Sorry, you need to enable JavaScript to visit this website.

Terme social : réduire n'est pas dissoudre

Lettre CREDA-sociétés 2019-03 du 20 février 2019

visuel_lettres_creda visuel_lettres_creda

La réduction de la durée d'une société n'a pas pour conséquence d'entraîner sa dissolution anticipée.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

Les dernières lettres creda-sociétés

abonnement creda sociétés

Les décisions concernant la question du terme social sont fréquentes devant la Cour de cassation et visent principalement deux questions différentes : jusqu’à quand peut-on proroger une société (Cass. com., 20 décembre 2017, n°16-19283), et que se passe-t-il lorsqu’une société continue d’exercer son activité alors que son terme est échu (Cass. civ. 1ère, 13 décembre 2005, n°02-16605) ?

Plus rares sont, en revanche, les décisions concernant une réduction du terme social (Cass. com., 18 juin 1973, n° 72-12272), acte par lequel les associés entendent non pas arrêter une activité sociale peu ou plus conforme à leurs attentes, mais écourter la durée de vie de la société, quelle qu’en soit la raison. L’arrêt rendu le 28 novembre 2018 par la chambre commerciale concerne cette question.

Quatre personnes constituent entre elles un Groupement forestier en 1997, pour une durée de 99 ans. Le 5 juillet 2013, l’assemblée générale extraordinaire de cette société civile décide à la majorité des deux-tiers – en conformité avec les statuts – de réduire la durée du groupement de 80 ans, la faisant passer de 99 à 19 ans. Un associé assigne alors le groupement et ses coassociés afin d’obtenir l’annulation de la délibération ayant modifié les statuts, au motif que la réduction de la durée de la société avait pour effet d’anticiper sa dissolution, et aurait nécessité, selon lui, la réunion de l’unanimité fixée par les statuts pour une telle décision.

Les juges du fond rejettent sa demande, suivis, sur ce point, par la chambre commerciale de la Cour de cassation, à la suite d’un raisonnement en deux temps :

  • D’abord, la chambre commerciale pose le principe selon lequel « la réduction de la durée d’une société n’a pas pour conséquence d’entraîner sa dissolution anticipée » ;
  • Ensuite, elle approuve l’analyse des statuts effectuée par la cour d’appel pour déterminer la majorité applicable à cette décision. Il en ressort que cette décision, qui n’est pas une dissolution anticipée, ne doit pas être votée à l’unanimité, mais à la majorité des deux-tiers statutairement prévue.

Pour autant, l’arrêt d’appel est censuré sur un fondement de l’article 455 du Code de procédure civile, les juges du fond n’ayant pas répondu dans leur décision à un argument avancé par l’associé contestant la décision.

Le rappel de la notion de dissolution anticipée

Au sens de l’article 1844-7 du Code civil, figurent parmi les cas de dissolution les hypothèses de survenance du terme social, ainsi que la décision expresse de dissolution votée par les associés.

Ces deux hypothèses ne correspondent toutefois pas au cas soumis à la Cour de cassation :

  • Il ne s’agit pas d’une dissolution décidée par les associés, ceux-ci ayant uniquement décidé une réduction de la durée de la société ;
  • Il ne s’agit pas plus d’une dissolution du fait de la survenance du terme social, les associés ayant voté en 2013 une modification des statuts en vertu laquelle le terme social échoirait en 2016.

La conclusion de la chambre commerciale apparaît alors logique : la décision par laquelle les associés réduisent la durée du terme social « n’a pas pour conséquence » d’entrainer la dissolution de la société.

Pour autant, on peut discuter la formule générale employée par la Cour. Il est vrai qu’au cas particulier, la décision des associés ne pouvait pas être assimilée à une dissolution, un délai de trois ans séparant la date d’effet de la décision et la survenance du terme. Il était donc encore possible de proroger le terme social par la suite, selon les modalités de l’article 1844-6 du Code civil. Mais qu’en aurait-il été d’une réduction du terme social plus courte encore ? Dans ce cas, il n’est pas certain que la formule de la Cour de cassation soit toujours adaptée.

A considérer que la réduction du terme social soit telle qu’il existe un court délai entre la date de la décision et le nouveau terme social, il serait plus difficile d’affirmer que cette décision n’a pas pour conséquence d’entraîner la dissolution de la société. La prorogation deviendrait difficile, sinon impossible. Dès lors, la réduction de la durée du terme social aurait bien pour conséquence d’entraîner la dissolution de la société, faute de délai suffisant pour la proroger.

L’attendu semble alors bien péremptoire, car ne correspondant pas à toutes les hypothèses. Affirmer que la réduction du terme social n’est pas la dissolution de la société est l’évidence ; affirmer – comme la Cour de cassation – qu’elle n’a pas pour conséquence d’entraîner la dissolution est plus discutable. L’inclusion d’un adverbe qui aurait permis de nuancer le propos l’aurait rendu plus exact, car la réduction de la durée du terme social n’a pas nécessairement pour conséquence d’entraîner la dissolution anticipée de la société…

La voie de l’abus

La chambre commerciale, par sa censure, semble toutefois laisser ouverte une autre possibilité de contester une telle décision de réduction du terme social, sans pour autant se prononcer sur son application : l’associé demandeur soulevait en outre l’existence d’un abus de majorité.

Deux éléments sont, depuis la jurisprudence Schumann-Piquard (Cass. com., 18 avril 1961), exigés pour la réunion d’un abus de majorité :

  • Une décision contraire « à l’intérêt général de la société ». Il conviendra de prouver alors en quoi cette décision de réduction du terme social fait peser un risque sur l’intérêt social. La décision contestée rapprochant la date de la dissolution de la société, la contrariété à l’intérêt social pourrait être retenue ;
  • Une décision prise dans l’unique dessein de favoriser les intérêts des majoritaires. Il conviendrait ici de prouver en quoi cette réduction du terme social caractériserait une rupture d’égalité, favorisant plus le bloc majoritaire que la minorité. Ce dernier point est plus délicat à démontrer et la décision manque – à l’évidence – d’éléments de fait permettant d’identifier ce critère.

Il reviendra donc aux juges de renvoi de vérifier si un tel abus de majorité a été commis. En cas de réponse positive de leur part, la décision litigieuse serait annulée (Cass. com., 6 juin 1990, n°88-19420, n°88-19783). Reste alors à identifier le sort de cette société – sans doute dissoute aujourd’hui en raison de l’arrivée de son terme – si la cour d’appel de renvoi décide d’annuler la décision litigieuse et de maintenir l’expiration de son terme social à 2096, soit le terme initial. Les juges du fond pourraient-ils alors faire revivre une telle société qui n’aurait, par le jeu de la nullité, jamais dû être dissoute ?

Matthieu Zolomian
Maître de conférences en droit privé à l’Université Jean Monnet

...

Partager
/v