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L’essentiel en matière d’unanimité, c’est de tous participer !

Lettre CREDA-sociétés 2022-01 du 9 février 2022

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Dans les sociétés civiles, les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises selon les dispositions statutaires ou, en l'absence de telles dispositions, à l'unanimité des associés (art. 1852 cc). Selon la Cour de cassation, cet article « ne restreint pas l'unanimité à celle des associés présents ou représentés à une assemblée générale, mais vise la totalité des associés de la société ». Les décisions prises en violation de cette exigence ou des clauses statutaires l’aménageant encourent la nullité.

 

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C’est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation se prononce sur le sens qu’il convient de réserver à l’expression « unanimité des associés », qu’elle dissocie de celle de participants à l’assemblée.

En l’espèce, une SCI était gérée par un administrateur provisoire depuis 2012. Le 24 juillet 2015 se tenait une assemblée générale au cours de laquelle plusieurs résolutions étaient adoptées, dont l’approbation des comptes de 2011 à 2014 ; le quitus aux cogérants puis à l'administrateur ; l’affectation des résultats pour 2014 et la rémunération de l’administrateur. Une associée poursuivait l’annulation de cette assemblée, pour violation de l’article 1852 du Code civil. La cour d’appel de Basse-Terre ayant fait droit à ses demandes est confortée par la Cour de cassation qui, dans un même arrêt, formule deux solutions de principe ; ce qui justifie largement la publication au Bulletin.

« L’unanimité des associés » ou « l’unanimité des voix attachées aux parts » ?

La première question posée à la troisième chambre civile était celle de savoir ce qu’il fallait entendre par « unanimité des associés » au sens de l’article 1852 du Code civil. En l’espèce, la SCI reprochait à la cour d’appel d’avoir jugé que l’unanimité pour l’adoption des résolutions excédant les pouvoirs du gérant devait s’entendre de la décision collective prise par tous les associés, y compris les absents à l’assemblée. Or, selon la SCI, sauf stipulation contraire, l’unanimité renvoyait nécessairement à la décision prise par les associés présents ou représentés lors de l’AG. Cette lecture ne convainc pas la Haute juridiction qui, après en avoir rappelé les termes, décide que l’article 1852 « ne restreint pas l'unanimité à celle des associés présents ou représentés à une assemblée générale, mais vise la totalité des associés de la société. »
L’arrêt est important. D’abord en raison de sa portée qui dépasse les seules sociétés civiles. A cet égard, une décision remarquée, formulée en des termes proches, avait été rendue par la cour d’appel de Versailles s’agissant de la transformation d’une société en SAS à l’unanimité (C. com., art. L. 227-3 ; Versailles, 24 févr. 2005, RG n° 03/07294). Ensuite, parce que l’on comprend que l’unanimité des associés mobilise, par principe, le droit de participer de chacun des associés aux décisions collectives (C. civ., art. 1844, al. 1), plus que le droit de vote. Pour autant, on pouvait considérer avec la SCI, dès lors que l’article 1852 figure dans une section relative aux décisions collectives, prises par défaut en assemblée dans une société civile (C. civ., art. 1853), que l’unanimité devait s’entendre de celle des associés présents ou représentés à l’assemblée.

Ce n’est toutefois pas la conception retenue et cela doit être approuvé. La Cour de cassation confirme que l’unanimité des associés, sauf précision contraire, renvoie par principe à la décision collective de la totalité des associés. A cet égard, on peut trouver un renfort dans l’article 1852 qui prévoit, à titre supplétif, une condition d’unanimité, mais aussi, détermine la compétence de la collectivité des associés indépendamment du cadre ou du processus d’adoption de la décision (C. civ., art. 1853 et 1854). Moins que dans les SAS, mais dans un sens proche, la notion de décision collective peut ainsi être déconnectée de celle d’assemblée (consultation écrite ou acte unanime).
Enfin, on déduit de la solution que l’unanimité écrase tout, sauf les associés. Aussi, avec d’autres, on peut admettre que la ventilation du vote entre nu-propriétaire et usufruitier ne peut jouer, ce dernier n’ayant pas, bien que désormais doté du droit de participer, la qualité d’associé (Com., avis, 1er déc. 2021, n° 20-15164). De même, exit la représentation collective des indivisaires pour le vote (Civ. 1ère, 15 déc. 2010, n° 09-10140), chacun devant, individuellement, participer et consentir, et, bien entendu, plus largement, exit la logique majoritaire et donc, celle des présents ou représentés, les votes doubles ou multiples. On peut ajouter que même privés du vote, sur un fondement légal (à titre de sanction par exemple), ou en vertu d’actions de préférence, les associés devraient, encore, pouvoir participer.

Cette vision absolutiste de l’unanimité est telle, qu’elle ne s’accommode pas, à notre avis, du silence, qu’il résulte de l’abstention ou, mais cela est différent, du défaut de réponse. En revanche, s’il avait été relevé en doctrine, à juste titre, que cet absolutisme de l’unanimité chassait l’idée du vote, et donc les notions de majorité et de minorité, on peut toutefois douter qu’elle écarte toute possibilité de sanction d’un abus. Concrètement, le refus de l’augmentation de ses engagements par un associé ne saurait être abusif et donc, appréhendé sur le terrain de l’abus de minorité. En revanche, on ne voit pas, en dehors de cette hypothèse, ce qui justifierait que le consentement exigé par l’unanimité, bien que discrétionnaire, comme le veto, ne puisse dégénérer en abus.

Un regret toutefois, au vu des faits de l’espèce. La clause litigieuse stipulait que « toutes décisions qui excèdent les pouvoirs de gestion sont prises à l'unanimité des voix attachées aux parts créées par la société. Chaque part donne droit à une voix. ». Dès lors, il nous semble qu’un aménagement de la règle de l’unanimité des associés était déjà opéré par les statuts de la SCI. En effet, « l’unanimité des voix attachées aux parts créées par la société » n’est pas « l’unanimité des associés »… Or, dans ce cas, devraient être écartés, le cas échéant, le nu-propriétaire au bénéfice de l’usufruitier, chacun des indivisaires alors représentés, les titulaires d’actions sans droit de vote, etc. Malgré tout, cette stipulation ne saurait limiter la participation à la décision collective aux seuls présents ou représentés. De plus, même si les statuts incitaient à une autre lecture, l’unanimité des voix attachées aux parts recoupait certainement celle des associés en l’espèce. Au-delà, cette lecture de la clause de statuts ne changerait pas, selon l’arrêt commenté, la sanction de la violation de l’article 1852 ou des clauses prises pour son application.

L’article 1852 du Code civil : disposition impérative ouvrant une faculté d’aménagement.

C’est le second enseignement de l’arrêt qui, en substance, retient que l’article 1852 est une disposition impérative ouvrant une faculté d’aménager conventionnellement la règle qu’elle pose, au sens de la jurisprudence Larzul (récemment, au sujet de C. civ., art. 1844, al. 3, Com., 13 janvier 2021, n°19-13399). La Cour de cassation en déduit que « La violation de ce principe ou des règles statutaires qui l'aménagent est sanctionnée par la nullité » (§16). Pour donner de la force à l’affirmation, elle convoque le « principe d'unanimité, posé par l'article 1852 du code civil » (§15).

On peut être un peu plus réservé sur cette affirmation. L’article 1852 n’use pas de l’interdiction, à la différence de l’article 1836, alinéa 1er, disposition impérative ouvrant une telle faculté (Civ. 3ème, 8 juillet 2015, n° 13-14348), mais pose une règle supplétive. De plus, on peut douter que la compétence résiduelle que l’article 1852 réserve aux associés soit de nature à justifier, demain, que la décision prise par un gérant en dehors de ses pouvoirs fonde une nullité. Cela limite la portée du texte. Enfin, un arrêt avait jugé que l’article 1853 du Code civil ne relevait pas des dispositions impératives ouvrant une faculté d’aménagement (Com., 19 mars 2013, n° 12-15283). Or, excepté la différence de chambres, il est difficile d’identifier ce qui explique la différence de traitement. On aurait même plutôt tendance à considérer que le droit de participer des associés, mobilisé au stade du processus de décision par l’exigence supplétive de tenue d’une assemblée, conformément à l’article 1853, aurait dû aboutir à une solution inverse.


Julien DELVALLEE
Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay

 

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