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Le domaine étendu de la solidarité présumée en matière commerciale

Lettre CREDA-sociétés 2023-13 du 4 octobre 2023

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Par un arrêt du 30 août 2023 (n° 22-10.466, F-B), la Cour de cassation réaffirme avec force la règle coutumière selon laquelle, par dérogation à l’article 1310 du Code civil, les codébiteurs d’une dette commerciale sont de plein droit solidairement tenus de son exécution.

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La solution mérite une attention particulière en ce qu’elle rappelle l’étendue de cette solidarité présumée, qui embrasse, sauf stipulation contraire, toutes les obligations souscrites par les parties à une même cession de contrôle d’une société commerciale. Peu importe alors le nombre de parts cédées, leur absence de qualité de commerçant ou encore leur intérêt à l'opération.

Les faits, classiques, sont les suivants : en janvier 2017, les 3 000 parts composant l’intégralité du capital social d’une SARL sont cédées à une société SN. Dans le cadre de cette cession de contrôle, un prix de 380 000 euros est convenu, sur lequel un acompte de 300 000 euros est versé. L’acte prévoit en outre que le prix (arrêté sur la base du bilan de la SARL clos au 29 février 2016), pourra faire l'objet d'une révision à la baisse en fonction de la situation comptable intermédiaire de cette SARL (arrêtée au 31 décembre 2016). Postérieurement à la réalisation de la vente, la situation intermédiaire de la SARL fait apparaitre des capitaux propres négatifs à hauteur de 963 999 euros, ramenant le prix de cession à… l’euro symbolique !

En application de la clause de révision de prix, le cessionnaire assigne l’ensemble des cédants ayant garanti le montant des capitaux propres. En première instance et en appel, les cédants sont solidairement condamnés à restituer l’acompte, soit 299 999 euros. Deux associés ultra minoritaires, n’ayant chacun cédé qu’une seule part sur les 3 000 composant le capital social de la SARL, forment un pourvoi.

Les trois moyens qu’ils avancent pour tenir en échec la solidarité passive et échapper à une condamnation au tout, malgré la modicité du prix de cession reçu par eux, sont rejetés par la Cour de cassation.

1. Le domaine de la présomption de solidarité passive

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Pour contrer la rigueur du mécanisme de la solidarité passive, les cédants minoritaires invoquent en premier lieu l’article 1310 du Code civil : « La solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas ». Sans surprise, l’argument est rejeté par la Cour de cassation : « les conventions qui emportent cession de contrôle d'une société commerciale présentant un caractère commercial, encore qu'elles ne soient pas conclues entres commerçants, les obligations contractées par les vendeurs s'exécutent solidairement ». Cela fait bien longtemps que la solidarité passive est considérée comme présumée en matière commerciale (Cass. req., 20 oct. 1920). Le présent arrêt rappelle ainsi la permanence de cette règle coutumière (on parle aussi d’usage du droit commercial), même après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, la cession de contrôle ayant été conclue, en l’occurrence, après le 1er octobre 2016.

On dit que la solidarité passive est présumée dans la mesure où elle s’applique de plein droit aux codébiteurs d’une même dette commerciale, c’est-à-dire, dans le silence de la convention des parties et par dérogation au droit commun des obligations. La solidarité déploie des effets principaux (obligation au tout de chacun des codébiteurs, le créancier n’ayant pas à diviser ses recours) et secondaires (Cass. com., 28 nov. 2006, n° 05-14.827, jugeant que l’interruption de la prescription contre un cédant est opposable aux autres), auxquels il n’est possible d’échapper qu’à la condition de le stipuler expressément.

Outre ce rappel, la Cour de cassation insiste sur le domaine de cette solidarité. Certes, il n’est pas absolu : même en matière commerciale, la solidarité active (entre créanciers) ne se présume pas (Cass. com., 26 sept. 2018, n° 16-28133), motif pris (en simplifiant) des risques auxquels s’exposent les créanciers en confiant le pouvoir à chacun de gérer la relation avec le débiteur. Il reste que passée cette limite, la présomption de solidarité passive est étendue. Elle concerne les actes de commerce entre toutes personnes, peu important donc, comme cela est souligné ici, que les codébiteurs interviennent ou non à l’acte en qualité de commerçants. Partant, sont aussi touchées par la présomption de solidarité passive : les cessions de fonds de commerce, sauf le cas particulier des cédants n’ayant jamais été commerçants (par ex. pour avoir recueilli le fonds par legs ou succession), à l’égard desquels le contrat n’est pas un acte de commerce ; certaines sûretés accessoires aux dettes commerciales, avec, pour le cautionnement, la réserve de l’article 2297 du Code civil ; les cessions de contrôle de sociétés commerciales, comme en l’espèce.

A cet égard, la Haute juridiction marque à deux reprises la portée de cette solidarité.

Une première fois par l’emploi d’un pluriel, jugeant que ce sont « les obligations contractées par les vendeurs […] qui s’exécutent solidairement ».

Une seconde fois, lorsqu’à l’argument des cédants minoritaires d’après lequel la solidarité passive ne devrait porter que sur les garanties de passif consenties par eux, la Cour répond « que l'obligation de restitution d'une partie de l'acompte versé par le cessionnaire, qui pèse sur l'ensemble des cédants en application de la clause de prix figurant dans cet acte, est une obligation solidaire ». Concrètement, ce sont toutes les obligations souscrites par les parties à la cession de contrôle qui sont visées : cela vaut côté cédants, en ce qui concerne les garanties octroyées au cessionnaire dans l’acte ; cela vaut également côté cessionnaires pour les obligations qu’ils souscrivent dans le cadre de la cession de contrôle (paiement du prix en particulier). Notons que la situation devrait toutefois être différente dans le cas d’une obligation de restitution née consécutivement au prononcé de la nullité d’une cession de contrôle. Il a effectivement pu être jugé que cette obligation conservait sa nature civile (Cass. com., 1er mars 2017, n° 15-10327) ; probablement parce que son fait générateur résulte d’une décision de justice, non de la cession elle-même.

2. L’appréciation du transfert du contrôle

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n° 2023-13 du 4 octobre 2023

Lettre Creda-sociétés 2023-13

 

Le second intérêt de l’arrêt est relatif au critère permettant d’apprécier l’existence ou non d’un transfert du contrôle. Cet aspect est capital puisque c’est ce transfert qui justifie, par exception, que la cession de droits sociaux, par nature civile, revête une nature commerciale. En l’espèce, les minoritaires soutenaient encore que la solidarité devait être écartée faute d’incidence de la cession de leurs deux parts (pour un total de 3 000 cédées) sur le transfert du contrôle de la SARL.

L’argument ne convainc pas la Cour de cassation, qui approuve les conseillers d’avoir « exactement énoncé que le transfert du contrôle s'appréciait au regard du seul cessionnaire ». L’analyse est conforme à sa jurisprudence antérieure (not. Cass. com., 28 nov. 1978, n° 77-12609), même si c’est la première fois, à notre connaissance, qu’elle est formulée aussi clairement. Ce qui importe, c’est l’objet et donc l’effet de la cession (de l’acte) du point de vue du cessionnaire : lui transférer le contrôle (Cass. com., 28 avr. 1987, n° 85-17093) ; lui en assurer le maintien (Cass. 1ère civ., 3 juill. 2013, n° 12-17714 ; Cass. com., 26 mars 1996, n° 94-14051). En toute logique, est jugé inopérant l’argument des cédants consistant à soutenir qu’avec ou sans la cession de leur unique part, le contrôle aurait pareillement été transféré. De même, est considéré comme surabondant le moyen tiré de ce que, faute d’être commerçants, les deux cédants auraient dû avoir un intérêt personnel à la cession pour que la cession soit qualifiée de commerciale. Ce critère autrefois utilisé en matière de cautionnement commercial n’a ici aucune incidence, puisque le contrôle s’apprécie du point de vue du cessionnaire.

On terminera par deux remarques.

D’abord, la pluralité de cessionnaires ne devrait pas affecter la pertinence du critère retenu. Il faudra rechercher si, ensemble, les cessionnaires acquièrent le contrôle au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce (Cass. com., 24 nov. 1992, n° 91-10699, pour la cession d’une minorité de blocage n’emportant pas transfert direct ou indirect du contrôle au profit du cessionnaire ; Cass. com., 22 mars 2005, n° 01-16331, retenant l’existence d’une solidarité entre cessionnaires).

Ensuite, il s’infère de l’arrêt que les deux minoritaires auraient peut-être pu se soustraire à la solidarité (autrement que par une clause expresse en ce sens) s’ils avaient, séparément, par un autre acte donc, cédé leur participation. Dans ce cas, seule la cession par les majoritaires de leurs participations aurait transféré le contrôle au cessionnaire et seule cette cession aurait été qualifiée de commerciale. Quoi qu’il en soit, une précaution sera de stipuler expressément sur la solidarité passive.

Julien DELVALLEE
Maître de conférences à l’Université Paris-Saclay

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