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Administrateur réputé démissionnaire d'office et vote utile ?

Lettre CREDA-sociétés 2022-16 du 2 novembre 2022

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L’arrêt du 12 octobre 2022 (Cass. com., 12 octobre 2022, n° 19-18945, FS-B), publié, est très riche. En particulier, il juge valables les délibérations auxquelles a pris part un administrateur pourtant démissionnaire d’office, dès lors que le quorum et la majorité pour adopter les décisions en cause restent atteints, une fois sa participation retranchée.

 

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Les faits, complexes, concernaient une SA Glowria dont le capital social « était détenu » par différents fonds (FCPI et FCPR), représentés par leur société de gestion, ainsi que par différentes sociétés et personnes physiques. Le conseil d’administration de la SA était composé de 5 membres dont les 2 sociétés de gestion. Confrontée à des difficultés financières et après des recherches d’investisseurs infructueuses, la SA désignait, le 15 mai 2007, un nouveau P-DG, M. L. Le 28 juin suivant, deux assemblées votaient diverses opérations sur capital (dont un coup d’accordéon), auxquelles une partie seulement des actionnaires participait. Trois minoritaires (dont l’ancien P-DG), qui n’avaient pas pris part à ces opérations, sollicitaient l’annulation de certaines délibérations et le paiement de dommages-intérêts.

En substance, ils reprochaient à certains administrateurs la violation de la condition de détention d’actions prévue à l’article L. 225-25 du Code de commerce, dans sa version antérieure à la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, et prétendaient que leur participation irrégulière qui en résultait avait vicié les délibérations du conseil. En effet, selon ce texte, chaque administrateur devait impérativement être propriétaire d’un nombre d’actions de la société déterminé par les statuts, sous peine d’être réputé démissionnaire d’office si, dans les 3 mois de sa nomination, l’intéressé n’avait pas régularisé sa situation. Or, d’après les minoritaires, tel était le cas des sociétés de gestion, auxquelles il appartenait de remplir « personnellement » cette condition. Concrètement, les minoritaires avançaient que ces sociétés ne pouvaient prétendre qu’elles n’étaient pas démissionnaires d’office en ce qu’elles n’avaient pas à justifier de leur qualité d’actionnaire dès lors qu’elles ne siégeaient pas en leur nom propre au conseil d’administration de la société. Une critique proche était formulée à l’encontre du nouveau P-DG, M. L, qui, faute d’avoir régularisé sa situation dans les 3 mois de sa nomination, devait lui aussi, au 15 août 2007, être réputé démissionnaire d’office.

Les prétentions des minoritaires sont rejetées en appel, et si la cassation de l’arrêt intervient, c’est sur un fondement procédural. Ici, seule nous retiendra l’incidence de la démission d’office d’un administrateur sur la validité des délibérations du conseil. Soulignons toutefois, en raison de son intérêt et de sa portée, la position libérale adoptée par la Cour de cassation, qui estime qu’une société de gestion d’un FCPI désignée administratrice satisfait à l’exigence de l’article L. 225-25, lorsque le fonds qu’elle représente, en application des dispositions légales qui lui sont propres, « détient » des actions de la SA administrée, peu important que ce fonds soit dépourvu de la personnalité juridique. Aussi, les sociétés de gestion ne pouvaient être réputées démissionnaires d’office.

L’incidence de la participation d’un membre réputé démissionnaire d’office sur la validité des délibérations du conseil d’administration

La Cour de cassation commence par approuver les juges parisiens d’avoir opéré une distinction, s’agissant de la condition de détention d’actions, entre la période antérieure et celle postérieure à la démission d’office. En somme, et cela est logique, tant que l’administrateur, en l’espèce le P-DG, disposait d’une faculté de régularisation, il ne pouvait être réputé démissionnaire d’office et sa participation était indifférente à la validité des délibérations. Il en résulte que la démission d’office n’a pas de portée rétroactive. De façon plus originale ensuite, les hauts magistrats confirment l’arrêt d’appel pour avoir exactement déduit que les délibérations postérieures au 15 août 2007 auxquelles avait pris part le P-DG, « n’encouraient pas non plus l’annulation dès lors que, M. [L] étant le seul démissionnaire d’office, le quorum du conseil d’administration restait atteint et que les décisions prises avaient été adoptées à la majorité requise ».

Il s’agit là de l’apport essentiel de l’arrêt. D’abord, bien que rendue sous l’empire du droit antérieur à la loi du 4 août 2008, la solution conserve son intérêt en droit positif. En effet, si cette condition de détention d’actions n’est plus obligatoire pour les administrateurs, les statuts peuvent encore la prévoir (égal. pour les membres du conseil de surveillance, C. com., art. L. 225-72).

Ensuite, on peut approuver l’arrêt de ne pas retenir une conception « automatique » de l’influence qu’exerce la participation irrégulière d’un membre sur la validité des délibérations d’un conseil d’administration, comme avait pu le faire, de façon excessive s’agissant du même article L. 225-25, une cour d’appel (Versailles, 23-2-2010, RG n° 08/08044 ; contra dans l’hypothèse où 5 membres sur 6 étaient réputés démissionnaires d’office : Com. 6-5-1974, n° 73-10.598). On le peut d’autant plus que, dans des situations proches, notamment s’agissant de la limite d’âge que doivent prévoir les statuts, le législateur écarte expressément le risque de nullité (not. C. com., art. L. 225-19, L. 225-60, L. 225-70). Il reste toutefois qu’en statuant de la sorte, la haute juridiction fait application, au cas particulier, de la théorie dite du « vote utile ».

La consécration du vote utile ?

Selon cette théorie, une décision prise à la majorité reste valable si le retranchement ou l’ajout de la voix de celui qui n’aurait pas dû ou qui aurait dû participer est indifférent pour le décompte du quorum et le calcul de la majorité. Peu importe donc l’influence participative exercée par un membre sur le sens de la décision. Notons d’ailleurs en l’occurrence, que peu importe également la fonction et les pouvoirs de l’intéressé, car la Cour de cassation ne répond pas à l’argument des minoritaires, qui soutenaient « que la démission d’office du président du conseil d’administration, qui convoque le conseil d’administration, organise et dirige les travaux de celui-ci, et dispose d’une voix prépondérante en cas de partage des voix, affecte nécessairement la validité des décisions qui sont prises sous sa présidence ». On le voit, le vote utile est à rebours de la collégialité du conseil d’administration, qui fait en principe de la délibération préalable au vote une condition essentielle de validité de la décision prise.

Pourtant, la Cour de cassation est parfois plus exigeante. On le sait pour les associés, dont certes la situation est différente (Civ. 3e, 8-7-2015, n° 13-27248 ; Civ. 3e, 21-10-1998, n° 96-16537). Mais on le sait aussi pour le conseil d’administration motif pris de sa composition irrégulière (Com. 24-4-1990, nos 88-17218 et 88-18004, censurant un arrêt ayant jugé que des nominations irrégulières d’administrateurs « n’avaient pas exercé d’influence sur les décisions du conseil ainsi constitué dès lors que le groupe Y... y était majoritaire avant même ces nominations »).

Faut-il alors y déceler une évolution vers plus de « souplesse », voire un revirement ? Cela n’est pas évident et ce, d’autant que dans l’affaire de 1990, c’était la nomination des membres qui était irrégulière parce qu’elle procédait d’un abus de majorité. A notre avis, pour résoudre l’équation de la validité des décisions d’un conseil, il conviendrait de prendre en compte deux éléments au moins.

Le premier tient à la gravité du motif à l’origine de la participation irrégulière. Il convient probablement de traiter différemment le non-respect d’une condition de détention d’actions ou de limite d’âge, et le cas dans lequel, par exemple, des administrateurs de catégorie n’auraient pas été désignés.

Le second procède de ce que les administrateurs exercent un pouvoir, de sorte que c’est à la lumière de l’intérêt social que les irrégularités de leur participation doivent aussi être appréciées, même si, au cas particulier, il n’est pas possible de se prononcer sur ce point.


Julien Delvallée
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay

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