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Facilitation de la prorogation d’une société après survenue de son terme

Lettre CREDA-sociétés 2023-14 du 18 octobre 2023

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La prorogation d’une société après son terme statutaire peut être demandée quelle que soit la raison de l’absence de consultation des associés avant le terme. Le juge doit alors constater que des associés représentant la majorité prévue par les statuts pour la prorogation ont l’intention de proroger la société (Cass. com., 30 août 2023, n° 22-12.084).

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Un groupement foncier agricole avait été constitué pour une durée de quarante ans en 1979. En 2018, le gérant du groupement a convoqué les associés mais aucune preuve de la tenue de l’assemblée n’a été apportée, de surcroît, un des associés a, un peu avant le terme, notifié son intention de ne pas proroger la société « de plein droit » à la fin du bail en cours.

Avant toute chose, remarquons que les GFA peuvent être prorogés automatiquement tant qu’un bail qu’ils ont consenti est en cours, sauf opposition d’un de leurs associés (art. L. 322-9 C.rur.). En l'espèce, l'opposition ayant été formée, la prorogation n’est plus automatique et le droit commun redevient applicable, la solution est donc applicable à toutes les sociétés.

Un des associés a ainsi, postérieurement au terme, saisi le président du tribunal judiciaire afin de procéder à la prorogation de la société, comme l’art. 1844-6, al. 4 C.civ. le permet désormais. Constatant l'intention des associés de proroger la société, le président a accédé à sa demande, et autorisé la consultation des associés à titre de régularisation dans un délai de trois mois. Un des associés – celui-là même qui avait notifié son intention de ne pas proroger la société – a demandé la rétractation de cette décision.

L’arrêt d’appel la confirme pourtant et s’ensuit un pourvoi en cassation de l’associé trouble-fête, celui-ci estimant : premièrement qu’il faudrait que l’omission de proroger la société ait été faite de bonne foi avant le terme, ce qui ne serait pas le cas ; deuxièmement que le juge a constaté que la majorité des associés, telle que prévue par les statuts, avaient l’intention de proroger, alors qu’il aurait fallu une intention unanime.

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Les deux arguments ne manquaient pas de pertinence mais la Cour de cassation avalise le raisonnement d’appel : « quelle que soit la raison pour laquelle la consultation des associés à l'effet de décider si la société doit être prorogée n'a pas eu lieu, le président du tribunal, statuant sur requête à la demande de tout associé dans l'année suivant la date d'expiration de la société, peut constater l'intention des associés de proroger la société et autoriser la consultation à titre de régularisation dans un délai de trois mois. Lorsque les statuts de la société prévoient que la prorogation peut être décidée à la majorité qu'ils fixent, il suffit au président de constater que des associés représentant au moins cette majorité ont l'intention de proroger la société ». Ainsi, « la cour d'appel, qui a exactement énoncé que l'article 1844-6 n'impose pas de rechercher si les associés ont omis de bonne foi de proroger la société dont le terme est arrivée [sic] à échéance et n'exige pas l'intention unanime des associés, a confirmé à bon droit l'ordonnance du président du tribunal judiciaire ». On remarquera les expressions « exactement énoncé » et « à bon droit », symptômes d’un contrôle lourd.

Les deux assertions sont discutables mais compréhensibles, tant s’agissant de l’absence de contrôle de l’attitude des associés (I) que de l’applicabilité de la majorité statutaire à la constatation de l’intention des associés de proroger (II).

I.- L’indifférence de l’attitude des associés

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n° 2023-14 du 18 octobre 2023

Lettre Creda-sociétés 14-2023

On le sait, la loi n° 2019-744 de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés, du 19 juillet 2019, dite loi « Soilihi », a modifié les modalités de prorogation des sociétés en autorisant une prorogation postérieure au terme.

Auparavant, la jurisprudence niait fermement la possibilité pour les associés de proroger une société une fois son terme échu : « en l'absence de toute prorogation expresse, décidée dans les formes légales ou statutaires, un groupement agricole d'exploitation en commun est dissous de plein droit par la survenance du terme » (Com., 13 sept. 2017, n° 16-12.479). La décision, rendue au visa des art. 1844-6 anc. et 1844-7 C. civ., avait une portée très générale. Elle fermait expressément deux portes : celle d’une prorogation tacite, parfois évoquée par la jurisprudence (Com., 23 oct. 2007, n° 05-19.092 ; Com., 31 janv. 2012, n° 10-24.715) ; et celle d’une prorogation postérieure au terme, celle-ci étant de tout temps écartée.

Cette situation était, de l’avis d’une majorité des auteurs, assez dommageable, nombreuses étant les sociétés oubliant de proroger leur terme malgré leur bonne santé.

C’est ainsi que la loi Soilihi a admis la possibilité de proroger au-delà du terme. Elle se matérialise par une demande adressée au président du tribunal dans un délai d’un an, lequel peut « constater l'intention des associés de proroger la société et autoriser la consultation à titre de régularisation dans un délai de trois mois, le cas échéant en désignant un mandataire de justice chargé de la provoquer » (art. 1844-6, al. 4 C. civ.).
On pourrait penser que cette disposition vise à corriger un oubli « de bonne foi » – une simple inadvertance –, d’où le pourvoi de l’associé récalcitrant. Il est vrai que le sénateur M. Soilihi avait, dans sa proposition de loi, fait référence à la bonne foi des associés mais cette condition n’a pas été reprise expressis verbis dans le texte.

Cette condition est-elle pour autant implicitement requise ? La Cour de cassation rejette catégoriquement cette hypothèse : « quelle que soit la raison » de l’absence de consultation, le président peut faire son office. À première vue, cela dérange. On tolérerait que des associés n’ayant pas prorogé de mauvaise foi puissent ensuite le faire ?

En réalité c’est justement dans le cas d’une mauvaise foi ou d’un abus ayant entraîné l’absence de vote sur la prorogation qu’il faut admettre la possibilité pour un associé lésé – car cette possibilité est ouverte à tout associé – de pouvoir la provoquer.

En d’autres termes, soit l’oubli est de bonne foi et il faut bien entendu autoriser la prorogation post terme de société, soit il est malicieux et il faut a fortiori la permettre. La solution correspond donc bien à la ratio legis de l’art. 1844-6 C. civ. qui est de favoriser la poursuite de l’activité.

II.- L’applicabilité des modalités statutaires

Concernant l’applicabilité des prévisions statutaires, la solution est ici un peu plus contestable car il faut que le président, une fois saisi, constate, avant d’autoriser la consultation, la volonté des associés de proroger. La Cour juge que cette « constatation » doit être celle que des associés représentant la majorité prévue par les statuts pour la prorogation veuillent y procéder.

Attention à ne pas confondre : il ne s’agit pas là de la majorité prévue pour la consultation des associés, mais bien de celle que le juge doit préalablement constater pour autoriser la consultation. La Cour le précise bien : « lorsque les statuts de la société prévoient que la prorogation peut être décidée à la majorité qu'ils fixent, il suffit au président de constater que des associés représentant au moins cette majorité ont l'intention de proroger la société ».

La référence à la majorité prévue par les statuts paraît étrange car il s’agit de la majorité prévue pour la prorogation avant l’arrivée du terme. Il n’est donc pas acquis que cette majorité statutaire soit applicable après le terme, car la société est en liquidation et les statuts ne visent pas cette hypothèse. À supposer qu’elle soit applicable après le terme, elle le serait à la consultation, non pas au constat par le juge de l’intention des associés de proroger.

En dehors des difficultés théoriques que cela entraîne, il est acquis que les statuts survivent à la dissolution de la société par arrivée du terme. La Cour de cassation énonce sans équivoque que « les statuts de la société dissoute par survenance de son terme statutaire continu[ent] de régir les rapports entre ses associés » (Com., 13 déc. 2005, n° 02-16.605). Cela ne lève pourtant pas la difficulté in casu selon laquelle la majorité prévue par les statuts ne couvre vraisemblablement pas la prorogation après le terme mais uniquement la prorogation de manière générale. Cela n’a néanmoins pas découragé le juge.
Surtout, ces modalités s’appliquent-elles au « constat » par le juge de l’intention des associés ? Cela n’était pas évident s’agissant d’une décision du président statuant sur requête et les auteurs penchaient davantage pour l’exigence d’unanimité ; il est difficile de considérer que le président puisse constater que les associés entendaient proroger la société devant l’opposition d’un d’entre eux. On pouvait également envisager une solution médiane où tous les associés n’avaient pas l’intention particulière de proroger, mais aucun ne s’y opposait farouchement : le constat aurait été celui, non pas d’une unanimité positive, mais d’une absence d’opposition.

Ce n’est pourtant pas ce qui a été décidé et cela va soulever une autre difficulté, de nature probatoire : l’associé demandeur va devoir rapporter la preuve que la majorité prévue par les statuts est bien remplie. Il faudra donc prouver une intention positive de la part de la majorité prévue, ce qui est plus difficile que de rapporter la preuve de l’absence d’une minorité de blocage, certains pouvant être indécis.

La Cour a vraisemblablement voulu réduire ce potentiel goulot d’étranglement qu’aurait été une exigence d’unanimité à ce stade ; d’autant que si l’absence de prorogation a été faite de mauvaise foi avant le terme, l’associé potentiellement à la manœuvre aurait tôt fait de la bloquer après le terme. La solution est donc de bon sens, même si son orthodoxie juridique n’est pas parfaite.

Jean-Baptiste BARBIÈRI
Maître de conférences, Université Paris-Panthéon-Assas

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