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Vers une réécriture de l'article 1833 du code civil ?

Lettre CREDA-sociétés 2017-19 du 20 décembre 2017

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Déposée le 1er décembre 2017 à l’Assemblée nationale, la proposition de loi « Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances » suggère de compléter l’article 1833 par la formulation suivante : « la société est gérée conformément à l’intérêt de l’entreprise, en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales »

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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Si l’on a pu prétendre que les débats sur l’intérêt social prenaient le plus souvent place dans les prétoires (sur le terrain de l’abus de biens sociaux, l’abus de majorité ou de minorité en assemblée ou encore de l’acte anormal de gestion en matière fiscale), ce constat doit aujourd’hui être tempéré, ce dont témoignent les controverses nouées autour des récentes propositions de réécriture de l’article 1833 du code civil.

On se souvient en effet que le projet de loi « Pour la croissance et l’activité » comportait dans sa version d’origine une réécriture de l’article 1833 du code civil, aux termes duquel « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ». Etait initialement envisagé l’ajout de la mention suivante : « Elle doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental ». Dans la même direction, il a été proposé dans une tribune, signée par des personnalités du droit et du monde des affaires, une nouvelle rédaction des articles 1832 et 1833 (« Pour une économie de marché responsable », Journal Le Monde, 15 nov. 2016).

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En outre, dans le cadre du « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises », lancé par le Gouvernement et sur la base duquel un projet de loi est attendu pour le printemps 2018 (une consultation en ligne est prévue pour janvier 2018), il serait proposé de redéfinir l’objet social en y incluant notamment la notion d'intérêt général économique, social et environnemental.

En parallèle, déposée le 1er décembre 2017 à l’Assemblée nationale, la proposition de loi « Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances » suggère de compléter l’article 1833 par la formulation suivante : « la société est gérée conformément à l’intérêt de l’entreprise, en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales ».

En complément d’une redéfinition de l’objet social, la proposition de loi (art. 8 bis) suggère la création d’un statut spécifique, celui de la société dite à mission, ayant pour particularité de poursuivre un « objet social étendu » (c’est-à-dire autre que financier, mais social ou environnemental). La société à mission serait en outre dotée d’un « comité de l’objet social étendu », comprenant au moins 40% de membres désignés directement ou indirectement par les salariés. Ce comité spécial aurait pour mission d’examiner la compatibilité des actions et décisions de gestion à l’objet social étendu (C. civ., prop. art. 1833-2, nouv.).

La proposition de loi prévoit par ailleurs :

  • Une refonte du dispositif de représentation des salariés au sein des conseils d’administration et de surveillance (prop. L., art. 2) ;
  • Un écart maximal de rémunération entre dirigeants et salariés (prop. L., art. 7).

Fortement discutée et controversée, la redéfinition de l’objet social appelle plusieurs observations sur le terrain du droit des sociétés.

Enjeux de la réécriture de l’article 1833

Faute de définition légale, la notion d’intérêt social divise : certains défendent que l’intérêt social est l’intérêt de l’entreprise, en ce sens qu’il englobe certes les intérêts des associés, mais également celui des salariés, des créanciers, des clients, voire de l’Etat... D’autres considèrent que l’intérêt social doit s’entendre comme l’intérêt propre de la société, donc l’intérêt financier des associés (par combinaison avec l’article 1832 cc : partager le bénéfice ou profiter de l'économie qui pourra en résulter). Cette dernière approche suscite une série de critiques : l'absence de référence à l'entreprise, l'absence de prise en compte des parties prenantes et la vision exclusivement financière de la finalité de la société.

A n’en pas douter, l’article 1er de la proposition du 1er décembre 2017 vise à répondre aux critiques formulées contre l’actuel article 1833 : « la société est gérée conformément à l’intérêt de l’entreprise [serait introduite une référence à l’entreprise], en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales [les parties prenantes seraient indirectement visées par cette formule, de même que des finalités complémentaires viendraient s’ajouter à la recherche de richesses ou d’une économie] ».

Toutefois, la référence à l’ « intérêt de l’entreprise » n’est pas sans inconvénient. Une telle organisation, dépourvue de personnalité juridique, peut-elle véritablement se trouver dotée d’un intérêt propre ?

En outre, la formulation proposée crée un intérêt social à géométrie variable, dans le temps : elle serait créée dans l’intérêt commun des associés, puis gérée en considération d’intérêts qui dépassent ceux des associés dans l’ordre interne. Or, cette dualité est intrinsèquement porteuse de conflits. Elle est susceptible d’influer sur le mode de gouvernance de la société et en particulier sur le point de savoir qui, des dirigeants ou des associés, détermine l’intérêt social. On a déjà pu avancer que les rédactions proposées protégeraient les dirigeants contre des actions initiées par des actionnaires mécontents et fondées sur des actes qui ne défendraient pas leur propre intérêt. A cet argument, d’autres ont pu augurer que cette latitude, conférée aux dirigeants en conséquence de la formulation d’objectifs sociétaires aussi généraux, risquerait de leur donner le pouvoir d’aller à l’encontre de la volonté commune des associés. La hiérarchie des organes sociaux ne risquerait-elle pas d’être bouleversée ?

Enjeux de la création d’une nouvelle société, dotée d’un statut et d’un régime spécifiques

La société dite à mission est définie à l’article 8 bis de la proposition comme « la société dont les statuts comportent la mention d’un objet social étendu, autre que le partage des bénéfices ou la réalisation d’une économie, et consistant à assigner à l’activité de la société un objectif social, environnemental, scientifique ou humain d’intérêt collectif » (C. civ., prop. art. 1833-1, nouv.).

L’initiative de la création d’une « société à mission » semble répondre aux lacunes soulevées par les opposants de l’appel collectif publié en novembre 2016, selon lesquels la refonte de l’article 1833 nécessiterait sans doute l’instauration d’une nouvelle structure sociétaire. Mais la formulation proposée ne serait-elle pas contre-productive ou à tout le moins restrictive ? Une société ne pourrait-elle pas poursuivre, à la fois le partage des bénéfices et un objectif à portée sociale ou environnementale, sans recourir à la forme (et au régime) de la société à mission ?

Dans le sillage de la loi n° 2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, du 27 mars 2017, les propositions présentées sont dotées d’une charge symbolique forte. Nous pouvons tout de même douter qu’une réécriture des articles définissant les sociétés (1832) et leurs finalités (1833) constitue une voie véritablement adaptée pour concilier l'intérêt financier des investisseurs avec celui des autres parties prenantes, notamment les salariés, voire la société civile dans son ensemble, par la poursuite d’une vision durable.

Marine Michineau
Maître de conférences Université Paris Nanterre

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