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"L'entreprise, objet d'intérêt collectif"

Lettre CREDA-sociétés 2018-04 du 21 mars 2018

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Positionner l’entreprise comme l’acteur d’un intérêt plus vaste que le sien, une idée déjà ancienne reprise par le rapport Notat-Senard rendu public le 9 mars 2018.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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Cette volonté est à la fois celle d’une partie du monde des affaires, de certains députés et du Gouvernement lui-même (V. Lettres CREDA). Dans la lignée du PACTE, ce dernier a chargé, au début du mois de janvier dernier, Mme Nicole Notat et M. Jean-Dominique Senard d’une mission sur l’entreprise et l’intérêt général.

Après de nombreuses auditions, le rapport intitulé « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » a été rendu public le 9 mars 2018. C’est donc un ternaire « entreprise » - « objet » - « intérêt collectif », qui a été choisi pour rendre compte des réflexions menées. Et cela appelle immédiatement quelques observations.

  • « Entreprise », d’abord. Le terme est général et fait référence à la dynamique de création (rapport, p. 23 et s.) mais, concrètement, la quasi-totalité des recommandations du rapport concerne les sociétés. Les entrepreneurs individuels, en particulier, ne sont pas évoqués.
  • « Objet », ensuite. Le rapport défend l’idée que la société doit être, encore plus qu’à l’heure actuelle, investie dans les défis environnementaux et sociaux et plus seulement connue comme un vecteur de profit. Plus qu’un objet : un « sujet », un véritable acteur, avec une « raison d’être » sociétale.
  • « Intérêt collectif », enfin. Prudemment, le rapport (p. 15 et p. 38 et s.) a souhaité éviter de faire référence à la notion d’intérêt général. Pour autant, la notion d’intérêt collectif est encore difficile à cerner : ce n’est pas l’intérêt des associés dont il est question, ni même l’intérêt de ceux que l’on nomme les « parties prenantes » (par référence aux stakeholders connus outre-Atlantique), mais un intérêt plus vaste, regroupant les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité sociale. Intérêt général, donc, malgré tout ?

    La société, acteur d’un intérêt plus vaste que le sien qui confine à l’intérêt général : voici donc l’objectif vers lequel devrait tendre notre droit des sociétés et, pour y parvenir, 14 pistes sont proposées, dont nous tenterons d’abord d’esquisser une synthèse.

    En synthèse

    En espérant ne pas trahir la pensée de ses rédacteurs, il semble que la stratégie choisie par le rapport soit de responsabiliser trois acteurs dans la démarche sociale et environnementale : la société elle-même, ses dirigeants et ses parties prenantes.

    • La société. Le rapport propose d’inciter les sociétés elles-mêmes par le système de la labellisation. Labellisation nationale, d’une part, avec les « entreprises à mission » et les « labels RSE ». Labellisation supranationale, d’autre part, avec la création de labels européens.
    • Ses dirigeants. Les dirigeants auraient la charge d’élaborer la stratégie sociale et environnementale de la société et éventuellement de définir sa « raison d’être » au regard de ces enjeux. Leur rémunération pourrait comporter une partie variable dépendant du résultat atteint en ce domaine. Le rapport suggère incidemment (recom. n° 1) qu’ils pourraient engager leur responsabilité civile et s’exposer à une révocation s’ils omettaient de considérer ces enjeux.
    • Ses « parties prenantes ». Les salariés et, plus généralement, toutes les « parties prenantes » devraient être davantage associés à l’élaboration des décisions stratégiques, par un renforcement de leur présence dans les instances de direction pour les premiers, et par la création de comités spécifiques pour les seconds.

     

    En détail

    « Cinq recommandations d’ordre législatif »

    • Recommandation n° 1 : ajouter un second alinéa à l’article 1833 du Code civil dans les termes suivants : « (…) La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
    • Recommandation n° 2 : confier aux conseils d’administration et de surveillance la formulation d’une « raison d’être » visant à guider la stratégie de l’entreprise en considération de ses enjeux sociaux et environnementaux.
    • Recommandation n° 6 : renforcer à partir de 2019 le nombre d’administrateurs représentant les salariés obligatoirement nommés dans les conseils d’administration ou de surveillance des sociétés comportant plus de 1000 salariés (v. c. com., art. L. 225-27-1). Le souhait d’étendre cette possibilité aux SAS (atteignant les mêmes seuils ?) a été formulé.
    • Recommandation n° 7 : envisager d’étendre le dispositif de représentation des salariés dans les conseils aux sociétés employant entre 500 et 1 000 salariés après avoir obtenu un retour d’expérience sur le dispositif existant.
    • Recommandation n° 8 : doter les SAS de plus de 5 000 salariés d’un conseil d’administration ou de surveillance auquel serait applicable les règles des SA.

     

    « Trois recommandations concernant des cadres juridiques optionnels »

    • Recommandation n° 11 : ajouter un second alinéa à l’article 1835 du Code civil (déterminant le contenu obligatoire des statuts et l’exigence d’un écrit) dans les termes suivants : « (…) L’objet social peut préciser la raison d’être de l’entreprise constituée ».
    • Recommandation n° 12 : reconnaître dans la loi « l’entreprise à mission ».
    • Recommandation n° 14 : assouplir la détention de participations majoritaires par les fondations et envisager la création de « fonds de transmission et de pérennisation des entreprises ».

     

    « Six recommandations à l’attention des praticiens et des administrations »

    • Recommandation n° 3 : accompagner le développement de labels RSE et faire de la RSE un outil de renforcement du dialogue social dans les branches professionnelles.
    • Recommandation n° 4 : inciter (ex. par les codes de gouvernance) les grandes entreprises à se doter d’un « comité des parties prenantes », guidant les réflexions du conseil d’administration. Intégrer la stratégie RSE dans la réflexion du conseil d’administration.
    • Recommandation n° 5 : développer les critères RSE dans les rémunérations variables des dirigeants.
    • Recommandation n° 9 : engager une étude sur le comportement responsable de l’actionnaire, dans la continuité de la réflexion enclenchée sur l’entreprise.
    • Recommandation n° 10 : engager une étude sur l’évolution des normes comptables afin qu’elles puissent servir l’intérêt général et la considération des enjeux sociaux et environnementaux.
    • Recommandation n° 13 : envisager la création d’un acteur européen de labellisation pour labelliser les entreprises à mission européenne.

    Il reste à se demander si ces suggestions, et à tout le moins les « cinq recommandations d’ordre législatif », guideront la rédaction du projet de loi PACTE qui est actuellement en préparation…

     

    Clément BARRILLON
    Maître de conférences à l’université Paris-Nanterre
    Membre du Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique

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