation à garantir le remboursement des dettes personnelles de ses associés à l’égard des tiers. Raison pour laquelle l’opération, lorsqu’elle n’est pas interdite, est rigoureusement surveillée.

En particulier, s’agissant des sociétés civiles immobilières, les décisions sont nombreuses et l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 18 octobre 2017 (n° 16-17.184) ajoute encore à la construction.

En l’espèce, une SCI s’était portée caution de la dette personnelle de l’un de ses associés en affectant en garantie l’immeuble dont elle était propriétaire. Confronté au défaut de remboursement de l’associé, le créancier a demandé le paiement de la dette à la société, laquelle l’a assigné en annulation de la sûreté. Le créancier a alors invoqué une fin de non-recevoir tirée de la prescription.

Pour déterminer si l’action était ou non prescrite, il était nécessaire de se prononcer sur la nature de la nullité encourue car, s’agissant de faits antérieurs à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, celle-ci conditionnait le délai applicable.

Selon la cour d’appel, la nullité invoquée était une nullité relative. Elle avait donc fait application du délai de cinq ans en prenant comme point de départ la date de conclusion du cautionnement, c’est-à-dire le 7 février 2005. Ce raisonnement conduisait à conclure que l’action en nullité, intentée le 4 juin 2012, était prescrite. Mais l’arrêt est cassé :

« l’action en nullité d’une sûreté accordée par une société civile en garantie de la dette d’un associé, qui vise à faire constater une nullité absolue, était soumise à la prescription trentenaire de l’article 2262 du code civil, dans sa rédaction alors applicable (…) ».

En composant avec les règles transitoires de l’article 26 de la loi du 17 juin 2008, la prescription de l’action en nullité de la SCI était acquise le 19 juin 2013. L’action devait donc être accueillie.

Sauf erreur de notre part, il est affirmé pour la première fois par la Cour de cassation que la nullité d’un tel cautionnement est une nullité absolue. Cette qualification justifie sans doute la publication de l’arrêt au Bulletin d’information de la Cour.

La qualification

La distinction entre les nullités absolue et relative tient à la finalité de la règle violée : si celle-ci protège un intérêt particulier, la nullité est relative mais si celle-ci protège l’intérêt général, la nullité est absolue. La critère, bien qu’il soit difficile à manier, a été consacré par la réforme du 10 février 2016 (c. civ., art. 1179).

Dans l’arrêt rapporté, la Cour de cassation rejette très clairement l’idée de la cour d’appel selon laquelle la nullité du cautionnement est une nullité relative au motif que la règle violée viserait à protéger les intérêts de la SCI. Elle affirme au contraire que la nullité est absolue, ce qui laisse entendre que l’intérêt protégé dépasse celui de la société.

En effet, il paraît exclu que l’« intérêt général » soit réductible à l’« intérêt social ». Ce dernier est celui d’une personne : la société. Il est donc nécessairement un intérêt particulier. L’intérêt protégé est donc plus vaste.

Vient alors une première question : quelle est la règle qui serait violée par la conclusion d’un cautionnement en garantie de la dette d’un associé et qui aurait pour but la protection de l’intérêt général ? Il ne peut s’agir, semble-t-il, que de celle qui figure au sein de l’article 1849 du code civil : « dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l’objet social ».

Une seconde question se pose alors : en quoi cette règle protégerait-elle l’intérêt général ? Peut-être l’intérêt général visé est-il celui des associés qui, rappelons-le, répondent indéfiniment des dettes sociales (c. civ., art. 1857). Mais s’agit-il vraiment d’un intérêt « général » ? Peut-être est-il donc plutôt celui du marché ? Au fond, une société civile est une entité économique à part entière dont il faut préserver la capacité d’investissement. Ceci passe par la protection de son financement qui ne doit pas être obéré en faveur de l’un de ses associés.

Ses conséquences

Une telle qualification ne sera pas sans conséquences.

Le spectre de la nullité pèsera encore plus qu’avant puisque le ministère public, ainsi que toute personne justifiant d’un intérêt, pourront demander la nullité du cautionnement accordé par une SCI en garantie de la dette d’un de ses associés (c. civ., art. 1180, al. 1). En outre, ce cautionnement ne pourra jamais être couvert par la confirmation (c. civ., art. 1180, al. 2).

Et les dirigeants sociaux seront les premiers concernés car ils devront composer avec des incertitudes substantielles. On sait que la jurisprudence admet la validité d’un cautionnement accordé par une SCI sous deux conditions. Le cautionnement doit, d’une part, être conforme à l’intérêt social et, d’autre part, être consenti à l’unanimité des associés. Manière de ne pas interdire purement et simplement un acte qui, par hypothèse, est en dehors de l’objet social. Mais l’application de ces critères n’est pas aisée.

Cela tient au fait qu’ils sont cumulatifs. Il s’ensuit, notamment, que le seul fait que le cautionnement ait été consenti à l’unanimité n’est pas suffisant (Cass. civ., 3ème, 12 sept. 2012). La Cour de cassation vérifie donc systématiquement que le cautionnement est conforme à l’intérêt de la société. Mais dans quel cas l’est-il ? Et dans quel cas ne l’est-il pas ? Tout est question de circonstances.

Dans l’absolu, le cautionnement est contraire à l’intérêt social s’il est préjudiciable à la société, soit parce qu’il porte sur son unique bien (Cass. com., 23 sept. 2014) soit parce qu’au terme d’un « bilan coût-avantage », il s’avère qu’il apporte à la société plus de risques que de profits (Cass. civ. 3ème, 15 sept. 2015).

En revanche, il est considéré comme conforme à l’intérêt de la société lorsqu’il est profitable à la société. Ainsi en est-il, par exemple, s’il a pour but de garantir l’emprunt effectué par l’un de ses associés afin que ce dernier libère son apport dans la perspective de nouveaux investissements (Cass. com., 2 nov. 2016). De même, lorsqu’il est consenti à une autre société, on recherchera s’il existe avec elle une « communauté d’intérêts », justifiant que la première se porte caution. Cette communauté peut, par exemple, résulter d’un bail qu’elle consentirait à la seconde sur son bien et dont elle tirerait ses seules ressources (Cass. civ. 1ère, 1er févr. 2000). Enfin, dans le cadre d’un groupe de sociétés, la communauté d’intérêts paraît présumée dans la mesure où la Cour de cassation semble valider les cautionnements consentis au bénéfice d’une autre société du groupe, au nom de l’« intérêt du groupe » (Cass. com., 10 févr. 2015).

En définitive, et probablement dans toutes les sociétés à risque illimité (v. Cass. com., 25 janv. 2005), la plus grande prudence s’impose lorsqu’un dirigeant conclut un contrat de cautionnement qui ne s’inscrit pas rigoureusement dans la lignée de l’activité sociale.

Clément BARRILLON
Maître de conférences à l’université Paris-Nanterre
Membre du Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique

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