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Capitaux propres devenus inférieurs à la moitié du capital social : réforme du dispositif légal

Lettre CREDA-sociétés 2023-12 du 6 septembre 2023

Creda 2022 D Creda 2022 R

La loi du 9 mars 2023 a réformé les règles applicables aux SARL et aux sociétés par actions lorsque leurs capitaux propres sont tombés à un niveau inférieur à la moitié de leur capital social. Les articles L. 223-42 et L. 225-248 du code de commerce ont donc été partiellement réécrits, dans le dessein d’éloigner le risque de dissolution.

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Ce dispositif vise à éviter qu’une déconnexion trop importante ne se produise entre le capital social et les capitaux propres. Dans les sociétés à risque limité, le capital social constitue, dit-on, le principal gage des créanciers sociaux. L’on sait cependant que, intangible en principe, sa signification est relative car il ne représente que la somme des apports réalisés au moment de la constitution de la société, et ceux consécutifs à d’éventuelles augmentations de capital ultérieures. Il reste qu’il s’agit d’un élément d’information utile pour les tiers. Les capitaux propres, par nature évolutifs, sont en revanche une mesure qui renseigne bien davantage sur la situation réelle de la société, puisqu’ils prennent en considération les pertes (C. com., art. R. 123-191). Lorsque les capitaux propres sont tombés à un niveau bien inférieur à celui du capital social, la situation est présumée anormale, et appelle une intervention des associés.

Précisons que la réforme ne bouleverse pas en profondeur ce dispositif. Compte tenu des dernières crises (sanitaire et énergétique), il s’est agi d’éloigner encore davantage le risque (déjà hypothétique) d’une dissolution automatique à la demande de tout intéressé (Etude d’impact, p. 111). Une telle sanction apparaît par ailleurs en décalage avec l’article 58 de la directive du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés qui, tout en offrant aux législateurs nationaux une certaine souplesse, se contente d’exiger que l'assemblée générale soit convoquée « afin d'examiner s'il y a lieu de dissoudre la société ou d'adopter toute autre mesure ».

La nouvelle version est applicable depuis le 11 mars 2023, à l’exception des règles faisant référence à certains seuils, lesquelles le sont depuis le 27 juillet, date d’entrée en vigueur du décret. Dans les lignes qui suivent, il sera fait référence uniquement à l’article L. 225-248 (sociétés par actions), son libellé étant quasiment identique à celui de l’article L. 223-42 (SARL).

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Le point de départ reste le même. Ainsi, « si, du fait de pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, le conseil d'administration ou le directoire, selon le cas, est tenu dans les quatre mois qui suivent l'approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte, de convoquer l'assemblée générale extraordinaire à l'effet de décider s'il y a lieu à dissolution anticipée de la société ». Si les associés ne souhaitent pas une telle issue – et ceci est, de loin, le cas de figure le plus fréquent –, ils vont devoir régulariser la situation, sous peine d’exposer la société à une dissolution prononcée à l’initiative de tout intéressé. L’on relève à ce sujet plusieurs évolutions.

1. Clarifications au sujet des modalités de régularisation

Antérieurement, la société devait réduire son capital d'un montant au moins égal à celui des pertes qui n'avaient pas pu être imputées sur les réserves (les SA et les SCA devant toutefois respecter le capital minimum de 37 000 euros). Cette régularisation devait intervenir au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes était intervenue. Fort logiquement, il était inutile d’y procéder lorsque les capitaux propres avaient, dans l’intervalle, été reconstitués à concurrence d’au moins la moitié du capital social.

Aujourd’hui, le texte (al. 2) prévoit que :

« Si la dissolution n'est pas prononcée, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue, de reconstituer ses capitaux propres à concurrence d'une valeur au moins égale à la moitié du capital social ou, sous réserve de l'article L. 224-2, de réduire son capital social du montant nécessaire pour que la valeur des capitaux propres soit au moins égale à la moitié de son montant. »

 

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n° 2023-12 du 6 septembre 2023

lettre creda du 6 septembre 2023

 

Il en ressort qu’il existe donc clairement deux procédés alternatifs de régularisation volontaire, sans rapport de subsidiarité, et dont l’effet est équivalent. Relevons que le texte ne semble envisager que la reconstitution volontaire des capitaux propres, à l’initiative, donc, des associés. En revanche, l’ancienne version visait l’hypothèse d’une reconstitution « involontaire », ne résultant pas d’une décision des associés mais tout simplement d’un ou de plusieurs exercices bénéficiaires. A la vérité, une telle reconstitution « involontaire » devrait toujours, en toute logique, permettre d’échapper à la dissolution ; l’alinéa 4 l’envisage d’ailleurs.

Est aussi réglé un point sujet à débats : en cas de réduction du capital, convenait-il ou non d’imputer la totalité des pertes n’ayant pas pu l’être sur les réserves ? Désormais, il est certain qu’il suffit de n’imputer que la fraction des pertes à même de porter les capitaux propres au niveau de la moitié du capital social (R. Mortier, Rev. soc. 2023, p. 343).

Le 3ème alinéa demeure, quant à lui, inchangé :

« Dans les deux cas, la résolution adoptée par l'assemblée générale est publiée selon les modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. »

2. Consécration d’une voie originale de régularisation

Deux nouveaux alinéas, qui prennent place aux 4ème et 5ème rangs ont été introduits. Le premier prévoit que :

« Si, avant l'échéance mentionnée au deuxième alinéa du présent article, les capitaux propres n'ont pas été reconstitués à concurrence d'une valeur au moins égale à la moitié du capital social alors que le capital social de la société est supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat en fonction de la taille de son bilan, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant cette échéance, de réduire son capital social, sous réserve de l'article L. 224-2, pour le ramener à une valeur inférieure ou égale à ce seuil ».

En plus d’accorder un délai supplémentaire de deux exercices pour procéder à la régularisation (par réduction du capital ou reconstitution des capitaux propres), il offre surtout une nouvelle porte de sortie. La société pourra en effet décider, dans ce délai, de réduire son capital à un niveau inférieur ou égal à un seuil très bas. S’agissant des SARL et des sociétés par actions autres que celles soumises une exigence de capital minimum, ce seuil a été fixé à 1 % du total du bilan de la société, constaté lors de la dernière clôture d'exercice (C. com., R. 223-37 et R. 225-166-1, a)). Pour les autres sociétés par actions, ce seuil est égal à la valeur la plus élevée entre, d’une part, 1 % du total du bilan, et d’autre part, le montant de capital social minimal associé à sa forme sociale (C. com., art. R. 225-166-1, b)).

Cette solution est justifiée en ces termes par l’étude d’impact : « L’objectif est de permettre que le capital social soit réduit à une valeur permettant de ne pas donner aux tiers l’idée d’une surface financière qui soit trop décorrélée de la réalité » (p. 115). L’on comprend que le capital social serait alors porté à un niveau si faible qu’il n’aura plus vocation à renseigner les tiers sur l’état de la société. Ce mode de régularisation devrait profiter aux sociétés qui, tout en ayant des capitaux propres peu élevés, demeurent bénéficiaires.
Ce dispositif favorable est neutralisé dès lors que la société procède à une augmentation de capital. En effet, aux termes du 5ème alinéa :

« Lorsque, en application du quatrième alinéa du présent article, la société a réduit son capital social sans pour autant que ses fonds propres aient été reconstitués et procède par la suite à une augmentation de capital, elle se remet en conformité avec les dispositions du même quatrième alinéa avant la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel a eu lieu cette augmentation. »

Dans ce cas, la société dispose à nouveau de deux exercices pour régulariser sa situation, et à défaut, elle devra, pour échapper à la dissolution, réduire, une fois de plus, son capital au seuil réglementaire.

3. Dispositions finales

Les deux derniers alinéas sont pour l’essentiel maintenus à l’identique. La sanction de la dissolution, bien que (très) subsidiaire, est conservée, puisqu’ « à défaut de réunion de l'assemblée générale, comme dans le cas où cette assemblée n'a pas pu délibérer valablement sur dernière convocation, tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société ».

La même sanction est encourue en cas de non-respect du nouvel alinéa 4. Cependant, le tribunal peut toujours accorder un délai de 6 mois à la société, et en toute hypothèse, il doit écarter la dissolution dès lors que la situation a été régularisée le jour où il statue sur le fond.

Enfin, l’ensemble du dispositif est, comme avant, inapplicable aux sociétés placées en sauvegarde ou redressement judiciaire, ou bénéficiant d’un plan.

Akram EL MEJRI
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

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