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L'application de la réforme du droit des contrats aux contrats en cours

Lettre CREDA-sociétés 2017-16 du 15 novembre 2017

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L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 prévoyant que les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeureraient soumis à la loi ancienne, on pouvait légitimement penser que la question de l'application dans le temps de la réforme était réglée. Or, à au moins quatre reprises, la Cour de cassation a fait application de l’ordonnance de manière anticipée, ce qui n’a pas échappé aux membres de la commission des lois du Sénat qui ont récemment tenté de mettre fin à ce courant jurisprudentiel.

 

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L’activité d’une société, tout comme son fonctionnement, repose sur la conclusion de contrats, ce qui suppose de connaître le droit qui leur est applicable. Or, en ce domaine, les certitudes sont diffuses.

La question de l'application dans le temps de la réforme du droit des contrats par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 semblait avoir été réglée par ses rédacteurs qui avaient différé son entrée en vigueur au 1er octobre 2016 (ord., art. 9). Le texte prévoyait que les contrats conclus avant cette date demeuraient soumis à la loi ancienne, même si, par exception, ce principe était écarté pour trois textes introduisant des actions dites « interrogatoires » (c. civ., art. 1123, al. 3 et 4 ; art. 1158 ; art. 1183). Le lecteur avait donc le sentiment que les risques d'application anticipée de l'ordonnance avaient été réduits à leur minimum.

Et pourtant, avec quelques mois de recul, le constat est très différent. À au moins quatre reprises, la Cour de cassation a fait application de l’ordonnance de manière anticipée, ce qui n’a pas échappé aux membres de la commission des lois du Sénat qui ont récemment tenté de mettre fin à ce courant jurisprudentiel.

L’application anticipée de la réforme en action

Trois signaux permettent d’établir l’application anticipée de la réforme par la Cour de cassation. D’abord, la Cour a sanctionné par la nullité un vice « incident » du consentement. Ensuite, elle a consacré la théorie moderne des nullités dans les termes de la réforme, en l’appliquant au mandat d’agence immobilière. Enfin, elle a fait usage des principes nouveaux en matière d’offre et de promesse de contrat.

« Vice incident » et nullité.

Un premier arrêt (Cass. com., 30 mars 2016, n° 14-11.684) a admis que soit sanctionné par la nullité le « dol incident » (c’est-à-dire le dol qui est tel que, sans lui, le contractant aurait contracté à des conditions différentes) dans une cession de titres sociaux.

Jusqu’alors, à l’exception de deux décisions (Cass. civ. 1ère, 22 déc. 1954 : D. 1955, p. 254 ; civ. 3ème, 22 juin 2005, n° 04-10.415), la nullité semblait écartée à la faveur de simples dommages et intérêts.

À cette analyse traditionnelle, la cour de cassation a préféré les principes contenus dans la réforme du droit des contrats. Cette réforme, en effet, a fait le choix d’une analyse plus moderne, d’une part, en consacrant la notion générale de « vice incident » et, d’autre part, en adossant à cette notion la sanction de la nullité (c. civ., art. 1130 et 1131).

Théorie moderne des nullités.

Par la suite, deux arrêts (Cass. ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411 et Cass. civ. 1ère, 20 sept. 2017, n° 16-12.906) ont fait application de la théorie moderne des nullités, dans des termes qui révèlent une volonté d’appliquer par anticipation la réforme et qui ont conduit à un revirement en matière de mandat d’agence immobilière. Selon ces deux arrêts :

 « l'évolution du droit des obligations résultant de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, d'après laquelle la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l'intérêt général et relative lorsque cette règle a pour objet la sauvegarde d'un intérêt privé, a conduit la Cour de cassation à apprécier différemment l'objectif poursuivi par certaines des prescriptions formelles que doit respecter le mandat de l'agent immobilier et à décider que, lorsqu'elles visent la seule protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire, leur méconnaissance est sanctionnée par une nullité relative ».

C’est donc l’exact contenu de l’actuel article 1179 du code civil qui a été utilisé comme attendu de principe, ce qui scelle la disparition de la théorie classique des nullités (qui distinguait, pour établir le caractère relatif ou absolu de la nullité, selon la gravité du vice) au profit de la théorie moderne (qui distingue, pour établir le caractère relatif ou absolu de la nullité, selon l’intérêt – général ou particulier – que protège la règle violée).

Offre et promesse de contrat.

Enfin, la chambre sociale (Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20.103) a fait évoluer sa jurisprudence au motif que :

« l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail ».

Ceci étant affirmé, les textes applicables à la cause ont été interprétés à la lumière des textes nouveaux régissant l’offre de contrat (c. civ., art. 1114 à 1116) et la promesse unilatérale de contrat (c. civ., art. 1124), ce qui revient, une fois encore, à faire application de manière anticipée de la réforme du droit des contrats.

Dans chacun de ces cas, la Cour a fait évoluer sa jurisprudence pour la faire coïncider avec les règles nouvelles, ce qui peut être analysé comme une application anticipée de la réforme.

L’application anticipée de la réforme en question

Saisie de ce constat, la commission des lois du Sénat a très récemment souhaité « trancher clairement la question de l’application de la loi nouvelle aux contrats en cours » (Rapport n° 22 sur le projet de loi de ratification, p. 23). Mais l’expression interroge immédiatement : les dispositions transitoires de l’ordonnance du 10 février 2016 (art. 9 préc.) ne s’y efforçaient-elles pas déjà ?

Quoi qu’il en soit, la « petite loi » adoptée par le Sénat le mardi 17 octobre 2017 propose de modifier, par ajout, l’alinéa 2 de l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016, de la façon suivante : « les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public ».

Ceci appelle deux séries d’observations.

Sur la lettre, d’abord. On comprend mal la référence aux « dispositions d’ordre public » puisque le seul caractère impératif d’un texte ne suffit pas pour faire application d’une loi nouvelle à un contrat en cours (v. toutefois Cass. civ. 3ème, 9 févr. 2017, n° 16-10.350). En revanche, mentionner les « effets légaux » est déjà plus opportun dans la mesure où la Cour de cassation se fonde régulièrement sur le « statut légal » du contrat pour appliquer une loi nouvelle à un contrat en cours d’exécution, parfois même en dépit de dispositions transitoires contraires (Cass. civ. 3ème, 17 nov. 2016, n° 15-24.552). Ceci étant, dans les quatre décisions rapportées, ce n’est pas le concept de « statut légal » qui a été utilisé pour appliquer de façon anticipée la réforme mais la liberté d’interprétation du juge. Cet ajout est-il, en conséquence, vraiment utile ?

Sur l’esprit, ensuite. Il est permis de douter de l’efficacité d’une telle démarche, dans son ensemble. Et pour cause, si les dispositions transitoires d’un texte nouveau peuvent avoir prise sur l’application d’un texte ancien, elles ne sont d’aucun secours lorsque la règle ancienne est jurisprudentielle et non textuelle. Le juge est parfaitement libre d’opérer des revirements de jurisprudence, en particulier à la lumière des textes nouveaux. Le législateur tente ici de guider l’interprétation du juge, mais il est peu vraisemblable que la Cour de cassation se laisse impressionner par une telle démarche.

Reste à se demander si cette « application par anticipation » vaudra pour l’ensemble de la réforme…

Clément BARRILLON
Maître de conférences à l'université Paris-Nanterre
Membre du Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique

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