Sorry, you need to enable JavaScript to visit this website.

Contribution aux pertes sociales et liquidation judiciaire

Lettre CREDA-sociétés 2018-09 du 6 juin 2018

visuel_lettres_creda visuel_lettres_creda

Lorsqu’une société est en liquidation judiciaire, seul le liquidateur peut agir sur le fondement de l’article 1832 du code civil contre les associés en fixation de leur contribution aux pertes sociales.

 

Cette lettre est téléchargeable au format pdf en bas de page

Les dernières lettres creda-sociétés

abonnement creda sociétés

Les associés d’une société s’allient pour le meilleur, à savoir le partage des bénéfices, mais aussi pour le pire : la contribution aux pertes.

Aux termes de l’article 1832, alinéa 3 du Code civil, « les associés s’engagent à contribuer aux pertes ». La contribution aux pertes est une règle essentielle du droit commun des sociétés, qui s’applique donc à l’ensemble des sociétés, à risque limité ou illimité.

Plus précisément, contribuer aux pertes sociales signifie qu’en concluant le contrat de société, chaque associé accepte de prendre à sa charge in fine une partie des pertes sociales ; et ce, en principe, proportionnellement à sa participation au capital social, si au moment de la liquidation de sa société, celle-ci enregistre des résultats déficitaires. La contribution aux pertes est une obligation relevant des rapports internes à la société, à savoir des rapports des associés entre eux et avec la société.

Cela étant, en cas de liquidation judiciaire de la société, qui peut agir pour mettre en œuvre la contribution aux pertes sociales ?

Les textes étant muets sur ce point, cette lacune est comblée par un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 3 mai 2018, qui bénéficie d’une large diffusion, réservée aux décisions de principe (n° 15-20348, FS-P+B+I).

Les faits de l’espèce étaient les suivants. Associés au sein d’une société civile d’exploitation agricole en liquidation judiciaire, deux couples sont entrés en conflit à propos de la gestion de celle-ci dont l’un de ces associés était aussi le gérant. Ce gérant et son conjoint ont déclaré au passif de la procédure collective une créance au titre de leur compte courant d’associés, qui a été admise par un arrêt irrévocable. Parallèlement, les deux autres associés ont recherché la responsabilité du gérant et de son conjoint dans la déconfiture de la société, en leur reprochant différentes fautes de gestion. Dans cette procédure, le gérant et son conjoint ont demandé reconventionnellement la condamnation de leurs coassociés (dont l’un était entretemps décédé) au titre de leur contribution aux pertes de la société.

Une cour d’appel a fait droit à cette demande en rejetant l’argumentation selon laquelle elle se heurtait aux dispositions de l’article 1857 du Code civil (relatif à l’obligation aux dettes des associés d’une société civile). Après avoir rappelé les termes de l’article 1832 du Code civil et ceux des statuts de la société (stipulant que la contribution aux pertes se détermine à proportion des parts sociales et que les associés s’engagent à contribuer aux pertes), la cour d’appel a retenu que les associés ne pouvaient pas, en invoquant à tort l’article 1857 du Code civil, se soustraire à cette obligation et a condamné les deux associés à payer aux deux autres associés-créanciers de la société une partie des sommes avancées en compte courant (au prorata de leur participation au capital social).

Cette décision est censurée par la chambre commerciale de la Cour de cassation qui, au visa de l’article 1832 du Code civil, ensemble l’article L. 641-9 du Code de commerce et l’article 125 du Code de procédure civile, juge que : « lorsqu’une société est en liquidation judiciaire, seul le liquidateur peut agir sur le fondement de l’article 1832 du code civil contre les associés en fixation de leur contribution aux pertes sociales », de sorte « qu’en statuant ainsi, sans relever d’office l’irrecevabilité des demandes formées par (les associés), la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

En conséquence, la Haute juridiction casse l’arrêt de condamnation attaqué et dit n’y avoir lieu à renvoi, mettant fin ainsi au procès.

Cette solution, qui s’applique à toutes les sociétés, peut être approuvée.

Contribution aux pertes sociales

Certes, la contribution aux pertes sociales est une obligation interne à la société, mais elle tend au renflouement des caisses sociales : autrement dit, il s’agit d’une action de la société contre ses membres tendant au paiement des pertes sociales (cf. Cass. com., 3 mars 1975, n° 73-13721 ; Cass. com., 29 octobre 2003, n° 00-17538). Elle concerne donc le patrimoine de la société.

Ainsi, lorsqu’une société est en liquidation judiciaire, le débiteur étant dessaisi et ne pouvant pas exercer les droits et actions concernant son patrimoine (C. com., art. L. 641-9), seul le liquidateur a qualité pour agir sur le fondement de l’article 1832 du Code civil contre les associés pour demander la fixation de leur contribution aux pertes sociales et leur condamnation à ce titre.

L’action au titre de la contribution aux pertes étant ainsi réservée au seul liquidateur, l’action d’un associé se heurte à une fin de non-recevoir d’ordre public, qui doit être relevée d’office par le juge, comme le rappelle l’arrêt rapporté. Dès lors, le gérant d’une société civile en liquidation judiciaire et un associé ne peuvent agir à l’encontre d’autres associés pour obtenir leur contribution aux pertes sociales.

Cette solution, qui a le mérite de la simplicité, est nouvelle mais cohérente et s’inscrit dans le prolongement d’une décision antérieure. La chambre commerciale avait déjà jugé dans un arrêt du 27 septembre 2016 (n° 15-13348) que « le liquidateur judiciaire est recevable à agir, sur le fondement de l’article 1832 du Code civil, contre les associés d'une société en nom collectif en fixation de leur contribution aux pertes sociales ».

Obligation aux dettes sociales

Du point de vue de l’associé-créancier, cette solution doit être articulée avec l’obligation aux dettes sociales, qui est toujours indéfinie (qui n’existe que dans les sociétés à risque illimité, et joue dans les relations externes, entre les associés et les créanciers sociaux).

Cette obligation, prévue expressément par l’article L. 221-1 du Code de commerce en ce qui concerne les sociétés en nom collectif et par l’article 1857 du Code civil s’agissant des sociétés civiles (les deux textes n’étant cependant pas rédigés dans les mêmes termes) s’ajoute à leur contribution aux pertes. Elle s’applique tout au long de la vie de la société et donc avant sa dissolution : dès lors qu’une dette sociale envers un créancier est impayée, les associés sont exposés à ce que cette obligation soit mise en œuvre à leur encontre par le créancier. L’obligation aux dettes sociales, à la différence de la contribution aux pertes sociales, bénéficie aux seuls créanciers sociaux qui peuvent aussi la mettre en œuvre en cas de liquidation judiciaire de la société (Cass. com., 24 janvier 2006, n° 04-19061). Les créanciers peuvent alors agir à l’encontre des associés dès l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire. En cas de concours entre ces derniers et le liquidateur, les premiers arrivés seront les premiers servis.

Mais lorsque le créancier d’une société civile en est aussi l’associé, un arrêt controversé de la Cour de cassation a jugé qu’il ne peut pas agir contre ses co-associés sur le fondement de l’obligation aux dettes sociales car celle-ci ne peut être invoquée que par les tiers (cf. Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14844).

En résumé, il ressort de cette construction jurisprudentielle que l’associé-créancier d’une société civile (notamment au titre d’un compte courant) ne peut pas se prévaloir de l’obligation aux dettes sociales contre ses co-associés et qu’aucun associé ne peut exercer l’action au titre de la contribution aux pertes, qui est réservée au seul liquidateur de la société soumise à une procédure de liquidation judiciaire. L’associé-créancier, et en particulier celui ayant prêté de l’argent à une société civile, n’est pas un créancier comme un autre. Ce constat est de nature à fragiliser les avances en compte courant et doit être pris en compte par les associés qui financent ainsi la société.

 

Katrin DECKERT
Maître de conférences à l’université Paris-Nanterre

...

Partager
/v