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À quelles conditions le représentant légal engage la personne morale ? Utiles rappels de la Cour de cassation

Lettre CREDA-sociétés 2023-17 du 20 décembre 2023

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Par un arrêt inédit rendu le 11 octobre 2023 (n° 22-12.946), la chambre commerciale rappelle opportunément que le dirigeant d'une société n'engage celle-ci que par les actes qu'il accomplit en qualité de mandataire social, et qu’à défaut de mention de cette qualité dans l'acte, il appartient au tiers contractant de faire la preuve que le dirigeant a eu et manifesté la volonté d'agir au nom et pour le compte de la société.

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L’arrêt

Une SAS Campus créatif avait commandé divers travaux à un groupement d’entreprises ayant pour mandataire commun la société Demathieu Bard construction. Cette dernière reçut de la société Artémisia Finance, présidente de la SAS une lettre l’informant de la résiliation du contrat puis un décompte général définitif à solder.

La société mandataire contesta l’efficacité juridique de la résiliation, et celle du décompte, car ces actes auraient été accomplis par une société qui n’était pas sa cocontractante.

Les juges du fond lui donnèrent raison. S’agissant de la lettre de résiliation, la cour d’appel releva qu’elle portait l’en-tête de la société Artémisia Finance, et qu’elle était signée par son représentant légal. Concernant le décompte général, elle nota que la lettre adressée par Artémisia Finance avait simplement pour objet « Pour la SAS Campus créatif […] », mention insuffisante pour en déduire que la SAS en était l’émettrice.

La SAS forma un pourvoi, qui sera favorablement reçu. Selon une formule classique, la chambre commerciale rappelle le principe suivant lequel le dirigeant d'une société n'engage celle-ci que par les actes qu'il accomplit en qualité de mandataire social, et qu’à défaut de mention de cette qualité dans l'acte, il appartient au tiers contractant de faire la preuve que le dirigeant a eu et manifesté la volonté d'agir au nom et pour le compte de la société.

En l’occurrence, l’arrêt d’appel est cassé pour défaut de base légale, car les juges du fond avaient négligé le fait que, dans les jours précédents les actes litigieux, la société Artémisia Finance avait communiqué à la société mandataire un extrait Kbis de la SAS, en lui indiquant qu'elle agissait en qualité de présidente de celle-ci.

La solution

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L’arrêt, dont la portée est large car toutes les formes sociales sont potentiellement concernées, invite à revenir sur une question classique : quand peut-on considérer que le représentant légal d’une société engage cette dernière ? Si la réponse est simple en théorie, le déterminer en pratique peut s’avérer délicat, que le représentant soit une personne physique ou une personne morale. Bien que les principes soient uniformes, l’on comprend que des difficultés particulières puissent surgir lorsque la société a pour mandataire social une personne morale, ce que la loi permet dans la SAS (C. com., art. L. 227-7). Un risque de confusion plus aigu peut en effet se profiler, la personne morale représentante de la SAS étant elle-même représentée par une personne physique. Du reste, la désignation d’un « représentant permanent » de cette personne morale présidente, pratique inspirée de l’article L. 225-20 du code de commerce et qui semble être admise (Cass. com., 19 nov. 2013, n° 12-16.099, publié), ne permet pas d’échapper à la difficulté.

Pour disposer du pouvoir d’engager la SAS, le préalable indispensable est que le représentant légal soit inscrit, en cette qualité, au RCS (C. com., art. R. 123-54, 2°). Mais pour engager la personne morale représentée, encore faut-il que le représentant légal ait agi, ès qualité, au nom et pour le compte de celle-ci. Si cette condition ne figure pas explicitement dans les textes, elle trouve son fondement dans la théorie générale de la représentation (C. civ., art. 1153 et s.), et elle est, à vrai dire, de bon sens. Dans le cas de la représentation parfaite, la transparence implique que le tiers ait connaissance de la qualité d'intermédiaire de la personne avec laquelle il traite.

Aucune difficulté n’est à relever lorsque le représentant a, dans l’acte, expressément déclaré agir en tant que mandataire de la société. Quid en l’absence d’une telle mention ? Est d’abord posé le problème de la charge de la preuve. Reprenant une formule souvent utilisée (Cass. com., 7 juil. 2020, n° 18-19.292), la chambre commerciale indique qu’« à défaut de mention de cette qualité dans l'acte, il appartient au tiers contractant de faire la preuve que le dirigeant a eu et manifesté la volonté d'agir au nom et pour le compte de la société ». Est-ce à dire qu’existerait une présomption en défaveur du tiers ? Cette formule ne doit pas être interprétée à la lettre, précisément parce qu’en l’espèce, le tiers ne souhaitait pas faire valoir que le signataire des actes avait engagé la SAS. Au vrai, il appartenait ici à la SAS et à son représentant de faire la démonstration que cette dernière avait agi au nom et pour le compte de la première. Autrement dit, il est fait application des principes classiques (C. civ., art. 1353).

S’agissant des éléments de preuve à rapporter, l’arrêt est intéressant car il montre qu’il existe deux orientations possibles. La position de la cour d’appel est plus exigeante. Il ressort de son arrêt que « si l'extrait Kbis de la société Campus créatif établit que le président de cette société est la société Artémisia Finance, cette dernière n'est pas pour autant dispensée de se présenter, dans sa correspondance établie pour le compte de la société Campus créatif, comme agissant en qualité de représentante légale de cette seule société ». Les juges du fond justifient leur position par la gravité des actes en question : « s'agissant d'une notification de résiliation de marché, et au regard des conséquences juridiques importantes qu'une telle lettre entraîne pour l'entreprise destinataire, elle devait impérativement et sans ambiguïté émaner de la société cocontractante et non d'une autre personne morale agissant en son nom propre ».

La Cour de cassation n’est pas en phase avec cette approche corsetée, car elle estime, à l’inverse, que l’absence de mention explicite dans l’acte n’empêche pas de démontrer, par d’autres moyens, que le représentant légal a bien agi en cette qualité. En l’occurrence, elle invite à considérer comme un indice significatif le fait que la société représentante ait communiqué l’extrait Kbis mentionnant sa qualité. Question de fait, il appartiendra alors à la cour de renvoi de lui redonner toute son importance.

 

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n° 2023-17 du 20 décembre 2023

Lettre Creda 2023-17

 

Appréciation

La décision mérite l’approbation. Aucune disposition n’impose d’exigence formelle ni de mention sacramentelle, si bien qu’une cassation pour violation de la loi n’aurait pas été absurde. En l’absence d’indication dans l’acte, c’est un faisceau d’indices qui doit permettre de caractériser l’action « au nom et pour le compte » de la société. Au-delà du droit des sociétés, déterminer si le représentant a agi au nom et pour le compte du représenté peut « résulter non seulement d'une déclaration mais aussi d'une attitude lorsqu'elle ne prête à aucune ambiguïté » (A. Rouast, La représentation dans les actes juridiques, Cours de droit, 1947, p. 64).

A cet égard, l’on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec le très récent revirement opéré en matière de société en formation (quatre arrêts, dont Cass. com., 29 nov. 2023, n° 22-12.865, publié). A en effet été remise en cause la solution suivant laquelle, pour être valable et pouvoir faire l’objet d’une reprise, l’acte doit avoir été passé expressément « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation, l’acte passé « par » une société en formation étant quant à lui frappé de nullité absolue. Le revirement est justifié en ces termes : « L'exigence [d’une mention expresse] ne résultant pas explicitement des textes […], il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas que l'acte soit conclu au nom ou pour le compte de la société en formation […] ».

La Cour de cassation demeure toutefois attentive à ce que les éléments invoqués par les juges du fond soient probants. Selon l’attendu de principe, preuve doit être faite que le dirigeant a eu et, surtout, a manifesté son intention d’agir pour le compte de la société, ce qui suppose que cette volonté ait été extériorisée. La chambre commerciale s’était déjà retranchée derrière l’appréciation souveraine de juges du fond qui estimèrent qu’un mandataire social se contentant de signer un document contractuel sans préciser sa qualité n’agit pas au nom et pour le compte de la personne morale, dès lors qu’aucun autre élément ne venait attester du contraire (Cass. com., 22 févr. 2005, n° 03-16.398).

Recours à la théorie du mandat apparent ?

Dans l’hypothèse où les circonstances ne permettent pas de déterminer que le représentant a eu l’intention d’agir au nom et pour le compte de la société, la théorie du mandat apparent pourrait-elle être d’un quelconque secours (Pour une application récente : Cass com. 9 mars 2022, n° 19-25.704) ?

Une réponse négative s’impose. L’apparence joue au profit du tiers de bonne foi ayant légitimement cru que la personne avec qui il a traité avait le pouvoir d’engager la personne morale. Le mandat apparent ne peut pas être invoqué par l’intéressé, qui n’est ni tiers, ni de bonne foi ! Par ailleurs et plus fondamentalement, le mandat apparent est mobilisé lorsque le représentant est, précisément, dépourvu, en droit, du pouvoir d’engager la société.

 

Akram EL MEJRI,
Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

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