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Droit à l’erreur : il ne faut pas s’y tromper !

Lettre CREDA-sociétés 2018-14 du 26 septembre 2018

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La loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance consacre ce que l’on dénomme déjà couramment le « droit à l’erreur ». Pour autant, il apparaît que le droit à régularisation en cas d’erreur n’a pas comme champ naturel d’application le droit des sociétés.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

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L’article 2 de la récente loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance consacre ce que l’on dénomme déjà couramment le « droit à l’erreur ». Selon les termes du Gouvernement, il s’agit d’une « mesure emblématique » de cette loi, laquelle « s’adresse à tous les usagers – particuliers ou entreprises – dans leurs relations quotidiennes avec les administrations ».

Les sociétés sont donc bénéficiaires, au même titre que les particuliers, de cette mansuétude nouvelle, ce qui interroge immédiatement : le défaut de déclaration du bénéficiaire effectif pourrait-il, désormais, être invoqué sous le sceau du droit à l’erreur ? Et qu’en serait-il du non-respect des exigences de déclarations statistiques à la Banque de France en présence d’un investissement étranger en France ? L’imagination pourrait être encore plus fertile : deux sociétés qui, en amont d’une opération de fusion, auraient oublié de notifier à l’Autorité de la concurrence l’opération de concentration (C. com., art. L. 430-1 et s.) pourraient-elles se prévaloir du droit à l’erreur ? Il serait encore, parmi les nombreuses interrogations possibles, envisageable de s’interroger sur une déclaration inexacte de franchissement de seuil à l’AMF effectuée par un investisseur sur un marché réglementé : et si le droit à l’erreur permettait de se soustraire aux sanctions administratives ?

En réalité, toutes ces interrogations reçoivent une réponse négative si l’on examine le principe d’application du dispositif et ses exceptions.

Principe

Le droit à régularisation en cas d’erreur est consacré aux articles L. 123-1 et L. 123-2 du Code des relations entre le public et l’administration.

Rappelons que ce « code régit les relations entre le public et l’administration en l’absence de dispositions spéciales applicables » (CRPA, art. L. 100-1, al. 1). Son caractère supplétif exclut toutes les matières, comme le droit fiscal et le droit douanier, qui « organisent une procédure spéciale de régularisation des erreurs commises » (AN, Rapport n° 575 de M. S. Guerini, 18 janv. 2018, p. 85 ; v. égal. exposé des motifs).

Rappelons également qu’au sens de ce Code, le terme « public » désigne « toute personne physique » et « toute personne morale de droit privé, à l’exception de celles qui sont chargées d’une mission de service public lorsqu’est en cause l’exercice de cette mission » (CRPA, art. L. 100-3, 2°).

C’est dans ce cadre normatif que le nouvel article L. 123-1, al. 1, du Code des relations entre le public et l’administration s’insère :

« Une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l'objet, de la part de l'administration, d'une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d'une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l'administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué ».

À en croire l’étude d’impact réalisée, l’ambition de ce texte est de reconnaître « un droit de régulariser une erreur commise de bonne foi » (p. 26), ce qui induit notamment qu’elle ait été commise pour la première fois. Le texte exclut ainsi son application « en cas de mauvaise foi ou de fraude » (CRPA, art. L. 123-1, al. 2).

Exception

Les exceptions à l’application de ce dispositif sont de deux natures. Il y a, d’abord, celles qui sont explicitement visées par le texte ; il y a, ensuite, celles qui le sont implicitement.

Exceptions explicites

L’article L. 123-1, al. 3, du Code des relations entre le public et l’administration prévoit que le droit à régularisation en cas d’erreur prévu par le premier alinéa n’est pas applicable :

  • Aux sanctions requises pour la mise en œuvre du droit de l'Union européenne ;
  • Aux sanctions prononcées en cas de méconnaissance des règles préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement ;
  • Aux sanctions prévues par un contrat ;
  • Aux sanctions prononcées par les autorités de régulation à l'égard des professionnels soumis à leur contrôle.

La quatrième exception exclut du bénéfice du droit à régularisation en cas d’erreur certaines obligations de déclaration à l’AMF et de notification à l’Autorité de la concurrence. Mais, s’agissant des premières, dans la mesure où le droit à l’erreur est exclu seulement pour les sanctions prononcées « à l’égard des professionnels », ne serait-il pas, malgré tout, invocable en cas d’omission de déclaration de franchissement de seuils par un investisseur non-professionnel ? En tout état de cause, cela ne vaudrait que pour les sanctions administratives, et non pour les sanctions civiles (ex. privation des droits de vote, car il ne s’agit pas de sanctions prononcée par l’administration) ou pénales (C. com., art. L. 247-2, I, les sanctions pénales constituant des exceptions implicites à l’application du droit à l’erreur).

Exceptions implicites

Il existe au moins deux exceptions implicitement visées par le texte.

  • En consacrant un « droit à régularisation », le texte exclut implicitement mais nécessairement les « retards et omissions de déclaration dans les délais prescrits par un texte » dans la mesure où « seules les erreurs susceptibles d’être régularisées sont concernées », selon les termes de l’exposé des motifs. En matière d’investissements étrangers, pour les opérations devant impérativement être autorisées avant leur réalisation (C. mon. fin., art. L. 151-3), il n’est donc pas possible d’échapper aux lourdes sanctions, et en particulier à la nullité de l’investissement, en invoquant le droit à l’erreur si l’autorisation du Ministre n’a pas été préalablement sollicitée.
  • En restreignant le domaine du dispositif aux seules sanctions prononcées par l’administration, le texte exclut également « les sanctions de nature pénale, qui ne sont pas prononcées par l’administration » (Etude d’impact, p. 22). Par voie de conséquence, les sanctions applicables en cas de défaut de déclaration du bénéficiaire effectif ou bien encore celles applicables en cas de défaut de déclaration statistique à la Banque de France en matière d’investissements étrangers, qui ont une nature pénale, ne peuvent être combattues sur le terrain du droit à l’erreur.

Reste alors à se demander quelles situations pourront véritablement être saisies par le droit à l’erreur ?

Si, en droit des sociétés, le droit à régularisation en cas d’erreur peinera indiscutablement à trouver une place, bien d’autres situations l’accueilleront avec moins de réticence.

L’étude d’impact (p. 22 et s.) ainsi que le Rapport rédigé par M. Guerini (AN, Rapport n° 575 de M. S. Guerini, 18 janv. 2018, p. 85 et s.) en évoquent un nombre assez important parmi lesquels il est possible de trouver l’oubli de déclaration des rémunérations assujetties aux cotisations d’assurance chômage (CSS, art. R. 133-14) ou encore le démarchage téléphonique, par un professionnel, d’un consommateur inscrit sur la liste d’opposition au démarchage (C. conso., art. L. 223-1).

On perçoit donc, à la lecture du texte lui-même et de son dossier législatif, que le droit à régularisation en cas d’erreur n’a pas comme champ naturel d’application le droit des sociétés. Même les obligations de déclaration au registre du commerce et des sociétés sont exclues du dispositif, non seulement parce qu’elles ne sont sanctionnées qu’en cas de mauvaise foi, mais en outre parce qu’il leur est appliqué une sanction pénale (C. com., art. L. 123-5).

Ce ne pourrait donc visiblement être qu’à la marge que le droit à l’erreur se fraie une place parmi les obligations déclaratives en droit des sociétés.

Clément BARRILLON
Maître de conférences à l’université Paris Nanterre
Membre du Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique (CEDCACE)

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